Décision de télécom CRTC 2019-342

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Ottawa, le 4 octobre 2019

Dossier public : 8662-T66-201903295

TELUS Communications Inc. – Demande de révision et de modification des ordonnances de télécom 2019-35, 2019-36, 2019-37 et 2019-38

Le Conseil rejette la demande de TELUS Communications Inc. (TCI) visant la révision et la modification des ordonnances de télécom 2019-35, 2019-36, 2019-37 et 2019-38 (ordonnances), dans lesquelles le Conseil a accordé des frais à divers groupes de défense des consommateurs pour leur participation à l’instance ayant mené à la décision de télécom 2018-384. TCI n’a pas démontré qu’il existe un doute réel quant au bien-fondé des conclusions du Conseil énoncées dans ces ordonnances.

Contexte

  1. Le 29 janvier 2018, Asian Television Network International Limited (ATN) a présenté, au nom de la coalition Franc-Jeu Canada (Franc-Jeu)Note de bas de page 1, une demande en vertu de la Partie 1 dans laquelle Franc-Jeu demandait au Conseil de créer un régime de lutte contre le piratage en ligne conformément à diverses dispositions de la Loi sur les télécommunications (Loi). Le régime proposé obligerait les fournisseurs de services Internet (FSI) à bloquer l’accès des utilisateurs finals aux sites Web et aux services impliqués dans le piratage des droits d’auteur. Divers fournisseurs de services de télécommunications (FST), dont Shaw Communications Inc. (Shaw) et TELUS Communications Inc. (TCI) [collectivement les FST intervenants], sont intervenus en faveur de Franc-Jeu.
  2. Dans la décision de télécom 2018-384, le Conseil a rejeté la demande de Franc-Jeu, en invoquant l’absence de compétence aux termes de la Loi pour mettre en œuvre un tel régime. Par la suite, divers groupes de défense des consommateursNote de bas de page 2 (groupes de défense des consommateurs) qui étaient intervenus dans l’instance ayant mené à la décision de télécom 2018-384 (instance) ont demandé l’attribution des frais définitifs. Shaw et TCI n’ont pas répondu à ces demandes d’attribution de frais.
  3. Le 28 novembre 2018, le personnel du Conseil a adressé une lettre procédurale  aux intimés éventuels, afin d’obtenir leurs commentaires sur la répartition possible de la responsabilité du paiement des frais, en présentant trois options non exhaustives. Le personnel a fait remarquer que le Conseil répartit généralement les frais en fonction des revenus d’exploitation provenant d’activités de télécommunication (RET)Note de bas de page 3 et a énoncé les pratiques et procédures habituelles du Conseil en matière d’attribution de frais. Il a ajouté que Franc-Jeu rassemblait des FST, des radiodiffuseurs et des groupes de l’industrie.
  4. Dans sa réponse à la lettre procédurale, TCI a présenté les arguments suivants :
    • Dans le cas d’une demande en vertu de la Partie 1 qui est rejetée, l’intimé devrait être le demandeur. Franc-Jeu devrait donc être l’unique intimé. TCI ne devrait pas être un intimé puisqu’elle ne pouvait tirer aucun avantage de la demande de Franc-Jeu en vertu de la Partie 1. De plus, puisque TCI ne détient pas d’entreprise de programmation commerciale, son intérêt à l’égard de l’instance est inférieur à celui des autres parties.
    • Par ailleurs, si d’autres FST intervenants sont également désignés comme intimés, la responsabilité du paiement des frais restants (frais non assumés par Franc-Jeu) devrait être attribuée en fonction des revenus de distribution de radiodiffusion au lieu des RET.
    • Lorsqu’une instance est liée à un seul service de télécommunication, le Conseil utilise les revenus provenant de ce service au lieu des RET généraux pour attribuer la responsabilité du paiement des frais. Étant donné que la demande de Franc-Jeu en vertu de la Partie 1 concernait un projet de régime de lutte contre le piratage, elle touchait essentiellement les entreprises de programmation, les entreprises de distribution de radiodiffusion (EDR) étant touchées dans une moindre mesure.
    • La répartition de la responsabilité du paiement des frais en fonction des revenus de distribution de radiodiffusion est la meilleure façon de rendre compte de l’intérêt relatif des FST intervenants.
  5. Dans les ordonnances de télécom 2019-35, 2019-36, 2019-37 et 2019-38 (ordonnances), le Conseil a accordé des frais définitifs à chacun des groupes de défense des consommateurs. Le Conseil a suivi son approche générale consistant à désigner comme intimés les parties qui sont particulièrement visées par le dénouement de l’instance et qui y ont participé activement. Par conséquent, il a désigné comme intimés le demandeur dans l’instance ayant mené à la décision de télécom 2018-384, à savoir Franc-Jeu, et les FST intervenants, notamment Shaw et TCI.
  6. Le Conseil a noté qu’il estime généralement que les RET sont des indicateurs de la prépondérance et de l’intérêt relatifs des parties à une instance. Toutefois, il a déterminé que s’il appliquait son approche normale à la répartition des frais parmi les intimés, Franc-Jeu ne prendrait en charge que peu de frais, voire aucuns, puisque ses membres sont principalement des entreprises de radiodiffusion qui n’ont déclaré que peu de RET, voire aucuns. Le Conseil a estimé qu’un tel résultat ne refléterait pas de manière appropriée l’intérêt significatif que les membres de Franc-Jeu avaient à l’égard du dénouement de l’instance. Toutefois, le fait d’attribuer entièrement à Franc-Jeu la responsabilité du paiement des frais reviendrait à faire fi des intérêts des FST qui ont participé à l’instance et dont les observations ont généralement abordé l’incidence que le régime de blocage de sites Web proposé aurait sur leurs entreprises de télécommunication.
  7. Par conséquent, le Conseil a ordonné à Franc-Jeu de payer 85 % des frais (c.-à-d. 134 590,08 $) et aux FST intervenants de payer 15 % des frais (c.-à-d. 22 578,98 $), en prenant leurs RET comme indicateurs de leur prépondérance et de leur intérêt relatifs à l’égard de l’instance. Le Conseil a également appliqué le seuil minimal de 1 000 $ pour l’attribution de la responsabilité du paiement des frais, conformément à son approche habituelle. Le résultat est donc le suivant :
    • Franc-Jeu est responsable de 100 % des frais dans le cadre de l’ordonnance de télécom 2019-35;
    • Franc-Jeu est responsable de 85 % des frais, et TCI de 15 %, dans le cadre de ordonnances de télécom 2019-37 et 2019-38;
    • Franc-Jeu est responsable de 85 % des frais, TCI de 13,2 % et Shaw de 1,8 %, dans le cadre de l’ordonnance de télécom 2019-36.

 Demande

  1. Le Conseil a reçu une demande de TCI, datée du 7 mai 2019, dans laquelle l’entreprise demandait au Conseil de réviser et de modifier les ordonnances. TCI soutenait qu’il existait un doute réel quant au bien-fondé des conclusions du Conseil pour ce qui est de l’attribution de la responsabilité du paiement des frais parmi les FST intervenants en fonction de leurs RET. TCI n’a pas contesté le partage de la responsabilité du paiement des frais entre Franc-Jeu et les autres intimés, soit 85 % pour Franc-Jeu et 15 % pour les autres. Toutefois, elle a soutenu que les 15 % qui restent auraient dû être répartis en fonction des revenus de distribution de radiodiffusion plutôt qu’en fonction des RET. Elle a affirmé que les sommes n’étaient pas importantes et que la demande de révision et de modification des ordonnances était faite par principe. TCI a confirmé avoir versé les divers frais attribués considérant qu’elle ne contestait que la répartition et que le paiement ne porterait pas préjudice à sa contestation.
  2. Elle a également affirmé que, dans les ordonnances, Shaw et elle-même ont reçu l’ordre de payer des frais de 22 578,98 $ non assumés par Franc-Jeu et que les autres FST intervenants n’avaient payé aucuns frais en raison du seuil minimal de 1 000 $. Les RET ayant été utilisés par le Conseil, c’est TCI, et non Shaw, qui a dû payer la plupart des frais non pris en charge par Franc-Jeu (93,6 %, soit 21 137,74 $).
  3. TCI a cité deux facteurs qui, selon elle, justifient le besoin de réviser et de modifier les ordonnances : i) le Conseil n’a pas tenu compte de la demande de TCI qui souhaitait que l’attribution aux FST intervenants de la responsabilité du paiement des frais non assumés par Franc-Jeu se fasse en fonction des revenus de distribution de radiodiffusion et ii) puisque les frais n’ont pas été répartis comme TCI l’avait suggéré, les ordonnances ne reflètent pas l’intérêt relatif de TCI et de Shaw à l’égard de l’instance. TCI a fait valoir que ces facteurs ont entraîné une répartition inéquitable de la responsabilité du paiement des frais entre les deux entreprises, ce qui ne concorde pas avec l’objet du régime d’attribution des frais et le motif énoncé dans les ordonnances.
  4. TCI a demandé au Conseil de modifier les ordonnances en répartissant la responsabilité du paiement des frais non assumés par Franc-Jeu en fonction des revenus de distribution de radiodiffusion, de sorte que TCI paierait 16 % des frais (c.-à-d. 3 612,64 $) et Shaw, 84 % (c.-à-d. 18 966,34 $). Ayant déjà payé les frais attribués aux groupes de défense des consommateurs conformément aux ordonnances, TCI affirme que Shaw devrait lui remettre la différence entre ce que TCI a versé et la somme dont TCI est finalement jugée responsable.
  5. Le Conseil n’a reçu aucune intervention à l’égard de la demande de révision et de modification de TCI.

Cadre réglementaire

  1. L’article 56 de la Loi autorise le Conseil à attribuer les frais relatifs à une instance devant lui et lui confère aussi le pouvoir de désigner les créanciers et les débiteurs de ces frais.
  2. Le Conseil a établi les Lignes directrices pour l’évaluation des demandes d’attribution de frais (Lignes directrices) dans la politique réglementaire de télécom 2010-963 afin d’orienter le processus d’attribution des frais. Les Lignes directrices énoncent les principes clés que le Conseil cherche à mettre en œuvre avec son régime d’attribution de frais, notamment de veiller à ce que le processus soit suffisamment souple pour tenir compte des circonstances particulières de chaque dossier. Le régime d’attribution de frais a pour but d’encourager la participation d’individus ou de groupes de défense de l’intérêt public servant les intérêts des abonnés dans les instances de télécommunication du Conseil.
  3. Le Conseil détermine généralement que les intimés appropriés à une attribution de frais sont les parties qui sont particulièrement visées par le dénouement d’une instance et qui y ont participé activement. Sa pratique générale consiste à répartir la responsabilité du paiement des frais entre les intimés en fonction de leurs RET. En général, le Conseil estime que les RET sont des indicateurs de la prépondérance et de l’intérêt relatifs des parties à l’instance.
  4. L’article 62 de la Loi stipule que le Conseil peut, sur demande ou de sa propre initiative, réviser, annuler ou modifier ses décisions, ou entendre à nouveau une demande avant d’en décider.
  5. Le Conseil a précisé, dans le bulletin d’information de télécom 2011-214, les critères qu’il utiliserait pour évaluer les demandes de révision et de modification présentées en application de l’article 62 de la Loi. En particulier, le Conseil a indiqué que les demandeurs doivent démontrer qu’il existe un doute réel quant au bien-fondé de la décision initiale, résultant par exemple : i) d’une erreur de droit ou de fait; ii) d’un changement fondamental dans les circonstances ou les faits depuis la décision; iii) du défaut de considérer un principe de base qui avait été soulevé dans l’instance initiale; iv) d’un nouveau principe découlant de la décision.

Questions

  1.  Le Conseil a déterminé qu’il devait examiner les questions suivantes dans la présente décision :
    • Existe-t-il un doute réel quant au bien-fondé des ordonnances?
    • S’il existe un doute réel quant au bien-fondé des ordonnances, comment doivent-elles être modifiées?

Existe-t-il un doute réel quant au bien-fondé des ordonnances?

Positions des parties

  1. TCI a soutenu qu’il existait un doute réel quant au bien-fondé des ordonnances en ce qui a trait à la répartition de la responsabilité du paiement des frais entre les FST intervenants en fonction de leurs RET, et ce, pour deux raisons : i) le Conseil n’a pas donné suite à la demande de TCI de répartir la responsabilité du paiement des frais en fonction des revenus de distribution de radiodiffusion plutôt qu’en fonction des RET et ii) la répartition de la responsabilité du paiement des frais en fonction des RET crée une inégalité entre les intimés, car elle ne reflète pas leurs intérêts respectifs dans l’instance.
  2. TCI a notamment fait valoir que le Conseil n’avait pas tenu compte d’un principe de base en ne donnant pas suite à la réponse de TCI à la lettre procédurale dans laquelle TCI faisait valoir que les frais non pris en charge par Franc-Jeu devraient être répartis en fonction des revenus de distribution de radiodiffusion afin de refléter les intérêts respectifs des parties à l’instance.
  3. Selon TCI, les RET ne tenaient pas compte des intérêts respectifs de TCI et de Shaw ou de l’ampleur de leur participation à l’instance, étant donné que les intérêts en matière de radiodiffusion étaient un aspect central de l’instance, bien que la demande de FairPlay ait été déposée conformément à la Loi. De plus, TCI a soutenu qu’elle et Shaw étaient intervenues dans l’instance en tant qu’EDR et s’étaient montrées préoccupées par l’effet du piratage sur les EDR. TCI a affirmé que, dans la décision de télécom 2018-384, le Conseil a reconnu qu’il existait des preuves que le piratage de droits d’auteur cause un préjudice au système canadien de radiodiffusion et à l’économie en général. Il était donc raisonnable de conclure que la répartition des frais en fonction des revenus de distribution de radiodiffusion au lieu des RET refléterait mieux les intérêts respectifs de TCI et de Shaw quant au dénouement de l’instance. En procédant autrement, i) on imposait à TCI un fardeau disproportionné puisque les revenus de distribution de radiodiffusion de Shaw sont beaucoup plus élevés que ceux de TCI et ii) on n’atteignait pas les objectifs fixés par le Conseil dans les ordonnances.
  4. TCI a fait valoir qu’il était déjà arrivé au Conseil de s’écarter de l’approche générale en matière de répartition de la responsabilité du paiement des frais et que cette approche n’est pas la seule possible. Lorsque, dans une instance, une question était importante pour un seul service de télécommunication, le Conseil a réparti la responsabilité du paiement des frais en fonction des revenus provenant de ce service au lieu des RET.

Résultats de l’analyse du Conseil

Défaut de tenir compte de l’argument de TCI
  1. Dans le bulletin d’information de télécom 2011-214, le Conseil a affirmé qu’il peut exister un doute réel quant au bien-fondé d’une décision lorsque le Conseil n’a pas considéré un principe de base qui a été soulevé dans l’instance initiale. Dans le contexte de la demande de TCI, « instance initiale » désigne les instances ayant mené aux ordonnances.
  2. L’argument de TCI voulant que la responsabilité du paiement des frais devrait être répartie en fonction des revenus de distribution de radiodiffusion des FST intervenants plutôt qu’en fonction des RET n’était pas expressément abordé dans les ordonnances. Toutefois, l’absence de référence précise à un argument ou à un aspect de celui-ci ne prouve pas que le Conseil n’ait pas considéré cet argument, conformément au bulletin d’information de télécom 2011-214. Le Conseil n’est pas tenu d’énumérer tous les arguments ou aspects de ceux-ci présentés par chaque partie et d’y répondre, ni d’arriver à une conclusion précise au sujet de chaque élément constitutif d’une question, pour que ses conclusions soient valides ou raisonnables. La Cour suprême du Canada a affirmé que les décisions des tribunaux (comme celles rendues par le Conseil) doivent permettre à une cour de révision (ou à une partie, dans ce cas) de déterminer pourquoi le Conseil a tiré ses conclusions et qu’elles se situent dans la gamme des résultats raisonnablement possiblesNote de bas de page 4.
  3. Le Conseil estime que les ordonnances satisfont à cette norme. Les ordonnances faisaient référence à la réponse de TCI à la lettre procédurale concernant la répartition de la responsabilité du paiement des frais. Le Conseil y affirmait que TCI et d’autres parties

    ont soutenu que Franc-Jeu devrait être tenue responsable de 100 % des frais attribués par le Conseil. Selon eux, à la base, l’instance cherchait la protection du droit d’auteur et les FST qui ne faisaient pas partie de Franc-Jeu porteraient un fardeau déraisonnable et disproportionné dans la répartition de frais si le Conseil appliquait la pratique générale pour la répartition des frais en fonction des RET.

  4. Le Conseil estime que le résumé qui précède aborde les arguments principaux et subsidiaires que TCI a présentés en réponse à la lettre procédurale.
  5. De plus, l’analyse et les décisions du Conseil dans les ordonnances montrent qu’il a pris en compte les observations des diverses parties quant à la répartition appropriée de la responsabilité du paiement des frais :

    Le Conseil fait remarquer que sa pratique générale est de répartir la responsabilité du paiement des frais entre les intimés en fonction de leurs RET. En général, le Conseil considère que les RET sont des indicateurs de la prépondérance et de l’intérêt relatifs des parties à l’instance. Cependant, si le Conseil appliquait son approche normale à l’attribution de frais parmi les intimés dans le cas présent, Franc-Jeu aurait la responsabilité de peu de ces frais, voire aucuns, étant donné que ses membres sont principalement des entreprises de radiodiffusion (plutôt que des entreprises de télécommunication) qui ne rapportent pas de RET importants, voire aucuns. Le Conseil considère qu’un tel résultat ne refléterait pas de manière appropriée l’important intérêt que les membres de Franc-Jeu avaient à l’égard du résultat de l’instance. Toutefois, répartir la responsabilité des frais entièrement à Franc-Jeu ignorerait les intérêts des FST qui ont participé à l’instance et dont les interventions ont généralement abordé la manière selon laquelle le régime de blocage des sites Web proposé aurait une incidence sur leurs entreprises de télécommunication.

    Dans le cas présent, le Conseil estime qu’il est approprié de répartir 85 % des frais à Franc-Jeu et 15 % des frais entre les autres intimés en fonction de leurs RET, comme indicateur de la prépondérance et de l’intérêt relatifs des parties à l’instance.

  6. Le Conseil a conclu que Franc-Jeu devait être tenue responsable du paiement de 85 % des frais et a justifié ses motifs. Il a effectivement rejeté les arguments selon lesquels i) Franc-Jeu devrait être tenue responsable du paiement de 100 % des frais et ii) la répartition de la responsabilité du paiement des frais en fonction de facteurs autres que les RET (comme les revenus de distribution de radiodiffusion) refléterait la prépondérance et l’intérêt relatifs des FST intervenants dans l’instance. Le Conseil a rejeté implicitement l’argument de TCI selon lequel les frais devraient être répartis en fonction des revenus de distribution de radiodiffusion, sans pour autant expliquer précisément pourquoi d’autres approches, comme celle suggérée par TCI, n’ont pas été adoptées.
  7. Le Conseil a également pris en compte et traité les arguments principaux et subsidiaires de TCI, et ce, d’une façon sommaire, qui est habituelle pour lui et nécessaire pour rendre efficacement des décisions quant aux demandes. Il aurait été trop complexe dans l’instance, qui comprenait plusieurs parties, que le Conseil cerne précisément et accepte ou rejette chacun des arguments et contrepoints qui lui ont été présentés. Une telle approche serait intenable à l’avenir. Aucune partie n’a droit à un résultat précis ou n’est assurée d’obtenir un tel résultat. Les Lignes directrices indiquent que le processus d’évaluation des demandes d’attribution de frais doit être efficient et efficace pour les parties et pour le Conseil. Le Conseil estime que le traitement qu’il a réservé à la demande de TCI satisfait à cette norme.
  8. Compte tenu de ce qui précède, le Conseil conclut que TCI n’a pas démontré que les conclusions énoncées dans les ordonnances constituent un défaut de considérer un principe de base qui avait été soulevé dans l’instance. TCI n’a donc pas démontré qu’il existe un doute réel quant au bien-fondé des conclusions du Conseil énoncées dans les ordonnances.
Défaut de prendre en compte les intérêts des intimés
  1. La Loi confère au Conseil un large pouvoir discrétionnaire quant à la répartition de la responsabilité du paiement des frais entre les intimés. Le Conseil a adopté une approche générale qui consiste à répartir la responsabilité du paiement des frais entre les intimés en utilisant leurs RET. Selon les Lignes directrices, le processus d’évaluation des demandes d’attribution de frais doit i) être juste pour toutes les parties en cause, ii) être efficient et efficace pour les parties et pour le Conseil et iii) fournir aux parties un certain degré de certitude tout en demeurant suffisamment souple pour qu’il soit possible d’attribuer les frais en fonction des circonstances propres à l’instance ou à l’intervention en cause. Dans tous les cas, le Conseil conserve la latitude de décider que les RET ne sont pas un indicateur approprié pour déterminer la prépondérance et l’intérêt relatifs des parties.
  2. En optant pour un partage de 85 % et de 15 % de la responsabilité en matière de paiement dans les ordonnances, le Conseil n’a pas suivi son approche habituelle puisqu’une partie seulement de la responsabilité en matière de paiement des frais a été attribuée en fonction des RET. Le Conseil a conclu qu’une attribution de la responsabilité du paiement des frais reposant entièrement sur les RET ne refléterait pas les intérêts de tous les intimés à l’égard du dénouement de l’instance, puisque Franc-Jeu a peu ou pas de RET, mais a un intérêt important dans l’instance. En même temps, le Conseil a conclu que l’instance revêtait un grand intérêt pour les autres FST intervenants et que leurs observations abordaient généralement leurs préoccupations quant à leurs entreprises de télécommunication. Il a donc estimé qu’il convenait de répartir la responsabilité du paiement des frais non assumés par Franc-Jeu sur la base des RET, conformément à l’approche générale.
  3. Ces conclusions démontrent que, lors de l’examen des demandes d’attribution de frais des groupes de défense des consommateurs, le Conseil était disposé à suivre une approche adaptée aux circonstances particulières de l’instance. Bien que TCI n’ait pas préconisé cette approche, le Conseil ne s’est pas limité dans ses décisions concernant la répartition de la responsabilité du paiement des frais; il a envisagé d’autres options.
  4. Le Conseil estime que l’affirmation de TCI selon laquelle Shaw et elle sont intervenues dans l’instance à titre d’EDR est incompatible avec son observation dans l’instance. Les deux sociétés n’ont pas prétendu que leurs interventions étaient déposées seulement au nom de leurs EDR, et le Conseil n’aurait pas raisonnablement pu le conclure. Le Conseil note que TCI exerce ses activités au Canada en tant qu’entité unique, à la fois comme FSI et comme EDR. Les répercussions de la demande de Franc-Jeu sur TCI en tant qu’EDR n’ont pas été abordées précisément ou uniquement dans l’intervention de TCI; l’intervention portait plutôt sur un large éventail de questions relatives aux entreprises et aux intérêts des FST et des EDR, notamment les questions suivantes :
    • en quoi le régime proposé de lutte contre le piratage relevait de la compétence du Conseil conformément à la Loi, et en quoi le régime législatif global i) favoriserait la réalisation des objectifs de la politique énoncés dans la Loi, ii) réglementerait les FSI agissant à titre de FSI, iii) ne restreindrait pas de façon injustifiée la liberté d’expression et iv) serait conforme aux principes de neutralité du Net;
    • l’équité procédurale;
    • les modèles internationaux en matière de piratage du droit d’auteur;
    • comment l’expertise du Conseil, acquise en administrant le système canadien de radiodiffusion et en examinant des questions de liberté d’expression, pourrait être mise à profit dans le régime de lutte contre le piratage;
    • pourquoi le régime de lutte contre le piratage était nécessaire pour protéger le système de radiodiffusion en général;
    • comment le régime de lutte contre le piratage favoriserait, accessoirement, la réalisation des objectifs de la Loi sur la radiodiffusion.
  5. Le Conseil estime que l’instance n’a pas porté davantage sur des questions de radiodiffusion que sur des questions de télécommunication, ou d’autres questions d’ordre juridique, comme la conformité à la liberté d’expression. La demande de Franc-Jeu a été faite conformément à la Loi. À ce titre, le Conseil devait établir sa compétence pour créer un régime de lutte contre le piratage aux termes de la Loi. Dans les ordonnances, le Conseil a indiqué qu’au cours de l’instance, les FST intervenants « ont généralement abordé la manière selon laquelle le régime de blocage de sites Web proposé aurait une incidence sur leurs entreprises de télécommunication ».
  6. TCI a indiqué que, dans la décision de télécom 2018-384, le Conseil a reconnu qu’il existe des preuves que le piratage de droits d’auteur cause un préjudice au système canadien de radiodiffusion, et l’entreprise s’appuyait sur cette déclaration pour justifier sa proposition que le Conseil répartisse la responsabilité du paiement des frais non assumés par Franc-Jeu en fonction des revenus de distribution de radiodiffusion des FST intervenants. Le Conseil estime que cette proposition surestime le poids et la signification de cette déclaration dans le contexte de la décision du Conseil. Dans la décision de télécom 2018-384, le Conseil a conclu que la Loi ne lui donnait pas le pouvoir de mettre en œuvre le régime proposé de lutte contre le piratage. Il n’a donc pas pu examiner le bien-fondé de la mise en œuvre du régime et a rejeté la demande de Franc-Jeu. Il n’a fait aucune déclaration sur la question centrale de la demande ou les intérêts des participants à l’instance, comme l’a suggéré TCI.
  7. Le Conseil ne peut attribuer de frais liés aux questions de télécommunication qu’en application de la Loi, comme en témoigne le cadre de la Loi, qui permet au Conseil d’attribuer des frais pour la participation à toute instance devant lui. Ceci concerne les instances menées en application de la Loi. Il existe une distinction officielle entre le régime d’attribution des frais pour les instances introduites conformément à la Loi et le soutien à la participation aux instances introduites en application de la Loi sur la radiodiffusion. Dans ce contexte, il aurait été anormal et injustifié que le Conseil se fonde sur les revenus de distribution de radiodiffusion pour attribuer la responsabilité du paiement des frais en application de la Loi. Bien que TCI ait raison de dire que le Conseil a la latitude nécessaire pour répartir la responsabilité du paiement des frais en fonction des revenus provenant d’un service de télécommunication plutôt qu’en fonction des RET, s’il y a lieu, cela ne s’étend pas à la répartition des frais en fonction des revenus de distribution de radiodiffusion, le cas échéant, des FST concernés.
  8. Compte tenu de ce qui précède, le Conseil conclut que TCI n’a pas démontré qu’il existe un doute réel quant au bien-fondé de la décision résultant du défaut du Conseil de considérer les intérêts des intimés. Les ordonnances ont évalué de manière exacte et équitable les intérêts des FST intervenants dans le dossier de l’instance. Il était donc raisonnable pour le Conseil d’attribuer la responsabilité du paiement des frais en fonction des RET. Comme le Conseil a bien déterminé les intérêts des parties à l’instance, il n’est pas nécessaire d’aborder l’allégation de TCI selon laquelle une telle répartition donnerait lieu à une iniquité ou à une incohérence avec l’objectif du régime d’attribution des frais.

S’il existe un doute réel quant au bien-fondé des ordonnances, comment doivent-elles être modifiées?

  1. Compte tenu des conclusions du Conseil énoncées ci-dessus au sujet de la première question, la deuxième question est sans objet et il n’est pas nécessaire que le Conseil s’en occupe.

Conclusion

  1. Compte tenu de tout ce qui précède, le Conseil rejette la demande de TCI de réviser et de modifier les ordonnances.

Secrétaire général

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