Télécom - Lettre du Secrétaire général adressée à Pamela Dinsmore (Rogers Communications Canada Inc.)

Ottawa, le 5 février 2024

Référence: 8690-R28-202304468

PAR COURRIEL

Pamela Dinsmore
Rogers Communications Canada Inc.
1, route Mount Pleasant, 4e étage
Toronto (Ontario) M4Y 2Y5
cable.regulatory@rci.rogers.com

Objet : Demande de Rogers Communications Inc. visant à obtenir des ordonnances immédiates et définitives enjoignant à Bell Canada et ses sociétés affiliées et à Telus Communications Inc. de traiter les demandes de raccordement de petites cellules à leurs poteaux conformément à leurs tarifs de structure de soutènement approuvés

Le 4 juillet 2023, le Conseil a reçu une demande en vertu de la Partie 1 de Rogers Communications Inc. (Rogers) concernant le raccordement d’équipement sans fil, comme des petites cellules, sur les poteaux de Bell Canada et de ses sociétés affiliées, Bell MTS, Télébec et Norouestel (collectivement, Bell), et de TELUS Communications Inc. (Telus). Les petites cellules sont des points d’accès radio de faible puissance qui sont essentiels à l’expansion des réseaux 5G dans tout le pays.

Dans sa demande, Rogers a demandé une ordonnance provisoire ordonnant à Bell et à Telus de traiter et d’accorder des permis pour les petites cellules. Ces permis permettraient à Rogers de fixer des petites cellules aux poteaux de Bell et de Telus, conformément à leurs tarifs de structures de soutènement approuvés et aux articles 24 et 25 ainsi qu’au paragraphe 27(2) de la Loi sur les télécommunications (Loi). Rogers a demandé que l’ordonnance provisoire demeure en vigueur jusqu’à ce qu’une décision finale soit prise concernant sa demande en vertu de la Partie 1 ou qu’une décision soit prise en ce qui concerne l’instance annoncée dans la politique réglementaire de télécom 2023-31 concernant le placement d’installations sans fil, y compris les petites cellules, sur les structures de soutènement des entreprises de services locaux titulaires (ESLT).

Le Conseil refuse la demande d’ordonnance provisoire de Rogers.

Alors que les réseaux 5G continuent de s’étendre à l’échelle du pays, trouver suffisamment d’emplacements appropriés pour fixer des petites cellules peut s’avérer à la fois difficile et coûteux. Compte tenu de l’importance de ce problème pour l’ensemble du secteur, le Conseil estime qu’il est dans l’intérêt du public d’examiner les questions de politique générale soulevées par Rogers dans l’avis de consultation de télécom 2024-25 publié aujourd’hui.

Cette instance examinera si le Conseil devrait modifier les règles existantes qui permettent à des tiers d’ajouter de l’équipement sans fil – y compris des petites cellules – sur des structures de soutènement appartenant à des ESLT ou contrôlées par celles-ci dans l’ensemble du Canada. Cette instance examinera également un certain nombre de questions pertinentes à la demande de Rogers, notamment : i) l’applicabilité des tarifs existants associés aux structures de soutènement pour les installations sans fil ; ii) les types d’installations sans fil qui seront déployées ; et iii) les modifications réglementaires, le cas échéant, qui pourraient être nécessaires pour faciliter le déploiement des technologies sans fil de pointe au Canada.

Le Conseil reconnaît l’importance d’accroître l’accès de la population canadienne à des services de téléphonie mobile plus rapides et de meilleure qualité. Le lancement de l’avis de consultation de télécom 2024-25 permettra au Conseil de disposer d’un cadre réglementaire, fondé sur un dossier public complet, avant de se prononcer sur l’installation d’équipement sans fil sur des structures de soutènement appartenant à une ESLT ou contrôlées par celle-ci.

Le test applicable

Les critères que le Conseil applique généralement pour évaluer les demandes de mesures provisoires sont établis par la Cour suprême du Canada dans l’affaire RJR-MacDonald Inc. c. Canada (Procureur général [1994] 1 R.C.S. 311) (RJR-MacDonald): à savoir s’il y a une question sérieuse à juger, si la partie qui demande la mesure de redressement provisoire subira un préjudice irréparable dans l’éventualité où la mesure n’est pas accordée et si la prépondérance des inconvénients, compte tenu de l’intérêt public, penche en faveur de l’octroi de la mesure provisoire. Pour se voir accorder un redressement provisoire, un demandeur doit démontrer que sa demande respecte les trois critères.

Dans sa réponse à la demande d’ordonnance provisoire de Rogers, Telus a indiqué que la plupart des demandes de mesures de redressement provisoires ou d’injonctions interlocutoires, sont de nature prohibitive, car elles contraignent à agir afin de préserver le statu quo. Cependant, lorsqu’elles exigent une action positive, elles deviennent des injonctions interlocutoires obligatoires et doivent être évaluées à l’aide du test modifié RJR-MacDonald énoncé dans R c. Société Radio-Canada(2018 CSC 5). Telus a argué que la demande d’ordonnance provisoire de Rogers est une telle demande, car si elle était accordée, elle obligerait Bell et Telus à faire quelque chose, c’est-à-dire à traiter et à approuver des permis pour des fixations de petites cellules sur leurs poteaux conformément à leurs tarifs et taux existants, et donc le test modifié RJR-MacDonald serait appliqué dans ce cas.

Le principal enjeu de la demande de Rogers est de savoir si les tarifs de structures de soutènement existants de Bell et de Telus s’appliquent aux équipements sans fil, comme les petites cellules. Étant donné que cette question sera abordée par le Conseil dans l’avis de consultation de télécom 2024-25 la nature de la mesure de redressement provisoire demandée par Rogers et la question de savoir si elle impliquerait effectivement une action positive de la part de Bell et de Telus ne sont pas claires. En outre, le choix du critère à appliquer pour déterminer s’il y a lieu d’accorder des mesures de redressement provisoires est une question qui relève exclusivement de la discrétion du Conseil. Le Conseil estime qu’il n’est pas nécessaire de s’écarter de sa pratique générale et a évalué cette demande en utilisant les critères énoncés dans RJR-MacDonald.

Existe-t-il une question sérieuse à juger ?

Rogers a indiqué que les tarifs de structures de soutènement ne se limitent pas aux équipements filaires et couvrent d’autres équipements sans fil comme les petites cellules. Elle estime donc que le refus de Bell et de Telus d’accorder l’accès aux poteaux pour y fixer de petites cellules constitue une violation des articles 24 et 25 ainsi que du paragraphe 27(2) de la Loi.

Telus a précisé que Rogers n’a pas réussi à démontrer qu’elle a enfreint le critère en ce qui a trait à ses tarifs de structures de soutènement existants parce que le Conseil n’a pas rendu de décision sur la question de l’emplacement des petites cellules et que la Loi interdit l’offre d’un service en l’absence d’un tarif et de taux approuvés par le Conseil.

Ce critère a un seuil faible : la norme de la demande est qu’elle ne doit pas être vexatoire ou frivole. En évaluant si Rogers a satisfait à la première partie du test,le Conseil estime que Rogers a soulevé de sérieuses questions à trancher, notamment celle de savoir si les tarifs de structures de soutènement existants de Bell et de Telus s’appliquent au raccordement d’installations sans fil. Rogers a donc satisfait à ce premier critère.

Rogers subira-t-elle un préjudice irréparable si l’ordonnance provisoire n’est pas accordée ?

Rogers a argué que le fait de ne pas accorder de mesures de redressement provisoires lui causerait un préjudice irréparable, ainsi qu’aux autres fournisseurs de services sans fil qui sont en concurrence avec Bell et Telus. Elle a fait remarquer que sans la possibilité de fixer des petites cellules à leurs poteaux, Rogers et ses concurrents seraient contraints de poursuivre des options plus coûteuses et verront leurs déploiements de la 5G inutilement retardés. Eastlink et Québecor ont soutenu Rogers, arguant que les retards dans l’approbation des demandes d’installation d’équipements sans fil nuisent à leur capacité de concurrence.

Telus a affirmé que la comparaison des tarifs entre les structures de soutènement des ESLT et les normes pour les lampadaires n’est pas pertinente parce que les normes pour les lampadaires existantes ne contiennent pas de tarifs pour les petites cellules montées sur poteau et qu’il n’y a aucun moyen de savoir quels seraient ces tarifs. Elle ajoute que, bien qu’elle ait indiqué que son déploiement de la 5G est inutilement retardé, Rogers a indiqué publiquement qu’elle continue d’étendre le plus grand réseau 5G du Canada.

Dans une lettre datée du 15 décembre 2015, le Conseil a déclaré que le seuil du préjudice irréparable est élevé et, dans une lettre datée du 23 octobre 2020, il a déclaré qu’un demandeur doit démontrer que le préjudice est réel, certain, inévitable et qu’il ne peut être réparé ultérieurement. En outre, comme indiqué dans l’affaire Canada(Procureur général) c. Oshkosh Defence Canada Inc. 2018 CAF 102), le préjudice irréparable, par sa qualité, ne peut être réparé par une compensation monétaire, et le préjudice ne peut être spéculatif, il doit être prouvé qu’un demandeur subira un préjudice irréparable si les mesures de redressement provisoires sont refusées. Le préjudice allégué par Rogers est lié aux retards, aux inconvénients et aux coûts plus élevés du déploiement de son réseau de petites cellules sur des structures autres que les structures de soutènement de Bell ou de Telus en vertu de leurs tarifs de structures de soutènement existants.

Le Conseil reconnaît qu’il serait plus efficace et plus pratique pour Rogers d’avoir accès aux structures de soutènement de Bell et de Telus pour déployer son réseau 5G, et que Rogers subit probablement un certain préjudice du fait de ne pas avoir accès à ces poteaux. Cependant, Rogers a été en mesure de déployer un réseau national important sans avoir accès à des structures de soutènement. Ainsi, le préjudice infligé par le manque d’accès à ces structures n’a pas empêché Rogers de développer son réseau 5G ni ne lui a fait prendre un tel retard par rapport aux autres fournisseurs de services de télécommunication qu’il ne pourrait être rattrapé sans l’octroi immédiat de sa demande de mesures de redressement provisoires.

En ce qui concerne les coûts plus élevés pour fixer de petites cellules aux infrastructures municipales, le Conseil fait remarquer que cette comparaison part du principe que les tarifs de structures de soutènement actuels s’appliquent au raccordement des installations sans fil et qu’aucune modification n’a besoin d’être apportée pour tenir compte de ces installations, que ce soit dans les tarifs ou dans les modalités. Toutefois, la question de savoir si les tarifs de structures de soutènement des ESLT s’appliquent aux installations sans fil n’a pas été résolue par le Conseil. Le Conseil estime donc que le préjudice financier invoqué par Rogers est spéculatif.

Compte tenu de ce qui précède, le Conseil estime que Rogers n’a pas démontré qu’elle subirait un préjudice irréparable si le Conseil n’accédait pas à sa demande de mesures de redressement provisoires. Elle n’a donc pas satisfait au deuxième critère.

Est-ce que la prépondérance des inconvénients milite en faveur du sursis ?

Rogers soutient que l’intérêt public, tel qu’il est exprimé dans les objectifs stratégiques de la Loi et les Instructions de 2023, repose sur un accès équitable et efficace aux services de bien public, comme les poteaux des ESLT, qui facilitent la concurrence, l’abordabilité, ainsi que le déploiement rapide et efficace de réseaux sans fil concurrents.

Telus a indiqué qu’il est dans l’intérêt du public de tenir une instance à l’échelle de l’industrie pour savoir si les tarifs actuels des structures de soutènement devraient permettre l’installation de petites cellules sur les structures de soutènement des ESLT, et que cette question est pertinente pour l’ensemble de l’industrie. Elle a fait remarquer que, comme Rogers a déployé des petites cellules dans tout le pays, l’intérêt public ne souffrira pas d’un refus des mesures de redressement provisoires demandées. Le Conseil fait remarquer que les mesures de redressement provisoires de Rogers ne seraient pas facilement réversibles si l’instance de l’avis de consultation de télécom 2024-25 prenait des décisions qui ne correspondait pas avec l’ordonnance provisoire. Le Conseil fait également remarquer que les demandes provisoires acceptées impliquent généralement le maintien du statu quo ou la fixation d’un tarif provisoire pour un service établi. Dans ces cas, les répercussions sur le marché sont limitées ou la rétroactivité est possible si la décision finale est différente de l’ordonnance provisoire. Ce cas n’est ni l’un ni l’autre, car le fait d’accorder la demande de Rogers pourrait avoir des répercussions importantes sur le marché et il serait onéreux de revenir en arrière.

Le Conseil convient qu’il est dans l’intérêt du public d’assurer un accès équitable et efficace aux services de bien public, tels que les poteaux des ESLT, afin de faciliter le déploiement rapide et efficace de réseaux sans fil concurrents. Toutefois, les questions relatives à l’installation des petites cellules sur les poteaux restent en suspens. Il n’existe actuellement aucun cadre du Conseil permettant de réglementer cet accès de manière équitable et efficace. En outre, le fait d’accorder la demande de mesures de redressement provisoires de Rogers créerait un déséquilibre dans l’accès entre les fournisseurs de services sans fil concurrents. Cela pourrait déclencher le dépôt de demandes semblables par d’autres fournisseurs de services sans fil concurrents, ce qui retarderait encore davantage le processus global.

Par conséquent, le Conseil estime que les concurrents, l’industrie et l’intérêt public bénéficieraient davantage d’un cadre réglementaire fondé sur un dossier complet avant de se prononcer sur la mise en place d’installations sans fil sur des structures de soutènement appartenant à une ESLT ou contrôlées par elle. Par conséquent, le Conseil estime que la balance des inconvénients, compte tenu de l’intérêt public, penche en faveur du rejet de la demande de mesures de redressement provisoires de Rogers.

Compte tenu de ce qui précède, le Conseil détermine que Rogers n’a pas satisfait aux critères d’octroi de mesures de redressement provisoires de RJR-MacDonald et refuse la demande de Rogers.

Veuillez agréer, l’expression de mes sentiments distingués.

Marc Morin
Secrétaire général

c. c.  Stephen Schmidt, Telus, regulatory.affairs@telus.com
Yanick Boily, Québecor, regaffairs@quebecor.com
Philippe Gauvin, Bell, bell.regulatory@bell.ca
Marielle Wilson, Eastlink, regulatory.matters@corp.eastlink.ca
Alexis Kampman, CRTC, alexis.kampman@crtc.gc.ca

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