Ordonnance de télécom CRTC 2024-207
Ottawa, le 12 septembre 2024
Dossier public : 8740-S22-202402527
Saskatchewan Telecommunications – Avis de modification tarifaire 381 – Ajout de frais de refus de demande de service local (DSL)
Sommaire
Le Conseil approuve l’avis de modification tarifaire 381 de Saskatchewan Telecommunications (SaskTel), dans lequel l’entreprise proposait d’ajouter des frais de refus de demande de service local (DSL) à son tarif des services d’accès propres aux concurrents. L’ajout proposé permettra à SaskTel d’inciter les concurrents à réduire leurs refus de DSL pouvant être évités en les facturant à un taux que le Conseil a précédemment estimé juste et raisonnable.
Contexte
- Lorsqu’un client de services de télécommunication change de fournisseur de services, le nouveau fournisseur envoie une demande de service local (DSL) à l’ancien fournisseur afin de transférer les services du client. Le formulaire de demande doit contenir tous les renseignements nécessaires à un transfert efficace des services d’une entreprise à l’autre. Une DSL qui contient des erreurs peut être refusée et retournée à l’entreprise qui l’a envoyée.
Demande
- Le 13 mai 2024, le Conseil a reçu une demande de Saskatchewan Telecommunications (SaskTel), soit l’avis de modification tarifaire 381, dans laquelle l’entreprise proposait un ajout à son tarif des services d’accès propres aux concurrents. L’entreprise a proposé d’ajouter l’article 610.31 – Frais de refus de demande de service local (DSL).
- SaskTel a fait valoir que l’article tarifaire proposé a été structuré conformément à la politique réglementaire de télécom 2012-523, dans laquelle le Conseil a fixé des limites permettant de déterminer quand des frais de refus de DSL s’appliqueraient.
- SaskTel a proposé un tarif de refus de DSL de 70 $ dépassant ces limites. L’entreprise a fait valoir que cela est conforme aux tarifs que le Conseil a approuvés ou estimés justes et raisonnables dans des décisions antérieuresNote de bas de page 1.
- SaskTel a demandé le 24 juin 2024 comme date d’entrée en vigueur.
- Le Conseil n’a reçu aucune observation concernant la demande.
Analyse du Conseil
- Dans l’ordonnance de télécom 2009-805, le Conseil a déterminé qu’il convenait pour Bell Canada et Bell Aliant Communications régionales, société en commandite, de facturer les refus de DSL dans certaines conditions et au-delà de certaines limites quant aux taux de refus. L’intention du Conseil était d’encourager les concurrents à réduire leurs refus de DSL pouvant être évités.
- Dans la politique réglementaire de télécom 2012-523, le Conseil a élargi l’applicabilité des frais de refus de DSL et a déterminé que les entreprises de services locaux pouvaient facturer les refus de DSL. Le Conseil a également augmenté la limite quant aux taux acceptables de refus de DSL à partir desquels les entreprises peuvent commencer à facturer ces refus. Pour la demande de SaskTel, ces limites s’appliqueraient comme suit :
- un seuil de taux de refus de DSL mensuel de 12,8 % jusqu’au 12 septembre 2025, de 10,4 % jusqu’au 12 septembre 2026, et de 8 % par la suite s’applique à chaque fournisseur de services qui soumet plus de 500 DSL dans un mois, à moins qu’au moins 75 % des DSL soumises pour ce mois concernent des services d’affaires;
- un seuil de taux de refus de DSL mensuel de 25,6 % jusqu’au 12 septembre 2025, de 20,8 % jusqu’au 12 septembre 2026, et de 16 % par la suite s’applique à chaque fournisseur de services qui soumet 500 DSL ou moins dans un mois et à chaque fournisseur de services pour lequel au moins 75 % des DSL soumises pour ce mois concernent des services d’affaires.
- SaskTel a tenu compte de ces limites dans sa demande.
- SaskTel a proposé des frais de 70 dollars pour chaque demande dépassant la limite approuvée. Dans l’ordonnance de télécom 2009-805, le Conseil a conclu que ce taux était juste et raisonnable. Le Conseil a depuis lors approuvé ce taux pour d’autres entreprises de services locaux.
- Le Conseil estime que le tarif proposé par SaskTel est conforme à ces décisions.
Conclusion
- Compte tenu de tout ce qui précède, le Conseil approuve, par décision majoritaire, la demande de SaskTel. Les dates proposées pour les limites doivent être révisées pour refléter la date d’entrée en vigueur.
- Des pages de tarif modifiées doivent être publiées dans les 10 jours civils suivant la date de la présente ordonnance. Les pages de tarif modifiées peuvent être présentées au Conseil sans page de description ni demande d’approbation; une demande tarifaire n’est pas nécessaire.
- L’opinion minoritaire du conseiller Bram Abramson est jointe à la présente décision.
Secrétaire général
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Opinion minoritaire du conseiller Bram Abramson
- « La phrase la plus dangereuse qu’un responsable du traitement des données puisse utiliser », comme l’a dit la contre-amirale américaine Grace Hopper, pionnière de l’informatique, est « nous l’avons toujours fait comme ça ». [traduction] L’appel de Hopper à résister à la complaisance et à adopter un esprit d’amélioration continue s’est répandu. C’est plutôt une règle d’or dans les milieux d’affaires.
- La même proposition est toutefois moins évidente pour les tribunaux qui, après tout, sont régis, dans la tradition de la common law, par le principe de stare decisis – l’obligation de respecter les précédents. Mais même les cours de common law ne sont pas privées de la possibilité de réexaminer les précédents. Historiquement, ils ont évité ce carcan en « interprétant étroitement les ratios des décisions, en distinguant les précédents […] Note de bas de page 2 ». Plus tard, ils l’ont fait avec plus d’enthousiasme, suivant l’avis de la Chambre des lords du Royaume-Uni selon lequel « une adhésion trop rigide au précédent peut conduire à une injustice dans un cas particulier et également restreindre indûment le développement correct du droit Note de bas de page 3 ». Et « la barre est haute lorsqu’il s’agit d’en justifier le réexamen », cela
est rempli lorsqu’une nouvelle question juridique est soulevée, ou lorsqu’il y a un changement important dans les circonstances ou les éléments de preuve. Cela permet de trouver un juste équilibre entre le besoin de finalité et de stabilité avec la reconnaissance du fait que lorsqu’un cas approprié se présente pour réexaminer un précédent, une juridiction inférieure doit être en mesure de jouer pleinement son rôle Note de bas de page 4. - Un tribunal administratif, comme le Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes (CRTC), devrait se situer quelque part entre les entreprises et les tribunaux en la matière. Garantir la prévisibilité pour les entreprises que nous réglementons est un élément fondamental pour notre rôle. Nous le faisons en établissant des cadres clairs, puis en respectant les attentes légitimes des parties de pouvoir s’appuyer sur ces cadres comme ils sont interprétés dans leur contexte Note de bas de page 5. Nous ne nous en écartons que pour de bonnes raisons, que nous expliquons en retour dans nos motifs écrits, afin de continuer à honorer la prévisibilité.
- Cela signifie toutefois que nous devons nous tenir prêts à trouver de telles raisons d’une manière qui va au-delà des efforts que les tribunaux liés en vertu de stare decisis pourraient déployer. En effet, contrairement aux tribunaux, nous n’avons pas le droit de nous estimer comme liés par des précédents ou des cadres antérieurs. Au contraire,
« […] bien que le CRTC puisse mentionner les décisions qu’il a déjà rendues et puisse s’en inspirer, ces décisions ne peuvent pas dicter ses décisions ultérieures. Le CRTC n’est pas lié par les précédents et il est légalement tenu de ne pas limiter son pouvoir discrétionnaire Note de bas de page 6. » - L’attente légitime que nous appliquions de nouveau les cadres énoncés précédemment est, en d’autres termes, subordonnée à l’exigence de ne pas entraver notre pouvoir discrétionnaire : « Seules les attentes procédurales sont protégées, et non les attentes de fond telles que l’attente qu’une méthodologie particulière soit suivie Note de bas de page 7 ». En d’autres termes, « l’argument “nous l’avons toujours fait ainsi” n’est pas un argument juridique; il n’est pas convaincant et n’est pas pertinent. La question [dans le cadre du droit administratif] est de savoir ce que dit la loi sur la base » des principes de son interprétation Note de bas de page 8.
- Cette question de savoir dans quelle mesure nous devons réexaminer les cadres passés lorsque de nouvelles demandes nous invitent à les réappliquer par mimétisme est au cœur de l’art réglementaire. Elle est également au cœur de ma divergence avec la majorité du Comité des télécommunications concernant la présente décision au nom du Conseil Note de bas de page 9. Cet écart est conforme à l’approche que j’ai adoptée dans le cas de l’ordonnance de télécom 2024-183 (Cooptel), dont je remarque qu’elle n’avait pas encore été rendue lorsque Saskatchewan Telecommunications (SaskTel) a déposé la demande dont il est question ici.
- Pour comprendre pourquoi, je commence par le sujet qui nous préoccupe. Les demandes de service local (DSL), formatéesNote de bas de page 10 et envoyéesNote de bas de page 11 conformément aux Lignes directrices relatives aux commandes locales canadiennes (LDCL-C), sont fondamentales pour les processus concurrentiels que le Conseil supervise.
- Autrefois, les DSL étaient principalement utilisées pour donner effet aux décisions des utilisateurs finals de changer de compagnie de téléphone. Aujourd’hui, les fournisseurs de services les utilisent également pour la migration d’abonnements aux services de téléphonie mobile, Internet à large bande ou de télévisionNote de bas de page 12. Elles sont devenues une infrastructure de base, « nécessaires à l’échange efficace de renseignements entre les FST interconnectés [et les entreprises de distribution de radiodiffusion] et au développement et au maintien d’un marché concurrentiel »Note de bas de page 13.
- Pour donner effet à une DSL, l’ancien fournisseur de services qui la reçoit compare ses dossiers avec le texte – dont une grande partie est constituée de renseignements personnels Note de bas de page 14 – intégré, dans la DSL, par le nouveau fournisseur. En cas d’inadéquation, le processus échoue, des retards s’ensuivent et les utilisateurs finals sont mécontents.
- Pourquoi y aurait-il un décalage? Il se peut que le personnel du nouveau fournisseur de services ait négligé de remplir correctement les champs ou encore de vérifier les formulaires remplis par l’abonné, dont le texte se retrouve dans la DSL. Il se peut que le nouveau fournisseur de services mette en forme les initiales des clients ou encore les abréviations des noms de rue différemment de l’ancien fournisseur. Il se peut aussi que la base de données de l’ancien fournisseur de services contienne des erreurs ou des adresses anciennes. Peut-être s’agit-il également de toute autre chose.
- Comment limiter au minimum ces décalages afin de réduire les tâtonnements des fournisseurs de services et de satisfaire les utilisateurs finals?
- En partie grâce au bon comportement des fournisseurs de services qui ont intérêt à ce que le système fonctionne bien. L’examen diligent et périodique de la mise en œuvre des LDCL-C constitue un bon comportement. Il en va de même pour les motifs de rejet des DSL. Il en va de même pour la collaboration en vue d’identifier « la source des problèmes concernant les commandes » Note de bas de page 15. Il en va de même, d’ailleurs, du respect des procédures convenues pour contester les DSL qui ont été rejetées sans qu’il y ait faute de la part du nouveau fournisseur de services Note de bas de page 16.
- Toutefois, il est possible d’inciter à un bon comportement en imposant un coût aux comportements moins bons, en faisant payer les nouveaux fournisseurs de services lorsqu’ils commettent trop d’erreurs. Quel est le montant à facturer? Combien d’erreurs faut-il pour que ce soit trop? Dans quelles conditions cette incitation par les prix se dissocie-t-elle pour créer des incitations perverses?
- Comme l’explique la décision majoritaire, le Conseil a répondu à ces questions dans des décisions qui ont depuis, en s’appuyant sur des précédents, été élevées au rang de précédent. Nous avons examiné d’un œil critique la proposition de Bell Canada de parvenir à une formule ainsi qu’à un prix en 2009. Nous l’avons ensuite ajusté en 2012, sur la base d’autres hypothèses concernant l’augmentation moyenne des taux d’erreur lorsque les bases de données clients de l’ancien fournisseur de services n’ont pas de renseignements auxquels se reporter.
- C’était toutefois il y a plus de dix ans. L’utilisation des DSL par plusieurs fournisseurs pour traiter les commandes de services comme la large bande à domicile et la télévision par abonnement n’en étaient alors qu’à ses balbutiements. Le degré d’automatisation de la manipulation des DSL était différent. Il en va de même pour la structure de l’industrie.
- Comme il en a été décidé pour la demande de Cooptel dans l’ordonnance de télécom 2024-183, la demande de SaskTel reproduit de la même manière la formule que le Conseil a établie il y a de cela des années. En l’absence de raisons impérieuses contraires, on peut dire que SaskTel, comme Cooptel, possédait une confiance légitime dans la poursuite de l’application de la formule. Cette attente a aussi été renforcée par l’approche générale du Conseil. Continuer à appliquer les formules que nous avons établies jusqu’à ce que nous soyons confrontés à des changements qui doivent être pris en compte constitue, à bien des égards, une pratique de longue date du Conseil.
- Cependant, ici, comme dans le cas de la demande de Cooptel, j’aurais souhaité, compte tenu de la manière très factuelle dont la formule de Bell Canada a été obtenue et, peut-être plus important encore, du passage du temps et de l’évolution de la dynamique de l’industrie depuis lors, que certains éléments de preuve aient été soit déposés par le demandeur, soit demandés par le Comité des télécommunications au moyen d’une demande de renseignements. De tels éléments de preuve auraient pu rassurer le Comité quant à la pertinence de continuer avec cette approche. Cela nous aurait permis de nous acquitter de notre devoir de nous inspirer, éventuellement, de ces décisions antérieures, et ce, sans pour autant les laisser dicter nos décisions ultérieures, ce que nous ne devons pas faire.
- Si la fixation initiale de ces taux avait été un exercice plus généralisé, si moins de temps s’était écoulé et si moins de changements s’étaient produits depuis que ce cadre initial a été établi dans un contexte fortement axé sur les faits, j’aurais probablement eu une approche différente, conforme à celle de la majorité. En règle générale, plus les changements de circonstances sont importants depuis la formule originale que l’on nous demande d’imiter dans une forme de demande tarifaire de type « moi aussi » – comme c’est inévitable dans un secteur dynamique sur une longue période – plus nous nous rapprochons de cette ligne lorsque nous traitons la formule comme une incantation magique plutôt que comme une présomption renforcée par de nouveaux éléments de preuve, même limités, que nous avons été en mesure de prendre expressément en considération.
- Lorsque les circonstances ont changé, comme on peut le supposer lorsque beaucoup de temps s’est écoulé, les parties qui demandent au Conseil d’appliquer un précédent ne doivent donc pas se contenter de démontrer que leur demande est compatible avec le précédent sur lequel elles s’appuient. Elles doivent également montrer que le Conseil souhaite appliquer ce précédent, et ce, parce qu’il reste approprié dans les circonstances. Au fur et à mesure que le temps et les circonstances s’écoulent entre une telle demande et le précédent sur lequel elle cherche à s’appuyer, l’importance de déposer un minimum d’éléments de preuve, ou de les solliciter lorsqu’elles n’ont pas été déposées, ne fait que s’accentuer. Dans le cas contraire, nous risquons d’enfreindre non seulement notre obligation légale, mais également la phrase la plus dangereuse du monde des affaires.
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