Décision de télécom CRTC 2023-23

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Référence : Demande de la Partie 1 affichée le 25 octobre 2021, 2023-23-1

Ottawa, le 3 février 2023

Dossier public : 8662-C182-202107185

Opérateurs des réseaux concurrentiels Canadiens – Demande de révision et de modification de la politique réglementaire de télécom 2021-239

Sommaire

Le Conseil refuse la demande des Opérateurs des réseaux concurrentiels Canadiens (ORCC) de réviser et de modifier la politique réglementaire de télécom 2021-239. En particulier, le Conseil conclut que les ORCC n’ont pas démontré qu’il existe un doute réel quant au bien-fondé de la décision initiale.

Demande

  1. Le 25 octobre 2021, les Opérateurs des réseaux concurrentiels Canadiens (ORCC) ont déposé une demande invitant le Conseil à réviser et à modifier certains aspects de la politique réglementaire de télécom 2021-239. Les ORCC ont indiqué que le Conseil a commis des erreurs de fait et de droit dans cette décision qui ont soulevé un doute réel quant à son bien-fondé.
  2. Dans leur demande, les ORCC ont argué que le Conseil a commis une erreur en déterminant que le câblage d’immeuble par fibre ne constitue pas une installation essentielle, ainsi que dans sa décision d’abstention correspondante. Les ORCC ont par la suite demandé au Conseil de rendre obligatoire l’accès de gros au câblage d’immeuble par fibre pour toute entité à laquelle s’applique la condition d’accès aux immeubles à logements multiples (ILM). Les ORCC ont également demandé que cet accès de gros obligatoire soit fourni conformément à un tarif de gros unique à l’échelle nationale, à déterminer dans une instance de suivi.
  3. Le Conseil a reçu des interventions de Beanfield Technologies Inc. (Beanfield); de Bell Canada; de Bragg Communications Incorporated, exerçant ses activités sous le nom d’Eastlink (Eastlink); du Centre pour la défense de l’intérêt public (CDIP); de Cloudwifi Inc. (Cloudwifi); de Québecor Média inc., au nom de Vidéotron ltée (Vidéotron); de Rogers Communications Canada Inc. (RCCI); de Saskatchewan Telecommunications (SaskTel); de TekSavvy Solutions Inc. (TekSavvy); et de TELUS Communications Inc. (TCI).

Contexte

  1. Dans la décision de télécom 97-8, le Conseil a établi son cadre relatif à la concurrence sur le marché des services locaux (c.-à-d. vocaux) et a établi un certain nombre de politiques importantes en vue de faciliter l’entrée des entreprises de services locaux concurrentes (ESLC) sur ce marché. Par exemple, dans cette décision, le Conseil a établi une définition des installations essentielles qui seraient généralement mises à la disposition des concurrents sur la base de tarifs de gros.
  2. Bien que cette décision n’ait pas abordé directement la question du caractère essentiel du câblage d’immeuble (c.-à-d. le câblage entre le point de raccordement des fournisseurs concurrents et le logement de l’utilisateur final dans un ILM), le Conseil a indiqué qu’il était dans l’intérêt public que les utilisateurs finals aient le droit et les moyens d’avoir accès à l’entreprise de services locaux (ESL) de leur choix dans toutes les situations.
  3. Dans la décision de télécom 99-10, le Conseil a déclaré que la capacité des ESLC à obtenir l’accès au câblage d’immeuble était centrale dans la mise en œuvre de sa politique relative au choix des utilisateurs finals.
  4. Dans la décision de télécom 2003-45, le Conseil a établi les conditions et les principes de prestation des services de télécommunication aux clients habitant dans des ILM. Cette décision comprenait la condition d’accès aux ILM suivante : afin de fournir un service de télécommunication dans un ILM, une ESL doit s’assurer que toutes les ESL souhaitant desservir les utilisateurs finals dans cet ILM sont en mesure d’accéder à ces utilisateurs finals en temps opportun, par la revente, par des installations louées ou par leurs propres installations, selon leur choix, et selon des modalités raisonnables.  
  5. Dans la décision de télécom et de radiodiffusion 2019-218, le Conseil a fait remarquer que les services de télécommunication avaient évolué de manière significative depuis le début des années 2000, notamment par une migration vers les services d’accès Internet à large bande fixes et sans fil mobiles et par l’abandon des services traditionnels, tels que les services téléphoniques filaires. Ainsi, le Conseil a également estimé que le fait d’obliger des entreprises fournisseurs de services Internet (FSI) qui n’auraient autrement pas l’intention de fournir des services locaux à s’inscrire en tant qu’ESLC pour relier leurs installations à celles d’une ESL dans les ILM imposait un fardeau réglementaire inutile à ces FSI et à d’autres ESL.
  6. Le 16 décembre 2019, le Conseil a publié l’avis de consultation télécom 2019-420 afin d’examiner les modifications à apporter au cadre d’accès au câblage d’immeuble par fibre dans les ILM, ainsi que les tarifs et les modalités appropriés pour les connexions au câblage d’immeuble par fibre.
  7. Dans la politique réglementaire de télécom 2021-239, le Conseil a étendu la condition d’accès aux ILM et les obligations connexes à tous les FSI de sorte que tous les FSI aient accès au câblage d’immeuble en cuivre au même titre que les ESL. En même temps, le Conseil a conclu que l’accès au câblage d’immeuble par fibre ne constituait pas un service essentiel, qu’il ne serait pas rendu obligatoire et qu’il s’abstenait de réglementer l’accès au câblage d’immeuble par fibre dans tous les ILM du Canada. Par conséquent, le choix d’un concurrent d’accéder aux utilisateurs finals au moyen de la revente ou de la location de câblage d’immeuble par fibre ne serait pas imposé, mais soumis à une entente commerciale et sans qu’un tarif soit exigé.

Évaluation du caractère essentiel

  1. Dans sa politique réglementaire de télécom 2015-326, le Conseil a examiné son évaluation afin de déterminer s’il doit rendre obligatoire la fourniture d’un service de gros. Cette évaluation du caractère essentiel est destinée à déterminer si une installation ou un service donnéNote de bas de page 1 est essentiel à la concurrence sur un marché donné.
  2. La première étape pour l’application de l’évaluation du caractère essentiel est de définir les marchés pertinents pour le service de gros, ce qui comprend les composantes liées au produit et à la géographie.
  3. Une fois que les marchés de produits et les marchés géographiques ont été définis, le Conseil évalue le service de gros en question en fonction des trois conditions d’ordre économique de l’évaluation du caractère essentiel :
    • Condition relative à l’intrant : le Conseil détermine si l’installation associée au service de gros est un intrant nécessaire pour permettre à une autre entreprise de fournir un service de détail en aval;
    • Condition relative à la concurrence : le Conseil examine i) les conditions du marché en amont (plus particulièrement, il s’emploie à déterminer si une entreprise ou un groupe d’entreprises possède un pouvoir de marché) et ii) l’incidence de tout pouvoir de marché en amont sur la concurrence dans le marché en aval connexe;
    • Condition relative à la reproductibilité : le Conseil détermine s’il est pratique ou faisable pour les concurrents de reproduire la fonctionnalité d’une installation, par leurs propres moyens ou en recourant à ceux de tiers.
  4. Pour être qualifié d’essentiel, un service de gros doit remplir les trois conditions.
  5. Après avoir examiné les conditions d’ordre économique de l’évaluation du caractère essentiel, le Conseil se penchera sur un ensemble de trois considérations stratégiques afin de mieux comprendre la possibilité de rendre obligatoire un service de gros. Les considérations stratégiques, comme énoncées dans la politique réglementaire de télécom 2015-326, sont les suivantes :
    • Bien public : Il faut prescrire le service pour des raisons de bien-être social, de bien-être des consommateurs, de sécurité publique ou de commodité pour le public;
    • Interconnexion : Le service favoriserait le déploiement efficace de réseaux et faciliterait les arrangements sur l’interconnexion des réseaux;
    • Innovation et investissement : La prescription ou la non-prescription de l’installation ou du service de gros pourrait influer i) sur le niveau d’innovation et d’investissement dans les réseaux ou services émergents et avancés pour les entreprises titulaires, les concurrents ou les deux, ou ii) sur le niveau d’adoption des services avancés ou émergents par les utilisateurs de services de télécommunication.
  6. Dans la politique réglementaire de télécom 2021-239, le Conseil a évalué pour la première fois le caractère essentiel de l’accès au câblage d’immeuble par fibre dans les ILM. Il a conclu qu’aucune des trois conditions d’ordre économique de l’évaluation du caractère essentiel n’était remplie. Entre autres, le Conseil a conclu ce qui suit :
    • les résultats de la condition relative à l’intrant n’étaient pas concluantsen raison de données insuffisantes;
    • l’accès au câblage d’immeuble par fibre ne remplissait pas la condition relative à la concurrence;
    • l’accès au câblage d’immeuble par fibre ne remplissait pas la condition relative à la reproductibilité de l’évaluation du caractère essentielNote de bas de page 2.
  7. Le Conseil a ensuite déterminé ce qui suit :
    • la considération stratégique en matière de bien public ne s’applique pas à l’accès au câblage d’immeuble par fibre parce que cet accès n’a pas de lien fort avec le bien-être social, le bien-être des consommateurs, la sécurité publique ou la commodité pour le public;
    • la considération relative à l’interconnexion ne s’applique pas à l’accès au câblage d’immeuble par fibre parce que cela ne nécessite pas le transfert de trafic du réseau d’une partie au réseau d’une autre partie;
    • la considération relative à l’innovation et à l’investissement n’aurait pas d’incidence importante sur la décision de rendre obligatoire (ou non) l’accès au câblage d’immeuble par fibre, étant donné que les investissements se poursuivront probablement même si le service n’est pas obligatoire et qu’il n’y a pas suffisamment d’éléments de preuve afin de conclure que rendre le service obligatoire aurait une incidence importante sur l’adoption de services avancés ou émergents par les utilisateurs finals.
  8. Par conséquent, le Conseil a déterminé que l’accès au câblage d’immeuble par fibre n’est pas un service essentiel et ne devrait pas être rendu obligatoire. Le Conseil s’est ensuite abstenu de réglementer l’accès au câblage d’immeuble par fibre dans les ILM.

Critères de révision et de modification

  1. L’article 62 de la Loi sur les télécommunications (Loi) donne au Conseil le pouvoir discrétionnaire de réviser ses décisions et de les annuler ou de les modifier.
  2. Tel qu’expliqué dans le bulletin d’information de télécom 2011-214, il incombe au demandeur qui invite le Conseil à exercer ce pouvoir discrétionnaire de créer un doute réel quant à l’exactitude de la décision initiale. Un demandeur peut y parvenir de plusieurs manières, notamment en établissant que le Conseil a commis une erreur de droit ou de fait.

Questions

  1. Le Conseil a déterminé qu’il devait examiner les questions suivantes dans la présente décision :
    • Le Conseil devrait-il refuser sommairement la demande des ORCC?
    • Le Conseil a-t-il commis une erreur de fait ou de droit dans son analyse de la considération stratégique en matière de bien public?
    • Le Conseil a-t-il commis une erreur de fait ou de droit dans son analyse de la considération stratégique en matière d’innovation et d’investissement?
    • Le Conseil a-t-il commis une erreur de fait ou de droit dans son analyse des Instructions de 2006 et de 2019?

Le Conseil devrait-il refuser sommairement la demande des ORCC?

Positions des parties
  1. RCCI a argué que la demande des ORCC devrait être refusée sommairement en raison d’un abus de procédure. Les ORCC auraient dû participer à l’instance s’ils souhaitaient soutenir que l’accès de gros au câblage d’immeuble par fibre devrait être rendu obligatoire. Les ORCC ne devraient pas être autorisés à souligner ces questions, pour la première fois, dans une demande de révision et de modification. RCCI a cité la décision de télécom 2010-587 comme un exemple de refus sommaire par le Conseil d’une demande de révision et de modification.
  2. Les ORCC ont répliqué que les processus du Conseil n’exigent pas qu’une personne qui dépose une demande de révision et de modification ait participé à l’instance initiale et ont cité la décision de télécom 2010-262 comme exemple d’une instance de révision et de modification qui a été examinée sur le bien-fondé malgré le fait qu’elle ait été déposée par un demandeur qui n’avait pas été partie à l’instance initiale. 
Analyse du Conseil
  1. Le Conseil estime que la demande des ORCC ne devrait pas être refusée sommairement en raison d’un abus de procédure.
  2. Le Conseil peut prendre des mesures, lorsque cela se justifie, afin d’empêcher que ses procédures et ses ressources ne soient utilisées à mauvais escient, mais ce n’est pas le cas ici. Dans le cas des demandes de révision et de modification, il n’existe aucune exigence générale selon laquelle un demandeur doit avoir participé à l’instance initiale.
  3. En outre, le cas présent peut être distingué de celui cité par RCCI (décision de télécom 2010-587). Dans cette instance, un demandeur avait tenté de déposer plusieurs demandes de révision et de modification portant sur le même objet, contrairement à la présente instance.
  4. Compte tenu de ce qui précède, la demande des ORCC sera examinée sur son bien-fondé. 

Le Conseil a-t-il commis une erreur de fait ou de droit dans son analyse de la considération stratégique en matière de bien public?

Positions des parties
  1. Les ORCC ont indiqué que le Conseil a commis une erreur dans son analyse de la commodité pour le public et que l’accès obligatoire permettrait d’éviter les inconvénients causés par les multiples installations de câblage d’immeuble par fibre dans les ILM. En outre, ils ont argué que le Conseil n’a pas suffisamment expliqué pourquoi l’accès par câblage d’immeuble par fibre est différent de l’accès par poteau, qui est obligatoire.
  2. Les ORCC ont également indiqué que le Conseil a commis une erreur en concluant que la concurrence et le choix des consommateurs ne peuvent être considérés comme une considération stratégique en matière de bien public. Ils ont argué que l’accès obligatoire servirait cet objectif stratégique en augmentant la concurrence et le choix, en faisant baisser les prix et en favorisant le bien-être économique.
  3. Enfin, les ORCC ont fait valoir que le Conseil s’est contredit dans son analyse de la condition relative à la concurrence de l’évaluation du caractère essentiel. En particulier, ils ont argué que le Conseil a déclaré que le câblage d’immeuble par fibre présente des caractéristiques uniques qui le distingue des autres formes de câblage d’immeuble du point de vue de l’utilisateur final, mais qu’il a ensuite examiné des produits de substitution, tels que les installations sans fil mobiles, le câblage d’immeuble en cuivre, le câblage d’immeuble par câble coaxial et les services d’accès haute vitesse groupés disponibles pour les utilisateurs finals dans les ILM.
  4. TekSavvy a appuyé la position des ORCC et a soutenu que le Conseil a commis une erreur en déterminant que la considération stratégique en matière de bien public ne s’applique pas à l’accès au câblage d’immeuble par fibre.
  5. Vidéotron a également soutenu la demande des ORCC et, en particulier, que le choix du consommateur est une considération importante en ce qui concerne l’accès au câblage d’immeuble par fibre.
  6. Beanfield s’est opposée à la demande des ORCC et a indiqué que le déploiement de la fibre dans les immeubles n’entraîne pas d’inconvénients pour les occupants des ILM. Selon Beanfield, le véritable obstacle à la poursuite du déploiement du câblage d’immeuble par fibre n’est pas la conclusion initiale du Conseil; c’est plutôt le conflit entre les promoteurs immobiliers, les associations de copropriétaires et certaines entreprises qui sont contre celles qui cherchent à accéder aux immeubles afin de poursuivre le déploiement du câblage d’immeuble par fibre.
  7. Bell Canada a fait valoir que le Conseil a raisonnablement conclu que, pour l’installation de réseaux de câblage d’immeuble par fibre dans un ILM, ne constituent pas un inconvénient, car cela peut être effectué de façon pratique, efficace et raisonnable même après la construction. Elle a ajouté que l’analyse de la condition relative à la reproductibilité effectuée par le Conseil, même lorsque l’espace pour les colonnes montantes est limité, constitue une base raisonnable afin de distinguer le service de structures de soutènement du service d’accès par câblage d’immeuble par fibre dans les ILM.
  8. Eastlink, RCCI et SaskTel se sont également opposées à la demande. Eastlink et RCCI ont argué que la conclusion du Conseil en ce qui concerne le bien public était justifiée, intelligible et transparente, compte tenu du dossier de l’instance et de l’absence d’éléments de preuve convainquant que la considération stratégique en matière de bien public justifierait de rendre l’accès obligatoire.
Analyse du Conseil
  1. La conclusion de rendre obligatoire un service de gros repose généralement sur les conditions d’ordre économique de l’évaluation du caractère essentiel, laquelle détermine si un service est essentiel à la concurrence. Bien que le Conseil ait également énoncé des considérations stratégiques pertinentes à appliquer parallèlement à l’évaluation du caractère essentiel, il est rare que ces considérations l’emportent complètement sur les principes économiques et aboutissent à une obligation relative à un service qui n’est pas strictement nécessaire à la concurrence.
  2. L’une de ces considérations stratégiques est le bien public. Dans ce contexte, le terme est utilisé dans un sens particulier et technique afin de faire référence à des considérations en matière de bien-être social, de sécurité publique et de commodité pour le public. Cela ne fait pas référence à l’intérêt public au sens large, que le Conseil évalue de manière holistique. Cela n’est pas non plus destiné à inclure les questions relatives à la concurrence, étant donné que ces types de conditions d’ordre économique sont déjà bien couverts par l’évaluation du caractère essentiel, plus précisément par la condition relative à la concurrence.
  3. Historiquement, seuls trois services d’importance exceptionnelle ont été classés comme biens publics au sens précis du cadre du Conseil, soit les services d’urgence (p. ex. les services 9-1-1), les services de relais téléphonique pour les personnes handicapées et les services de structures de soutènement (p. ex. les poteaux, les conduits).
  4. Les ORCC n’ont pas démontré que les motifs du Conseil étaient juridiquement déficients. Les raisons doivent être lues de manière contextuelle et holistique. Le contexte comprend le dossier et les décisions connexes du Conseil. Dans cette optique, il apparaît clairement que le câblage d’immeuble par fibre n’est pas comparable à d’autres services d’intérêt public. En outre, il ne s’agissait pas, comme le soutenaient les parties, d’une question centrale de l’instance initiale.
  5. En outre, le Conseil a tenu compte de la concurrence et, par extension, du choix des consommateurs. En effet, l’analyse de la concurrence est une condition d’ordre économique de l’évaluation du caractère essentiel. Le Conseil a évalué ce point et a conclu que la concurrence ne serait pas sensiblement touchée si l’évaluation du caractère essentiel du câblage d’immeuble par fibre n’était pas rendue obligatoire. Le Conseil s’est également penché sur la question de la commodité, en particulier lors de l’évaluation des conditions relatives à l’intrant et à la reproductibilité de l’évaluation du caractère essentiel. Le Conseil a conclu que la majorité des parties à l’instance initiale préféraient utiliser leur propre câblage d’immeuble par fibre dans les ILM, et que différentes entreprises ont réussi à installer leur propre câblage d’immeuble par fibre dans les ILM pendant la phase de construction ou après la construction.
  6. Les ORCC n’ont pas argué que le Conseil a déterminé ou sélectionné des considérations inappropriées ou a appliqué la mauvaise évaluation. Le Conseil a déterminé et appliqué aux faits qui lui étaient soumis l’évaluation du caractère essentiel et les considérations stratégiques correspondantes énoncées dans la politique réglementaire de télécom 2015-326. Essentiellement, les ORCC contestent la façon dont le Conseil a exercé son pouvoir discrétionnaire dans l’application de ces considérations stratégiques.
  7. Cependant, si la considération stratégique en matière de bien public étaient appliquées de la manière préconisée par les ORCC, elle risquerait de rendre l’évaluation du caractère essentiel non pertinente, car tous les services de gros servent ultimement à soutenir la concurrence et à améliorer le choix des consommateurs, même si ce n’est que de manière marginale ou disproportionnée par rapport à l’effort et au fardeau réglementaires, ce qui conduit à rendre obligatoires des services qui ne sont pas essentiels à la concurrence.
  8. En ce qui concerne l’argument des ORCC selon lequel le Conseil s’est contredit en concluant que la condition relative à la concurrence n’était pas remplie, le Conseil fait remarquer que les ORCC ont caractérisé cet argument comme étant lié à la considération stratégique en matière de bien public. Selon le Conseil, l’argument, correctement interprété, se rapporte à l’analyse du caractère essentiel du point de vue économique, car il allègue une divergence entre la façon dont le câblage d’immeuble par fibre est traité dans la définition du marché et dans la condition relative à la concurrence. De toute façon, le Conseil estime que les ORCC n’ont pas établi l’erreur en question.
  9. Dans son évaluation du marché de produits en cause, le Conseil a déterminé que les principales caractéristiques du câblage d’immeuble par fibre qui le distinguent des autres technologies sont des vitesses de téléchargement en amont et en aval élevées et symétriques.
  10. Dans son évaluation de la condition relative à la concurrence, le Conseil a pris en compte une variété de technologies et de services disponibles pour les consommateurs dans les ILM. Bien que certaines de ces technologies ou certains de ces services ne soient pas des substituts parfaits au câblage d’immeuble par fibre, en fonction des besoins individuels, il existe un chevauchement suffisant sur les marchés de produits associés pour permettre un certain degré de substitution et de choix. En outre, le Conseil a tenu compte du fait que les utilisateurs pourraient avoir le choix entre plusieurs fournisseurs de services, en raison des installations multiples de câblage d’immeuble par fibre.
  11. Le Conseil estime que cette évaluation est conforme à la politique réglementaire de télécom 2015-326, qui permet au Conseil de tenir compte des différents marchés des services de détail en aval dans son évaluation de la condition relative à la concurrence.
  12. En outre, le Conseil estime que, même s’il a commis une erreur dans son analyse de la condition relative à la concurrence, cela ne modifierait pas nécessairement la justesse de la conclusion, étant donné que les conditions d’ordre économique de l’évaluation du caractère essentiel sont cumulatives et que l’évaluation du caractère essentiel concernant le câblage d’immeuble par fibre a également échoué pour ce qui est de la condition relative à la reproductibilité, une conclusion qui n’a pas été contestée. 
  13. Compte tenu de ce qui précède, le Conseil n’a pas commis d’erreur de fait ou de droit dans son examen de la considération stratégique en matière de bien public.

Le Conseil a-t-il commis une erreur de fait ou de droit dans son analyse de la considération stratégique en matière d’innovation et d’investissement?

Positions des parties
  1. Les ORCC ont indiqué que le Conseil a commis une erreur en ne concluant pas que l’accès obligatoire entraînerait une augmentation de l’ensemble de l’investissement en réduisant les coûts pour les concurrents qui pourraient être réaffectés à la poursuite du déploiement du réseau. Ils ont argué que le Conseil a imposé un fardeau déraisonnable aux parties souhaitant obtenir l’accès obligatoire au câblage d’immeuble par fibre en leur demandant de démontrer les avantages d’une situation hypothétique.
  2. Cloudwifi a soutenu la position des ORCC, en indiquant que sa capacité à fournir des services aux ILM desservis par le seul câblage d’immeuble par fibre a été sérieusement limitée par la politique réglementaire de télécom 2021-239. Selon elle, l’abstention de réglementer le câblage d’immeuble par fibre signifiera que la population canadienne vivant dans des ILM devra attendre des années, voire des décennies, avant d’être soulagée des prix élevés. Cloudwifi a argué que l’octroi d’un allègement des prix demandé par les ORCC profiterait aux consommateurs canadiens sans réduire les investissements dans le câblage d’immeuble par fibre.
  3. Le CDIP a argué qu’il n’avait pas été dûment informé que le Conseil envisagerait l’évaluation du caractère essentiel ou l’abstention dans l’instance initiale.
  4. Beanfield a argué que l’accès obligatoire au câblage d’immeuble par fibre ne réduirait pas le coût de déploiement de la fibre dans les ILM pour les concurrents et n’aurait pas d’incidence positive sur le degré d’investissement dans le câblage d’immeuble par fibre. Elle a souligné que la condition d’accès aux ILM était plus importante que l’accès obligatoire au câblage d’immeuble par fibre.
  5. Bell Canada a fait valoir qu’en examinant l’incidence sur l’investissement de l’obligation ou de la non-obligation de l’accès au câblage d’immeuble par fibre sur l’investissement et l’innovation, le Conseil a soupesé de façon appropriée la valeur probante de l’élément de preuve par rapport à l’incertitude de l’investissement futur et a préféré la première solution à la seconde.
  6. RCCI a indiqué que le Conseil avait manifestement toute latitude pour déterminer que les éléments de preuve dont il disposait n’établissaient pas que l’accès obligatoire augmenterait sensiblement l’adoption de services évolués. De plus, elle a argué que les ORCC n’ont pas réussi à soulever un doute réel quant au bien-fondé de la décision du Conseil selon laquelle l’investissement et l’innovation dans les réseaux ou services avancés et émergents ne soutiennent pas l’accès de gros obligatoire au câblage d’immeuble par fibre.
  7. SaskTel a argué que le fait de rendre obligatoire l’accès au câblage d’immeuble par fibre à un prix artificiellement bas entraverait les investissements et l’innovation.
Analyse du Conseil
  1. Conformément à la politique réglementaire de télécom 2015-326, en analysant cette considération, le Conseil a examiné comment encourager i) l’innovation et l’investissement dans les réseaux ou services émergents; et ii) le degré d’adoption des services émergents par les utilisateurs finals. Ultimement, le Conseil a conclu que cette considération stratégique n’avait pas d’incidence significative sur la décision de rendre obligatoire ou non l’accès au câblage d’immeuble par fibre. En effet, l’investissement était susceptible de se poursuivre même en l’absence d’une obligation.
  2. Les affirmations des ORCC concernant les effets potentiellement positifs d’une condition relative aux investissements étaient vagues et non étayées et ressemblaient beaucoup aux arguments avancés par les parties à l’instance initiale. Ils n’ont pas expliqué pourquoi ni comment ces affirmations devraient infirmer les conclusions du Conseil. Le renversement d’une décision relative à une obligation fondée sur une constatation du caractère essentiel au moyen de la considération stratégique en matière d’innovation et d’investissement nécessiterait des éléments de preuve substantiels à l’appui d’un tel renversement, éléments que les ORCC n’ont pas fournis.
  3. Les ORCC ont également contesté la déclaration du Conseil selon laquelle il n’y avait pas suffisamment d’éléments de preuve afin de conclure qu’une obligation aurait une incidence importante sur l’adoption de nouvelles technologies. Selon eux, cela montrait que le Conseil cherchait à obtenir des éléments de preuve de ce qui se passerait dans une situation hypothétique, ce qui imposait un fardeau déraisonnable. Toutefois, des affirmations contradictoires ont été formulées dans le dossier concernant l’adoption de nouvelles technologies. Toutes les parties se sont retrouvées dans la même situation, à savoir qu’on leur a demandé de prédire ce qui pourrait se passer à l’avenir si un cadre stratégique particulier était mis en place. Les parties aux instances sont souvent invitées à le faire, et le Conseil n’estime pas qu’il soit déraisonnable de devoir étayer ses opinions par des éléments de preuve, des explications raisonnées ou des hypothèses éclairées. En outre, le Conseil fait remarquer que des éléments de preuve ont été fournis au cours de l’instance concernant les investissements réalisés par les fournisseurs concurrents du câblage d’immeuble par fibre et que ces investissements devraient se poursuivre.
  4. En ce qui concerne l’allégation du CDIP selon laquelle le Conseil n’a pas suffisamment prévenu qu’il envisagerait l’évaluation du caractère essentiel ou l’abstention dans le cadre de l’instance initiale, le Conseil l’a fait savoir dans une demande de renseignements au cours de cette instance. Les renseignements qui ont alors été fournis ont contribué à éclairer les conclusions finales du Conseil sur ces questions dans la politique réglementaire de télécom 2021-239.
  5. Compte tenu de ce qui précède, le Conseil estime que les ORCC n’ont pas réussi à démontrer que le Conseil a commis une erreur de fait ou de droit dans son examen de la considération stratégique en matière d’innovation et d’investissement.

Le Conseil a-t-il commis une erreur de fait ou de droit dans son analyse des Instructions de 2006 et de 2019?

Positions des parties
  1. Les ORCC ont argué que l’analyse des Instructions de 2006Note de bas de page 3 et de 2019Note de bas de page 4 (collectivement les Instructions) par le Conseil est fondée sur des conclusions non étayées et des erreurs logiques. Entre autres, le Conseil n’a pas justifié son traitement différent de l’accès au câblage d’immeuble en cuivre et au câblage d’immeuble par fibre et n’a pas expliqué comment cela fera avancer les objectifs stratégiques énoncés à l’article 7 de la Loi.
  2. Beanfield a indiqué que la politique réglementaire de télécom 2021-239 a correctement préservé l’accès continu aux ILM aux fins de la construction d’installations de fibre, a correctement étendu ce droit aux FSI qui ne sont pas des ESLC et a correctement prévu la possibilité d’exceptions pour des ILM lorsque l’installation de fibre n’est pas possible autrement.
  3. Bell Canada a argué que les ORCC n’ont pas tenu compte des multiples occasions où le Conseil a examiné toutes les considérations stratégiques pertinentes en matière de politique publique et qu’ils se sont plutôt attardés aux énoncés de politique du Conseil en ce qui concerne les considérations relatives aux installations essentielles, sans tenir compte de la conclusion du Conseil dans son ensemble.
  4. RCCI a fait valoir que les ORCC n’ont pas réussi à déterminer un manque de clarté dans la discussion du Conseil au sujet de l’incidence de ses conclusions dans la politique réglementaire de télécom 2021-239 concernant la mise en œuvre des objectifs de la politique canadienne de télécommunication conformément aux Instructions.
  5. TCI a indiqué que le Conseil est arrivé à la bonne conclusion dans la politique réglementaire de télécom 2021-239. Le câblage d’immeuble par fibre n’est pas essentiel et le choix de ne pas rendre obligatoire l’accès à ces installations permettra d’obtenir les meilleurs résultats pour la population canadienne. La conclusion du Conseil est conforme aux objectifs stratégiques ainsi qu’aux Instructions.
Analyse du Conseil
  1. Le Conseil fait remarquer qu’en mai 2022, le ministre d’Innovation, Sciences et Développement économique Canada a proposé de nouvelles Instructions, bien qu’elles ne soient pas encore en vigueur. Les Instructions proposées conserveraient des Instructions de 2019 les objectifs clés de promotion de la concurrence, de l’abordabilité, des intérêts des consommateurs et de l’innovation. Elles entraîneraient également l’abrogation des Instructions de 2006 et 2019. Cependant, ces deux Instructions restent en vigueur pour le moment, comme elles l’étaient lorsque la décision initiale a été prise, ainsi que lorsque les ORCC ont déposé leur demande.
  2. En statuant sur une demande de révision et de modification, le Conseil doit déterminer s’il a commis une erreur au moment où il a tiré sa conclusion initiale. Le Conseil estime qu’il n’a pas commis d’erreur de fait ou de droit dans son analyse des Instructions présentée dans la politique réglementaire de télécom 2021-239.
  3. Afin de le souligner de nouveau, la décision doit être lue de manière holistique et contextuelle. L’argument des ORCC se concentre artificiellement sur une section particulière de cette décision tout en ignorant l’analyse plus large. Dans la section portant sur les objectifs stratégiques et les Instructions figurant à la fin de sa décision, le Conseil n’a pas prétendu procéder à de nouvelles conclusions factuelles. Le Conseil a plutôt récapitulé ses conclusions, expliquant comment le nouveau régime réglementaire était censé fonctionner dans la pratique et indiquant comment cela se rapportait aux objectifs stratégiques de la Loi et des Instructions. Cette analyse se voulait théorique et prospective et avait pour objectif de communiquer les attentes du Conseil.
  4. Dans la politique réglementaire de télécom 2021-239, le Conseil a déterminé qu’il serait approprié d’appliquer des règles différentes au câblage d’immeuble en cuivre et au câblage d’immeuble par fibre, étant donné les importantes différences technologiques et concurrentielles entre les deux, mais a élargi la condition d’accès aux ILM afin de placer toutes les entreprises FSI sur un pied d’égalité en matière de droits d’accès. Le Conseil a conclu que ces modifications étaient conformes aux Instructions et continueraient à promouvoir l’innovation technologique, l’investissement et la concurrence. Elles permettraient de réduire les retards relatifs à l’accès, de desservir plus rapidement les utilisateurs finals dans les ILM et de soutenir les investissements en cours en matière de nouveaux câblages d’immeubles par fibre dans les ILM.
  5. Les ORCC n’ont pas établi que le Conseil a commis une erreur en tirant ces conclusions.

Conclusion

  1. Compte tenu de tout ce qui précède, le Conseil conclut que les ORCC n’ont pas démontré qu’il existait un doute réel quant au bien-fondé de la politique réglementaire de télécom 2021-239. Par conséquent, le Conseil refuse la demande des ORCC de réviser et de modifier la politique réglementaire de télécom 2021-239. Le Conseil estime également ce qui suit :
    • la demande des ORCC ne devrait pas être refusée sommairement comme un abus de procédure;
    • il n’a pas commis d’erreur de fait ou de droit dans son analyse selon la considération en matière de bien public;
    • il n’a pas commis d’erreur de fait ou de droit dans son analyse selon la considération en matière d’innovation et d’investissement;
    • il n’a pas commis d’erreur de fait ou de droit dans son analyse des Instructions de la politique réglementaire de télécom 2021-239.

Instructions 

  1. Le Conseil est tenu, dans l’exercice de ses pouvoirs et fonctions aux termes de la Loi, de mettre en œuvre les objectifs stratégiques établis à l’article 7 de la Loi, conformément aux Instructions en vigueur. Au moment où nous écrivons ces lignes, il s’agit des Instructions de 2006 et de 2019.
  2. Le Conseil estime que la présente décision est conforme à ces Instructions.
  3. Dans une demande de révision et de modification, le Conseil ne cherche qu’à déterminer si une décision antérieure contenait des erreurs. Le refus de la demande signifie que la décision initiale du Conseil est maintenue. La politique réglementaire de télécom 2021-239 et ses conclusions de s’abstenir de réglementer l’accès au câblage d’immeuble par fibre dans les ILM, d’étendre la condition d’accès aux ILM à tous les FSI et de leur accorder l’accès au câblage d’immeuble en cuivre sur la même base que les ESL resteront en vigueur. Étant donné que la décision initiale ne sera pas modifiée, le Conseil estime également que les considérations relatives aux Instructions énoncées dans la décision restent valables.
  4. La décision du Conseil reste conforme aux sous-alinéas 1a)(i), 1a)(v), 1a)(vi) et 1a)(vii) des Instructions de 2019 en soutenant et en encourageant les investissements en cours et le déploiement du câblage d’immeuble par fibre dans les ILM partout au pays. Par exemple, elle contribuerait à réduire les obstacles à l’entrée sur le marché et à la concurrence pour les FSI qui sont nouveaux, régionaux ou plus petits que les fournisseurs de services nationaux titulaires.
  5. Elle resterait également conforme au sous-alinéa 1a)(i) ainsi qu’au sous-alinéa 1b)(ii) et 1b)(iv), des Instructions de 2006 en s’appuyant, par exemple, sur le libre jeu du marché dans la plus grande mesure du possible comme moyen d’atteindre les objectifs stratégiques en matière de télécommunication.
  6. Le Conseil a comme devoir de favoriser le développement ordonné du système de télécommunication canadien, ce qui comprend le soutien des investissements continus dans les technologies d’évolution, comme le câblage d’immeuble par fibre, et la maximisation de la concurrence par l’utilisation de diverses technologies de câblage d’immeuble dans les ILM. Les mesures introduites dans la politique réglementaire de télécom 2021-239 contribueront à améliorer le choix des consommateurs dans les ILM, tout en encourageant la concurrence fondée sur les installations.
  7. Lorsque le dossier de la présente instance a été clos, les nouvelles Instructions n’avaient pas encore été proposées. Par conséquent, aucune partie n’a formulé d’observations au sujet des Instructions proposées dans le cadre de la présente instance.

Secrétaire général

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