Décision de télécom CRTC 2017-457

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Ottawa, le 20 décembre 2017

Dossier public : 8622-B2-201700469

Bell Canada et Norouestel Inc. – Demande visant la mise en œuvre d’un cadre de réglementation concernant la stimulation du trafic

Le Conseil rejette la demande de Bell Canada et de Norouestel Inc. proposant la mise en œuvre d’un cadre de réglementation concernant la stimulation du trafic pour l’interconnexion des réseaux locaux, au motif qu’il n’y a pas suffisamment d’éléments de preuve justifiant un tel cadre.

Contexte

  1. Dans la décision de télécom 97-8, le Conseil a établi le régime d’interconnexion des réseaux locaux pour que les entreprises de services locaux concurrentes (ESLC) puissent s’interconnecter avec les entreprises de services locaux titulaires (ESLT) selon les taux et modalités approuvés par le Conseil, dans le but d’échanger le trafic local et de devenir compétitives dans le marché des services locaux. Le régime, qui a été modifié dans des décisions subséquentes du Conseil, est fondé sur le principe fondamental selon lequel les ESLC sont des entreprises d’envergure équivalente aux ESLT dans le marché des services locaux.
  2. En vertu du régime d’interconnexion des réseaux locaux, les ESLC et les ESLT se partagent les coûts de raccordement des circuits. Le régime comprend également deux mécanismes de compensation des coûts qui s’appliquent à l’échange du trafic entre les entreprises de services locaux (ESL) : a) la facturation-conservation, lorsque l’échange de trafic entre deux ESL est équilibré; b) la compensation réciproque, lorsque l’échange de trafic n’est pas équilibréNote de bas de page 1.
  3. Selon le mécanisme de facturation-conservation, l’entreprise de départ facture l’appel à ses clients et conserve les revenus correspondants, sans dédommager l’entreprise d’arrivée pour les dépenses liées au raccordement des appels. Selon la méthode de compensation réciproque, lorsqu’il y a un déséquilibre pendant une période assez importante, l’ESL qui achemine moins de trafic qu’elle n’en raccorde a droit à une compensation de la part de l’autre ESL. Le Conseil avait prévu que l’échange de trafic s’équilibrerait au fil du temps, de sorte que les paiements liés au déséquilibre et accordés dans le cadre du mécanisme de compensation seraient, le cas échéant, réduits ou éliminés.
  4. Dans la décision de télécom 2010-787, le Conseil a révisé la méthode de compensation réciproque en prévoyant des réductions de paiements de compensation lorsqu’il apparaît qu’un modèle de trafic ne permet pas un équilibre dans le trafic entre deux ESL.
  5. La stimulation du trafic, aussi appelée « pompage de la circulation », est une pratique par laquelle un fournisseur de services téléphoniques provoque l’augmentation, ou permet l’augmentation, du volume ou des minutes d’appels au-delà du seuil prévu. De telles pratiques peuvent être acceptables; toutefois, selon les circonstances, elles peuvent plutôt accorder à certaines parties une préférence indue et faire subir à d’autres un désavantage indu ou déraisonnable correspondant, en violation du paragraphe 27(2) de la Loi sur les télécommunications. Le Conseil ne reçoit pas souvent de demandes alléguant qu’il y a une stimulation du trafic; le cas échéant, ces demandes sont traitées au cas par cas.
  6. Par exemple, le 21 octobre 2014, Bell Aliant Communications régionales, société en commandite (Bell Aliant)Note de bas de page 2 et Bell Canada ont déposé une demande alléguant que Fibernetics Corporation (Fibernetics) se livrait à une stimulation du trafic liée au régime d’interconnexion de réseaux locaux. Dans la décision de télécom 2015-353, le Conseil a déterminé que les activités alléguées ne contrevenaient à aucune règle ou politique existante du Conseil ni à aucune obligation des ESLC. Toutefois, afin de déterminer si la demande soulevait un problème plus vaste qui devait être abordé, le Conseil a entrepris une procédure d’établissement des faits.
  7. À la fin de la procédure d’établissements des faits, le personnel du Conseil a envoyé une lettre le 13 avril 2016 indiquant qu’il n’y avait pas lieu de mener un examen du régime de déséquilibre de trafic ou de créer un cadre de réglementation concernant la stimulation du trafic à ce moment-là. Le personnel du Conseil a observé, entre autres choses, que l’échange de trafic entre les ESLT et les ESLC sur les circuits de facturation-conservation s’équilibrait de plus en plus, ce qui entraîne une diminution générale des paiements liés au déséquilibre du trafic. De plus, pour dissuader les ESLC d’exploiter les situations de déséquilibre du trafic, le personnel a fait remarquer que les ESLT peuvent prendre diverses mesures qu’elles n’ont pas à faire approuver par le Conseil.

Demande

  1. Le 31 janvier 2017, Bell Canada et Norouestel Inc. (compagnies Bell) ont déposé une demande proposant au Conseil de mettre en œuvre un cadre de réglementation concernant la stimulation du trafic pour l’interconnexion des réseaux locaux. Les compagnies Bell ont précisé que le cadre devrait interdire toute forme de partage de revenus qui encouragerait la stimulation du trafic et devrait permettre aux ESL de modifier leurs tarifs d’interconnexion afin de faire face aux activités alléguées de stimulation du trafic.
  2. Le Conseil a reçu des interventions au sujet de la demande des compagnies Bell de la part de Bragg Communications Incorporated, exerçant ses activités sous le nom d’Eastlink (Eastlink); le Consortium des Opérateurs de Réseaux Canadiens Inc. (CORC); Distributel Communications Limited (Distributel); Freedom Mobile Inc. (Freedom Mobile); Iris Technologies Inc. (Iris Technologies); Québecor Média inc., au nom de Vidéotron s.e.n.c. (Vidéotron); Rogers Communications Canada Inc. (RCCI); Shaw Telecom G.P. (Shaw); SSi Micro Ltd. (SSi); et TELUS Communications Inc. (TCI)Note de bas de page 3.

Le Conseil devrait-il établir un cadre de réglementation concernant la stimulation du trafic?

  1. Dans leur demande, les compagnies Bell ont déclaré qu’elles se sont longtemps inquiétées de la possibilité d’abus au sein du régime d’interconnexion des réseaux locaux, comme l’indiquent différentes demandes déposées auprès du Conseil, notamment la demande de Bell Aliant et de Bell Canada concernant Fibernetics et la demande déposée par RCCI le 16 novembre 2016 alléguant qu’Iris Technologies et Iristel Inc. (collectivement Iristel) se livraient à des pratiques de stimulation du trafic.
  2. Les compagnies Bell ont fait valoir que la stimulation du trafic peut : a) nuire à l’efficacité du régime d’interconnexion des réseaux locaux; b) générer des coûts pour les ESL, ce qui signifierait une baisse importante des investissements dans d’autres secteurs comme le déploiement de services à large bande; c) donner lieu à une hausse des frais interurbains, qui devraient être payés par les consommateurs. Elles ont ajouté que les activités de stimulation du trafic seraient particulièrement problématiques dans les régions rurales et éloignées du pays, là où les infrastructures sont limitées et où un volume de trafic proportionnellement petit est échangé. Les compagnies Bell ont déclaré que la stimulation du trafic pousserait le trafic de ces régions à une croissance extrême et provoquerait une congestion importante avec le trafic légitime, ce qui forcerait les ESL à investir dans des installations à frais partagés qui, autrement, ne seraient pas nécessaires.

Proposition des compagnies Bell

  1. Les compagnies Bell ont proposé la création d’un cadre de réglementation concernant la stimulation du trafic pour l’interconnexion des réseaux locaux, cadre semblable au régime instauré par la Federal Communications Commission des États-Unis. Selon le cadre proposé, si l’on présume qu’une ESL pratique une activité de stimulation du trafic, parce qu’elle partage ses revenus et qu’elle connaît une croissance disproportionnée du trafic, elle doit démontrer la légitimité de sa hausse de trafic. Les compagnies Bell ont aussi demandé l’interdiction du partage des revenus qui encourage la stimulation du trafic et ont proposé des modifications au libellé des tarifs d’interconnexion des ESL afin de faire face aux activités alléguées de stimulation du trafic.
  2. Conformément au cadre proposé, une ESL soupçonnée de stimuler le trafic devrait subir deux conséquences. Tout d’abord, elle ne serait plus admissible aux paiements liés au déséquilibre du trafic. Ensuite, l’ESL interconnectée pourrait refuser de partager les frais en vue d’augmenter la capacité d’interconnexion réciproque pour favoriser la hausse du traficNote de bas de page 4. L’ESL soupçonnée de participer à des activités de stimulation du trafic serait responsable de financer toute augmentation de la capacité nécessaire au trafic qui a été stimulé, même si une autre partie agit à titre d’entreprise de services intercirconscriptionsNote de bas de page 5.
  3. Les compagnies Bell ont indiqué que le cadre qu’elles ont proposé représentait une approche globale qui permettrait d’assurer que les modifications au régime d’interconnexion des réseaux locaux seront largement applicables et que les ESL pourront facilement mettre en œuvre des mesures de redressement pour remédier à la stimulation du trafic. Elles ont déclaré que leur proposition avait pour but de décourager la stimulation apparente du trafic, tout en permettant à l’exploitant qui a subi une augmentation du trafic de justifier les augmentations légitimes. Les compagnies Bell ont ajouté que si la situation ne pouvait être résolue de manière satisfaisante pour les deux parties, l’une ou l’autre des parties pourrait renvoyer la question au Conseil.

Positions des autres parties

  1. Eastlink, Freedom Mobile, RCCI, Shaw et TCI ont appuyé, d’une manière générale, la préoccupation des compagnies Bell selon laquelle la stimulation du trafic pouvait nuire aux ESL et à leurs clients. Toutefois, alors que Freedom Mobile et Shaw ont appuyé le cadre proposé par les compagnies Bell, Eastlink, RCCI et TCI ont exprimé certaines préoccupations à l’égard de ce cadre.
  2. Le CORC, Distributel, Iris Technologies et SSi (les entreprises défavorables) étaient en défaveur de la demande des compagnies Bell, soutenant que celles-ci n’avaient pas démontré que la stimulation du trafic était un problème suffisant pour nécessiter des mesures de redressement réglementaire. Les entreprises défavorables ont observé que le Conseil avait conclu : a) dans la décision de télécom 2015-353, que Fibernetics ne s’était pas livrée à des pratiques de stimulation du trafic; b) dans son exercice d’établissement des faits de 2016, que rien ne prouvait qu’un problème réel et généralisé devait être résolu.
  3. En outre, les entreprises défavorables ont fait valoir que le Conseil examinait de manière appropriée, dans le cadre d’un processus séparé, les allégations distinctes présentées par RCCI selon lesquelles Iristel se livraient à des pratiques de stimulation du trafic. Les entreprises défavorables ont précisé que ces allégations concernaient le régime d’interconnexion des réseaux interurbains et non le régime d’interconnexion des réseaux locaux. À cet égard, RCCI, TCI et Vidéotron ont indiqué que la proposition des compagnies Bell devait être élargie en vue d’accorder des mesures de redressement à un plus grand nombre d’entreprises, soit au moins aux entreprises de services intercirconscriptions et éventuellement à l’ensemble des fournisseurs de services de télécommunication.
  4. Les entreprises défavorables et Eastlink ont soutenu que la proposition des compagnies Bell était trop générale et unilatérale, c’est-à-dire qu’elle donnerait aux compagnies Bell et aux autres ESL des pouvoirs qui leur permettraient d’imposer des sanctions importantes à l’encontre d’une ESL uniquement en fonction de leur propre jugement quant à la question de savoir si une hausse du trafic en facturation-conservation était légitime. Elles ont également soutenu que la proposition des compagnies Bell leur permettrait de punir des ESL pour une hausse légitime du trafic.
  5. Le CORC a fait valoir que la proposition était ambiguë quant à la question de savoir quels éléments de preuve une ESL accusée de stimuler le trafic devrait fournir pour établir que la croissance du trafic était légitime. Distributel, Iris Technologies et TCI ont noté que les ententes de partage des revenus étaient confidentielles et qu’une ESL accusée de stimulation du trafic devrait se défendre en divulguant des renseignements confidentiels, ce qui pourrait compromettre sa situation sur le plan commercial.

Résultats de l’analyse du Conseil

  1. Comme il est mentionné ci-dessus, le personnel du Conseil a envoyé une lettre en conclusion de son exercice d’établissement des faits effectué à la suite de la décision de télécom 2015-353, indiquant qu’il n’y avait pas lieu d’entreprendre l’examen du régime de déséquilibre du trafic ou de créer un cadre de réglementation concernant la stimulation du trafic.
  2. Le Conseil note que des mécanismes de contrôle de l’interconnexion des réseaux locaux sont en place afin de corriger les déséquilibres importants du trafic. Par exemple, dans la décision de télécom 2010-787, le Conseil a mis en œuvre un mécanisme au moyen duquel les indemnités payables en raison du déséquilibre du trafic seraient réduites de manière cumulative dans des situations de grand déséquilibre du trafic entre ESL. De plus, comme le personnel du Conseil l’a indiqué dans sa lettre du 13 avril 2016, les ESLT peuvent prendre diverses mesures non réglementaires pour répondre aux préoccupations liées au déséquilibre du trafic.
  3. Les compagnies Bell ont signifié des copies de leur demande à l’ensemble des ESLT, des ESLC et des ESLC proposées. Aucune partie à la présente instance n’a présenté de preuves ou d’allégations au sujet de pratiques récentes de stimulation du trafic autres que celles liées aux allégations distinctes de RCCI à l’égard d’Iristel. Les conclusions rendues par le Conseil à l’égard de la demande de RCCI sont établies dans la décision de télécom 2017-456, publiée en même temps que la présente décision.
  4. Compte tenu de ce qui précède, le Conseil conclut qu’il ne dispose pas d’une preuve suffisante pour en arriver à une décision différente que celle établie dans la lettre du personnel du Conseil d’avril 2016, à savoir que rien ne suggère que la stimulation du trafic a une incidence sur l’interconnexion des réseaux locaux et les paiements de compensation liés au déséquilibre du trafic, de sorte qu’une réglementation additionnelle à l’égard du régime d’interconnexion des réseaux locaux soit requise.
  5. Par conséquent, le Conseil rejette la demande des compagnies Bell visant la mise en œuvre d’un cadre de réglementation concernant la stimulation du trafic pour l’interconnexion des réseaux locaux.

Secrétaire général

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