Politique réglementaire de télécom CRTC 2017-104

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Référence : Avis de consultation de télécom 2016-192

Ottawa, le 20 avril 2017

Numéros de dossiers : 8661-P8-201510199, 8622-V42-201510735, 1011-NOC2016-0192

Cadre d’évaluation des pratiques de différenciation des prix des fournisseurs de services Internet

Dans le but d’éclaircir la question pour les intervenants, y compris les consommateurs, les fournisseurs de contenu et les fournisseurs de services Internet (FSI), le Conseil établit un cadre et énonce les critères d’évaluation qu’il appliquera pour établir si une pratique de différenciation des prix particulière d’un FSI est conforme ou non au paragraphe 27(2) de la Loi sur les télécommunications.

Dans la présente décision, l’expression « pratique de différenciation des prix » renvoie au fait d’exonérer ou d’offrir à prix réduit l’utilisation de données Internet de détail. Les pratiques liées aux réseaux de protocole Internet gérés des FSI ne sont pas incluses dans l’analyse et dans les conclusions énoncées dans la présente décision.

Les critères d’évaluation sont les suivants :

Parmi ces critères, celui qui concerne le degré auquel le traitement des données est basé sur le contenu aura généralement le plus de poids. Dans le cadre de toute évaluation, le Conseil tiendra également compte de l’existence de circonstances exceptionnelles témoignant d’avantages évidents pour l’intérêt public ou de préjudices minimaux associés à une pratique de différenciation des prix.

Le cadre relatif aux pratiques de différenciation des prix favorise la liberté des consommateurs et des citoyens à accéder au contenu en ligne de leur choix sans se voir indûment influencés par les plans de commercialisation et d’établissement des prix des FSI en ce qui concerne la transmission de contenu particulier. De plus, il appuie la capacité de tous les fournisseurs de contenu d’innover et encourage les FSI à être concurrentiels et à innover selon les capacités de leurs réseaux ainsi qu’à offrir une diversité de forfaits de données basés sur la vitesse ou le volume afin de fournir de meilleurs choix pour les consommateurs canadiens.

La question des pratiques de différenciation des prix s’inscrit dans la discussion générale sur les politiques publiques à l’égard de la neutralité du Net. Dans ce contexte, la présente décision ainsi que celles rendues lors d’instances sur le cadre relatif aux pratiques de gestion du trafic Internet, la télé mobile et le programme Musique illimitée de Vidéotron, constituent véritablement le cadre stratégique du Conseil relatif à la neutralité du Net.

Contexte

  1. Dans la vie moderne, Internet est devenu une ressource essentielle pour accéder à un vaste éventail de renseignements, de services, de nouvelles, de divertissements, de pratiques culturelles, de médias sociaux et d’autres contenus. Dans l’économie moderne, il joue un rôle central pour l’innovation et la croissance. Enfin, dans une démocratie moderne, il facilite le dialogue, la mobilisation et l’organisation politique. Il permet de mettre en relation des personnes, des collectivités et des entreprises de partout dans le monde d’une manière qui n’aurait pas été possible il y a quelques décennies. Bref, Internet a profondément transformé le monde dans un très court laps de temps.
  2. Dans la politique réglementaire de télécom 2016-496, le Conseil a établi l’objectif du service universel selon lequel tous les Canadiens devraient avoir accès à des services vocaux et à des services d’accès Internet à large bande, sur des réseaux fixes et des réseaux mobiles. Le Conseil a énoncé les objectifs précis suivants : vitesses des services à large bande fixes d’au moins 50 mégabits par seconde (Mbps) pour le téléchargement et 10 Mbps pour le téléversement; une option de données illimitées pour les services à large bande fixes; la technologie sans fil mobile la plus récente disponible non seulement à tous les ménages et entreprises canadiens, mais également sur le plus grand nombre possible de routes principales au Canada. Le Conseil a établi un fonds d’un maximum de 750 millions de dollars sur cinq ans pour favoriser l’atteinte de cet objectif de service universel.
  3. Les fournisseurs de services Internet (FSI)Note de bas de page 1 offrent des services d’accès Internet de détail et occupent donc une place privilégiée en assurant le lien entre les Canadiens et le monde virtuel. Les FSI gèrent la vitesse de la connexion Internet fournie à un client, qui est mesurée en bits par seconde. Ils établissent également la limite de volume mensuelle permise, mesurée en octets, pour les forfaits de données de leurs clients (communément appelée « limite d’utilisation de données » ou « allocation de données »). Les clients qui dépassent cette limite se voient habituellement imposer des frais d’utilisation excédentaire.
  4. En raison de la croissance actuelle de la consommation en données, il n’est pas surprenant de constater que les FSI, au Canada et partout ailleurs dans le monde, adoptent diverses pratiques pour tirer parti de leurs réseaux et différencier leurs services de ceux de leurs concurrents afin d’attirer et de conserver les clients. La vitesse et le volume, ainsi que le prix, sont les principaux éléments de différenciation utilisés par les FSI pour établir leurs divers forfaits Internet de détail.
  5. Une pratique que des FSI ont commencé à adopter ces dernières années est la différenciation des prix, qui a lieu lorsqu’un produit ou service identique ou semblable est vendu à des clients à des prix différents, comme dans le contexte d’un solde, d’un rabais ou d’une promotion. De façon générale, la différenciation des prix n’est pas nécessairement en soi une source d’inquiétude. Cependant, l’importance du marché de l’accès Internet de détail et ses caractéristiques particulières mettent en lumière le fait que la différenciation des prix pourrait constituer une préoccupation sur les plans juridique, réglementaire et des politiques publiques.
  6. Un exemple de pratique de différenciation des prix liée aux forfaits de données Internet est l’exonération des données ou la réduction des frais associés à ces données, c’est-à-dire que les données provenant d’une source précise (p. ex. un site Web ou une application en particulier) sont fournies à prix réduit ou ne comptent pas dans la limite mensuelle d’utilisation de données du client, alors que toutes les autres données sont comptabilisées.
  7. Les données commanditées constituent un autre exemple de différenciation des prix. Cette différenciation a lieu lorsqu’un fournisseur de contenuNote de bas de page 2 tiers conclut une entente avec un FSI en vue de fournir son contenu ou son application aux consommateurs sans leur facturer les données associées. Le FSI accepte d’exonérer les données associées au contenu ou à l’application dans le forfait de données du consommateur, et il est rémunéré par le fournisseur de contenu, qui accepte d’assumer les frais de données.
  8. Les pratiques de différenciation des prix peuvent être basées ou non sur le contenu. Dans le cas des pratiques non basées sur le contenu, la transmission de toutes les données fait l’objet d’un traitement équivalent dans le cadre d’une offre particulière, par exemple une offre où, à un moment précis de la journée, les données sont exonérées. Dans le cas des pratiques qui sont basées sur le contenu, certaines données sont exonérées, et d’autres pas.
  9. Aux fins de la présente décision, l’expression « pratique de différenciation des prix » renvoie au fait d’exonérer (ou d’offrir à prix réduit) l’utilisation de données Internet de détail, peu importe si les données sont commanditées ou non et si la pratique est basée ou non sur le contenu. Les pratiques liées aux réseaux de protocole Internet (IP) gérés des FSI ne sont pas incluses dans l’analyse et dans les conclusions énoncées dans la présente décisionNote de bas de page 3.
  10. La question de la différenciation des prix s’inscrit dans la discussion générale sur les politiques publiques à l’égard de la neutralité du NetNote de bas de page 4. L’idée générale de la neutralité du Net est que tout le trafic sur Internet devrait être traité également par les FSI. Autrement dit, il ne devrait y avoir aucune manipulation, préférence ou discrimination, que ce soit par des moyens techniques ou économiques.
  11. D’autres principes communément admis de la neutralité du Net comprennent : a) l’innovation sans autorisation, ce qui signifie que les fournisseurs de contenu sont libres d’innover et de se développer comme ils l’entendent, sans avoir à se plier aux exigences d’un FSI; b) le choix pour les consommateurs, ce qui signifie que les utilisateurs peuvent choisir ce qu’ils veulent consommer sans ingérence; et c) le faible coût de l’innovation, qui permet des activités entrepreneuriales comme le fait que les fournisseurs de contenu entrent sur le marché et font concurrence indépendamment de leur taille. Les principes de la neutralité du Net ont grandement contribué à l’essor d’Internet et à son évolution vers ce qu’il est devenu aujourd’hui.
  12. Dans des décisions antérieures, le Conseil s’est penché sur des questions liées à la neutralité du Net conformément au mandat que lui confère le paragraphe 27(2) de la Loi sur les télécommunications (Loi) d’aborder les questions de la préférence indue et de la discrimination injuste dans la fourniture de services de télécommunication. Le paragraphe 27(2) est ainsi libellé : « Il est interdit à l’entreprise canadienne, en ce qui concerne soit la fourniture de services de télécommunication, soit l’imposition ou la perception des tarifs y afférents, d’établir une discrimination injuste, ou d’accorder – y compris envers elle-même – une préférence indue ou déraisonnable, ou encore de faire subir un désavantage de même nature. »
  13. En 2009, le Conseil a mis en place un cadre régissant les pratiques de gestion du trafic Internet (PGTI) des FSI (cadre relatif aux PGTI)Note de bas de page 5, principalement pour répondre aux préoccupations selon lesquelles les FSI exerçaient des pratiques de gestion du trafic injustifiées, comme le lissage du traficNote de bas de page 6. En 2010, ce cadre a été étendu pour s’appliquer aux services de données mobiles sans fil utilisés pour offrir l’accès InternetNote de bas de page 7. Le Conseil a encouragé les FSI à investir dans leurs réseaux comme première mesure pour réduire la congestion. Le cadre relatif aux PGTI reconnaissait que les FSI ont un besoin légitime de gérer le trafic du réseau pour éviter la congestion, mais que ces pratiques doivent être transparentes pour les consommateurs. En plus d’imposer aux FSI des exigences de divulgation, le Conseil a établi un ensemble de critères qu’il appliquerait pour déterminer si une PGTI pour laquelle il a reçu une plainte était contraire au paragraphe 27(2). Un point clé de ce cadre était de veiller à ce qu’Internet reste un environnement favorisant l’innovation.
  14. Plus récemment, dans la décision de radiodiffusion et de télécom 2015-26, le Conseil a conclu que Bell Mobilité inc. (Bell Mobilité) et Québecor Média inc., Vidéotron ltée et Vidéotron s.e.n.c. (collectivement Vidéotron) avaient contrevenu au paragraphe 27(2) de la Loi en exemptant leurs services de télé mobile respectifs des frais d’utilisation de données (en d’autres termes, en exonérant les données) [décision concernant les services de télé mobile]. Les deux entreprises ont été contraintes de cesser cette pratique.
  15. Par conséquent, bien qu’il n’existe aucune décision du Conseil ni aucun cadre de réglementation universel sur la vaste question de la neutralité du Net, lorsque les différentes dispositions législatives et réglementaires sont réunies, y compris le paragraphe 27(2), le cadre relatif aux PGTI et la décision concernant les services de télé mobile, la signification de la neutralité du Net dans le contexte canadien s’éclaircit. La présente instance vise à étoffer le cadre de neutralité du Net du Canada en y ajoutant une autre perspective.

Instance

  1. La présente instance découle de deux plaintes distinctes reçues par le Conseil concernant des pratiques de facturation employées par Vidéotron pour la prestation du programme Musique illimitée. Les demandeurs ont argué que le programme, qui consiste en une promotion au titre de laquelle les abonnés à certains forfaits de données peuvent écouter la musique diffusée en continu par certains fournisseurs de musique en ligne sans que les données associées à cette écoute soient comptabilisées dans leur limite d’utilisation de données, est une pratique de différenciation des prix causant une discrimination injuste et enfreignant le paragraphe 27(2) de la Loi.
  2. Compte tenu de ces plaintes et de la décision concernant les services de télé mobile, on peut constater que des pratiques de différenciation des prix sont certainement mises en place au Canada et qu’elles sont susceptibles de devenir plus fréquentes à l’avenir. Ainsi, le Conseil a décidé d’examiner les questions de politique entourant le recours à des pratiques de différenciation des prix par des FSI canadiens, en particulier l’exonération de certaines données, et d’établir une approche réglementaire claire et transparente pour régir ces pratiques.
  3. À cette fin, pour établir quelles pratiques de différenciation des prix, le cas échéant, soulèvent des préoccupations au titre du paragraphe 27(2) de la Loi, le Conseil a publié l’avis de consultation de télécom 2016-192, dans lequel il demandait des observations concernant plusieurs sujets afin de répondre aux questions de politique générale qui suivent :
    • Quels sont les avantages et les préoccupations liés aux pratiques de différenciation des prix, et est-ce que les préoccupations l’emportent sur les avantages au point de justifier une intervention au niveau de la réglementation?
    • S’il y a lieu, quelles mesures réglementaires le Conseil devrait-il mettre en œuvre relativement aux pratiques de différenciation des prix?
  4. Beaucoup de parties ont pris part à l’instance, dont des FSI, des fournisseurs de contenu, des groupes de défense des consommateurs et des particuliers. Le Conseil a également créé un fil de discussion Reddit pour permettre aux particuliers de commenter. On peut consulter sur le site Web du Conseil le dossier public de l’instance, lequel a été fermé le 23 novembre 2016. On peut y accéder à www.crtc.gc.ca ou au moyen des numéros de dossiers indiqués ci-dessus.
  5. En même temps que la présente décision, le Conseil publie la décision de télécom 2017-105, dans laquelle il rend ses conclusions sur des plaintes qu’il a reçues concernant le programme Musique illimitée de Vidéotron.

Questions

  1. Le Conseil a déterminé que les questions suivantes doivent être examinées dans la présente décision :
    • Évaluation des pratiques de différenciation des prix au titre du paragraphe 27(2) de la Loi
    • Cadre et critères d’évaluation des pratiques de différenciation des prix
    • Application de l’article 36 de la Loi aux pratiques de différenciation des prix
    • Prise en compte des interventions reçues concernant les limites d’utilisation de données et le cadre relatif aux PGTI

Évaluation des pratiques de différenciation des prix au titre du paragraphe 27(2) de la Loi

  1. Les entreprises de télécommunicationNote de bas de page 8 qui relèvent de la compétence fédérale sont réglementées en vertu de la Loi. L’interdiction d’établir une discrimination injuste ou d’accorder une préférence ou un désavantage indu ou déraisonnable en vertu du paragraphe 27(2) de la Loi est un élément fondamental du cadre législatif et réglementaire qui est applicable à ces entreprises de télécommunication. À cet égard, le législateur a déterminé que les FSI qui sont des entreprises de télécommunication doivent respecter une norme plus rigoureuse que les entreprises d’autres industries ou secteurs qui pourraient utiliser des pratiques de différenciation des prix.
  2. L’objectif de la présente décision est de fournir des éclaircissements et des conseils à l’industrie et aux consommateurs à l’égard de la façon dont le Conseil appliquera généralement le paragraphe 27(2) de la Loi dans le contexte des pratiques de différenciation des prix. À cette fin, le Conseil a examiné l’incidence potentielle de ces pratiques en ce qui a trait aux éléments clés des objectifs de la politique de télécommunication énoncés à l’article 7 de la LoiNote de bas de page 9 et toute circonstance atténuante qui devrait être prise en compte dans l’analyse.

De façon générale, les pratiques de différenciation des prix entraînent-elles une préférence ou un désavantage aux termes de la Loi?

  1. Comme première étape d’une analyse au titre du paragraphe 27(2) de la Loi, le Conseil doit établir si la conduite d’une entreprise canadienne entraîne une discrimination, accorde une préférence ou fait subir un désavantage.
Positions des parties
  1. Les parties opposées aux pratiques de différenciation des prix ont argué que celles-ci entraînent une préférence à l’égard de certains abonnés et fournisseurs de contenu par rapport à d’autres et font subir un désavantage à ceux qui ne sont pas en mesure de participer à la pratique.
  2. Les parties qui appuyaient ces pratiques, notamment Vidéotron, n’ont en général pas contesté l’existence d’un avantage pour certains abonnés et fournisseurs de contenu, mais elles ont réfuté l’allégation selon laquelle l’avantage serait indu. Vidéotron a argué que les fournisseurs de services sans fil (FSSF) comme elle doivent adopter de nouvelles stratégies pour améliorer et démarquer leurs services en vue d’attirer de nouveaux clients.
Résultats de l’analyse du Conseil
  1. Comme le montrent les conclusions de la décision concernant les services de télé mobile, les fonctions assurées par les FSI pour l’établissement de la connexion en vue de la transmission des données et la prestation des services de transport au moyen de leurs réseaux sont les mêmes, peu importe que le contenu acheminé soit visé par les pratiques de différenciation des prix ou non. De façon plus générale, dans le cas des pratiques de différenciation des prix en cause dans la présente instance, qui exemptent l’accès à certains contenus des limites d’utilisation de données mensuelles, les FSI fournissent le même service d’accès Internet de détail à leurs clients, que le contenu fasse l’objet d’une exonération des données ou non. Toutefois, la pratique de différenciation des prix entraîne une différence de coût pour le consommateur, puisque l’accès à certains contenus fait l’objet d’une exonération des données alors que l’accès à d’autres contenus sur Internet est comptabilisé dans le forfait. Cette différence de coût pourrait être importante, selon le volume de données consommées, ce qui pourrait avoir pour conséquence d’influencer le comportement du consommateur.
  2. Les consommateurs ont donc généralement une forte incitation économique à accéder au contenu ou aux applications faisant l’objet d’une exonération des données, plutôt qu’à tout autre contenu soumis à des frais de données standard. Par conséquent, la pratique de différenciation des prix accorde une préférence à certains fournisseurs de contenu par rapport à d’autres et fait subir un désavantage aux fournisseurs dont le contenu ne fait pas l’objet d’une exonération des données.
  3. Les pratiques de différenciation des prix sont généralement offertes seulement aux abonnés qui ont des forfaits de données de niveau supérieur, lesquels tendent à être les forfaits les plus chers des FSI, et elles ne sont pas rendues accessibles aux autres abonnés. Dans ces circonstances, les pratiques entraînent une préférence ou un avantage pour les abonnés dont le forfait donne accès à du contenu ou à des applications faisant l’objet d’une exonération des données, par rapport à ceux qui n’y ont pas accès. En outre, les pratiques de différenciation des prix confèrent une préférence aux abonnés qui accordent de l’importance ou s’intéressent au contenu proposé, par rapport aux abonnés qui préféreraient avoir accès à d’autres contenus ne faisant pas l’objet d’une exonération des données ou qui sont incapables de consommer le contenu, par exemple en raison d’un handicap. Ce type de préférence existerait même dans le cas d’une pratique de différenciation des prix fondée sur le moment de la journée, qui peut privilégier certains abonnés et un certain contenu en fonction du moment où les abonnés peuvent accéder à ce contenu.
  4. Ainsi, de façon générale, les pratiques de différenciation des prix entraînent a) une préférence à l’égard de certains abonnés par rapport à d’autres, b) une préférence à l’égard de certains fournisseurs de contenu par rapport à d’autres, c) un désavantage pour les abonnés qui ne sont pas admissibles à une offre de pratique de différenciation des prix ou qu’une telle offre n’intéresse pas et d) un désavantage pour les fournisseurs de contenu qui ne sont pas admissibles à une offre ou qui ne sont pas inclus dans celle-ci.

De façon générale, est-ce que les pratiques de différenciation des prix soulèvent des préoccupations concernant une préférence ou un désavantage indu ou déraisonnable?

  1. L’existence d’une préférence ou d’un désavantage n’est pas en soi contraire à la Loi; l’examen de la question de savoir s’il y a violation du paragraphe 27(2) de la Loi exigerait de déterminer si une préférence ou un désavantage est indu ou déraisonnable. Lorsque le Conseil reçoit une plainte, aux termes du paragraphe 27(4) de la Loi, il incombe à l’entreprise canadienne qui a accordé une préférence ou fait subir un désavantage d’établir que cette préférence ou ce désavantage n’est pas indu ou déraisonnable.
Quelles sont les répercussions des pratiques de différenciation des prix?
  1. Le Conseil s’est penché sur les répercussions générales des pratiques de différenciation des prix à l’égard des éléments clés suivants des objectifs de la politique de télécommunication, qui ont été traités dans le dossier de la présente instance et qu’il estime être pertinents pour l’examen de ces pratiques au titre du paragraphe 27(2) de la Loi :
    • concurrence;
    • innovation;
    • choix des consommateurs;
    • accès et abordabilité;
    • protection des renseignements personnels.
Concurrence
  1. Les parties favorables aux pratiques de différenciation des prix, y compris de nombreux FSI, ont argué que ces pratiques représentent une occasion pour les FSI et les fournisseurs de contenu de se faire concurrence sur le marché en répondant aux différents besoins des consommateurs. Elles ont également fait valoir que les pratiques de différenciation des prix permettent aux FSI de se distinguer sur le marché, d’élargir leur clientèle, et ultimement de favoriser les investissements et la croissance économique. Pour ces parties, les pratiques de différenciation des prix témoignent d’une activité normale et saine sur le marché.
  2. La Société TELUS Communications (STC), par exemple, a indiqué que les pratiques de différenciation des prix permettent aux entreprises d’attirer plus de clients, de répartir leurs coûts sur une clientèle plus vaste et de réduire les prix. Elle a cependant formulé une mise en garde : les entreprises intégrées verticalement qui offrent leur propre contenu affilié faisant l’objet d’une exonération des données sont fortement incitées à freiner l’innovation et à réduire les choix offerts aux consommateurs, et elles ont une importante occasion de le faire, ce qui viendrait renforcer encore davantage leur emprise sur le marché.
  3. De même, Shaw Cablesystems G.P. (Shaw) a mentionné que les pratiques de différenciation des prix sont des exemples concrets d’innovation et de concurrence; l’entreprise a cité Musique illimitée comme exemple de cas où un concurrent sur le marché du sans-fil tente de se distinguer des entreprises de services sans fil titulaires.
  4. Par contre, les opposants aux pratiques de différenciation des prix ont fait valoir que ces pratiques sont symptomatiques d’un manque de concurrence sur un marché très concentré et contrôlé par un petit nombre de FSI intégrés verticalement. Ces parties ont indiqué que les pratiques de différenciation des prix sont anticoncurrentielles et provoquent des distorsions du marché qui touchent non seulement la fourniture de services d’accès Internet, mais également le contenu ou les services choisis pour l’inclusion dans l’offre de pratique de différenciation des prix ou qui en ont été exclus.
  5. À titre d’exemple, l’Association québécoise de l’industrie du disque, du spectacle et de la vidéo (ADISQ) et l’Independent Broadcast Group/Le groupe de diffuseurs indépendants (IBG/GDI) ont fait valoir que les pratiques de différenciation des prix pourraient avoir un effet négatif sur la création de contenus culturels, car elles tendent à avantager les fournisseurs de contenu qui sont de grande taille et bien établis. Ces parties ont mentionné que les pratiques de différenciation des prix pourraient créer un obstacle à l’entrée de fournisseurs de contenu sur le marché et accroître les coûts assumés par ces derniers, du fait qu’ils devront négocier des accords distincts avec les différents FSI. La Pre Barbara van Schewick a fait valoir que permettre aux FSI d’appliquer une exonération des données à certaines applications aurait pour conséquence d’accroître systématiquement les obstacles à l’entrée sur le marché et le coût de l’innovation, nuisant à la capacité des entreprises en démarrage et des petites entreprises de faire concurrence ainsi que de marginaliser certains points de vue.
  6. Plusieurs parties, y compris celles qui sont pour et celles qui sont contre les pratiques de différenciation des prix, ont utilisé des exemples d’autres pays pour soutenir leurs arguments concernant l’incidence de ces pratiques sur la concurrence et sur d’autres facteurs.
Analyse du Conseil
  1. En ce qui concerne les exemples de pratiques de différenciation des prix en vigueur ailleurs dans le monde fournies par diverses parties, il est difficile de faire des comparaisons directes et utiles entre le marché canadien et les marchés d’autres pays, car les marchés des télécommunications présentent des différences fondamentales à l’échelle mondiale, comme le cadre réglementaire, le paysage réglementaire, l’environnement concurrentiel, la maturité du marché, les taux de pénétration, le développement technologique, les facteurs culturels et les comportements des consommateurs.
  2. Le marché canadien des services d’accès Internet de détail est hautement concentré, une poignée de gros FSI détenant environ 85 % des parts de marchéNote de bas de page 10. Bon nombre de ces gros FSI sont aussi intégrés verticalement ou diagonalementNote de bas de page 11, détenant des ressources de radiodiffusion et de production d’autres contenus. Jusqu’à maintenant, seulement deux des plus importants FSI (Bell Canada par sa filiale Bell Mobilité, Vidéotron) ont offert des pratiques de différenciation des prix pour des contenus précis, et la plupart des autres FSI, dont Bragg Communications Inc., exerçant ses activités sous le nom d’Eastlink (Eastlink), Cogeco Communications inc. (Cogeco), Shaw et la STC, sont largement en faveur du fait que ces pratiques soient permises. Il n’existe aucun exemple au Canada de petits FSI ayant adopté des pratiques de différenciation des prix pour des contenus précisNote de bas de page 12.
  3. D’après le dossier de la présente instance, l’investissement nécessaire pour offrir des pratiques de différenciation des prix peut être de l’ordre de plusieurs millions de dollarsNote de bas de page 13. Cette situation, ainsi que le fait qu’aucun des petits FSI n’a offert de pratiques de différenciation des prix pour des contenus précis, donne à penser que ces pratiques sont plus susceptibles d’être mises en œuvre par les FSI de grande taille, bien établis et possédant déjà de grosses parts de marché.
  4. De plus, les pratiques de différenciation des prix sont susceptibles de nuire à la concurrence entre les fournisseurs de contenu. Le dossier montre que ces pratiques tendent à être offertes à des fournisseurs de contenu populaires et bien établis, car ces entités et leurs marques sont susceptibles d’être connues et appréciées des consommateurs, sur le plan de la commercialisation. D’autres fournisseurs de contenu peuvent avoir de la difficulté à obtenir l’accès à des programmes de ce genre ou peuvent devoir attendre pendant longtemps avant de se voir accorder l’accèsNote de bas de page 14, ce qui peut accroître les obstacles à leur entrée sur le marché, faire augmenter les coûts qu’ils doivent assumer pour offrir les services et compromettre leur position sur le marché par rapport à leurs concurrents.
  5. Les fournisseurs de contenu pourraient également être confrontés à l’obligation de négocier des accords de pratiques de différenciation des prix distincts avec de nombreux FSI, s’ils souhaitent rendre leurs services accessibles au plus grand nombre possible de Canadiens. Ces accords pourraient être hors de portée pour les petits fournisseurs de contenu et encore une fois favoriser les fournisseurs qui sont mieux établis. Ce type de situation serait pire dans le cas des ententes de données commanditées, où de grands fournisseurs de contenu ayant d’importants moyens financiers rémunèrent les FSI pour le traitement préférentiel de leur trafic de données, créant ainsi un obstacle à l’entrée des petits fournisseurs de contenu qui n’ont pas les mêmes moyens financiers ou le même pouvoir de négociation.
  6. Les pratiques de différenciation des prix permettent aux FSI de différencier leurs offres de celles de leurs concurrents. Elles peuvent être attrayantes pour certains consommateurs, car elles offrent l’accès à des données à coût réduit pour certains contenus et assurent une certaine prévisibilité de la consommation de données et de tous les frais correspondants.
  7. Il a été argué que les pratiques de différenciation des prix favorisent la concurrence, mais de l’avis du Conseil, l’incidence de ces pratiques sur la concurrence serait généralement négative pour le marché des services d’accès Internet de détail et pour divers marchés de contenu, ainsi que pour les consommateurs canadiens. À long terme, cet effet négatif pourrait contribuer à étendre ou à consolider les positions de marché déjà favorables des FSI et des fournisseurs de contenu de grande taille déjà établis, et prévenir ou limiter l’activité concurrentielle de plus petits acteurs, ce qui causerait un préjudice aux consommateurs.
  8. Le Conseil estime que la concurrence dans le secteur des services d’accès Internet de détail est mieux servie et que les objectifs de la politique de télécommunication énoncée dans la Loi sont mieux atteintsNote de bas de page 15 lorsque les FSI se font concurrence et différencient leurs services par leurs réseaux et les caractéristiques des services sur ces réseaux, comme le prix, la vitesse, le volume, la couverture et la qualité de leurs réseaux.
Innovation
  1. Les parties favorables aux pratiques de différenciation des prix ont indiqué que ces pratiques sont innovantes et ajoutent des avantages aux services offerts aux consommateurs sans mettre en danger la neutralité du Net. Ces parties ont généralement argué que l’interdiction de ces pratiques risque fort de nuire à l’innovation, de réduire les avantages procurés aux consommateurs et de nuire à la consommation, à l’innovation et à la liberté d’expression.
  2. Par exemple, Bell Canada a argué que l’innovation ne doit pas nécessairement être fondée sur la technologie; elle peut aussi être fondée sur des processus, des modèles d’affaires ou des améliorations sur le plan de la commercialisation. L’entreprise a soutenu que les pratiques de différenciation des prix comme l’exonération des données et les données commanditées s’inscrivent dans cette dernière catégorie.
  3. Les opposants aux pratiques de différenciation des prix ont soutenu, quant à eux, que ces pratiques ne représentent pas une innovation dans les services de télécommunication et contribueraient plutôt à entraver l’innovation dans les services applicatifs Internet en sélectionnant artificiellement des produits et des technologies en particulier, ce qui empêcherait le développement de nouveaux produits.
  4. Par exemple, OpenMedia a souligné que la capacité des internautes de participer à des activités en ligne de création et alimentées par l’innovation ou alimentant l’innovation pourrait être limitée ou compromise si le comportement de ces utilisateurs était guidé par des facteurs extérieurs à la substance et au mérite des applications en ligne ainsi que desdites activités.
  5. La Pre van Schewick a expliqué que les pratiques de différenciation des prix mettraient fin à une ère où les entrepreneurs étaient libres d’innover sans autorisation, ce qui est un principe clé de la neutralité du Net qui a favorisé l’innovation jusqu’à maintenant.
  6. Vaxination Informatique a souligné que l’innovation en télécommunications consistait à déployer une nouvelle technologie offrant une vitesse et une capacité plus élevées à meilleur prix; il ne s’agit pas de commercialiser l’innovation de quelqu’un d’autre dans le cadre du service que l’on propose.

Analyse du Conseil

  1. Bien que la mise au point des technologies sous-jacentes permettant la création et l’application de différentes pratiques de différenciation des prix puisse être novatrice, dans la mesure où ces pratiques donnent lieu à un nouveau type d’offre promotionnelle, les pratiques en soi sont simplement un outil de commercialisation.
  2. Le Conseil estime que les pratiques de différenciation des prix ne représentent pas une innovation sur le plan de la prestation de services de télécommunication; elles n’impliquent pas l’offre de produits, de technologies ou de services nouveaux, améliorés ou différents à l’intention des consommateurs. En fait, ces pratiques constituent essentiellement une stratégie de commercialisation et accaparent des ressources qui pourraient autrement être consacrées à l’innovation et à l’investissement relatifs au réseau par les FSI.
  3. De plus, des pratiques de différenciation des prix qui prévoient un traitement de faveur pour des services, des technologies ou du contenu particuliers nuiraient généralement à l’innovation pour plusieurs raisons.
  4. Premièrement, comme on l’explique ci-dessus, on peut s’attendre à ce que des pratiques de différenciation des prix favorisent les grands fournisseurs d’applications bien établis et populaires, car les FSI sont plus susceptibles d’utiliser des services populaires pour attirer et conserver les clients. Les nouveaux et petits fournisseurs de contenu qui n’ont pas la même popularité que les grands fournisseurs de contenu bien établis seraient donc fort désavantagés, et leur capacité d’entrer et de réussir sur le marché serait compromise. Les entreprises en démarrage qui utilisent de nouvelles idées et des technologies perturbatrices sont des sources importantes d’innovation sur Internet. S’il était plus difficile pour ces entreprises d’entrer sur le marché, leurs éventuelles innovations pourraient être retardées ou compromises ou ne jamais se concrétiser. Bon nombre des gros fournisseurs de contenu aujourd’hui bien établis étaient de petites entreprises lorsqu’ils ont commencé et ont réussi à innover, à créer leur image de marque et à faire croître leur entreprise en grande partie grâce à la nature ouverte d’Internet, qui leur permettait de mener des activités et de soutenir la concurrence dans un environnement où les pratiques de différenciation des prix, comme l’exonération des données, étaient peu courantes. Selon le Conseil, les fournisseurs de contenu qui sont nouveaux et petits devraient bénéficier du même degré d’ouverture d’Internet afin d’innover, de soutenir la concurrence et de faire croître leur entreprise.
  5. Deuxièmement, le dossier de la présente instance révèle que, pour participer à une pratique de différenciation des prix en particulier, les fournisseurs de contenu doivent souvent respecter des critères techniques imposés par les FSI. Dans certains cas, les exigences techniques de multiples FSI supposent une grande mobilisation de ressources, sont complexes, constituent un fardeau et sont chronophages pour les fournisseurs de services, particulièrement les petits fournisseurs. Par exemple, comme l’a expliqué le IBG/GDI, puisqu’il y a un grand nombre de FSI un peu partout au Canada, un fournisseur de contenu souhaitant offrir ses services partout au pays pourrait devoir se conformer à plusieurs ensembles différents de spécifications techniques et négocier de nombreux accords avec les FSI. Le Conseil estime que cette situation risque d’obliger les fournisseurs de contenu à affecter les ressources destinées à l’innovation et à l’amélioration de leur offre de base à la mise en conformité avec des spécifications techniques et à la négociation avec de multiples FSI.
  6. Compte tenu de ce qui précède, le Conseil estime qu’en général, les pratiques de différenciation des prix basées sur le contenu ne favorisent pas l’innovation dans la prestation des services de télécommunication et sont en fait plus susceptibles d’y nuire. Par conséquent, ce type de pratiques est généralement incompatible avec l’objectif de la politique de télécommunication énoncé à l’alinéa 7g) de la Loi.
  7. Plutôt que d’appliquer des pratiques de commercialisation comme l’exonération des données, les FSI sur le marché des services d’accès Internet de détail devraient se concentrer sur l’innovation en améliorant, par exemple, la vitesse, la couverture, la capacité, la sécurité et la fiabilité de leurs réseaux, au profit des Canadiens. La mise au point de réseaux de télécommunication est la meilleure façon de réaliser les objectifs de la politique énoncés aux alinéas 7a), 7b), 7c), 7f), 7g) et 7h) de la Loi.

Choix des consommateurs

  1. Les partisans des pratiques de différenciation des prix ont fait valoir que ces pratiques sont bonnes pour les consommateurs, car elles leur donnent accès à plus de choix à moindre coût et répondent à leurs besoins et désirs particuliers. Bell Canada et Shaw ont chacune présenté des études de marché montrant que la majorité des Canadiens ont une opinion positive ou neutre de l’exonération des données et ne sont pas favorables à l’interdiction de telles pratiques.
  2. La STC a mentionné que les consommateurs sont libres de s’abonner à des forfaits incluant une composante de différenciation des prix, et qu’un consommateur ne désirant pas profiter d’une telle pratique s’abonnera probablement à un forfait qui n’inclut pas cette composante.
  3. OpenMedia a soutenu que le Conseil doit s’assurer du maintien d’une distinction structurelle et conceptuelle entre l’accès et le contenu, afin de préserver l’intégrité fonctionnelle de l’accès tout en protégeant la liberté des utilisateurs de choisir le contenu.
  4. La Pre van Schewick a signalé que la différence dans le traitement des applications influence directement le comportement des consommateurs et que de nombreux forfaits prévoyant une exonération des données limitent la capacité des consommateurs de faire un choix judicieux parmi les applications concurrentes.
  5. La grande majorité des parties individuelles étaient d’avis que, à long terme, les pratiques de différenciation des prix nuiraient au choix des consommateurs, car elles permettraient aux FSI de contrôler l’accès en choisissant le contenu qui ferait l’objet d’une exonération des données ou serait offert à prix réduit. Les consommateurs craignaient également que les pratiques de différenciation des prix incitent les FSI à garder les limites d’utilisation des données basses. Certaines de ces parties ont reconnu que les pratiques de différenciation des prix peuvent entraîner des avantages à court terme, comme la disponibilité de données supplémentaires pour les consommateurs ou la possibilité de comparer les services offerts par différents FSI, mais elles ont déclaré que les conséquences à long terme l’emporteraient sur ces avantages.

Analyse du Conseil

  1. Certaines parties ont argué que les pratiques de différenciation des prix pourraient exposer les consommateurs à du nouveau contenu dont ils auraient ignoré l’existence ou auquel ils n’auraient pas accédé si ce n’était pas du prix réduit des données connexes, mais ces pratiques ne donnent pas aux consommateurs l’accès à du nouveau contenu ou à de nouveaux services et ne leur donnent pas plus de choix en ligne. Elles ne servent qu’à attirer les consommateurs vers le contenu de fournisseurs sélectionnés par les FSI.
  2. Bell Canada et Shaw ont allégué que, selon leurs études de marché, la majorité des consommateurs interrogés avaient trouvé les pratiques de différenciation des prix avantageuses et étaient favorables à ce que le Conseil les permette, mais presque tous les consommateurs qui ont participé à la présente instance, à titre de partie individuelle ou par l’intermédiaire d’OpenMediaNote de bas de page 16 ou du fil de discussion RedditNote de bas de page 17, s’opposaient à de telles pratiques en raison de leurs conséquences à long terme.
  3. Le Conseil estime que tout avantage à court terme des pratiques de différenciation des prix serait considérablement dépassé par les répercussions négatives à long terme sur le choix des consommateurs si les FSI jouaient le rôle de contrôleur du contenu au moyen de ces pratiques. Au bout du compte, les pratiques de différenciation des prix feront probablement que les FSI auront des ententes avec une quantité limitée de fournisseurs de contenu populaires et bien établis, ceux avec une forte image de marque et une vaste clientèle. Cette situation, combinée à l’important avantage économique pour les consommateurs que constitue l’accès à du contenu faisant l’objet d’une exonération des données ou offert à prix réduit, orientera effectivement les consommateurs vers du contenu choisi par le FSI. Le Conseil est d’avis que ce résultat ne serait pas compatible avec les objectifs de la politique énoncée aux alinéas 7a) et 7h) de la Loi.

Accès et abordabilité

  1. Certaines parties favorables aux pratiques de différenciation des prix, comme Bell Canada, le Centre for Democracy and Technology, Facebook, Sandvine Incorporated (Sandvine), Shaw et Mme Roslyn Layton, ont fait valoir que ces pratiques pourraient faciliter l’accès à Internet ou à certaines applications pour certaines personnes, comme les personnes à faible revenu ou ayant un handicap. D’autres parties, y compris les groupes de défense des consommateurs et des particuliers, ont signalé que les pratiques de différenciation des prix n’étaient pas le bon moyen d’aborder les questions de l’accès et de l’abordabilité et que l’augmentation des limites de données mensuelles et la diminution des prix seraient préférables.
  2. Media Access Canada (MAC) a signalé sa désapprobation des pratiques de différenciation des prix, car la croissance de ces pratiques minerait ses efforts généraux consacrés à l’amélioration de l’accès à large bande. L’organisme a indiqué que beaucoup de consommateurs craignent aussi que les pratiques de différenciation des prix soient une incitation à garder les limites mensuelles d’utilisation de données basses et le prix par octet élevé, d’autant plus que le dépassement des limites de données peut être très dispendieux, surtout pour les Canadiens ayant un handicap qui dépendent des applications et des services requérant une grande quantité de données.

Analyse du Conseil

  1. Les pratiques de différenciation des prix offertes au Canada jusqu’à maintenant (soit la télé mobile et Musique illimitée) n’étaient proposées qu’aux consommateurs qui s’abonnaient aux niveaux de service supérieurs à des prix plus élevés, donc on ne peut dire que ces pratiques favorisaient, facilitaient ou stimulaient l’adoption de services d’accès Internet ou amélioraient l’abordabilité de façon significative. De plus, le dossier ne donne pas à penser que des pratiques de différenciation des prix ultérieures au Canada seront appliquées d’une façon qui améliore l’adoption de services d’accès Internet ou les rend plus abordables. Le Conseil n’est pas convaincu que les pratiques de différenciation des prix amélioreraient l’accès à Internet ou le rendrait plus abordable sur le marché canadien.

Protection des renseignements personnels

  1. Les opposants aux pratiques de différenciation des prix ont soulevé de nombreuses préoccupations concernant la protection des renseignements personnels et la sécurité de l’information, étant donné que la mise en œuvre de ces pratiques exige le recours à l’inspection approfondie des paquets par les FSI et exclut l’utilisation des réseaux privés virtuels (RPV)Note de bas de page 18 par les clients.
  2. Le Canadian Media Concentration Research Project (CMCRP) ainsi que des parties individuelles et des particuliers qui ont fait des observations sur le fil de discussion Reddit ont fait valoir que les pratiques de différenciation des prix sont une source de préoccupations à l’égard de la protection de la vie privée et des renseignements personnels, puisque la surveillance que supposent de telles pratiques s’exerce par défaut, sans qu’il soit nécessaire de s’inscrire à cette option. Certains craignaient qu’un transfert des connaissances non transparent ait lieu entre les FSI et les fournisseurs de contenu inclus dans une pratique de différenciation des prix.
  3. Sandvine a expliqué que pour mettre en place un palier de services aux abonnés comportant une différenciation des prix, il ne lui était pas nécessaire de recueillir ou de stocker des renseignements personnels autres que ceux requis pour effectuer une facturation adéquate. L’entreprise a fait valoir que l’inspection approfondie des paquets fournit des renseignements essentiels aux activités d’un FSI, lui permettant notamment de planifier la capacité, de planifier et d’offrir de nouveaux services, de mesurer et de gérer la qualité de l’expérience des abonnés et de détecter les fraudes. Sandvine a argué que l’inspection approfondie des paquets permettait à une entreprise de connaître les sites Web que visite un abonné, mais pas de lire le contenu des courriels, d’écouter les appels ou de savoir quelles vidéos étaient regardées ou quels fichiers étaient téléchargés ou téléversés.
  4. Distributel Communications Limited, Sandvine et Saskatchewan Telecommunications ont déclaré que l’utilisation de RPV pourrait empêcher les consommateurs d’accéder à du contenu faisant l’objet d’une exonération des données.

Analyse du Conseil

  1. Dans diverses décisions, notamment dans le cadre relatif aux PGTI et dans la politique réglementaire de télécom 2009-723, le Conseil a établi des mesures réglementaires pour protéger les renseignements des clients et la vie privée des consommateurs.
  2. De plus, conformément au Code sur les services sans fil, établi dans la politique réglementaire de télécom 2013-271, et à l’objectif de service universel, établi dans la politique réglementaire de télécom 2016-496, les fournisseurs de services doivent communiquer avec les clients en utilisant un langage simple et s’assurer que leurs contrats écrits et les documents connexes, comme les politiques sur la protection des renseignements personnels et les politiques d’utilisation équitable, sont rédigés dans un langage clair et facile à lire et à comprendre.
  3. Rien au dossier ne donne à penser que les pratiques de différenciation des prix enfreignent généralement les règles établies par le Conseil. D’après le Conseil, une approche au cas par cas selon le régime législatif sur la protection des renseignements personnels et les règles existantes du Conseil est la méthode appropriée pour protéger les renseignements personnels.
  4. Le Conseil serait toutefois préoccupé si les pratiques de différenciation des prix influaient sur l’utilisation de RPV. Le Conseil reconnaît que les RPV sont un outil légitime de protection des renseignements confidentiels recommandé par les entreprises de sécurité. Même si le Conseil n’estime pas que les pratiques de différenciation des prix ont des répercussions négatives directes sur la protection des renseignements personnels en soi, il craint que leur adoption décourage l’utilisation des RPV et mette ainsi en danger la vie privée ou la sécurité des consommateurs.

Y a-t-il des types de pratiques de différenciation des prix susceptibles d’atténuer d’éventuelles répercussions négatives?

  1. Dans la présente section, le Conseil établit si des facteurs particuliers pourraient influer sur l’autorisation de pratiques de différenciation des prix dans certains cas.
  2. À ce sujet, plusieurs parties ont avancé que certains types de pratiques de différenciation des prix ne soulevaient pas de préoccupations importantes et pourraient être permis. Ces pratiques comprennent celles qui sont associées aux éléments suivants :
    • offres non basées sur le contenu;
    • catégories de contenu ou d’applications;
    • bien collectif;
    • fonctions administratives;
    • promotions;
    • objectifs en matière de radiodiffusion et promotion du contenu canadien.

Offres non basées sur le contenu

  1. Les pratiques de différenciation des prix non basées sur le contenu sont des offres pour lesquelles l’ensemble du trafic de données des services d’accès Internet de détail est traité de façon égale quant au tarif, indépendamment de l’application ou du contenu. Le type d’offre le plus courant est une tarification en fonction du moment de la journée, dans le cadre de laquelle toutes les données sont exonérées durant une période précise. La majorité des parties ont mentionné que les pratiques de différenciation des prix non basées sur le contenu n’entraînent pas de préoccupations et pourraient être permises.

Analyse du Conseil

  1. Les pratiques de différenciation des prix qui ne sont pas basées sur le contenu, comme l’exonération des données selon l’heure du jour, ne sont généralement pas associées aux préoccupations exposées dans les sections précédentes concernant les conséquences pour les fournisseurs d’applications ou de contenu particuliers. Toutefois, selon les conditions de l’offre, ce type de pratiques pourrait tout de même favoriser une catégorie d’abonnés au détriment d’une autre si l’offre ne s’adresse pas à tous les abonnés.
  2. Le Conseil estime que les avantages des pratiques de différenciation des prix non basées sur le contenu atténueraient généralement toute répercussion négative, à condition que les pratiques ne soient pas offertes exclusivement aux abonnés faisant partie d’une classe ou d’un groupe en particulier.

Catégories de contenu ou d’applications

  1. Plusieurs parties, dont Cogeco, le Consortium des Opérateurs de Réseaux Canadiens Inc. (CORC), Sandvine et Vidéotron, ont argué que les pratiques de différenciation des prix qui s’appliquent uniformément, selon des critères simples et transparents, à tous les services ou à toutes les applications d’un type et d’une nature semblables n’entraîneraient pas de préférence indue ni de discrimination injuste et devraient être autorisées.
  2. Bien d’autres parties qui se sont exprimées sur cette question ont soutenu que d’importantes difficultés étaient associées à l’autorisation de pratiques de différenciation des prix pour une catégorie particulière de services, surtout en ce qui a trait à la définition des catégories et à l’identification des fournisseurs de contenu qui feraient partie d’une catégorie en particulier.
  3. Par exemple, la Pre van Schewick a argué qu’il est pour ainsi dire inconcevable qu’un FSINote de bas de page 19 puisse intégrer, à ses pratiques de différenciation des prix, tous les fournisseurs de contenu qui appartiennent à une certaine catégorie, et, même si c’était possible, cela serait tout de même nuisible, car de telles pratiques excluraient tous les fournisseurs de contenu ne faisant pas partie de cette catégorie.
  4. La Clinique d’intérêt public et de politique d’Internet du Canada a fait valoir que l’exonération des données pour une catégorie particulière de services minait le potentiel d’innovation d’Internet en entravant l’émergence de modèles inattendus et entièrement différents des modèles existants.

Analyse du Conseil

  1. À première vue, une pratique de différenciation des prix qui englobe tout le contenu d’une certaine catégorie peut sembler atténuer le risque de préférence indue envers certains fournisseurs de contenu; toutefois, plusieurs préoccupations font surface relativement à une telle pratique. Tout d’abord, par définition, tout contenu ne faisant pas partie de la catégorie sélectionnée sera exclu. Par exemple, dans le cas de Musique illimitée, la catégorie de services de diffusion de musique en continu concernée exclut plusieurs autres types de services de musique.
  2. De plus, il est improbable que tous les fournisseurs de contenu d’une catégorie donnée puissent être identifiés et que l’on favorise leur participation à une pratique de différenciation des prix. Par exemple, même si Vidéotron a affirmé à plusieurs reprises sa volonté d’inclure le plus grand nombre de services de diffusion de musique en continu possible à son programme Musique illimitée pour le rendre plus attrayant aux yeux des abonnés, le nombre de services actuellement inclus est très limitéNote de bas de page 20 si on le compare à tous les services de diffusion de musique en continu offerts sur Internet. De plus, l’inclusion de ces services a requis de longues négociations entre Vidéotron et les fournisseurs de contenu, et des négociations sont en cours pour inclure d’autres services. De tels délais, dans un environnement en évolution constante comme Internet, pourraient avoir des répercussions importantes sur le contenu ou les applications exclus. Cela donne à penser que les répercussions négatives décrites ci-dessus peuvent se manifester même lorsqu’une pratique de différenciation des prix est en apparence ouverte à tous les services offerts dans une catégorie de contenu particulière.
  3. Définir et cerner les catégories de services en ligne représente aussi des difficultés considérables. Par exemple, le CORC a soumis une liste de plus d’une douzaine de catégories de services en ligne, dont plusieurs partagent des caractéristiques qui se chevauchent. Même dans une catégorie de prime abord aussi simple que « musique », plusieurs questions se posent, telles que les suivantes : La catégorie sélectionnée comprend-elle tous les services comparables? Qu’est-ce qu’un service de musique pour les consommateurs? Comprend-il les baladodiffusions ou seulement la diffusion en continu? Inclut-il les stations de radio? Qu’en est-il du contenu parlé? Comment le FSI détermine-t-il les types de services de musique en ligne qui sont compris? Les exigences techniques du FSI excluent-elles de possibles fournisseurs de services en ligne? À quel point est-il facile et rapide d’ajouter un fournisseur à la pratique de différenciation des prix?
  4. Le perpétuel état d’évolution d’Internet, où des services nouveaux et novateurs sont introduits régulièrement, rend cet exercice encore plus difficile. Comme certaines parties l’ont fait remarquer, tenter d’intégrer différents services à des catégories pourrait avoir des conséquences négatives sur l’innovation et un effet de distorsion sur le marché, car les fournisseurs de contenu pourraient tenir compte de leur admissibilité à participer à des pratiques de différenciation des prix dans leurs décisions d’affaires.
  5. Compte tenu de ce qui précède, le Conseil estime que les pratiques de différenciation des prix comptant des catégories de contenu ou d’applications donnent lieu à d’importantes préoccupations quant à la sélection, à la définition et à la mise en œuvre des catégories, qui s’ajoutent aux préoccupations exposées ci-dessus au sujet des répercussions négatives probables sur la concurrence, le choix des consommateurs et l’innovation. Par conséquent, le Conseil estime que les catégories de contenu, même générales et apparemment universelles, n’atténueraient pas les répercussions négatives des pratiques de différenciation des prix fondées sur le contenu.
Bien public
  1. Certaines parties ont mentionné que les pratiques de différenciation des prix liées aux applications répondant à des besoins sociaux pourraient être justifiées. Plusieurs parties ont toutefois appelé à la prudence à cet égard. Par exemple, Shaw a fait valoir qu’il serait extrêmement difficile de définir et de déterminer les services Internet répondant à un besoin social, beaucoup de services en ligne visant en effet à satisfaire à la fois des objectifs sociaux et de divertissement, et qu’une telle entreprise comporterait le fait de porter des jugements sur la façon dont les consommateurs, les créateurs et les citoyens utilisent Internet.
  2. MAC a signalé que ce type de pratiques de différenciation des prix est perçu comme pouvant désavantager plutôt qu’aider les consommateurs, en particulier les personnes handicapées, puisqu’elles exacerbent certaines préoccupations. Par exemple, MAC a fait remarquer qu’il n’est pas clair en quoi les pratiques de différenciation des prix pourraient aider les FSI à faire de leur mieux pour préserver ou améliorer la qualité de leurs services fixes et mobiles existants.
Analyse du Conseil
  1. Comme il a été mentionné précédemment, la définition d’une catégorie de contenu pose problème, surtout lorsque cette catégorie vise à circonscrire un concept aussi vaste et subjectif que le « bien public ». Qui plus est, le Conseil estime qu’il n’y a pas suffisamment de renseignements dans le dossier de l’instance pour lui permettre d’évaluer toutes les répercussions qu’aurait l’autorisation de pratiques de différenciation des prix dans le cas d’enjeux sociaux.
  2. Le Conseil est donc d’avis qu’il n’est pas approprié de créer la catégorie de contenu générale « bien public » aux fins des pratiques de différenciation des prix.
Fonctions administratives
  1. Le dossier de l’instance indiquait que beaucoup de FSI font appel à des pratiques de différenciation des prix relativement à certaines données associées à la facturation et à la gestion de compte pour les clients de leurs services sans fil. La plupart des parties, y compris celles généralement contre les pratiques de différenciation des prix, considéraient ce type de pratiques comme acceptable. OpenMedia est toutefois opposée à la disponibilité d’une pratique de différenciation des prix pour la gestion des comptes de services, ayant fait valoir que le Conseil ne devrait en aucun cas permettre d’exceptions aux règlements ex ante interdisant les pratiques de différenciation des prix pour du contenu faisant l’objet d’une exonération des données ou d’un rabais.
Analyse du Conseil
  1. Les pratiques de différenciation des prix qui donnent aux clients l’accès aux fonctions ou aux services accessoires nécessaires pour l’entretien et le fonctionnement de leurs appareils sans fil et de leurs services d’accès Internet pourraient être considérées comme faisant partie intégrante des appareils ou des services d’accès Internet eux-mêmes, et non comme un accès distinct à Internet. Les abonnés n’ont pas d’autres choix que les services de facturation et de gestion de compte qui leur sont offerts, puisque ces services sont liés à leur FSI ainsi qu’à leur forfait de services d’accès Internet de détail. On pourrait donc arguer que l’exonération des données consommées pour ces services ou la réduction de leurs frais n’entraînerait ni préférence ni désavantage, et donc aucun préjudice.
  2. De plus, les pratiques de différenciation des prix qui offrent l’accès en ligne aux comptes et factures pourraient être considérées comme compatibles avec l’objet de l’article 27.2 de la Loi, qui prévoit ce qui suit : « Il est interdit à toute personne qui fournit des services de télécommunication d’imposer des frais à un abonné pour l’obtention de factures papier. » L’accès aux services en ligne permettant aux abonnés de conserver ou de renouveler leurs services appuie la politique « ne pas payer pour payer » et pourrait être compatible avec les pratiques antérieures.
  3. Tout bien considéré, le Conseil est d’avis que dans la mesure où les consommateurs sont tous traités de la même façon, autoriser l’exonération des données relatives à des fonctions liées aux comptes, notamment pour le suivi des données et le paiement des factures en ligne, causerait peu ou pas de préjudice, et les consommateurs en tireraient des avantages certains. Le Conseil estime donc que les avantages liés aux pratiques de différenciation des prix relativement à la gestion de compte, pour ce qui est d’un service d’accès Internet fourni par un FSI (p. ex. suivi de l’utilisation des données et paiement des factures en ligne), l’emporteraient sur les répercussions négatives éventuellement associées à des pratiques de différenciation des prix fondées sur le contenu. Cette question est analysée plus amplement dans une section ultérieure de la présente décision.
Promotions
  1. Eastlink a fait valoir qu’un cadre en matière de pratiques de différenciation des prix pourrait comprendre des exceptions pour les promotions à court terme, puisque leur durée limitée réduirait leur incidence sur la concurrence. À titre d’exemple, l’entreprise a cité le site Web d’un festival de films local et une période d’essai pour un petit jeu vidéo. Eastlink a proposé les paramètres suivants : une période combinée d’inscription et d’avantages n’excédant pas trois mois, l’absence d’obligation d’abonnement au-delà de la période de promotion, un délai d’attente d’au moins six mois entre les promotions axées sur des services identiques ou similaires, et la conformité avec les principes généraux de la politique en matière de pratiques de différenciation des prix (c.-à-d. conformité avec le cadre relatif aux PGTI et l’article 36 de la Loi, aucun refus de l’accès des consommateurs au contenu voulu, aucune exclusivité, aucun contenu de fournisseurs affiliés et transparence).
  2. Certaines parties, par exemple OpenMedia, ont argué que le Conseil ne devrait pas faire d’exception pour les promotions à court terme, car celles-ci soulèvent les mêmes préoccupations que les offres à long terme, particulièrement en ce qui a trait à la concurrence et à l’innovation.
Analyse du Conseil
  1. Le fait qu’une pratique de différenciation des prix ne soit offerte que pendant même une courte période ne signifie pas nécessairement que l’incidence négative découlant de la pratique serait minime pour la période en question. Eastlink a proposé d’imposer un délai d’attente entre les promotions portant sur des services identiques ou similaires; cependant, dans ce type de situation, rien n’empêcherait un FSI de présenter des promotions pour différents services, l’une après l’autre, offrant sans cesse des pratiques de différenciation des prix, ce qui serait considéré inacceptable par le Conseil en d’autres circonstances.
  2. Le Conseil estime que l’autorisation des pratiques de différenciation des prix aux fins de promotions à court terme entraînerait un risque de contournement de la réglementation, sans atténuer les effets négatifs de telles pratiques.
Objectifs en matière de radiodiffusion et promotion du contenu canadien
  1. En vertu de l’article 28 de la Loi, le Conseil doit tenir compte des objectifs de la politique de radiodiffusion exposés à l’article 3 de la Loi sur la radiodiffusion pour déterminer s’il y a préférence ou désavantage indu ou déraisonnable lors de la transmission d’émissions. Selon certaines parties, les pratiques de différenciation des prix qui soutiennent les objectifs de la politique de radiodiffusion devraient être permises.
  2. L’Association canadienne des producteurs médiatiques a fait valoir que le Conseil devrait se montrer disposé à envisager des façons d’exploiter les pratiques de différenciation des prix de manière à favoriser la découvrabilité de la programmation canadienne et l’accès des consommateurs à celle-ci. L’ADISQ a proposé au Conseil de réévaluer le statut des FSI pour que ceux-ci deviennent des entreprises de distribution de radiodiffusion (EDR) en vertu de la Loi sur la radiodiffusion et d’examiner s’ils sont assujettis à l’Ordonnance d’exemption relative aux entreprises de radiodiffusion de nouveaux médias, appelée également Ordonnance d’exemption relative aux entreprises de radiodiffusion de médias numériques (OEMN)Note de bas de page 21. La STC a proposé d’ajouter une condition en matière de pratiques de différenciation des prix à l’OEMN, ainsi qu’au cadre réglementaire relatif à l’intégration verticale déjà en place.
  3. OpenMedia a indiqué qu’appliquer l’exonération des données au contenu canadien entraînerait une confusion entre le contenu et l’accès et qu’une telle pratique nécessiterait l’application de la politique de radiodiffusion d’une façon incompatible avec la Loi. L’organisation a ajouté que ce type d’exonération des données protégerait plus l’ancien secteur canadien de la radiodiffusion que le contenu considéré comme canadien.
  4. Rogers Communications Inc. (Rogers) a fait valoir que l’assujettissement de toutes les données aux frais d’utilisation de données standard, indépendamment de la nature du contenu, renforcerait la politique de radiodiffusion au Canada et favoriserait l’épanouissement de l’expression canadienne en garantissant que les services de programmation canadiens offerts en ligne ne sont pas indûment désavantagés comparativement aux services étrangers.
Analyse du Conseil
  1. L’avis de consultation de télécom 2016-192, à l’origine de la présente instance, a été publié en vertu de la Loi et portait sur l’examen des pratiques de différenciation des prix relatives aux services d’accès Internet de détail offerts par les FSI sans fil et filaires. Par conséquent, les modifications que le Conseil pourrait envisager d’apporter aux politiques en vertu de la Loi sur la radiodiffusion relativement aux EDR ou aux services de programmation (p. ex. l’OEMN ou le cadre réglementaire relatif à l’intégration verticale) dépassent le cadre de la présente instance. De surcroît, en ce qui concerne la proposition de l’ADISQ à propos de la réévaluation par le Conseil du statut des FSI pour qu’ils deviennent des EDR, les tribunaux ont confirmé que les FSI n’étaient pas des EDR, dans la mesure où ils offrent des services d’accès InternetNote de bas de page 22.
  2. En ce qui a trait à l’application de l’article 28 de la Loi, le Conseil a affirmé dans la décision concernant les services de télé mobile que, bien que cette disposition s’applique dans la mesure où la préférence et le désavantage se rattachent à la transmission d’émissions, la politique de radiodiffusion exposée dans la Loi sur la radiodiffusion n’était pas en elle-même déterminante dans ce cas. Dans cette décision, le Conseil a conclu que les modalités favorables offertes par Bell Mobilité et Vidéotron pour le transport et la connectivité des données nécessaires à leurs propres services de télé mobile auraient pu servir certains objectifs de la politique de radiodiffusion. Toutefois, ce n’est pas le cas du désavantage imposé aux consommateurs qui désirent accéder à d’autres émissions canadiennes sur leurs appareils mobiles. En conséquence, dans la décision concernant les services de télé mobile, le Conseil a estimé que ni la préférence ni le désavantage ne peuvent être justifiés eu égard à la politique de radiodiffusion.
  3. La création, le soutien et la découvrabilité des émissions produites par des Canadiens mettent en évidence bon nombre des objectifs de la politique énoncés au paragraphe 3(1) de la Loi sur la radiodiffusion. Les pratiques de différenciation des prix pourraient appuyer ces objectifs en rendant ce contenu accessible d’une manière facile et abordable sur les plateformes Internet. Cependant, la conception et la mise en œuvre de telles pratiques pourraient poser problème pour les mêmes raisons que dans le cas des pratiques de différenciation des prix reposant sur les catégories de contenu dont il a été question précédemment. Par exemple, même si des procédures visant la reconnaissance du contenu canadien ont été adoptées il y a longtemps, la détermination fiable de ce contenu par les FSI, ainsi que la réglementation et l’application des pratiques de différenciation des prix pourraient se révéler difficiles.
  4. Lorsqu’on a demandé aux parties qui avaient suggéré une telle utilisation des pratiques de différenciation des prix d’expliquer de quelle façon elles mettraient en œuvre leur suggestion, elles n’ont fourni aucun détail sur les éléments pratiques ou techniques. Le dossier de la présente instance ne contient aucun renseignement démontrant que des pratiques de différenciation des prix pourraient être mises en œuvre d’une façon exhaustive et fiable permettant de garantir un accès adéquat à toutes les émissions produites par des Canadiens et transmises à des Canadiens dans le cyberespace.
  5. Vu tous les inconvénients et toutes les restrictions qui se rattachent à l’utilisation de pratiques de différenciation des prix aux fins de soutien et de promotion de la programmation canadienne, le Conseil estime que, de manière générale, les avantages pour le système de radiodiffusion canadien ne seraient pas suffisants pour justifier la préférence, la discrimination ou le désavantage découlant de telles pratiques.
Conclusions en matière de préférence ou de désavantage indu ou déraisonnable
  1. Étant donné les répercussions des pratiques de différenciation des prix sur des facteurs comme la concurrence, l’innovation, le choix des consommateurs, l’accès, l’abordabilité et la protection des renseignements personnels, le Conseil estime que de telles pratiques, lorsqu’elles sont applicables à un contenu précis, soulèvent généralement des préoccupations en matière de préférence ou de désavantage indu ou déraisonnable au regard des abonnés et des fournisseurs de contenu canadiens.
  2. Cependant, les pratiques de différenciation des prix non basées sur le contenu et celles qui sont liées aux fonctions administratives relatives à la gestion des comptes de services d’accès Internet des abonnés sont susceptibles d’atténuer les répercussions négatives analysées ci-dessus. Ces types de pratiques ne contreviendront donc probablement pas au paragraphe 27(2) de la Loi.

Cadre et critères d’évaluation des pratiques de différenciation des prix

  1. Comme il a été mentionné ci-dessus, les pratiques de différenciation des prix soulèvent généralement des préoccupations en matière de préférence ou de désavantage indu ou déraisonnable en vertu du paragraphe 27(2) de la Loi; il peut néanmoins exister des situations où une préférence ou un désavantage n’est ni indu ni déraisonnable. Vu les exemples de pratiques de différenciation des prix récemment survenus sur le marché canadien et à l’étranger, ainsi que la possibilité que d’autres FSI commencent à offrir de telles pratiques, il apparaît évident qu’un cadre réglementaire régissant ces pratiques est nécessaire afin de clarifier la situation pour tous les intervenants. La question porte maintenant sur la meilleure façon de structurer et de mettre en œuvre un cadre qui procure une orientation aux FSI à propos de l’offre de pratiques de différenciation des prix dans le respect du paragraphe 27(2) de la Loi et à l’appui des objectifs de la politique de télécommunication prévus à l’article 7 de la Loi.

Positions des parties

  1. Certaines parties, dont le CMCRP, MAC et OpenMedia, se sont prononcées en faveur d’une stricte interdiction ex ante de toutes les pratiques de différenciation des prix, sans exception.
  2. La Pre van Schewick a fait valoir que le Conseil devrait adopter des lignes directrices ex ante claires interdisant trois types de pratiques de différenciation des prix, soit : a) l’exonération des données en contrepartie d’un paiement de la part des fournisseurs de contenu; b) l’exonération des données pour certaines applications, mais non pour d’autres applications similaires (sans paiement de la part des fournisseurs de contenu) et c) l’exonération des données ouverte à une catégorie complète d’applications (sans paiement de la part des fournisseurs de contenu).
  3. La plupart des autres parties étaient en faveur de la mise en œuvre par le Conseil d’une approche ex post fondée sur les plaintes en vertu du paragraphe 27(2) de la Loi. Cependant, le point de vue de ces mêmes parties différait quant à savoir s’il fallait mettre en place des principes ou des critères supplémentaires pour évaluer les plaintes au sujet des pratiques de différenciation des prix en vertu du paragraphe 27(2).
  4. Bell Canada et la STC ont soutenu que la conformité avec le paragraphe 27(2) de la Loi doit être déterminée au cas par cas, en réponse à des plaintes, et qu’il n’est donc pas nécessaire de mettre en place un ensemble de lignes directrices ou de principes pour la régir. La STC a indiqué que la seule situation où le Conseil devrait imposer une interdiction ex ante est dans le cas où des entreprises intégrées verticalement offrent de la diffusion de contenu de fournisseurs affiliés faisant l’objet d’une exonération des données.
  5. D’autres parties, y compris Cogeco, le CORC, Eastlink, Facebook, Rogers, Sandvine, TekSavvy Solutions Inc. (TekSavvy) et Vidéotron, ont proposé au Conseil d’établir un ensemble de lignes directrices ou de critères qui s’appliqueraient à son examen des plaintes en vertu du paragraphe 27(2). Bon nombre de ces parties ont suggéré des critères similaires, mais avec un libellé légèrement différent, ce qui a contribué à l’émergence de plusieurs thèmes courants (dont les modalités varient), y compris a) une application égale et uniforme des frais d’utilisation de données standard d’un FSI; b) l’ouverture ou la disponibilité pour tous les fournisseurs de contenu qui offrent le même service ou un service similaire (c.-à-d. aucune entente d’exclusivité); c) des modalités égales pour tous les fournisseurs de contenu; d) la transparence et la divulgation pour les consommateurs; e) l’interdiction d’établir la priorité de certains trafics; f) l’interdiction de fournir du contenu de fournisseurs affiliés faisant l’objet d’une exonération des données et g) l’interdiction d’avoir une entente de données commanditées.

Résultats de l’analyse du Conseil

Structure du cadre
  1. Comme dans le cas du cadre relatif aux PGTI, le Conseil n’est pas convaincu que l’adoption de règles ex ante déterminant quelles pratiques de différenciation des prix de détail en particulier sont acceptables, et lesquelles ne le sont pas, constitue la bonne façon d’aller de l’avant. Vu la constante évolution d’Internet, il faudrait sans cesse revoir et modifier les règles ex ante au gré de l’émergence de nouvelles formes de pratiques de différenciation des prix qui n’auraient pas été envisagées dans la présente instance.
  2. En revanche, un cadre ex post fondé sur les plaintes qui reposerait sur une analyse du paragraphe 27(2) serait généralement plus souple et adaptable aux changements futurs du marché des services d’accès Internet de détail, tout en permettant au Conseil d’évaluer les éventuelles plaintes en se basant sur des faits.
  3. Cependant, étant donné la divergence d’opinions relative aux pratiques de différenciation des prix, les divers types de pratiques qui ont été analysés dans l’instance et la relative nouveauté des pratiques de différenciation des prix sur le marché, le Conseil estime qu’il serait bon d’établir des critères d’évaluation spécifiques. Le Conseil expose donc ci-dessous les critères d’évaluation qu’il mettra en application dans une analyse du paragraphe 27(2) afin de permettre aux intervenants d’évaluer quelles pratiques de différenciation des prix ils peuvent s’attendre à voir à être conformes à la Loi.
  4. Le Conseil établit dans la présente décision un cadre d’évaluation des pratiques de différenciation des prix des FSI qui :
    • est fondé sur les plaintes (ex post)Note de bas de page 23;
    • s’appuie sur le paragraphe 27(2) pour évaluer si une pratique de différenciation des prix donnée donne lieu à une préférence ou à un désavantage indu ou déraisonnable;
    • est éclairé par des critères d’évaluation pour clarifier l’analyse du paragraphe 27(2).
Critères d’évaluation
  1. Lorsqu’on évalue si une pratique de différenciation des prix est conforme au paragraphe 27(2) de la Loi, le Conseil a établi des critères d’évaluation qui amèneront une certaine prévisibilité pour tous les intervenants et surtout pour les FSI. Le Conseil tiendra compte des critères d’évaluation suivants dans toute analyse future consistant à déterminer si une pratique de différenciation des prix donne lieu à une préférence ou à un désavantage indu ou déraisonnable :
    • Le traitement des données non basé sur le contenu. Le Conseil prendra en considération la mesure dans laquelle le prix ou le tarif du trafic de données est établi de façon juste ou objective par un FSI en ce qui concerne ses services d’accès Internet de détail offerts aux clients, tout en tenant compte de la quantité de données en question. Les tarifs ou les prix offerts de manière basée sur le contenu pour des données, comme l’exonération des données provenant de certains fournisseurs de contenu (d’entités affiliées, notamment), pourraient soulever des préoccupations en vertu du paragraphe 27(2). Les pratiques de différenciation des prix traitant le trafic de données de manière non basée sur le contenu (p. ex. les offres de prix variables en fonction de l’heure de la journée) ne devraient pas soulever le même degré de préoccupation.
    • L’exclusivité de l’offre. Le Conseil prendra en considération la mesure dans laquelle une pratique de différenciation des prix est réservée à une classe ou un groupe d’abonnés, à un fournisseur de contenu, ou encore à une classe ou un groupe de fournisseurs de contenu en particulier, tout en tenant compte du nombre d’abonnés ou de fournisseurs de contenu touchés. Par exemple, des pratiques de différenciation des prix appliquées exclusivement à l’égard d’abonnés d’un forfait de données en particulierNote de bas de page 24 sont susceptibles de soulever des préoccupations en vertu du paragraphe 27(2).
    • L’incidence sur l’ouverture et l’innovation relatives à Internet. Le Conseil prendra en considération la mesure dans laquelle une pratique de différenciation des prix empêche ou compromet l’ouverture d’Internet pour les Canadiens, de même que les choix qui leur sont offerts. Particulièrement, cette analyse visera à déterminer a) si une pratique de différenciation des prix influe sur la capacité de fournisseurs de contenu ou d’innovateurs de se tailler une place sur le marché en leur faisant obstacle, et b) la mesure dans laquelle une pratique de différenciation des prix influence l’innovation. Par exemple, des pratiques de différenciation des prix pour lesquelles les fournisseurs de contenu devraient se conformer à des critères de nature administrative et technique lourds, coûteux ou chronophages seraient susceptibles de soulever des préoccupations en vertu du paragraphe 27(2). Des pratiques de différenciation des prix qui favoriseraient d’importants fournisseurs de contenu bien établis au détriment des petits fournisseurs ou des nouveaux venus pourraient aussi susciter des préoccupations.
    • La présence d’une rémunération. Le Conseil vérifiera si une pratique de différenciation des prix entraîne une rémunération ou d’autres avantages financiers pour un fournisseur de contenu, un FSI ou un commanditaire tiers (y compris des entités affiliées) en tenant compte des montants en cause et de l’étendue des intérêts financiers liés aux entités affiliées. Par exemple, des ententes de données commanditées, dans le cadre desquelles un FSI reçoit un paiement de la part d’un fournisseur de contenu en contrepartie de l’exonération des données reçues et transmises par ce fournisseur de contenu, pourraient soulever des préoccupations en vertu du paragraphe 27(2).
  2. Lorsqu’il applique ces critères, le Conseil tiendra tout d’abord compte du traitement des données non basé sur le contenu, car les pratiques de différenciation des prix qui favorisent certains contenus au détriment des autres sont les plus susceptibles de causer des préjudices. Le Conseil devra se tourner vers les trois autres critères en deuxième lieu pour toute évaluation d’une pratique de différenciation des prix.
  3. Aucun des quatre critères n’est forcément déterminant en soi, puisque chaque évaluation d’une pratique de différenciation des prix sera factuelle. L’importance accordée à chacun des critères pourrait également varier d’un cas à un autre, selon les circonstances.
  4. Enfin, le Conseil envisagera la possibilité de circonstances exceptionnelles démontrant que la pratique de différenciation des prix représente des avantages indéniables pour le public et un préjudice minimal. Par exemple, le Conseil peut se demander si des facteurs liés au respect de la vie privée, à la technologie et à l’administration ou autres auraient des répercussions sur son analyse en vertu du paragraphe 27(2) de sorte que les avantages d’autoriser une pratique de différenciation des prix donnée l’emporteraient largement sur les préjudices.
Mise en œuvre des pratiques de différenciation des prix
  1. Dans le cadre décrit ci-dessus, les FSI pourraient mettre en œuvre des pratiques de différenciation des prix sans l’autorisation préalable du Conseil, pourvu que ces pratiques respectent les critères d’évaluation. En cas de plainte à cet égard ou d’enquête lancée par le Conseil, ce dernier devrait se pencher sur ces critères et les faits particuliers en question afin de décider de permettre ou non la pratique de différenciation des prix en cause.
  2. Si un FSI a des doutes quant à la conformité d’une pratique de différenciation des prix avec le cadre établi, il pourrait soumettre une demande d’évaluation au Conseil avant de la mettre en œuvre. Dans sa demande, le FSI devrait démontrer la conformité de la pratique de différenciation des prix qu’il propose avec les critères d’évaluation exposés dans la présente décision.
  3. Pour réduire au minimum le risque de contournement du processus réglementaire, le Conseil s’efforcera, dans la mesure du possible, d’examiner rapidement les plaintes. Le Conseil s’attend à ce que les critères d’évaluation exposés dans la présente décision aident à cet égard les parties et le Conseil lui-même.
  4. De même, pour favoriser le respect de la Loi et des critères d’évaluation exposés dans la présente décision, ainsi que pour inciter les FSI à demander une autorisation préalable avant d’offrir, le cas échéant, une pratique de différenciation des prix, le Conseil peut envisager, au moment de traiter une plainte au sujet d’une pratique de différenciation des prix et en conformité avec les pouvoirs qui lui sont conférés en vertu de l’article 72.003 de la Loi, d’imposer une sanction administrative pécuniaire s’il est révélé que la pratique en question contrevient au paragraphe 27(2) de la Loi.
Gestion des comptes
  1. De nombreuses parties ont présenté des observations concernant le caractère approprié des pratiques de différenciation des prix liées à la gestion de compte pour un service d’accès Internet (p. ex. suivi de la consommation de données et paiement des factures en ligne). Le Conseil a donc décidé de clarifier cette question en appliquant les critères d’évaluation à ce type de pratiques. 
    • La pratique traite-t-elle les données de façon non basée sur le contenu? Seules les données liées à la gestion de compte seraient exonérées, alors que toutes les autres seraient comptabilisées dans la limite d’utilisation; ce critère ne serait donc pas satisfait.
    • L’offre est-elle exclusive? Si l’on suppose que l’exonération des données relatives à des fonctions liées aux comptes n’est pas offerte exclusivement à une classe ou un groupe en particulier parmi les abonnés d’un FSI, ce critère serait satisfait. Aucune preuve exposée dans la présente instance ne porte à croire le contraire. Il n’y aurait aucun problème sur le plan de l’exclusivité des fournisseurs de contenu, puisque les fonctions liées aux comptes ne peuvent être offertes que par le FSI des abonnés.
    • La pratique a-t-elle une incidence sur l’ouverture et l’innovation relatives à Internet? Le Conseil n’entrevoit pas d’incidence négative sur l’ouverture d’Internet, le choix des consommateurs ou l’innovation qui découlerait de l’exonération des données relatives à des fonctions liées aux comptes, de sorte que ce critère serait satisfait.
    • Y a-t-il une rémunération? La gestion des comptes comprend l’utilisation, par un abonné, du site Web ou de l’application de son FSI pour payer ses factures ou surveiller sa consommation de données. Le FSI ne reçoit alors aucune rémunération de la part de fournisseurs de contenu tiers. Même si le FSI tire un avantage financier du fait que ses abonnés paient leurs factures, il aurait droit à cette rémunération, peu importe que les fonctions de gestion de compte soient assorties de frais d’utilisation de données ou non. Par conséquent, ce critère serait satisfait.
  2. En ce qui concerne les facteurs atténuants, la plupart des parties considéraient l’exonération des données relatives à des fonctions liées aux comptes comme pratiquement inoffensive. Parmi les autres considérations d’importance figure le fait que les fonctions liées aux comptes touchent généralement des quantités de données relativement petites, qu’elles ne sont offertes aux abonnés que par leur FSI et qu’elles procurent des avantages certains aux consommateurs, puisqu’ils peuvent surveiller leur utilisation de données et payer leurs factures en ligne sans frais.
  3. Compte tenu de ce qui précède, le Conseil s’attend à ce que les pratiques de différenciation des prix liées à la gestion de compte pour le service d’accès Internet soient autorisées en vertu du cadre, pourvu que le FSI les rende accessibles à tous les abonnés de ses services d’accès Internet de détail, en tenant compte des différences régionales dans ses forfaits et ses offres.

Application de l’article 36 de la Loi aux pratiques de différenciation des prix

  1. Au cours de l’instance, certaines discussions ont eu lieu concernant la question de savoir si l’article 36 de la Loi s’appliquerait aux pratiques de différenciation des prix en ce qui concerne les forfaits de données offerts dans le cadre des services d’accès Internet des FSI. L’article 36 prévoit ce qui suit : « Il est interdit à l’entreprise canadienne, sauf avec l’approbation du Conseil, de régir le contenu ou d’influencer le sens ou l’objet des télécommunications qu’elle achemine pour le public. »
  2. La plupart des parties ont soutenu que, bien que les pratiques de différenciation des prix puissent influencer le choix des consommateurs quant au contenu, elles n’entraînent pas le contrôle des FSI à l’égard du contenu des télécommunications et n’influencent pas le sens ni l’objet des télécommunications. Les parties qui ont soutenu que l’article 36 s’applique en cas de pratiques de différenciation des prix ont indiqué que ces pratiques entraînent généralement le contrôle des FSI à l’égard du contenu des télécommunications en poussant les clients vers certains contenus.
  3. Le Conseil estime que l’article 36 ne s’applique pas généralement en cas de pratiques de différenciation des prix qui prévoient simplement l’établissement de divers prix pour l’offre d’accès au contenu transmis sur Internet. Une telle différence de traitement, fondée sur le contenu des données transmises, est mieux évaluée dans le contexte du paragraphe 27(2) de la Loi. Néanmoins, certaines pratiques de différenciation des prix pourraient devoir être approuvées en vertu de l’article 36, comme celles qui exigent d’un fournisseur de contenu qu’il modifie son contenu ou celles qui contrôlent la disponibilité du contenu accessible par les consommateurs.

Prise en compte des interventions reçues concernant les limites d’utilisation de données et le cadre relatif aux PGTI

  1. Dans l’avis de consultation de télécom 2016-192, le Conseil a reconnu que les pratiques de différenciation des prix n’existeraient pas si les FSI n’avaient pas recours aux limites d’utilisation de données. Même si l’examen du recours aux limites d’utilisation de données n’était pas le principal objectif de la présente instance, le Conseil a reçu plusieurs milliers d’observations sur cette question, en plus des observations au sujet d’autres aspects du cadre relatif aux PGTI.

Positions des parties

  1. Les opposants aux limites d’utilisation de données ont proposé plusieurs options, notamment le lancement d’un examen des limites d’utilisation de données en vue de restreindre ces limites ou de les interdire complètement dans le but d’empêcher les FSI d’avoir recours aux pratiques de différenciation des prix. De plus, ils ont indiqué que les limites d’utilisation de données ne sont pas une PGTI de nature économique légitime, puisqu’elles ne parviennent pas à réduire la congestion. Particulièrement, ces parties ont argué que les limites d’utilisation de données ont d’abord été conçues pour limiter l’échange de fichiers entre pairs, ce qui ne représente plus la source principale de congestion sur Internet. Elles ont aussi soutenu que les limites d’utilisation de données mensuelles n’apportent aucune solution à l’importance du facteur temps de la congestion d’Internet.
  2. Les opposants ont aussi indiqué que les limites d’utilisation de données indiquent que la concurrence est insuffisante en matière de services d’accès Internet de détail, nuisent aux consommateurs, dissuadent les FSI d’investir dans leurs réseauxNote de bas de page 25, sont gardées artificiellement basses à cause de l’intégration verticaleNote de bas de page 26 et restreignent l’utilisation des données par les abonnés à cause du recours à l’imposition de frais d’utilisation excédentaire punitifs.
  3. Un certain nombre de FSI ont soutenu que les limites d’utilisation de données sont exclues de la portée de la présente instance et que l’imposition d’une réglementation sur les limites d’utilisation de données exigerait que le Conseil en vienne d’abord à la conclusion que les marchés des services d’accès Internet de détail filaires et sans fil ne sont pas suffisamment concurrentiels.
  4. La plupart des FSI, la British Columbia Broadband Association, le CORC et l’Information Technology and Innovation Foundation ont soutenu l’utilisation de limites d’utilisation de données comme des PGTI efficaces afin de réduire la congestion pour maintenir la qualité du réseau. Ils ont affirmé que de nombreuses autres pratiques de gestion de la congestion (comme les PGTI de nature technique) sont compliquées et difficiles à utiliser, et qu’elles entraîneraient probablement une détérioration de l’expérience d’utilisation des abonnés. Certains FSI ont fait remarquer que déployer l’infrastructure nécessaire pour utiliser des PGTI de nature technique plutôt que des PGTI de nature économique, comme les limites d’utilisation de données, entraînerait des coûts importants.
  5. De façon générale, les FSI ont aussi indiqué que le recours aux limites d’utilisation de données est une pratique importante de commercialisation et d’établissement des prix, ce qui permet aux abonnés de payer seulement pour les services qu’ils veulent en assurant que différentes offres de services Internet sont possibles pour répondre à leurs besoins. De plus, ces parties ont soutenu qu’enlever les limites d’utilisation de données entraînerait des augmentations de prix et réduirait la vitesse du réseau pour bon nombre d’abonnés.
  6. En ce qui concerne le cadre relatif aux PGTI dans son ensemble, la majorité des parties ont indiqué qu’il fonctionne comme prévu et qu’il n’avait pas besoin d’être modifié. Cependant, certains groupes de défense des consommateurs ont fait valoir que le cadre n’est pas orienté vers les consommateurs et qu’il est extrêmement exigeant et compliqué de réussir à porter plainte.
  7. TekSavvy a proposé un code de la neutralité du Net qui regrouperait le cadre relatif aux PGTI et la réglementation relative aux pratiques de différenciation des prix, y compris les restrictions ex ante.

Considérations du Conseil

  1. En ce qui a trait aux limites d’utilisation de données, il existe une disparité de la taille des limites d’utilisation de données appliquées pour les services Internet filaires par rapport aux services Internet sans fil, et il existe des structures de marché, des traitements réglementaires et des architectures sous-jacentes du réseau distincts pour chaque type de services. Par conséquent, le Conseil a examiné de manière distincte les limites d’utilisation de données dans ces marchés.

Services filaires

  1. Le libre jeu du marché encouragera probablement les FSI à continuer d’augmenter les limites d’utilisation de données ou de réduire le prix des options illimitées pour les services Internet fixes. Bon nombre de FSI offrent déjà des forfaits illimités comme option par défaut, tandis que d’autres les offrent pour une somme supplémentaire. En outre, dans certains cas, des FSI concurrents offrent des limites d’utilisation de données plus grandes ou des options de données illimitées moins coûteuses que celles offertes par les FSI titulaires. La taille des limites d’utilisation de données et la disponibilité des forfaits illimités connaissent, en règle générale, une augmentation, tandis que le coût par gigaoctet de données connaît quant à lui, en règle générale, une diminution.
  2. Le Conseil a publié au cours des dernières années deux décisions qui ont une incidence sur la concurrence, les investissements et le choix des consommateurs, et il s’attend à ce que ces décisions aient des répercussions favorables sur les limites d’utilisation de données :
    • La politique réglementaire de télécom 2015-326 a élargi l’accès des FSI concurrents aux réseaux de fibres optiques de dernier kilomètreNote de bas de page 27 et a lancé un processus de suivi qui a réduit, de façon temporaireNote de bas de page 28, les tarifs de gros demandés par les entreprises titulaires pour les services d’accès à haute vitesse que les concurrents utilisent pour offrir des services Internet de détail. La version définitive des tarifs est en cours d’élaboration.
    • La politique réglementaire de télécom 2016-496 a établi un objectif de service universel pour les services Internet fixes, notamment des vitesses d’au moins 50 Mbps pour le téléchargement et de 10 Mbps pour le téléversement, ainsi que l’offre d’un forfait de données illimitées.
  3. L’expansion incessante des réseaux de transport et des réseaux de fibre optique de dernier kilomètre, de même que la mise au point et l’avènement continus de technologies avancées continueront de faire baisser les coûts de transport du trafic Internet et d’accroître la capacité des réseaux. Le Conseil s’attend à ce que ces avancées permettront aux FSI de faire profiter aux Canadiens de ces avantages en leur offrant divers forfaits de services distincts comportant des prix plus avantageux, des vitesses et des limites d’utilisation de données plus élevées, ainsi que davantage de forfaits de données illimitées.
  4. En dernier lieu, si le Conseil devait examiner la possibilité d’interdire ou de réglementer certains types de PGTI de nature économique, comme les limites d’utilisation de données, il faudrait qu’il étudie d’autres options en matière de stratégies de gestion de la congestion que les FSI pourraient utiliser; par exemple, les PGTI de nature technique qui peuvent entraîner des coûts de déploiement importants et avoir une incidence sur les prix, les options et les services offerts au détail.

Services sans fil

  1. Le déploiement de technologies de réseau de fine pointe a entraîné des hausses importantes de la bande passante, mais, à cause de contraintes physiques liées au spectre sans fil, les réseaux sans fil ne permettent généralement pas de fournir la même capacité et les mêmes vitesses que les réseaux à large bande fixes. Ainsi, pour contribuer à la réduction de la congestion, les FSSF offrent généralement des forfaits de données comportant des limites d’utilisation de données moins élevées que les forfaits offerts par les réseaux fixes. Toutefois, le libre jeu du marché pourrait être un facteur plus important que la gestion de la congestion pour déterminer la taille des limites d’utilisation de données offertes aux abonnés, étant donné que certains FSSF facturent des prix distincts pour des forfaits de données semblables ou identiques dans des marchés géographiques différents.
  2. Le Conseil estime que le cadre exposé dans la présente décision procurera aux FSSF une incitation accrue pour se faire concurrence et démarquer leurs services en fonction de la vitesse du réseau, de la couverture, des forfaits de services et des limites d’utilisation de données, y compris les options d’utilisation de données illimitées.
  3. De plus, le Conseil a récemment publié des décisions relatives au marché des services Internet sans fil :
    • La politique réglementaire de télécom 2015-177 a permis de garantir que les FSSF régionaux ont accès aux services d’itinérance des FSSF nationaux à des taux tarifés, pour favoriser la construction de réseaux sans fil et aider à protéger la concurrence offerte par les FSSF régionaux.
    • La politique réglementaire de télécom 2013-271 (Code sur les services sans fil), qui est en cours d’examen (voir l’avis de consultation de télécom 2016-293), comprend des règles qui prévoient l’utilisation d’un langage simple, impose des exigences en matière d’avis et restreint les frais d’utilisation excédentaire de données.
  4. En ce qui concerne la proposition de code de la neutralité du Net de TekSavvy, le Conseil est d’avis qu’il n’est pas nécessaire de créer un nouveau code de la neutralité du Net distinct au Canada. L’intention du législateur telle qu’elle est exprimée aux termes de la Loi (en particulier au paragraphe 27(2)) ainsi que la présente décision, le cadre relatif aux PGTI, la décision concernant les services de télé mobile et la décision du Conseil au sujet du programme Musique illimitée de Vidéotron, constituent véritablement le code de la neutralité du Net au Canada. Ce code continuera d’évoluer en fonction, notamment, des changements technologiques et des pratiques commerciales.

Conclusions relatives aux interventions concernant les limites d’utilisation de données et le cadre relatif aux PGTI

  1. Compte tenu de ce qui précède, le Conseil continuera de surveiller étroitement les prix de détail et les limites d’utilisation de données pour les services Internet sans fil et fixes, ce qui lui permettra d’évaluer la mesure dans laquelle les prix et la qualité des réseaux suivent la demande de données sans cesse croissante de la part des consommateurs. Cette approche offre également au Conseil du temps pour surveiller les effets positifs sur la concurrence, comme l’augmentation des limites de données, auxquels le Conseil s’attend à la suite de ses décisions récentes sur les services d’accès à large bande de gros et les services d’itinérance de gros, l’évolution du libre jeu du marché et le déploiement continu de technologies de réseau avancées, comme la technologie de fibre jusqu’au domicile.
  2. Le Conseil s’attend à ce que les investissements dans le réseau continuent d’être la principale solution pour gérer la congestion sur le réseau, comme il est décrit dans le cadre relatif aux PGTI. Le Conseil s’attend aussi à ce que les FSI offrent des forfaits de données qui continuent de répondre aux attentes changeantes des consommateurs en ce qui concerne les prix, les vitesses et la capacité. Par conséquent, le Conseil ne lancera pas, à l’heure actuelle, d’instance pour examiner les limites d’utilisation de données ou le cadre relatif aux PGTI.

Instructions

  1. Le Conseil est tenu, dans l’exercice des pouvoirs et fonctions que lui confère la Loi, de mettre en œuvre les objectifs stratégiques énoncés à l’article 7 de la Loi conformément aux InstructionsNote de bas de page 29. De l’avis du Conseil, les conclusions exposées dans la présente décision sont conformes aux Instructions.
  2. En particulier, la décision du Conseil de mettre en œuvre un cadre ex post fondé sur les plaintes et soutenu par des critères d’évaluation spécifiques a) s’appuie, autant que possible, sur le libre jeu du marché, b) vise à supprimer les obstacles à l’entrée sur le marché, c) constitue une mesure efficace et correspondant à son but, qui consiste de prévenir des violations du paragraphe 27(2) de la Loi, et d) est mise en œuvre de manière neutre sur le plan de la concurrence.

Secrétaire générale

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