ARCHIVÉ -Avis de consultation de radiodiffusion CRTC 2010-860

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Référence au processus : 2010-41

Autres références : 2010-41-1, 2010-41-2, 2010-861 et 2010-860-1

Ottawa, le 19 novembre 2010

Appel de demandes de licences en vue d’exploiter un service de télévision payante d’intérêt général de langue française

Le Conseil lance un appel de demandes de licences en vue d’exploiter un service de télévision payante d’intérêt général de langue française, sous certaines conditions.

L’opinion minoritaire du conseiller Michel Morin est jointe à la présente décision.

1.      Dans la politique réglementaire de radiodiffusion CRTC 2010-861, également publiée aujourd’hui, le Conseil a conclu que Groupe TVA inc. n’avait pas démontré qu’elle avait satisfait aux critères énoncés dans l’avis public de radiodiffusion 2008-100, pas plus qu’elle n’avait démontré que l’ouverture à la concurrence du genre des services de télévision payante d’intérêt général de langue française servirait l’objectif d’offrir plus de diversité aux consommateurs.

2.      Dans cette politique réglementaire, le Conseil a aussi indiqué qu’un second service de télévision payante de langue française pourrait être viable pourvu que celui-ci ne fasse pas directement concurrence à Super Écran, le service de télévision payante existant.

3.      Par conséquent, par la présente, le Conseil invite la soumission de demandes de toute partie intéressée à obtenir une licence de radiodiffusion afin d’exploiter une entreprise nationale de télévision payante d’intérêt général de langue française.

4.      Les parties intéressées doivent déposer leurs demandes au Conseil au plus tard le 30 mai 2011.

5.      Prière de noter que, bien que le Conseil publie le présent appel de demandes, il n’a pas pour autant conclu à l’attribution d’une licence ou à des privilèges d’accès à l’égard d’un tel service pour l’instant.

6.      Les requérantes devront donc faire la preuve démontrant clairement qu’il existe une demande et un marché pour le service proposé. Ce service, bien qu’autorisé à diffuser des longs métrages, se devra d’être complémentaire à Super Écran. Le Conseil estime qu’il existe un répertoire important de contenu de qualité qui n’est pas diffusé actuellement par Super Écran et qui permettrait à un second service de télévision payante d’intérêt général de s’alimenter et d’apporter de la diversité pour le consommateur et pour le système de radiodiffusion.

7.      Sans limiter la portée des questions devant faire l’objet de l’étude, chaque requérante devra se pencher sur les questions suivantes :

8.      Le Conseil rappelle aussi aux requérantes qu’elles doivent satisfaire aux exigences d’admissibilité énoncées dans le décret intitulé Instructions au CRTC (Inadmissibilité de non-Canadiens), DORS/97-192, 8 avril 1997, modifié par DORS/98-1268, 15 juillet 1998, et dans le décret intitulé Instructions au CRTC (Inadmissibilité aux licences de radiodiffusion), DORS/85-627, 27 juin 1985, modifié par DORS/97-231, 22 avril 1997.

9.      Le Conseil annoncera à une date ultérieure la date et le lieu de l’audience publique où il examinera les demandes reçues ainsi que les endroits où le public pourra consulter les demandes. Le public pourra également formuler des observations sur les demandes en déposant des interventions écrites auprès du Conseil.

10.  Un avis concernant chaque demande sera également publié dans des journaux à grand tirage de la région à desservir. 

Documents connexes

Opinion minoritaire du conseiller Michel Morin

En l’absence d’un vote prépondérant des douze conseillers du Conseil relativement à la demande présentée par Groupe TVA inc. en vue d’exploiter un nouveau service de télévision payante, le Conseil a choisi non pas d’introduire de la concurrence au profit des consommateurs et d’ouvrir le genre à la concurrence, mais plutôt de lancer un appel de demandes de licences pour un nouveau service spécialisé payant d’intérêt général de langue française qui misera sur la « diversité ».

Cette façon de faire constitue une exception pour le marché de langue française. Jamais le Conseil n’a-t-il mis de l’avant, pour le marché de langue anglaise (qui compte deux services concurrentiels de télévision payante d’intérêt général dans la plupart des régions du pays), le critère de la « diversité » comme condition d’octroi d’une licence pour un service de télévision payante d’intérêt général.

Ce faisant, le Conseil s’éloigne des critères objectifs, comme la popularité et la rentabilité du service, qu’il avait pourtant sciemment retenus dans sa politique réglementaire de radiodiffusion 2008-100. Ce sont, à mon avis, ces critères-là qui devraient être priorisés – voire retenus exclusivement – pour l’octroi d’une licence pour un service de télévision payante d’intérêt général.

Par cet appel de demandes de licences, le Conseil accroît, pour le seul marché de langue française, l’arsenal de la réglementation susceptible de conforter, sinon d’assurer pour un avenir prévisible, la position monopolistique qu’occupe Super Écran, le seul service de télévision payante d’intérêt général offert par l’ensemble des entreprises de distribution de radiodiffusion (EDR) œuvrant dans le marché de langue française depuis plus de 25 ans.

La Loi de la radiodiffusion serait mieux servie par un service abordable et concurrentiel

Dès le départ, cette décision touchant un service dont la vocation principale est de distribuer du contenu plutôt que d’en produire m’apparaît contraire à l’un des objectifs fondamentaux de la Loi sur la radiodiffusion (la Loi) qui souligne, à son sous-alinéa 3(l)t)(ii), les « tarifs abordables » auxquels doivent concourir les EDR. Certes, il s’agit ici d’un service spécialisé de radiodiffusion qui, essentiellement et par sa nature, distribue du contenu – de surcroît étranger pour la plupart –, et non un service qui produit du contenu canadien comme nous y invite la Loi. Vu sous cet angle, c’est d’abord l’intérêt des consommateurs qui aurait dû retenir l’attention du Conseil, intérêt qui se serait traduit par des « tarifs abordables ». Tenter d’introduire par la porte arrière un critère de « diversité » pour un service de télévision payante d’intérêt général me semble une mesure vouée à l’échec. Comment le régulateur peut-il agir contre le courant dominant quand les consommateurs trépignent d’impatience pour visionner les derniers succès d’Hollywood sur un service spécialisé? En réalité, le concept de « diversité » s’accorde mal avec la définition d’un service « payant d’intérêt général ».

Dans le contexte où la promotion du contenu canadien ne constitue pas le fer de lance du service, le Conseil n’avait d’autres choix, selon moi, que de permettre au marché d’offrir des tarifs concurrentiels aux abonnés. Et pour y parvenir, faute de pouvoir réglementer les prix du service facultatif, il se devait de favoriser l’émergence d’une offre concurrentielle. C’est connu, il n’y a rien comme la concurrence entre des services à vocation identique pour que les consommateurs obtiennent le meilleur prix. Quant à notre système de radiodiffusion, il fait face à une offre concurrentielle qui évolue de plus en plus hors de son emprise.

En effet, grâce aux nouvelles plateformes et à l’accès Internet haute vitesse, il n’est plus nécessaire d’être l’un des onze millions d’abonnés du système canadien de radiodiffusion pour avoir accès à des contenus culturels, télévisuels et cinématographiques. Un simple branchement Internet suffit! À preuve, les Playstation Video store de Sony (offert pour la Playstation 3), Zune Video Marketplace de Microsoft (offert pour la Xbox360), Netflix (compatible avec les deux consoles susmentionnées et les ordinateurs) et Apple TV qui permettent de télécharger des films et des émissions de télévision en toute légalité par le truchement de plateformes de distribution qui ne sont pas réglementées par le Conseil. À cette première liste non-exhaustive, on pourrait ajouter celle des Blink.TV et des consoles Boxee et Roku avec Google TV et Amazon TV.

Dans un souci de pérennité du système, le Conseil devrait à tout le moins s’assurer que les titulaires de licences qui évoluent au sein de notre système de radiodiffusion peuvent proposer une offre concurrentielle quant à ces nouvelles plateformes sur lesquelles il n’a aucune emprise. Le défi est de taille. Contrairement à nos distributeurs – Super Écran (607 000 abonnés), TMN (1 152 000 abonnés), Movie Central (953 000 abonnées) et Super Channel (264 000 abonnés) –, les Apple, Sony, Microsoft et Netflix de ce monde ne sont pas obligées de diffuser, et donc de subventionner, la production de contenu canadien.

Ne nous cachons pas la tête dans le sable! Faisons en sorte que le système canadien puisse relever le défi de cette nouvelle concurrence qui émerge peu à peu à l’extérieur de son cadre. Il est dans l’intérêt de notre pays, de nos artistes, de nos réalisateurs et de nos producteurs de veiller à ce qu’une offre concurrentielle aux meilleurs prix soit offerte sur ses plateformes traditionnelles et réglementées. L’heure n’est plus à la défensive, mais à l’offensive! En somme, force est de reconnaître qu’un « blitzkrieg » de l’offre de productions cinématographiques est en marche et qu’une stratégie purement défensive risque de nuire à moyen terme, le système canadien de radiodiffusion.

Super Écran : un véritable succès maintenant à l’abri de la concurrence

Dans l’appel de demandes qu’il vient de lancer, le Conseil ne se limite pas à retenir le seul critère de la « diversité »; il demande spécifiquement aux paragraphes 2 et 6 que ce service « ne fasse pas directement concurrence à Super Écran » et qu’il soit « complémentaire à Super Écran ». Force est d’admettre que le monopole d’Astral – qui consacre 90 pour cent de sa grille horaire à la diffusion de longs métrages cinématographiques récents (étrangers pour la plupart) – sera bien abrité à l’ombre de l’aile protectrice du Conseil.

Pourtant, lors du lancement du premier service de télévision payante en 1982, le Conseil avait plutôt affiché son parti pris en faveur de la concurrence entre plusieurs services d’intérêt général qui sont, par leur nature même, davantage des services de distribution. Cependant, la récession du début des années 80 eut tôt fait de modérer ses ambitions en faveur d’un régime concurrentiel pour la télévision payante d’intérêt général.

Après plus de 25 ans d’un marché protégé, l’adoption à ce moment-ci de nouveaux critères qui confortent encore la position d’Astral me semble un pas en arrière. Ce nouvel encadrement privera les téléspectateurs francophones d’un second choix au meilleur prix. On le fera au nom de la « diversité », de la « complémentarité » et de la « nécessité de ne pas concurrencer Super Écran » et, pendant ce temps, Astral Media inc. pourra continuer à distribuer les superproductions d’Hollywood qui lui servent de locomotive et dormir tranquille avec son service de télévision payante d’intérêt général. Compte tenu de la philosophie protectionniste qui inspire la majorité du Conseil, une question me vient immédiatement à l’esprit : ce nouveau service qu’on voudrait créer sera-t-il à ce point différent et complémentaire qu’on pourra lui garantir à son tour « l’exclusivité » pour un autre 25 ans?

En 2008, dans une avancée sincère pour la déréglementation qui faisait suite au rapport Dunbar-Leblanc de 2007, le Conseil avait proposé une panoplie de critères afin d’ouvrir à la concurrence l’univers protégé « d’un service par genre ». Dans l’avis public de radiodiffusion 2008-100, il avait mis de l’avant cinq critères pour faciliter l’analyse préalable à l’ouverture d’un genre : la santé financière, la popularité du genre, l’inventaire des émissions disponibles, la diversité au sein du genre et « autres conséquences » (une cinquième catégorie fourre-tout mal définie). Faut-il préciser qu’il s’agissait d’une énumération de critères? Jamais n’avait-on laissé entendre que les cinq critères devaient être satisfaits simultanément pour que le genre puisse être ouvert et qu’un service concurrentiel puisse être lancé.

C’est dans ce contexte que le Conseil a été amené à se prononcer sur la proposition de Groupe TVA. Une réponse positive aurait constitué un pas de plus vers la déréglementation du genre de la télévision payante d’intérêt général et la fin du monopole d’Astral Media dans le marché de langue française. Ciné-TVA n’avait laissé planer aucun doute sur sa volonté de satisfaire à la demande et de diffuser, lui aussi, des superproductions pour faire concurrence à Super Écran.

Puisqu’il s’agissait d’un service de distribution, le Conseil aurait dû établir que seuls des critères objectifs et mesurables, tels que la santé financière et la popularité du genre, pouvaient être retenus pour libérer le genre protégé de la télévision payante d’intérêt général dans le marché de langue française. L’appel de demandes traduit la division du Conseil qui refuse d’accorder une nouvelle licence pour un service payant d’intérêt général et qui introduit, par surcroît, des critères encore plus pointus que ceux évoqués dans la politique réglementaire de radiodiffusion 2008-100. Non seulement les autres critères (diversité, inventaire des émissions disponibles et conséquences négatives) sont-ils toujours au programme, mais en plus, l’avis de consultation de radiodiffusion CRTC 2010-860 précise que le service ne devra pas rivaliser directement avec Super Écran et qu’il devra lui être complémentaire. Lorsque je suis arrivé au Conseil en 2007, le Regulatory Guide to Canadian Television (2006) comptait 1 128 pages. Il en compte 1 361 aujourd’hui, en 2010. À ce rythme il en comptera plus de deux mille en 2020. Est-ce ça, la déréglementation, la transparence?

Le service d’Astral avait, à mon humble avis, tous les attributs d’un service qui a atteint sa maturité et le genre pouvait être ouvert à la concurrence au plus grand bénéfice des consommateurs.

Reconnaissons d’abord que le service de télévision payante offert par Super Écran est très populaire au Québec; il a enregistré une croissance de 125 000 abonnés au cours des cinq dernières années. Selon les plus récentes statistiques dont nous disposons pour l’année 2009-2010, sa part de marché s’établit à 4,1 pour cent du marché de langue française du Québec, tout juste derrière le service facultatif de sports RDS et des trois télévisions généralistes du marché francophone (TVA 25,5 pour cent; SRC 12,5 pour cent; V 7,4 pour cent; RDS 5,9 pour cent). Comme le montre le tableau ci-dessous, les services d’intérêt général de langue anglaise n’ont, cumulativement, qu’une part de marché de 1,5 % du marché canadien de langue anglaise.

 

Part de marché écoute

Nombre d’abonnés

Revenu total en millions

BAII
en millions

BAII en pourcentage

Super Écran

4,1 %[1]

607 000

61,7 $

20,9 $

33,9 %

TMN[2]

1,0 %

1 152 000

122,7 $

28,1 $

23,0 %

HBO Canada[3]

0,3 %[4]

-

-

-

-

Movie Central

0,2 %

953 000

96,9 $

20,2 $

20,9 %

Super Channel+

0,0 %

264 000

13,9 $

-60,5 $

-434,8 %

Faut-il se surprendre que les profits générés par le service de télévision payante d’Astral soient proportionnellement beaucoup plus importants (33,9 pour cent) que ceux des services de langue anglaise ailleurs au pays? Depuis le refus du Conseil d’octroyer une seconde licence pour un service de télévision payante dans le marché de langue française en 2006, les revenus et les rendements du service spécialisé d’Astral Media ne font que s’accroître, au seul profit des actionnaires du Groupe Astral! En fait, les profits de Super Écran ont presque doublé en cinq ans, passant de 12 millions de dollars à près de 21 millions de dollars. À lui seul, ce service de télévision payante du Groupe Astral (dont le tarif est comparable à celui des chaînes de distribution de langue anglaise) représente la moitié des profits de 42,1 millions de dollars, du Groupe TVA (l’ensemble des TVA, LCN, Argent, Mystère, Prise 2 et Casa). Enfin, au cours de la période s’échelonnant de 2004-2005 à 2008-2009, le service spécialisé d’Astral a enregistré une croissance annuelle moyenne de près de 7 pour cent pour ce qui est des revenus et de plus de 6 pour cent pour ce qui est du nombre d’abonnés.

Bref, Super Écran est aujourd’hui très rentable, affichant un BAII de près de 34 pour cent, de loin le plus élevé au pays pour un service de télévision payante d’intérêt général. Comme je l’ai mentionné précédemment, ce service – qui bénéficie encore d’ententes exclusives avec les distributeurs américains et canadiens – aurait été en excellente position pour faire face à la concurrence de Ciné-TVA. La marche aurait d’ailleurs été plutôt haute pour le Groupe TVA qui demandait au Conseil d’interdire à Astral, par condition de licence, de conclure pour les trois prochaines années des contrats exclusifs de distribution avec les producteurs, ce qui revenait ni plus ni moins à lui demander d’intervenir dans des contrats privés pour ouvrir la voie au Groupe Quebecor. Pour moi, déréglementation rime avec intervention minimale du régulateur. En clair, le régulateur doit éviter de se mêler de contrats privés. Ce fut aussi historiquement la position du Conseil. Astral aurait eu amplement de temps pour prendre la mesure de son nouveau rival.

Reste que, malgré ces résultats financiers exceptionnels (qui pourraient faire l’envie d’un grand nombre de distributeurs), un sondage effectué en 2007 pour le compte du Groupe Quebecor révélait que 78 pour cent des abonnés du service verraient d’un œil favorable l’arrivée d’un nouveau service concurrentiel à Super Écran. Le Conseil se devait d’en prendre acte.

Si les critères de popularité et de rendement financier ont été déterminants pour ouvrir à la concurrence les services de nouvelles et de sports en 2008, pourquoi faudrait-il aujourd’hui ajouter des critères très pointus dans le contexte d’un service de télévision payante dont la mission principale est non pas de créer du contenu, mais simplement de le distribuer? Sur la foi des données présentées ci-dessus, qui doute maintenant de la santé financière du service et de sa popularité dans le marché de langue française? Voilà les critères qui auraient dû amener le Conseil à entamer la déréglementation du genre de la télévision payante d’intérêt général et à introduire, une fois pour toutes, la concurrence des services dans le genre de la télévision payante d’intérêt général de langue française.

Quant aux troisième, quatrième et cinquième critères (l’inventaire des émissions disponibles, la diversité au sein d’un genre et les autres conséquences), bien qu’ils restent utiles, ils ne devraient jamais être déterminants pour un service de télévision payante d’intérêt général qui satisfait les critères de popularité et de bonne santé financière. Comment évaluer correctement, à l’avance si je puis dire, l’inventaire des productions cinématographiques étrangères récentes? Comment établir les seuils à partir desquels on aura l’inventaire suffisant surtout en ce qui concerne un service d’intérêt général qui n’a rien à voir, disons, avec un service facultatif d’émissions scientifiques? Si on laisse parler le marché, les prix et les programmations proposées feront le reste. Il n’appartient pas au régulateur d’essayer de se faire une tête sur une offre aussi vaste et, au fond, aussi imprévisible que celle des derniers succès les plus demandés par les consommateurs et qui sont le pain et le beurre des services spécialisés de télévision payante d’intérêt général.

Pour ce qui est du critère de diversité évoqué dans la politique réglementaire de radiodiffusion 2008-100, le Conseil aurait-il peur (pour reprendre son expression) que tout le monde se rue vers le centre, vers le courant dominant? Pourquoi ne pas laisser le marché décider lorsqu’il s’agit, comme dans le cas présent, d’un service d’intérêt général? Mis en compétition l’un contre l’autre, les deux services de télévision payante pourraient fort bien se distinguer en ciblant des créneaux plus pointus recherchés par les abonnés, comme les productions européennes, indiennes ou coréennes. À vrai dire, je ne vois pas en quoi la diversité serait diminuée par la présence de deux services d’intérêt général, surtout quand l’on considère la part du lion qu’accorde le service actuel d’Astral aux productions cinématographiques américaines à grand succès.

Somme toute, la diversité, les inventaires et les « autres conséquences » sont fondamentalement des critères subjectifs et difficiles à apprécier dans le temps, tandis que la santé financière et la popularité du genre sont des critères purement objectifs. C’est sur ces deux critères que le Conseil aurait dû se baser pour se forger une opinion, aller de l’avant et enfin, ouvrir le genre de la télévision payante dans l’intérêt bien compris des consommateurs et du système canadien de radiodiffusion.

Soyons pragmatiques : balisons la concurrence au profit du contenu canadien

Lors de la déréglementation des services de nouvelles nationales et de sports en 2008, le Conseil avait qualifié l’ensemble de ces candidats à la déréglementation comme « solides », « rentables » et « éminemment populaires ». Quelle est la différence avec le service de télévision payante qui fait l’objet de la présente décision? Ce service n’a-t-il pas dans le marché de langue française toutes ces qualités qui en font un candidat idéal pour l’ouverture à la concurrence?

Si le Conseil n’a pas la volonté d’ouvrir le genre pour un service de distribution qui vit principalement des productions hollywoodiennes, je vois mal comment il pourrait arriver à amorcer la déréglementation des genres plus pointus qui font une meilleure place au contenu canadien.

Si le Conseil avait choisi d’aller de l’avant, il aurait, je crois, été bien avisé de maintenir le droit d’accès des deux services concurrentiels aux entreprises de distribution en radiodiffusion (EDR). Je reconnais volontiers qu’il s’agit là d’un bémol à une politique de déréglementation tous azimuts (car après tout, pourquoi devrait-on parvenir au nirvana d’un libre marché d’un seul coup?). Dans ce cas précis, ériger en dogme la politique énoncée dans l’avis public de radiodiffusion 2008-100 qui prévoyait que les services concurrentiels déréglementés ne bénéficieraient plus du droit d’accès caractéristique de notre système canadien de radiodiffusion m’apparaît contre-productif. Une étape à la fois. Assurons-nous d’abord d’avoir en place des services qui se feront concurrence. Soyons pragmatiques : la déréglementation d’un service par genre est une première étape. Et pour une première étape, les consommateurs ne peuvent que souhaiter la présence de deux services de télévision payante et avoir la possibilité de s’y abonner. On comprendra ici que le marché de langue française n’a rien du marché de langue anglaise nord-américain; il a ses caractéristiques, dont la principale est sa petitesse : à peine 6 millions contre 27 millions. Dans ce contexte, il est essentiel que l’offre soit disponible à la grandeur de ce petit marché. En clair, Super Écran doit conserver son droit d’accès sur la plate-forme de Vidéotron, puisque Vidéotron représente plus de 60 pour cent des EDR dans le marché de langue française du Québec.

Je suis d’avis que le Conseil doit favoriser la concurrence, sans toutefois récuser sa mission d’encadrer celle-ci au bénéfice des consommateurs qui s’attendent à ce qu’on leur offre deux services plutôt qu’un et à ce qu’on leur laisse le choix de s’abonner à celui qui leur plaît ou aux deux si l’offre est substantiellement différente. Les coûts d’approvisionnement des services de télévision payante d’intérêt général sont naturellement très élevés comparativement aux services facultatifs. Laissons aux entreprises le droit d’entreprendre, mais assurons-les qu’elles pourront rejoindre tous les abonnés. On ne déréglemente pas en un jour le système de radiodiffusion le plus réglementé au monde.

Malgré les derniers succès des productions cinématographiques canadiennes, dans le marché de langue française notamment, les deux principaux intervenants ont avancé qu’il n’y avait pas suffisamment de films canadiens en français pour alimenter deux services. Il s’agit d’une objection de taille, si l’on veut respecter les exigences de contenu canadien (25 pour cent pour l’ensemble de la journée et 30 pour cent en soirée).

Groupe TVA a alors proposé un compromis : l’obligation pour les deux services de diffuser tous les films canadiens appropriés et l’interdiction pour Astral de conclure des contrats exclusifs de distribution de contenus pendant les trois premières années du lancement du service. Certes, il aurait fallu reporter la date de lancement de quelques années, vu les contrats exclusifs déjà signés par Astral. Cependant, cette mesure temporaire – qui aurait permis aux deux services d’offrir des contenus canadiens quasi identiques pendant une période de trois ans – aurait, je crois, contribué à crédibiliser l’entrée du nouveau joueur et elle aurait été plutôt séduisante pour le contenu canadien. Cette proposition de Groupe TVA méritait, selon moi, une considération plus approfondie.

Conclusion

Il y a quelques mois, nous avons appris qu’au deuxième trimestre, pour la première fois de l’histoire de la télévision payante aux États-Unis, 200 000 abonnés ont annulé leur abonnement. Étant donné la conjoncture économique qui sévit chez nos voisins (où les prix d’abonnement à la télévision payante également à la baisse pour une première fois) et du nombre d’abonnés (100 millions), il serait périlleux de voir là une tendance lourde irréversible. N’empêche que cette « première » ouvre la porte à un abandon encore plus massif des services traditionnels de distribution des films à grand succès par les consommateurs, particulièrement chez les jeunes familles. À titre de régulateur, il faut voir dans ce fait un appel à la vigilance : les consommateurs ne doivent jamais être tenus pour acquis, tant pour ce qui est du prix que du service.

Si le système canadien a pu évoluer jusqu’à présent dans un cadre hautement protectionniste et conforté par l’assurance tranquille d’« un canal par genre » avec l’objectif de mettre en valeur le contenu des gens d’ici, la montée en puissance des nouvelles technologies de distribution représente une menace grave pour son avenir et plus particulièrement, pour l’avenir d’un service de télévision payante d’intérêt général.

En effet, devant l’émergence des nouvelles plateformes de distribution et compte tenu des conditions prévalentes dans le marché de langue française, le Conseil aurait dû ouvrir le genre de la télévision payante d’intérêt général et introduire la concurrence (comme il l’a d’ailleurs déjà fait dans le marché de langue anglaise). Il aurait pu approuver la demande de Groupe TVA à certaines conditions au lieu de lancer un autre processus qui vise à créer un service distinct et non directement concurrentiel à celui qu’offre Super Écran depuis plus de 25 ans. L’ouverture du genre et la concurrence entre deux services de télévision payante d’intérêt général auraient mieux servi les intérêts des consommateurs et du système.

Pour les raisons qui précèdent, j’inscris cette nouvelle opinion minoritaire – la treizième depuis ma nomination en août 2007. Dans ces treize opinions minoritaires (dont vous trouverez la liste ci-dessous), j’ai invariablement tenté de faire valoir la nécessité de favoriser un environnement concurrentiel au sein du système canadien de radiodiffusion. À court terme comme à long terme, la concurrence m’apparaît comme une condition incontournable pour bonifier le système canadien de distribution et de radiodiffusion.

Opinions minoritaires publiées précédemment :

Notes de bas de page

[1] Sondages BBM, données audiométriques PPM, parts des heures d’écoute, marché Canada moins Québec francophone, tous 2+, lu-di, 2a-2a, 2009-2010 (31 août 2009 au 29 août 2010).

[2] TMN et Movie Central sont disponibles sur une base régionale exclusive. Leurs données d’écoute, prises sur l’ensemble du marché de langue anglaise canadien, doivent donc être prises ensemble.

[3] HBO Canada est un canal multiplex des services TMN et Movie Central.

[4] Sondages BBM, données audiométriques PPM, parts des heures d’écoute, marché Québec francophone, tous 2+, lu-di, 2a-2a, 2009-2010 (31 août 2009 au 29 août 2010).

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