Décision de télécom CRTC 2017-105

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Référence : Avis de consultation de télécom 2016-192

Ottawa, le 20 avril 2017

Numéros de dossiers : 8661-P8-201510199, 8622-V42-201510735, 1011-NOC2016-0192

Plaintes contre Québecor Média inc., Vidéotron ltée et Vidéotron s.e.n.c. alléguant une préférence et un désavantage indus et déraisonnables concernant le programme Musique illimitée

Le Conseil conclut que Québecor Média inc., Vidéotron ltée et Vidéotron s.e.n.c. (collectivement Vidéotron) contreviennent au paragraphe 27(2) de la Loi sur les télécommunications (Loi) en exemptant les données consommées dans le cadre du programme Musique illimitée des frais d’utilisation de données. Le paragraphe 27(2) interdit aux entreprises canadiennes, d’accorder, y compris envers elles-mêmes, une préférence indue ou déraisonnable, ou encore de faire subir un désavantage de même nature. Vidéotron a accordé une préférence indue aux abonnés dont le forfait est assorti du programme Musique illimitée et aux fournisseurs des services visés par le programme et a fait subir aux fournisseurs et aux consommateurs d’autres contenus et services un désavantage correspondant de même nature.

Le programme Musique illimitée permet à certains abonnés des services sans fil mobiles de Vidéotron d’accéder à certains services de diffusion de musique en continu sans que les données consommées pour ces services soient déduites des limites mensuelles d’utilisation de données prévues dans leur forfait.

Le Conseil ordonne à Vidéotron de se conformer au paragraphe 27(2) de la Loi en ce qui concerne les frais d’utilisation de données relatifs au programme Musique illimitée au plus tard le 19 juillet 2017. Vidéotron doit informer le Conseil dès qu’elle sera conforme et lui expliquer les mesures de redressement apportées.

La présente décision favorise la liberté des consommateurs à accéder au contenu en ligne de leur choix et appuie la capacité de tous les fournisseurs de contenu d’innover. Elle encourage également les fournisseurs de services Internet à se faire concurrence et à innover selon les capacités de leurs réseaux ainsi qu’à offrir une diversité de forfaits de données basés sur la vitesse ou le volume afin de fournir de meilleurs choix pour les consommateurs canadiens.

Demande

  1. Le er septembre 2015, le Conseil a reçu une demande en vertu de la partie 1 de la part de l’Association des consommateurs du Canada, du Centre pour la défense de l’intérêt public et du Council of Senior Citizens’ Organisations of British Columbia (collectivement l’ACC-CDIP-COSCO) au sujet du programme Musique illimitée offert par Québecor Média inc. et ses filiales à part entière Vidéotron ltée et Vidéotron s.e.n.c. (collectivement Vidéotron). Le 4 septembre 2015, le Conseil a reçu une demande en vertu de la partie 1 de la part de Vaxination Informatique (Vaxination) sur le même sujet.
  2. Les demandeurs étaient opposés à la pratique de Vidéotron consistant à exempter les données utilisées dans le cadre de son programme Musique illimitée des limites standard d’utilisation mensuelle de donnéesNote de bas de page 1 et des frais d’utilisation de données qui s’appliquent généralement à ses services sans fil. Ils ont demandé que le Conseil interdise à Vidéotron d’appliquer cette exemption, faisant valoir que les pratiques de facturation de Vidéotron relatives au programme Musique illimitée sont injustement discriminatoires et contreviennent donc au paragraphe 27(2) de la Loi sur les télécommunications (Loi). Les demandeurs ont aussi indiqué que ces pratiques ne respectaient pas le Cadre relatif aux pratiques de gestion du trafic Internet (PGTI) établi dans la politique réglementaire de télécom 2009-657.

Contexte

  1. Le programme Musique illimitée, lancé le 27 août 2015, permet aux clients des services de téléphonie sans fil mobile de Vidéotron d’accéder à certains services de diffusion de musique en continuNote de bas de page 2 sans encourir de frais d’utilisation de données à condition de s’abonner à certains forfaits (p. ex. un forfait assorti d’une limite d’utilisation de données d’au moins 2 gigaoctets [Go]) et d’utiliser un téléphone intelligent doté de la capacité d’évolution à long terme (LTE) configuré pour le réseau LTE de Vidéotron. Autrement dit, les données consommées par ces services de diffusion de musique en continu ne comptent pas dans le calcul de la limite d’utilisation appliquée aux forfaits de téléphonie sans fil mobile des clients concernés. Les clients des services de téléphonie sans fil mobile de Vidéotron qui satisfont aux critères susmentionnés ont automatiquement accès au programme Musique illimitée, c’est-à-dire qu’ils n’ont pas à y adhérer précisément. Cependant, aucun rabais ou offre de rechange n’est offert aux clients admissibles qui n’utilisent pas le programme visé.
  2. Les clients de Vidéotron admissibles ne peuvent se prévaloir du programme Musique illimitée s’ils utilisent un réseau privé virtuel (RPV)Note de bas de page 3 ou Internet en mode modemNote de bas de page 4. De plus, la consommation de données pendant l’utilisation du programme Musique illimitée en cas d’itinérance est assujettie aux restrictions prévues dans le forfait de téléphonie sans fil mobile du client. Le programme Musique illimitée ne s’applique qu’à la diffusion de musique en continu et exclut le téléchargement de chansons et d’autre contenu non musical (tels que des vidéos) au moyen des applications des fournisseurs des services de diffusion de musique en continu. Musique illimitée permet un téléchargement de données exonérées des frais habituels liés à l’utilisation de données à une vitesse maximale de 128 kilobits par seconde (kbps).
  3. Tout fournisseur de service de diffusion de musique en continu admissibleNote de bas de page 5 qui souhaite participer au programme Musique illimitée doit signer une lettre d’entente avec Vidéotron. Vidéotron a indiqué qu’il n’y a aucun échange d’argent entre elle et les fournisseurs participants.

Instance

  1. À la suite du dépôt des demandes susmentionnées, le Conseil a reçu des observations de la part de : l’Association québécoise de l’industrie du disque, du spectacle et de la vidéo (ADISQ); Bragg Communications Inc., exerçant ses activités sous le nom d’Eastlink (Eastlink); la Clinique d’intérêt public et de politique d’Internet du Canada (CIPPIC); le Consortium des Opérateurs de Réseaux Canadiens Inc. (CORC); Benjamin Klass; Fenwick McKelvey; Marc Nanni; Newcap Inc., Rogers Media Inc., Corus Entertainment Inc., le Jim Pattison Broadcast Group, Vista Radio Ltd. et Golden West Broadcasting Inc. (collectivement Newcap et autres); OpenMedia; Rogers Communications Inc. (Rogers); Sandvine Incorporated (Sandvine); la Société TELUS Communications (STC) et Vidéotron.
  2. Plusieurs parties ont exprimé des préoccupations générales concernant les pratiques de facturation où les données consommées pour certains services sont exemptées des limites d’utilisation de données comprises dans le forfait du client (pratiques d’exonération des données). Ces parties ont notamment argué que les pratiques d’exonération des données minent le principe de la neutralité du Net, selon lequel, d’après elles, les fournisseurs de services d’accès Internet (FSI) devraient traiter tout le trafic sur Internet de la même manière. Certaines parties ont demandé que le Conseil amorce une instance publique pour examiner ces pratiques. Quelques parties ont soulevé d’autres difficultés, notamment relativement à l’article 36 de la Loi, lequel prévoit que les entreprises canadiennes ne doivent pas régir le contenu ou influencer le sens ou l’objet des télécommunications qu’elles acheminent, et ont manifesté des préoccupations au sujet de la confidentialité et de la sécurité de l’information et de l’accès au contenu exclusif.
  3. Compte tenu de la présente instance et de l’instance qui a mené à la décision de radiodiffusion et de télécom 2015-26 concernant les services de télé mobile de Bell Mobilité inc. et de Vidéotron (décision concernant les services de télé mobile), le Conseil est convaincu que les pratiques d’exonération des données et les autres pratiques de différenciation des prixNote de bas de page 6 risquent fortement de devenir de plus en plus répandues au Canada. Plutôt que de rendre des décisions au cas par cas, le Conseil a décidé d’entreprendre une analyse exhaustive des enjeux entourant les pratiques de différenciation des prix et de répondre aux questions soulevées par ces pratiques. Ainsi, dans l’avis de consultation de télécom 2016-192, le Conseil a amorcé une instance publique afin de fournir à l’industrie un cadre clair sur la façon dont il compte généralement traiter les pratiques de différenciation des prix, particulièrement dans les cas mettant en jeu la discrimination injuste ou une préférence ou un désavantage indu ou déraisonnable (paragraphe 27(2) de la Loi). Par la présente instance, le Conseil vise à augmenter la certitude sur le marché et à garantir que les FSI et les consommateurs profitent d’un cadre clair et transparent sur les pratiques de différenciation des prix.
  4. Ainsi, le dossier de l’instance en vertu de la partie 1 concernant le programme Musique illimitée a été versé au dossier de l’instance lancée par l’avis de consultation de télécom 2016-192, et la conclusion du Conseil dans la présente décision est fondée sur ce deuxième dossier, dont la portée est plus générale. Le dossier public de l’instance combinée est accessible sur le site Web du Conseil, à l’adresse www.crtc.gc.ca ou au moyen des numéros de dossiers indiqués ci-dessus.
  5. Parallèlement à la publication de la présente décision, le Conseil publie la politique réglementaire de télécom 2017-104, dans laquelle il présente ses conclusions relatives aux questions soulevées par l’instance lancée par l’avis de consultation de télécom 2016-192 et établit un cadre réglementaire sur l’utilisation des pratiques de différenciation des prix.

Question

  1. Après avoir examiné le dossier complet de la présente instance, le Conseil a déterminé que la question à traiter dans la présente décision est de savoir si Vidéotron contrevient au paragraphe 27(2) de la Loi lorsqu’elle agit à titre d’entreprise canadienne offrant des services de télécommunication pour le transport de son programme Musique illimitée vers les appareils mobiles de ses abonnés.

Est-ce que Vidéotron contrevient au paragraphe 27(2) de la Loi?

  1. Dans la décision de télécom 96-14 et les décisions subséquentes, le Conseil s’est abstenu de réglementer les services de données sans fil mobiles, qui peuvent servir à offrir l’accès Internet aux abonnés du service de téléphonie sans fil mobile. Dans la décision de télécom 2010-445, le Conseil a modifié le cadre d’abstention concernant ces services en assujettissant leur offre et leur fourniture par les entreprises canadiennes à ses pouvoirs et fonctions aux termes de l’article 24 et des paragraphes 27(2), 27(3) et 27(4) de la Loi. Dans cette décision, il a estimé que ces modifications étaient appropriées et lui permettraient de traiter, entre autres, les cas de discrimination injuste et de préférence indue au chapitre de la prestation de services de données sans fil mobiles par les entreprises canadiennes.
  2. Compte tenu des objectifs de la politique de télécommunication établis à l’article 7 de la LoiNote de bas de page 7, le Conseil traitera les plaintes reçues au sujet du programme Musique illimitée de Vidéotron en appliquant les paragraphes suivants de la Loi :

    27(2) Il est interdit à l’entreprise canadienne, en ce qui concerne soit la fourniture de services de télécommunication, soit l’imposition ou la perception des tarifs y afférents, d’établir une discrimination injuste, ou d’accorder — y compris envers elle-même — une préférence indue ou déraisonnable, ou encore de faire subir un désavantage de même nature.

    27(4) Il incombe à l’entreprise canadienne qui a fait preuve de discrimination, accordé une préférence ou fait subir un désavantage d’établir, devant le Conseil, qu’ils ne sont pas injustes, indus ou déraisonnables, selon le cas.

Résumé des positions des parties

  1. Plusieurs parties, y compris l’ACC-CDIP-COSCO, la CIPPIC, le CORC, Newcap et autres, Rogers et Vaxination, MM. Klass et McKelvey, ont allégué que Vidéotron, par son programme Musique illimitée, fait preuve de discrimination à l’égard des services et des personnes suivants :
    • les clients de Vidéotron admissibles qui veulent utiliser n’importe quel service ou application Internet qui n’est pas inclus dans le programme Musique illimitée;
    • les services ou les applications Internet qui ne sont pas inclus dans le programme Musique illimitée;
    • les clients des services sans fil mobiles de Vidéotron qui ne sont pas admissibles au programme Musique illimitée.
  2. L’ACC-CDIP-COSCO, la CIPPIC, le CORC, Eastlink, Newcap et autres, Rogers, Vaxination, MM. Klass et McKelvey ont argué que Musique illimitée est offert en violation du paragraphe 27(2) de la Loi. Un certain nombre de parties ont indiqué que le programme pourrait nuire au développement de nouveaux services en ligne, puisqu’il compliquerait l’entrée sur le marché des fournisseurs de ces nouveaux services. Qui plus est, beaucoup ont soutenu qu’en appliquant l’exonération des données uniquement à certains services de diffusion de musique en continu en ligne qu’elle a sélectionnés, Vidéotron fait office de contrôleur qui choisit les gagnants et les perdants parmi les services de contenu sur Internet et que cette situation viole les principes de la neutralité du Net.
  3. Newcap et autres ont fait valoir que Vidéotron cause un désavantage indu et déraisonnable à toutes les stations de radio canadiennes qui diffusent leur contenu en continu sur Internet dans le contexte de Musique illimitée, puisque les clients engageraient des frais pour écouter ce contenu par l’entremise du réseau de données sans fil mobiles de Vidéotron. Newcap et autres ont ajouté que l’augmentation de la concurrence provenant de nouvelles sources numériques de programmation audio, la plupart n’étant pas réglementées, fait en sorte qu’il est de plus en plus important que les diffuseurs radiophoniques aient accès à un terrain de jeu équitable sur Internet et les plateformes mobiles.
  4. Certaines parties ont fait valoir que l’exonération des données relatives aux services de diffusion de musique en continu est discriminatoire à l’égard des personnes qui ont une déficience auditive.
  5. Vidéotron a déclaré ne pas contester le fait que son programme Musique illimitée confère un avantage à ses clients admissibles qui utilisent le programme ainsi qu’à certains fournisseurs de services de diffusion de musique en continuNote de bas de page 8. Cependant, elle a nié que cet avantage est indu, indiquant que les fournisseurs de services sans fil comme elle doivent adopter de nouvelles stratégies pour améliorer leurs services et faire en sorte que ces derniers se démarquent afin d’attirer de nouveaux clients.
  6. Vidéotron a fait valoir que Musique illimitée est un programme démocratique qui permet la participation de tous les fournisseurs de services de diffusion de musique en continu qui satisfont à ses critères techniques. L’entreprise a expliqué que sa décision d’axer le programme sur les services de diffusion de musique en continu plutôt que sur les stations de radio qui diffusent leur contenu sur Internet est fondée sur les tendances chez les personnes âgées de 14 à 34 ans, qui écoutent beaucoup moins la radio que les autres groupes d’âge. De plus, Vidéotron a aussi mentionné des défis administratifs et techniques reliés à l’inclusion des quelque 700 stations de radio canadiennes dans le programme Musique illimitée.
  7. Vidéotron a aussi indiqué que les paramètres techniques pour l’admissibilité au programme Musique illimitée, y compris la vitesse de 128 kbps, représentent des restrictions raisonnables visant à garantir que les services n’entraînent pas les problèmes relatifs à la congestion mentionnés par le Conseil dans la décision concernant les services de télé mobile.
  8. Vidéotron a indiqué que l’objectif d’affaires lié au programme Musique illimitée est d’offrir à un segment de sa clientèle un avantage qui lui plaira et d’attirer de nouveaux clients. Vidéotron, ainsi que Sandvine et la STC, ont fait valoir que Musique illimitée est un programme innovant qui lui permet d’améliorer et de démarquer son service de celui des autres fournisseurs de services sans fil en vue d’attirer de nouveaux clients et de fidéliser les clients à la marque. Selon ces parties, de telles activités reflètent une saine concurrence sur le marché et leurs effets cumulatifs ont pour résultat un plus grand choix et une valeur ajoutée pour les consommateurs.

Résultats de l’analyse du Conseil

  1. L’examen du Conseil relativement à une allégation de préférence ou de désavantage indu ou déraisonnable, aux termes du paragraphe 27(2) de la Loi, s’effectue en deux étapes. Le Conseil doit d’abord déterminer si le comportement visé constitue une préférence ou un désavantage pour quiconque. Si tel est le cas, il doit déterminer si la préférence ou le désavantage est indu ou déraisonnable.
Détermination relative à la préférence ou au désavantage
  1. Le Conseil est d’accord avec Vidéotron que son programme Musique illimitée donne un avantage a) à ses abonnés des services sans fil qui écoutent de la musique diffusée en continu et qui sont admissibles au programme et b) aux fournisseurs des services de diffusion de musique en continu inclus dans ce programme. Les membres du premier groupe peuvent accéder à une quantité de données supérieure à la limite indiquée dans leur forfait et le second groupe peut élargir sa clientèle.
  2. De plus, le Conseil estime que les abonnés admissibles de Vidéotron qui choisissent d’accéder à des services exclus du programme Musique illimitée font l’objet d’un désavantage. Puisque leur utilisation de données pour les services exclus n’est pas exemptée des frais d’utilisation de données, comme c’est le cas pour les services inclus, ils doivent accéder aux services choisis à un coût potentiellement beaucoup plus élevéNote de bas de page 9. En outre, les abonnés de Vidéotron qui ne sont pas admissibles au programme Musique illimitée font l’objet d’un désavantage, puisqu’ils ne peuvent accéder aux services inclus sans encourir de frais de donnéesNote de bas de page 10. Finalement, les fournisseurs de contenu non admissibles à participer au programme Musique illimitée, parce qu’il ne s’agit pas de services de diffusion en continu ou pour toute autre raison, font aussi l’objet d’un désavantage : non seulement n’ont-ils pas la même possibilité d’élargir leur clientèle que les fournisseurs participants, mais ils peuvent s’attendre à perdre des clients si les abonnés admissibles choisissent d’accéder aux services inclus plutôt qu’à leurs services pour éviter de payer des frais de données.
  3. Le Conseil estime que les services qui diffusent principalement de la musique, mais qui sont exclus du programme Musique illimitée, comme les stations de radio canadiennes qui diffusent leur contenu en continu sur Internet, sont comparables (essentiellement les mêmes) aux services de diffusion de musique en continu inclus, puisqu’ils offrent des fonctions semblables et ciblent souvent les mêmes consommateurs.
  4. Lorsqu’un consommateur s’abonne à un forfait de données sans fil, il le fait non seulement pour accéder à des services de musique, mais pour accéder à l’ensemble du contenu sur Internet. Les fonctions assurées par Vidéotron pour établir la connexion aux données et fournir le transport sur son réseau sont les mêmes, peu importe si le contenu est transporté dans le cadre de son programme Musique illimitée ou s’il s’agit d’autres types de contenu musical ou de tout autre contenu.
  5. Par contre, les données utilisées par un abonné admissible qui accède au contenu de Musique illimitée ne sont pas comptées dans le calcul des limites d’utilisation de données de son forfait de services sans fil, alors que les données associées à d’autres services de contenu (même ceux qui requièrent des débits binaires similaires ou inférieurs à ceux offerts par le programme Musique illimitée) sont comptées. Par conséquent, le coût pour le consommateur d’accéder au contenu de Musique illimitée au moyen du réseau sans fil peut être très différent du coût pour accéder à d’autres contenus en ligne.
  6. Compte tenu de ce qui précède, le Conseil conclut que, en fournissant l’accès à certains services de diffusion de musique en continu selon des tarifs différents, Vidéotron :
    • accorde une préférence à ses abonnés admissibles qui accèdent au programme Musique illimitée;
    • accorde une préférence aux fournisseurs de contenu inclus dans le programme;
    • assujettit à un désavantage ses abonnés non admissibles au programme ou qui consomment d’autres contenus ou services;
    • assujettit à un désavantage les fournisseurs de contenu et services non inclus dans le programme.
Nature indue ou déraisonnable de la préférence ou du désavantage
  1. Une préférence ou un désavantage n’est pas en soi contraire à la Loi, à moins que le Conseil ne détermine qu’il est indu ou déraisonnable. Dans ce cas, conformément au paragraphe 27(4) de la Loi, il incombe à Vidéotron d’établir devant le Conseil que la préférence ou le désavantage n’est pas indu ou déraisonnable.
  2. En outre, en vertu de l’article 28 de la Loi, le Conseil doit tenir compte de la politique de radiodiffusion énoncée dans la Loi sur la radiodiffusion pour déterminer s’il y a préférence ou désavantage indu ou déraisonnable dans une transmission d’émissions.
  3. Vidéotron a argué qu’elle ne sélectionne pas les partenaires de son programme Musique illimitée : le programme est offert à tous les fournisseurs de services de diffusion de musique en continu et chaque fournisseur décide de participer ou non. Par contre, le dossier indique que Vidéotron a communiqué avec certains fournisseurs bien connus pour les informer de la disponibilité du programme Musique illimitée et les inviter à participerNote de bas de page 11. Il n’est pas évident comment les fournisseurs de petite taille ou moins connus doivent découvrir le programme.
  4. Le nombre de services inclus dans le programme Musique illimitée au cours des 20 mois depuis son lancement ne représente qu’une faible partie des services de musique semblables offerts sur Internet. De plus, d’après le dossier de la présente instance, l’inclusion des services a exigé, en moyenne, 5,5 mois de négociations entre Vidéotron et le fournisseur de contenu. Des négociations sont en cours en vue d’inclure d’autres servicesNote de bas de page 12. Le délai requis pour ajouter des services illustre le défi posé par l’offre d’un forfait inclusif, même quand une entreprise est intéressée. De tels délais, dans un environnement qui évolue aussi rapidement qu’Internet, pourraient avoir une incidence considérable sur les services exclus du programme Musique illimitée, que ce soit parce que les fournisseurs de ces services n’ont pas réussi à conclure un accord avec Vidéotron ou parce qu’ils ne connaissent pas le programme.
  5. Puisque l’accès au programme Musique illimitée fait l’objet d’une exemption relative aux frais de données standard pour les abonnés admissibles, les frais imposés à ces abonnés pour accéder sur leur appareil mobile au contenu exclu du programme peut être considérablement plus élevé que ceux pour accéder au contenu offert dans le cadre de Musique illimitée. Les abonnés admissibles de Vidéotron ont donc un incitatif économique pour accéder au contenu inclus, lequel diffère de tout autre contenu. Par conséquent, les fournisseurs de contenu non inclus, comme les stations de musique en ligne et les autres services de musique en continu, sont assujettis à un désavantage puisqu’on peut s’attendre à ce que les abonnés choisissent d’accéder au contenu inclus exonéré dans le programme plutôt qu’à un contenu non inclus.
  6. Vidéotron a argué qu’elle avait des raisons d’ordre technique et administratif pour exclure les stations de radio en ligne de son programme Musique illimitée, notamment le grand nombre de stations. Par contre, puisque les stations de radio en ligne qui diffusent principalement de la musique sont substantiellement semblables aux services de diffusion de musique en continu, le Conseil conclut que les raisons pour lesquelles Vidéotron ne les inclut pas ne sont pas suffisamment persuasives pour justifier le désavantage auquel sont assujetties ces stations.
  7. Compte tenu de ce qui précède, le Conseil conclut que la pratique de Vidéotron d’exonérer les données de certains contenus est généralement dommageable pour les consommateurs et les fournisseurs de contenu, puisqu’elle favorise certains contenus ou applications par rapport à d’autres. À la longue, une telle pratique peut décourager l’élaboration d’autres applications et services, au détriment des Canadiens. De plus, le Conseil estime que la création et l’offre de services de données tarifés différemment en fonction du contenu permettraient aux FSI de choisir des gagnants et des perdants. De l’avis du Conseil, il s’agit d’un exemple clair d’un FSI exerçant le rôle de contrôleur, ce qui est contraire aux objectifs de la politique énoncés dans la Loi, et en particulier aux alinéas 7a), 7c), 7g) et 7h).
  8. En ce qui concerne l’argument de Vidéotron selon lequel le programme Musique illimitée représente une tentative de démarquer son service et d’attirer de nouveaux clients, le Conseil fait remarquer que les FSI ont diverses options pour différencier leurs services de télécommunication (prix, vitesse, etc.) et que la concurrence en matière de services Internet sans fil de détail doit être fondée sur la qualité du service lui-même et non sur un contenu privilégié choisi par un FSI. Les FSI fournissent l’accès au contenu en ligne : le fait d’offrir un accès illimité à un contenu sélectionné donnerait au FSI une influence indue sur le contenu auquel choisissent d’accéder ses abonnés, ce qui aurait une incidence importante sur le développement de contenu. Il ne s’agit pas là d’un rôle approprié pour un FSI, puisque cela serait contraire aux objectifs de la politique énoncés aux alinéas 7a), 7b), 7c) et surtout 7g) de la Loi.
  9. Vidéotron a fait valoir qu’elle considère son programme Musique illimitée comme une prime qui donne une valeur ajoutée à ses abonnés. Selon les prévisions d’utilisation versées par Vidéotron au dossier de la présente instance, les utilisateurs de services inclus dans le programme Musique illimitée pourraient consommer une quantité substantielle de données supplémentaires dépassant leurs limites d’utilisation mensuelle de données. Par contre, seuls les abonnés aux forfaits de données qui offrent des limites d’utilisation de données et des vitesses supérieures auront droit aux données supplémentaires, ce qui exclut les autres abonnés.
  10. De plus, les abonnés de Vidéotron qui sont admissibles au programme Musique illimitée, mais que ce programme n’intéresse pas ou qui ne sont pas en mesure d’en profiter (p. ex. en raison d’une déficience auditive) ne reçoivent pas de rabais ni de bloc de données supplémentaires pour d’autres services. Par conséquent, le programme Musique illimitée pourrait exacerber les inégalités existantes, puisque les clients qui ont déjà plus de données en obtiennent encore plus (et donc, payent moins par octet) que les clients qui ne consomment pas de musique. Le Conseil conclut que ce résultat est contraire aux objectifs de la politique énoncés aux alinéas 7a), 7b) et 7h) de la Loi.
Objectifs de radiodiffusion
  1. Certaines parties ont suggéré qu’une pratique de différenciation des prix comme le programme Musique illimitée pourrait être utilisée pour faire la promotion du contenu créé par des Canadiens, mais Vidéotron a fait valoir que l’effort qu’elle aurait pu faire dans le cadre du programme pour distinguer les services de musique canadiens et leur accorder un traitement spécial aurait été contraire au principe de non-discrimination énoncé au paragraphe 27(2) de la Loi.
  2. Comme l’ont indiqué Newcap et autres, Rogers et Vaxination, certaines stations de radio canadiennes profitent davantage de l’économie numérique. En créant une mesure incitative importante pour encourager ses clients admissibles à choisir certains services de diffusion de musique en continu seulement plutôt que des stations de radio canadiennes qui diffusent leur contenu en ligne, Vidéotron ne privilégie pas la programmation canadienne de quelque manière que ce soit. Les pratiques de Vidéotron ne favorisent donc pas la réalisation des objectifs de la politique de radiodiffusion établis au paragraphe 3(1) de la Loi sur la radiodiffusion qui visent, entre autres, à sauvegarder, enrichir et renforcer la structure culturelle, politique, sociale et économique du Canada et à favoriser l’épanouissement de l’expression canadienne.
  3. Compte tenu de ce qui précède, le Conseil conclut qu’on ne peut justifier la préférence ou le désavantage inhérent au programme Musique illimitée en vertu de la politique de radiodiffusion établie dans la Loi sur la radiodiffusion.
Conclusion
  1. Compte tenu de tout ce qui précède, le Conseil conclut que Vidéotron n’a pas réussi à démontrer ce qui suit :
    • que la préférence donnée à ses clients admissibles qui accèdent aux services de diffusion de musique en continu inclus dans Musique illimitée et aux fournisseurs de ces services n’est pas indue ou déraisonnable;
    • que le désavantage pour les clients non admissibles et les clients admissibles qui utilisent ou veulent utiliser des contenus non inclus dans le programme Musique illimitée n’est pas indu ou déraisonnable;
    • que le désavantage pour les fournisseurs de services ou de contenu qui ne sont pas inclus, y compris des services substantiellement similaires, par exemple les stations de radio en ligne qui diffusent principalement de la musique, n’est pas indu ou déraisonnable.
  2. De plus, compte tenu des préoccupations susmentionnées relatives à l’exclusion des services de radio, du nombre limité de services qui participent à Musique illimitée et de l’influence du programme sur les choix des consommateurs quant au contenu auquel ils accèdent, le Conseil conclut que les préférences et les désavantages susmentionnés sont en fait indus et déraisonnables.
  3. Par conséquent, le Conseil conclut que, lorsqu’elle fournit à certains de ses abonnés de son service d’accès Internet de détail, dans le cadre du programme Musique illimitée, l’accès à des contenus sans leur facturer les données visées (contrairement à d’autres contenus non compris dans Musique illimitée et qui sont assujettis à des frais relatifs aux données), Vidéotron a donné à ses abonnés admissibles qui accèdent au programme Musique illimitée, ainsi qu’aux fournisseurs des services inclus, une préférence indue et déraisonnable enfreignant le paragraphe 27(2) de la Loi. De plus, Vidéotron a fait subir un désavantage indu et déraisonnable : a) à ses abonnés non admissibles; b) à ses abonnés admissibles qui n’accèdent pas au service en question; c) aux fournisseurs dont le contenu ou les services ne sont pas inclus dans Musique illimitée, même s’ils sont essentiellement similaires, comme les stations de radio en ligne qui diffusent principalement de la musique; et d) aux autres fournisseurs de contenu non inclus.
  4. Le Conseil ordonne à Vidéotron de se conformer au paragraphe 27(2) de la Loi en ce qui concerne les frais d’utilisation de données de son programme Musique illimitée, et d’aviser ses clients de manière appropriée, au plus tard le 19 juillet 2017. Le Conseil ordonne aussi à Vidéotron de rendre compte au Conseil du moment où elle est devenue conforme et des mesures prises pour se conformer.
  5. Le Conseil fait remarquer que les demandeurs et certaines parties ont soulevé des préoccupations à savoir si Vidéotron, en ce qui concerne ses pratiques de facturation pour le programme Musique illimitée, a contrevenu au cadre relatif aux PGTI et à l’article 36 de la Loi. Toutefois, puisque le Conseil a déjà conclu que le programme est contraire au paragraphe 27(2) de la Loi et a ordonné à Vidéotron de se conformer à cette disposition en ce qui concerne Musique illimitée, il n’estime pas nécessaire de rendre une conclusion relative à l’article 36 ou au cadre relatif aux PGTI.
  6. En ce qui concerne les préoccupations relatives à la confidentialité et à la sécurité des renseignements soulevées par certaines parties dans le cadre de l’instance, le Conseil signale qu’il a, dans diverses décisions, y compris les politiques réglementaires de télécom 2009-657 et 2009-723, établi des mesures réglementaires pour protéger les renseignements des clients et la vie privée des consommateurs. Dans le cas présent, les éléments de preuve au dossier n’indiquent pas que des renseignements personnels ou confidentiels de clients de Vidéotron ont été communiqués aux partenaires de Vidéotron qui fournissent des services de diffusion de musique en continu dans le cadre du programme Musique illimitée, ce qui serait contraire aux règles établies par le Conseil.

Analyse au titre des critères d’évaluation de la politique réglementaire de télécom 2017-104

  1. Le Conseil a déjà déterminé que Vidéotron contrevient au paragraphe 27(2) de la Loi en offrant son programme Musique illimitée. Cependant, comme cette conclusion est fondée sur le dossier complet de l’instance qui a donné lieu à la politique réglementaire de télécom 2017-104 ainsi qu’à la présente décision, le Conseil a également examiné les demandes en vertu de la partie 1 déposées par l’ACC-CDIP-COSCO et Vaxination en fonction des quatre critères d’évaluation définis dans la politique réglementaire de télécom 2017-104, nommément :
    • le traitement des données non basé sur le contenu;
    • l’exclusivité de l’offre;
    • l’incidence sur l’ouverture et l’innovation relatives à Internet;
    • la présence d’une rémunération.

Traitement des données non basé sur le contenu

  1. Dans la politique réglementaire de télécom 2017-104, le Conseil a conclu qu’en offrant des pratiques de différenciation des prix pour certains contenus dans le cadre de services d’accès Internet de détail, les FSI soulèveraient en général des préoccupations quant à une préférence ou un désavantage indu ou déraisonnable au sens du paragraphe 27(2) de la Loi.
  2. Le programme Musique illimitée donne à certains abonnés un accès illimité à certains services de diffusion de musique en continu, tandis que toutes les autres données qu’ils consomment sont comptées et facturées en fonction de leur forfait de données.
  3. Ainsi, Musique illimitée ne satisfait pas à ce critère.

Exclusivité de l’offre

  1. Dans la politique réglementaire de télécom 2017-104, le Conseil a estimé qu’en réservant une pratique de différenciation des prix aux abonnés d’un forfait de données en particulier, un FSI soulèverait généralement des préoccupations relativement au paragraphe 27(2) de la Loi.
  2. L’information versée au dossier indique que le programme Musique illimitée est uniquement accessible aux clients qui ont souscrit un forfait de niveau supérieur dont la limite est de 2 Go de données ou qui combinent un forfait limité à 1 Go et un accès Internet à domicile. Qui plus est, le nombre de services de diffusion de musique en continu inclus au programme est limité, et tout autre contenu est exclu.
  3. Ainsi, Musique illimitée ne satisfait pas à ce critère.

Incidence sur l’ouverture et l’innovation relatives à Internet

  1. Puisque le programme Musique illimitée favorise certains services de musique par rapport à d’autres et qu’il exclut beaucoup de types de services de musique en ligne, notamment les stations de radio canadiennes diffusant du contenu en continu, le Conseil est d’avis qu’il pourrait avoir un impact négatif sur l’ouverture d’Internet et le choix des consommateurs. Par exemple, bien qu’il puisse sembler que certains Canadiens obtiennent accès à un volume accru de données par l’entremise du programme, les FSI plutôt que les Canadiens choisissent le contenu exonéré des données, et cette approche favorisant certains contenus pourrait avoir une incidence sur la quantité et le choix de contenu pour les Canadiens. De plus, en rendant certains contenus attrayants pour les consommateurs en misant sur le prix plutôt que sur la valeur intrinsèque et en créant des obstacles à l’entrée pour les fournisseurs de contenu exclus, Musique illimitée complique la tâche des fournisseurs de contenu qui souhaitent lancer leur service et avoir accès aux clients. Enfin, un programme tel que Musique illimitée favorise généralement les fournisseurs de contenu de grande taille et bien établis au détriment des petits fournisseurs et des nouveaux concurrents, y compris des stations de radio canadiennes qui diffusent leur programmation sur Internet.
  2. Ainsi, Musique illimitée ne satisfait pas à ce critère.

Rémunération

  1. Les renseignements versés au dossier révèlent qu’il n’y a aucune rémunération entre Vidéotron et les fournisseurs de services de diffusion de musique en continu participant au programme Musique illimitée, mis à part l’utilisation des noms des applications à des fins de marketing.
  2. Ainsi, Musique illimitée satisfait à ce critère.

Circonstances exceptionnelles

  1. D’après le dossier de la présente instance, le Conseil estime qu’il n’existe aucun autre facteur d’atténuation ni de circonstance atténuante associé à l’offre du programme Musique illimitée qui aurait un impact sur son analyse et ses conclusions pour ce dossier.

Conclusion

  1. Compte tenu de ce qui précède, le Conseil conclut que, dans l’ensemble, le programme Musique illimitée ne satisfait pas aux critères d’évaluation de la politique réglementaire de télécom 2017-104 et que Vidéotron, en offrant le programme :
    • accorde une préférence indue à ses abonnés admissibles au programme Musique illimitée qui utilisent les services de diffusion de musique en continu qui y sont inclus et, par le fait même, fait subir un désavantage déraisonnable aux clients non admissibles et aux clients admissibles qui utilisent d’autres contenus ou souhaitent y avoir accès;
    • accorde une préférence indue aux fournisseurs de services de diffusion de musique en continu qui sont compris dans le programme Musique illimitée et, par le fait même, désavantage les fournisseurs d’autres services, notamment les services essentiellement similaires comme les stations de radio sur Internet qui font principalement jouer de la musique.

Secrétaire générale

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