Télécom - Lettre procédurale adressée à Samer Bishay (Iristel Inc.)

Ottawa, le 23 octobre 2020

Notre référence : 8662-J64-202005595

PAR COURRIEL

Monsieur Samer Bishay
Chef de la direction
Iristel Inc.
675, promenade Cochrane, Tour Est, 6e étage
Markham (Ontario)  L3R 0B8
regulatory@iristel.com

Objet :  Demande de révision, de modification et de suspension de la décision de télécom 2020-268 présentée par Iristel Inc.

Dans la décision de télécom 2020-268 (la décision)Note de bas de page1, le Conseil a modifié et a rendu provisoire le tarif de raccordement d’appels interurbains (aussi connu sous le nom de tarif du fournisseur de services intercirconscriptions [FSI] ou le tarif de raccordement intercirconscription) d’Iristel Inc. (Iristel), qui est passé de 0,038 $ à 0,0098125 $. Ce tarif devait être définitif 90 jours à partir de la date de la présente décision, avec effet rétroactif au 23 novembre 2018Note de bas de page2 si Iristel ne déposait pas d’avis de modification tarifaire appuyé par une étude de coûts de la Phase II proposant un tarif alternatif d’ici le 16 novembre 2020.

Le 2 septembre 2020, Iristel a demandé, en vertu de l’article 62 de la Loi sur les télécommunications (la Loi), que le Conseil révise et modifie certains aspects de la décision et de l’avis de consultation de télécom 2020-269Note de bas de page3 (demande RM). Elle a également demandé une suspension par processus accéléré de l’entrée en vigueur du nouveau tarif de raccordement intercirconscription établi dans la décision, qui resterait en vigueur jusqu’à ce que le Conseil se prononce sur sa demande RM et, dans tous les cas, jusqu’à ce que le Conseil conclue l’instance initiée par l’avis de consultation 2020-131Note de bas de page4Note de bas de page5.

Le test applicable

Les critères que le Conseil a généralement décidé d’appliquer pour l’évaluation des demandes de suspension sont ceux qui ont été établis par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt RJR-MacDonald Inc. c. Canada (Procureur général), [1994] 1 RCS 311 (RJR-MacDonald). Ces critères (critères RJR-MacDonald) sont les suivants : a) il existe une question sérieuse à juger; b) la partie qui sollicite le redressement provisoire subira un préjudice irréparable si le redressement n’est pas accordé; et c) la prépondérance des inconvénients, compte tenu de l’intérêt public, penche en faveur de la suspension. Pour se voir accorder une suspension, un demandeur doit démontrer que sa demande respecte les trois critères.

Existe-t-il une question sérieuse à juger?

Le Conseil conclut qu’Iristel satisfait au premier critère du test étant donné qu’il y a une question sérieuse à juger concernant la modification du tarif de raccordement intercirconscription d’Iristel et que la demande de suspension n’est ni vexatoire ni frivole.

Iristel subira-t-elle un préjudice irréparable si la suspension n’est pas accordée?

Iristel a fait valoir qu’elle subirait un préjudice irréparable en raison : 1) des coûts associés à la réalisation d’une étude de coûts de la Phase II; 2) de la possibilité que toute étude de coûts de ce type soit gaspillée en fonction des résultats de l’avis de consultation 2020-131; et 3) de son incapacité à récupérer les montants sous-payés auprès des entreprises encouragées à déployer des installations dans le Nord et à s’interconnecter directement avec celles-ci.

TELUS Communications Inc. (TCI) a fait valoir qu’Iristel ne subirait pas de préjudice irréparable parce que : a) les coûts d’une étude de coûts de la Phase II ne sont pas non quantifiables et sont le coût des activités commerciales, en particulier pour un fournisseur de services de gros; b) si le tarif de raccordement intercirconscription provisoire modifié demeure provisoire jusqu’à ce que le Conseil se prononce sur la demande RM, tout paiement insuffisant par les entreprises ne sera pas irrécupérable par Iristel, car le Conseil peut rendre une décision sur le tarif final avec effet rétroactif; et c) le déploiement des installations dans le Nord prendrait beaucoup de temps et nécessiterait des dépenses d’investissement importantes, et il serait économiquement irrationnel pour toute entreprise de le faire sur la base d’un tarif provisoire susceptible d’être modifié.

Résultats de l’analyse du Conseil

Le seuil du préjudice irréparable est élevéNote de bas de page6. Le demandeur doit démontrer que le préjudice est réel, certain, inévitable et qu’il ne peut être réparé ultérieurementNote de bas de page7. Un préjudice est plus susceptible d’être irréparable lorsqu’il y a une perte non quantifiable ou une perte que le demandeur n’est pas certain de pouvoir récupérer, ou une perte qu’une ordonnance définitive peut ne pas être en mesure de corriger.

En ce qui concerne le premier argument d’Iristel, Iristel peut subir un préjudice irréparable si : a) la suspension n’est pas accordée; b) Iristel engage des frais associés à une étude de coûts de la Phase II; et c) le Conseil rétablit finalement le tarif de raccordement intercirconscription d’Iristel pour qu’il corresponde au tarif des services d’accès aux entreprises de Norouestel de 0,038 $ dans la décision RM. Dans ces circonstances, le préjudice serait réel, certain, inévitable, et ne pourrait pas être réparé plus tard, car les dépenses associées à l’étude de coûts, bien que quantifiables, auraient été inutiles et Iristel ne pourrait pas les récupérer.

Cette conclusion est unique aux circonstances précises de cette affaire. Les coûts de préparation d’une étude de coûts de la Phase II sont généralement considérés comme des coûts d’activités commerciales et ne constituent pas dans tous les cas un préjudice irréparable. Néanmoins, le Conseil a de façon générale autorisé l’utilisation de modèles par des entreprises non titulaires ou plus petites, notamment parce qu’il peut être extrêmement difficile et exigeant en termes de ressources pour elles de mener de telles études, alors que leur personnel n’a que peu d’expérience en la matière. Dans le cas présent, exiger d’Iristel qu’elle mène une étude de coûts de la Phase II avant de prendre une décision concernant la demande RM pourrait constituer un préjudice irréparable.

Le deuxième argument d’Iristel est spéculatif et le Conseil n’estime pas qu’Iristel subirait un préjudice irréparable en l’absence de l’octroi d’une suspension, car l’issue de l’instance de l’avis de consultation 2020-131 est inconnue et le Conseil a la possibilité d’apporter ou non des modifications à la méthodologie d’établissement des coûts et, s’il le fait, il ne sait pas à quelles entités de telles modifications s’appliqueraient ni comment la transition se ferait.

Le troisième argument d’Iristel concernant les entreprises déployant des installations dans le Nord est très spéculatif puisqu’il serait économiquement irrationnel pour toute entreprise de prendre le risque financier de le faire pour profiter d’un tarif susceptible d’être modifié.

Par conséquent, Iristel a partiellement satisfait au deuxième critère. Elle a démontré que si la suspension n’était pas accordée, elle subirait un préjudice irréparable concernant spécifiquement le dépôt d’un avis de modification tarifaire étayé par une étude de coûts de la Phase II. Toutefois, Iristel n’a pas satisfait au deuxième critère en ce qui concerne le tarif provisoire, car elle n’a pas démontré qu’elle subirait un préjudice irréparable si le tarif provisoire modifié était maintenu en attendant une décision relative à la demande RM.

Est-ce que la prépondérance des inconvénients penche en faveur de la suspension?

Iristel a fait valoir qu’aucune entreprise ne s’est directement interconnectée avec elle dans le Nord et donc aucune entreprise ne paie actuellement son tarif de raccordement intercirconscription; par conséquent, aucune partie n’est lésée par le statu quo (c.-à-d. le maintien du tarif de 0,038 $, soit celui d’avant la décision). Elle a déclaré qu’en revanche, comme il est décrit ci-dessus, elle subira un préjudice irréparable si une suspension n’est pas accordée.

Iristel a fait valoir que si les entreprises commencent à s’interconnecter avec elle en vertu du tarif de raccordement intercirconscription provisoire modifié, elle n’aura pas d’autre choix que de trouver des moyens de compenser la perte, ce qui peut inclure une augmentation des prix pour les consommateurs du Nord ou une réduction des investissements dans les collectivités du Nord. Iristel a soutenu que ce résultat ne serait pas conforme à l’intérêt public et qu’une suspension devrait donc être accordée afin qu’elle puisse exposer les raisons qui la poussent à croire que le Conseil a gravement fait erreur dans les conclusions qu’il a incluses dans la décision.

TCI a fait remarquer que le Conseil a conclu qu’Iristel s’était livrée à la stimulation du trafic non pas une fois, mais deux fois, et que l’une de ces conclusions n’était pas en cours d’examenNote de bas de page8. TCI a fait remarquer que le Conseil a déterminé que le tarif de raccordement intercirconscription de 0,038 $ était l’incitatif pour la forme d’arbitrage indiquée au paragraphe 60 de la décision. TCI a fait valoir qu’il n’était pas dans l’intérêt public de permettre à un arbitrage important de se poursuivre sans relâche. Selon elle, le Conseil devrait privilégier la mesure qui est la plus susceptible de décourager la poursuite de la stimulation du trafic. TCI a fait valoir que, pour cette raison, le tarif de raccordement intercirconscription provisoire modifié de 0,0098125 $ doit demeurer en place jusqu’à ce qu’une décision finale soit prise concernant la demande RM.

Résultats de l’analyse du Conseil

Selon le critère de la prépondérance des inconvénients, une évaluation est faite pour déterminer laquelle des parties subirait le plus grand préjudice si la demande de suspension était acceptée. En outre, chaque partie peut soulever des arguments concernant le préjudice causé à l’intérêt public.

Étant donné que les trois critères du test RJR-MacDonald doivent être satisfaits, et étant donné qu’Iristel n’a satisfait qu’au deuxième critère concernant le dépôt de l’avis de modification tarifaire étayé par une étude de coûts de la Phase II, le critère de la balance des inconvénients ne devrait porter que sur cette question. Néanmoins, le Conseil fournit également une analyse concernant le maintien du tarif de raccordement intercirconscription modifié.

Iristel subirait le plus grand préjudice si elle déposait l’étude de coût de la Phase II et si elle réussissait finalement à obtenir la révision et la modification qu’elle souhaite. Dans ce cas, l’étude de coûts aurait été inutile et Iristel ne pourrait pas recouvrer les coûts. En outre, TCI ne subirait aucun préjudice si Iristel n’était pas tenue de déposer l’étude de coûts avant que le Conseil ne prenne une décision concernant la demande RM.

Par ailleurs, il est dans l’intérêt public d’accorder la suspension du dépôt de l’étude de coûts de la Phase II, car la prolongation jusqu’à nouvel ordre du délai de dépôt de l’étude de coûts de la Phase II par Iristel ne nuit pas à l’intérêt public.

Par conséquent, en ce qui a trait au dépôt de l’étude de coûts de la Phase II, Iristel a satisfait au troisième critère, car elle subirait un préjudice plus important si elle était tenue de déposer l’étude de coûts avant qu’une décision relative à la demande RM soit prise, et que des considérations d’intérêt public viennent étayer ce point de vue.

En ce qui concerne le maintien du tarif de raccordement intercirconscription modifié, si, comme l’indique Iristel, aucune partie ne le paie, aucune partie n’est lésée par le maintien du tarif provisoire modifié. L’argument selon lequel Iristel n’aura d’autre choix que de trouver des moyens de compenser ses pertes, ce qui pourrait inclure une augmentation des prix pour les consommateurs ou une réduction des investissements, dans l’éventualité où les entreprises commenceraient à s’interconnecter avec Iristel en vertu du tarif de raccordement intercirconscription provisoire modifié, est hautement spéculatif.

Iristel n’a pas réussi à démontrer que les entreprises ont l’intention de s’interconnecter tout en utilisant le tarif de raccordement intercirconscription provisoire modifié, et aucun lien clair n’a été démontré entre les entreprises utilisant le nouveau tarif provisoire et la nécessité pour Iristel de réduire ses investissements ou d’augmenter les prix pour les consommateurs dans le Nord. Par conséquent, l’impact sur les consommateurs du maintien du tarif de raccordement intercirconscription provisoire modifié n’a pas été démontré.

Tout compte fait, le Conseil estime qu’il est dans l’intérêt public de maintenir le tarif modifié en attendant la décision sur la demande RM, ce qui contribue également à la certitude réglementaire. La décision aborde, entre autres, des questions sérieuses concernant le tarif de raccordement intercirconscription d’Iristel et la stimulation du trafic vers l’indicatif régional 867 dans le Nord au profit d’Iristel et au détriment d’autres fournisseurs de services. Le maintien du tarif provisoire modifié permettra un examen complet de la demande RM tout en évitant d’introduire une incertitude supplémentaire concernant le tarif de raccordement intercirconscription d’Iristel.

Le Conseil devrait-il mettre en œuvre un test modifié?

Iristel a demandé que si le Conseil conclut qu’elle ne satisfait pas à la composante de préjudice irréparable des critères RJR-MacDonald, l’intérêt public majeur en jeu justifie l’utilisation du test modifiéNote de bas de page9 pour une suspension. TCI s’est opposée à l’utilisation du test modifié.

Résultats de l’analyse du Conseil

Les circonstances de la modification du test découlent des conclusions tirées dans la politique réglementaire de télécom 2015-326Note de bas de page10 et dans la décision de télécom 2016-379Note de bas de page11, qui sont les résultats d’un examen approfondi du cadre réglementaire des services filaires de gros, et qui comportent des considérations politiques générales ayant un impact sur de nombreux intervenants. Cette affaire se distingue de la présente dans la mesure où le litige qui sous-tend la demande de suspension d’Iristel est essentiellement bilatéral entre cette entreprise et TCI et n’implique pas de considération politique générale ayant un impact sur un grand nombre de parties. Par conséquent, il n’y a pas de circonstances spéciales ou uniques dans la demande de suspension d’Iristel qui justifieraient une dérogation à la pratique générale du Conseil et la mise en œuvre du test d’intérêt public utilisé dans le test modifié.

Résumé des conclusions du Conseil

Compte tenu de tout ce qui précède et en se fondant sur les critères RJR-MacDonald, le Conseil rejette la demande de suspension d’Iristel concernant la modification du tarif de raccordement intercirconscription et approuve la demande de suspension concernant une prolongation du délai de dépôt d’un avis de modification tarifaire avec une étude de coûts de la Phase II jusqu’à ce que le Conseil fournisse des directives supplémentaires. Pour plus de certitude, le tarif de raccordement intercirconscription d’Iristel de 0,0098125 $, modifié à compter de la date de la décision, demeurera provisoire jusqu’à nouvel ordre du Conseil.

Instructions

Pour parvenir à ces conclusions, le Conseil a tenu compte des Instructions de 2006Note de bas de page12 et des Instructions de 2019Note de bas de page13. Selon les Instructions de 2006, le Conseil doit autant que possible se fier au libre jeu du marché ou, lorsque nécessaire, doit réglementer d’une manière qui n’y fait obstacle que dans la mesure du nécessaire pour atteindre les objectifs de la Loi, tout en précisant le ou les objectif(s) qu’elles visent. Les présentes recommandations du Conseil servent à favoriser la réalisation des objectifs de la politique énoncés aux alinéas 7a), b), c) et f) de la LoiNote de bas de page14.

La conclusion du Conseil selon laquelle le tarif de raccordement intercirconscription d’Iristel de 0,0098125 $ demeure provisoire en attendant la disposition de la demande RM est conforme aux Instructions de 2006. Conformément au sous-alinéa 1b)(ii), le Conseil estime que les mesures visant à maintenir provisoirement, et jusqu’à nouvel ordre, le tarif de raccordement intercirconscription modifié d’Iristel permet au Conseil d’examiner l’adéquation de ce tarif, si nécessaire, sans autre modification du tarif provisoire. Cette mesure n’encourage pas l’entrée de concurrents économiquement efficace sur le marché ni celle une entrée économiquement inefficace.

Les Instructions de 2019 précisent que dans l’exercice des pouvoirs et fonctions que lui confère la Loi, le Conseil devrait examiner comment ses décisions peuvent promouvoir la concurrence, l’abordabilité, les intérêts des consommateurs et l’innovation. Le Conseil doit également démontrer que ses décisions sont conformes aux Instructions.

Conformément au sous-alinéa 1a)(iii) des Instructions de 2019, le Conseil estime que la mesure réglementaire établie ci-dessus, à savoir, le maintien d’un tarif de raccordement intercirconscription provisoire modifié pour Iristel, fait en sorte qu’un accès abordable à des services de télécommunication de haute qualité soit disponible dans toutes les régions du Canada et favorise la réalisation des objectifs de la politique établis dans la Loi, comme mentionné plus haut. En outre, un système de télécommunications ordonné qui permet d’acheminer et de traiter tous les appels de manière efficace et qui n’incite pas à une stimulation du trafic qui profite à une entreprise de télécommunication plutôt qu’à d’autres est dans l’intérêt public.

À la lumière de ce qui précède, le Conseil estime que ses conclusions favoriseront l’investissement, la concurrence, l’abordabilité et l’innovation.

Veuillez agréer, Monsieur, l’expression de mes sentiments les meilleurs.

L’original signé par

Claude Doucet
Secrétaire général

c. c. Tacit Law Regulatory, regulatory@tacitlaw.com
Centre pour la défense de l’intérêt public, jlawford@piac.ca
Opérateurs de réseaux concurrentiels canadiens, regulatory@cnoc.ca
Rogers Communications Canada Inc., rwi_gr@rci.rogers.com
Stephen Schmidt, TELUS Communications Inc.;regulatory.affairs@telus.com
Marc Lange, marc8lange@gmail.com
ZenoRadio bh@zenoradio.com

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