ARCHIVÉ - Décision de radiodiffusion CRTC 2014-486

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Référence au processus : Demande de la Partie 1 affichée le 21 février 2014

Ottawa, le 22 septembre 2014

Leiacomm
L’ensemble du Canada

Demande 2014-0131-4

Plainte de Leiacomm contre Bell Média inc. alléguant une préférence et un désavantage indus

Leiacomm, un service de distribution de contenu Internet, a déposé une plainte auprès du Conseil contre Bell Média inc. lorsque ce dernier a refusé de lui fournir du contenu aux fins de distribution par le service de Leiacomm.

Le Conseil conclut qu’en refusant de fournir son contenu à Leiacomm, Bell Média inc. s’est accordé à lui-même et à certaines entreprises de distribution de radiodiffusion une préférence et a assujetti Leiacomm à un désavantage. Cependant, le Conseil estime que cette préférence et ce désavantage ne sont pas indus.

Par conséquent, le Conseil rejette la plainte de Leiacomm.

L’opinion minoritaire du conseiller Raj Shoan est jointe à la présente.

Les parties

  1. Leiacomm est un service de distribution de contenu Internet qui sera exploité à titre d’entreprise de médias numériques en vertu de l’Ordonnance d’exemption relative aux entreprises de radiodiffusion de médias numériques (l’Ordonnance) établie dans l’ordonnance de radiodiffusion 2012-409. Le service offrira à ses clients tant une programmation linéaire qu’une programmation non linéaire au moyen d’un boîtier de décodage ou sur un site Internet sécurisé. Leiacomm est la propriété de Howard Rabb.
  2. Bell Média inc. (Bell), une filiale de BCE inc., est une société de multimédias qui possède des éléments d’actif importants dans les domaines de la télévision, de la radio, de la publicité par affichage et des médias numériques. Dans le domaine de la télévision, il détient CTV, des chaînes spécialisées, dont TSN et RDS, ainsi que des services payants comme The Movie Network (HBO Canada) et Super Écran. Bell exploite aussi plus de 200 sites web et distribue son service Télé Partout au moyen de ses services de visionnement en continu GO, y compris CTV GO, TMN GO et Bravo GO.

La plainte

  1. Dans la plainte, Leiacomm allègue que Bell a refusé de lui accorder des droits de diffusion de contenu, alors qu’il en accorde à ses propres plateformes en ligne et mobiles, ainsi qu’à d’autres fournisseurs de contenu en ligne. Selon Leiacomm, cette conduite de Bell fait en sorte qu’il s’accorde une préférence indue, en contravention de l’Ordonnance et des principes établis dans la politique réglementaire de radiodiffusion 2011-601 (le cadre relatif à l’intégration verticale) ainsi qu’au Code de déontologie à l’égard des interactions et des ententes commerciales, énoncé dans la politique réglementaire de radiodiffusion 2011-601-1 (le Code).
  2. Leiacomm demande au Conseil de rendre une ordonnance exigeant que Bell respecte l’Ordonnance et le cadre relatif à l’intégration verticale et conclue des ententes d’affiliation afin que Leiacomm puisse distribuer les stations de Bell sur son service.

Réponse de Bell

  1. En réponse à la plainte, Bell allègue que Leiacomm ne peut exiger de profiter des avantages dont jouit une entreprise autorisée (notamment l’accès aux services de programmation canadiens autorisés) sans être tenu de respecter les exigences et obligations inhérentes au fait de détenir une licence.
  2. Bell déclare que ses offres sont conformes aux règlements du Conseil et à l’Ordonnance. Il ajoute qu’il respecte la règle de l’exclusivité établie dans l’Ordonnance, soit qu’une entreprise ne doit pas offrir une programmation de télévision en exclusivité ou de manière autrement préférentielle de sorte que l’accès dépende de l’abonnement à un service mobile ou d’accès Internet de détail en particulier.
  3. Bell fait remarquer que, lorsqu’il détient les droits nécessaires et qu’il rend une programmation disponible en ligne, il rend cette programmation accessible à tous les Canadiens par Internet, sans frais, ou encore moyennant des modalités et des conditions négociées, il la fournit à d’autres entreprises de distribution de radiodiffusion (EDR)Footnote 1 pour leurs services en ligne, où elle sera accessible à partir d’un programme d’authentification.

Interventions

  1. Le Conseil a reçu une intervention en opposition à la présente demande, de la part du Centre pour la défense de l’intérêt public (PIAC), selon qui les questions soulevées dans la plainte sont fondamentales et devraient être traitées dans le cadre de l’examen de la politique sur la télévision Parlons télé, annoncé dans l’avis de consultation de radiodiffusion 2014-190. Selon PIAC, décider maintenant du présent différend équivalent à préjuger des questions qui devraient être examinées lors d’un plus large processus public. PIAC demande au Conseil de reporter sa décision du présent différend jusqu’à la fin de l’instance Parlons télé.
  2. Le dossier public de la présente demande peut être consulté sur le site web du Conseil, www.crtc.gc.ca, ou en utilisant le numéro de la demande ci-dessus.

Analyse et décisions du Conseil

  1. En ce qui concerne l’intervention du PIAC, le Conseil estime qu’il existe un cadre réglementaire clair gouvernant les questions soulevées par Leiacomm : l’Ordonnance, le cadre relatif à l’intervention verticale et le Code. Il estime donc approprié de traiter la plainte maintenant plutôt que d’attendre la fin de l’instance Parlons télé.
  2. Après avoir examiné le dossier public de la présente demande, le Conseil estime qu’il doit se pencher sur les questions suivantes :
    • Existe-t-il une préférence ou un désavantage?
    • La préférence ou le désavantage est-il indu?
    • Le Code s’applique-t-il au présent différend?

Historique sur la préférence indue

  1. Tel qu’indiqué dans l’Ordonnance, une entreprise ne peut pas offrir une programmation de télévision en exclusivité ou de manière autrement préférentielle de sorte que l’accès dépende de l’abonnement à un service mobile ou d’accès Internet de détail en particulier.
  2. Lorsque le Conseil examine une plainte alléguant une préférence ou un désavantage indu, il doit d’abord déterminer si le plaignant a été en mesure de démontrer que le titulaire a accordé une préférence à une personne ou que cette personne a été assujettie à un désavantage.
  3. Si le Conseil conclut qu’une préférence a été accordée ou qu’une personne a été assujettie à un désavantage, il doit alors déterminer si, dans les circonstances, la préférence ou le désavantage est indu.
  4. Pour déterminer si la préférence ou le désavantage est indu, le Conseil évalue si la préférence ou le désavantage accordé a causé ou pourrait causer un préjudice important au plaignant ou à toute autre personne. Il examine également l’effet que la préférence ou le désavantage a ou risque d’avoir sur l’atteinte des objectifs de la politique de radiodiffusion canadienne énoncés dans la Loi sur la radiodiffusion (la Loi).
  5. De plus, comme le prévoit l’Ordonnance, le fardeau de prouver qu’une préférence ou un désavantage n’est pas indu incombe à la partie qui accorde une préférence à une personne ou l’assujettit à un désavantage.
Existe-t-il une préférence ou un désavantage?
  1. En l’espèce, le Conseil doit d’abord déterminer si Bell s’est octroyé à lui-même ou à quiconque une préférence ou s’il a assujetti Leiacomm à un désavantage.
  2. Le dossier démontre que Bell offre son contenu en ligne. Lorsqu’il détient les droits, il offre son contenu gratuitement sur ses sites web, ou encore il le fournit à des EDR sur une base non exclusive pour distribution en ligne où il sera accessible à partir d’un programme d’authentification. Un programme d’authentification signifie que les clients d’une EDR abonnés à un service donné peuvent accéder au contenu de ce service à partir du service en ligne de l’EDR.
  3. Le Conseil note que la diffusion du contenu de Bell sur ses propres sites web et sur les téléphones cellulaires, ou à partir des services en ligne offerts par les EDR, relève de l’application de l’Ordonnance; de plus, lorsqu’ils offrent des services en ligne, Bell et les EDR avec qui il a conclu des ententes sont exploités à titre d’entreprises de médias numériques.
  4. Même si Leiacomm offrira un service de distribution de contenu exclusivement sur Internet et n’exploitera pas (ni ne propose d’exploiter) d’EDR, cela ne change rien au fait que Leiacomm sera aussi exploitée à titre d’entreprise de médias numériques en vertu de l’Ordonnance.
  5. Compte tenu de ce qui précède, le Conseil conclut que Bell traite Leiacomm différemment d’autres entreprises de médias numériques. En ne fournissant son contenu qu’à certaines entreprises de médias numériques exploitées en vertu de l’Ordonnance et non à Leiacomm, Bell s’accorde une préférence à lui-même ainsi qu’à certaines EDR, par rapport à un fournisseur de contenu en ligne, et assujettit ainsi Leiacomm à un désavantage.
La préférence ou le désavantage est-il indu?
  1. Pour déterminer si la préférence et le désavantage sont indus, le Conseil a vérifié si le refus de Bell de fournir du contenu à Leiacomm a eu, ou est susceptible d’avoir, une incidence négative importante sur Leiacomm, ou sur toute autre personne. Le Conseil a également examiné l’incidence que cela a eu, ou est susceptible d’avoir, sur la réalisation des objectifs de politique de la Loi et si le refus de Bell contrevient aux principes du cadre relatif à l’intégration verticale.
  2. Dans le cadre relatif à l’intégration verticale, le Conseil reconnaît l’importance de s’assurer que les consommateurs continuent de bénéficier d’un vaste choix de programmation dans un système de radiodiffusion où la programmation et la distribution sont de plus en plus intégrées.
  3. En l’espèce, le Conseil estime que l’incidence sur la réalisation des objectifs de la Loi est minimale. Selon Bell, son contenu est largement accessible aux Canadiens sans qu’ils soient obligés de s’abonner à un service mobile ou d’accès Internet de détail en particulier. Bien qu’une partie du contenu de GO de Bell ne peut pour l’instant être reçu que par l’entremise de ses EDR, il n’existe aucune preuve que Bell s’en réserve les droits exclusifs ou s’accorde lui-même une préférence lorsqu’il fournit du contenu en ligne accessible à partir d’un programme d’authentification. La seule conclusion qui peut être tirée est que Bell n’a pas encore conclu d’ententes à ce sujet.
  4. Un principe fondamental de l’Ordonnance et du cadre relatif à l’intégration verticale veut que le contenu en ligne soit largement accessible aux Canadiens et qu’il soit disponible sans que ceux-ci soient obligés de s’abonner à un service mobile ou d’accès Internet de détail en particulier; cependant, le principe ne garantit pas qu’un tel contenu soit disponible à tous les fournisseurs de contenu en ligne.
  5. De plus, alors que Bell offre gratuitement son contenu sur ses propres sites web, sur ses plateformes mobiles ainsi qu’aux abonnés d’EDR à partir d’un programme d’authentification, il n’en fournit à aucun fournisseur en activité exclusivement sur Internet. Par conséquent, Bell ne fournit son contenu de façon exclusive à aucun fournisseur ayant le même modèle d’affaires que celui de Leiacomm.
  6. Le Conseil est donc d’avis que les actions de Bell ne contreviennent pas aux principes de l’Ordonnance ou du cadre relatif à l’intégration verticale et qu’il n’abuse pas de son statut d’entreprise intégrée verticalement.
  7. Compte tenu des circonstances, le Conseil estime que le refus de Bell de fournir du contenu à Leiacomm n’a pas d’incidence néfaste significative sur le service de Leiacomm. Le Conseil est d’avis que même sans le contenu de Bell, Leiacomm pourra offrir un service en ligne attrayant, comme d’autres fournisseurs de contenu en ligne le font déjà avec succès (par exemple, Netflix, TOU.TV, etc.). Bien qu’il soit possible que Leiacomm doive modifier son plan d’affaires, le Conseil note qu’il peut profiter d’un large éventail de programmation provenant d’un grand nombre de fournisseurs tant Canadiens qu’étrangers. En outre, le Conseil prévoit qu’une fois son service bien établi, Leiacomm sera dans une meilleure position pour négocier des ententes avec des fournisseurs de programmation, y compris Bell.
  8. Compte tenu de ce qui précède, le Conseil conclut que Bell s’accorde à lui-même et à certaines EDR une préférence et assujettit Leiacomm à un désavantage, mais que cette préférence et ce désavantage ne sont pas indus.
Le Code de déontologie à l’égard des interactions et des ententes commerciales s’applique-t-il au présent différend?
  1. Leiacomm allègue que Bell contrevient au Code de déontologie à l’égard des interactions et des ententes commerciales. Ce Code vise à fournir des lignes directrices qui régissent les ententes commerciales entre les EDR, les programmeurs et les entreprises de médias numériques et à faciliter le processus de négociation. Compte tenu que les parties ne sont pas à l’étape de négocier une entente commerciale, le Code ne s’applique pas dans le cadre du présent différend.

Conclusion

  1. Compte tenu de tout ce qui précède, le Conseil rejette la plainte de Leiacomm.

Secrétaire général

Documents connexes

Opinion minoritaire du conseiller Raj Shoan

Je présente cette opinion minoritaire parce que je crains que la décision du Conseil n’ait pour effet de freiner sérieusement la croissance au Canada d’une industrie indépendante de distribution de contenu en ligne. À première vue, on pourrait penser que la majorité a décidé d’opter pour une approche ouverte, non interventionniste qui sera profitable à la fois à la communauté du contenu en ligne et aux consommateurs canadiens. Un examen plus approfondi des implications montre toutefois que la décision a pour résultat d’augmenter, à leur détriment, la réglementation des entreprises de contenu en ligne, et d’empêcher pour ainsi dire tout nouveau entrant désirant œuvrer exclusivement sur Internet d’accéder au système de radiodiffusion en se prévalant des protections offertes par les Modifications à l’Ordonnance d’exemption relative aux entreprises de radiodiffusion de nouveaux médias (maintenant appelée Ordonnance d’exemption relative aux entreprises de radiodiffusion de médias numériques), ordonnance de radiodiffusion CRTC 2012-409, 26 juillet 2012 (l’Ordonnance d’exemption relative aux médias numériques).

Pour les raisons abordées ci-dessous, je crois que cette décision du Conseil porte atteinte aux principes fondamentaux de la Loi sur la radiodiffusion (la Loi). Cette décision comporte de sérieuses implications pour les services de distribution de contenu en ligne et de vidéo sur demande en ligne; il serait préférable d’examiner ces implications au moyen d’une instance publique exhaustive. J’espère pouvoir démontrer dans cette opinion minoritaire les dangers potentiels que suscite la décision de la majorité et encourager le débat autour du système canadien de radiodiffusion en ligne.

D’un point de vue du droit administratif, le Conseil enfreint son devoir d’équité à l’égard du plaignant de deux façons :

  1. en établissant une distinction entre les entités de distribution de contenu sur Internet alors que la politique actuelle n’en fait pas;
  2. en déterminant que le plaignant n’est pas une entreprise de distribution de radiodiffusion (EDR), sans le moindre fondement probatoire dans la présente instance.

Selon moi, le Conseil a commis une autre erreur en déterminant que le refus de Bell Média (Bell) de fournir du contenu au plaignant n’aurait pas d’incidence importante sur le service proposé par le plaignant.

Enfin, je suis d’avis qu’en obligeant les entités de distribution de contenu Internet à se conformer à la Loi sur les télécommunications pour se prévaloir des dispositions relatives à la préférence indue ou à la discrimination injuste dans le contexte de la radiodiffusion, le Conseil enfreint la Loi et commet une erreur de droit.

Historique

J’incorpore ici par référence l’historique qui figure dans la décision majoritaire aux paragraphes 1 à 9.

En plus de l’historique que fournit la décision du Conseil, il importe d’examiner en détail les dispositions de l’Ordonnance d’exemption relative aux médias numériques qui sont au cœur de la présente affaire. Les ordonnances d’exemption sont émises par le Conseil dans des circonstances précises, que décrit l’article 9(4) de la Loi :

(4) Le Conseil soustrait, par ordonnance et aux conditions qu’il juge indiquées, les exploitants d’entreprise de radiodiffusion de la catégorie qu’il précise à toute obligation découlant soit de la présente partie, soit de ses règlements d’application, dont il estime l’exécution sans conséquence majeure sur la mise en œuvre de la politique canadienne de radiodiffusion.

L’emploi par le Parlement du présent de l’indicatif dans cet article montre bien que l’exemption est inconditionnelle. En d’autres mots, si le Conseil détermine, de fait, que l’exécution d’une quelconque exigence de la Loi est sans conséquence majeure sur la mise en œuvre de la politique canadienne de radiodiffusion, il est tenu d’exempter ces entreprises. Le Conseil dispose ensuite du pouvoir juridique de déterminer les obligations dont ces entreprises pourront être exemptées.

Dans le cas à l’étude, l’entreprise est couverte par l’Ordonnance d’exemption relative aux médias numériques. Les entreprises visées par l’Ordonnance d’exemption relative aux médias numériques sont décrites de la façon suivante :

2. L’entreprise fournit des services de radiodiffusion, conformément à l’interprétation du terme « radiodiffusion » établie dans Nouveaux médias, avis public radiodiffusion CRTC 1999-84/avis public télécom CRTC 99-14, 17 mai 1999, qui sont :

Aucune partie à la présente instance, y compris la plaignante, ne conteste le fait que Leiacomm soit couverte par l’Ordonnance d’exemption relative aux médias numériques. Leiacomm se définit elle-même dans cette instance comme [traduction] « une entreprise exploitée en vertu de l’ordonnance d’exemption et qui distribue des canaux linéaires et non linéaires (contenu sur demande) à ses clients par le biais d’Internet ». Elle se décrit également comme un « distributeur » et une entreprise de « télévision IP ».

Les entreprises couvertes par l’Ordonnance d’exemption relative aux médias numériques sont exemptées de toutes les obligations de la partie II de la Loi, à l’exception des règles à l’égard de la préférence indue, la présentation de rapports, l’exclusivité, les comportements anticoncurrentiels et les procédures de règlement de différends.

Aux fins de la présente opinion minoritaire, l’article à retenir dans l’Ordonnance d’exemption relative aux médias numériques est celui-ci :

3. L’entreprise ne doit pas accorder de préférence indue à quiconque, y compris elle-même, ni causer à quiconque un désavantage indu. Lors d’une instance devant le Conseil, il incombe à la partie qui a accordé une préférence ou fait subir un désavantage d’établir que la préférence ou le désavantage n’est pas indu.

Pour les besoins de notre analyse, la préférence se définit comme le traitement différent d’entités comparables. Notamment, rien ne dit que ces entités doivent être des entités autorisées; les entreprises exemptées peuvent elles aussi se prévaloir des dispositions sur la préférence indue.

Outre l’Ordonnance relative aux médias numériques, Leiacomm s’appuie sur le Code de déontologie à l’égard des interactions et des ententes commerciales énoncé à l’annexe 1 de Cadre réglementaire relatif à l’intégration verticale,politique réglementaire de radiodiffusion CRTC 2011-601, 21 septembre 2011 (le code de déontologie sur l’IV). Les portions pertinentes du code de déontologie sur l’IV ont été imposées à BCE inc. sous forme de condition de licence dans Les entreprises de radiodiffusion d’Astral – Modification du contrôle effectif, décision de radiodiffusion CRTC 2013-310, 27 juin 2013 (la décision 2013-310).

Une distinction de politique sans fondement dans la politique actuelle

Au paragraphe 26 de sa décision, le Conseil motive ainsi pour l’essentiel son refus de la plainte :

De plus, alors que Bell offre gratuitement son contenu sur ses propres sites web, sur ses plateformes mobiles ainsi qu’aux abonnés d’EDR à partir d’un programme d’authentification, il n’en fournit à aucun fournisseur en activité exclusivement sur Internet. Par conséquent, Bell ne fournit son contenu de façon exclusive à aucun fournisseur ayant le même modèle d’affaires que celui de Leiacomm.

Il apparaît indispensable de s’entendre sur une définition du « modèle d’affaires » en question. Dans la citation ci-dessus, le Conseil note que Bell ne fournit son contenu à aucun fournisseur de contenu en activité exclusivement sur Internet. Dans la phrase suivante, il cite Leiacomm comme exemple d’un fournisseur contenu exploité exclusivement sur Internet.

Le dossier de la présente instance, tout comme un coup d’œil rapide sur l’industrie de la radiodiffusion en ligne, révèle qu’un très grand nombre de fournisseurs de contenu ont pour activité de fournir aux Canadiens du contenu de programmation en ligne. Le paragraphe 2 de la décision du Conseil, par exemple, indique que Bell exploite plus de 200 sites web et distribue son service Télé Partout au moyen de ses services de visionnement en continu GO, y compris CTV GO, TMN GO et Bravo GO.

D’autres entreprises de distribution de contenu exploitées sur Internet fournissent aussi du contenu Bell à leurs abonnés/utilisateurs; elles sont autorisées en tant qu’entreprises de télévision IP. Une recherche rapide sur le site web du Conseil révèle l’existence de 21 entreprises de télévision IP autorisées à desservir différentes régions du pays. La liste de ces entreprises de télévision IP se trouve à l’annexe de la présente opinion minoritaire. La plupart des entreprises de télévision IP présentement exploitées distribuent du contenu Bell.

Du point de vue du consommateur, il y a très peu de différence, voire aucune, entre les offres de distribution de contenu en ligne dont il est question dans le présent cas. Au premier paragraphe de sa décision, le Conseil décrit succinctement le service que propose Leiacomm : offrir à ses clients tant une programmation linéaire qu’une programmation non linéaire au moyen d’un boîtier de décodage ou sur un site Internet sécurisé. Du point de vue de la radiodiffusion, le service proposé par Leiacomm ressemble de près au service fourni par Bell, par d’autres EDR et entreprises de télévision IP autorisées. Du point de vue du consommateur, tous ces services sont offerts sur Internet.

À quoi donc le Conseil fait-il référence lorsqu’il parle du « modèle d’affaires » de Leiacomm? Le Conseil établit dans sa décision une distinction tacite entre les entreprises exploitées sur l’Internet public et les entreprises exploitées sur un réseau de gestion privée. Je soutiens pour ma part que la distinction que fait le Conseil parmi les entités de distribution sur Internet n’a aucun fondement dans la politique actuelle. 

Pour valider cette distinction, il faudrait pouvoir retracer une politique, une décision ou un règlement antérieur du Conseil qui aurait établi une distinction entre des entreprises selon qu’elles sont exploitées sur l’Internet public ou sur un réseau de gestion privée. Dans ce cas, on pourrait raisonnablement alléguer que les entreprises dont il est question ici ne sont pas « comparables » pour les besoins d’une analyse de préférence indue.

Dans Cadre réglementaire des services de télédiffusion mobile en direct, avis public de radiodiffusion CRTC 2006-47, 12 avril 2006 (l’avis public 2006-47), le Conseil a déjà défini un réseau de télévision IP. Au paragraphe 29 de l’avis public 2006-47, le Conseil déclare :

En vertu de l’ordonnance d’exemption des nouveaux médias, les services de télédiffusion mobile en direct dont il est question ici ne peuvent être exemptés qu’à condition d’être à la fois « distribués et accessibles par Internet ». Le Conseil rappelle que la formulation « services de radiodiffusion distribués et accessibles sur Internet » qu’emploie l’ordonnance d’exemption des nouveaux médias décrit des services qui sont accessibles sur l’Internet public aux utilisateurs d’Internet par l’intermédiaire d’un FAI, à la rigueur moyennant des frais de service. Les services de ce genre sont livrés via l’Internet public, au lieu d’être livrés avec le protocole internet (IP) ou d’emprunter un réseau spécialisé pour une portion ou pour la totalité du parcours [2]. En général, l’utilisateur accède à ce service en se servant d’un navigateur Web et d’une adresse URL.

À la note de bas de page [2], le Conseil définit la télévision par protocole internet (télévision IP) comme la télévision « qui utilise le protocole Internet mais qui est livrée via un réseau privé [et] ne fait pas partie du champ d’application de l’ordonnance d’exemption des nouveaux médias ».

Or, l’avis public 2006-47 sollicitait aussi des observations en vue d’une ordonnance d’exemption qui puisse s’appliquer aux entreprises de télédiffusion mobile de façon plus générale, abstraction faite de leur mode de distribution (c.-à-d. que leurs services soient ou non distribués et accessibles par Internet). Au paragraphe 48, l’avis se lit ainsi en partie :

Que ces services soient ou non distribués et accessibles par Internet, le Conseil reste d’avis, pour les raisons énoncées plus haut concernant les similarités qui existent entre les nouveaux médias et la télédiffusion mobile en direct, que ces services de télédiffusion mobile en direct ne risquent pas de se substituer aux services de radiodiffusion traditionnelle, ni de nuire à la capacité des radiodiffuseurs traditionnels de remplir leurs obligations en vertu de la Loi. C’est pourquoi le Conseil, dans Appel aux observations sur un projet d’ordonnance d’exemption pour les entreprises de télédiffusion mobile en direct, avis public de radiodiffusion CRTC 2006-48, 12 avril 2006, sollicite des observations sur un projet d’ordonnance d’exemption visant les entreprises de télédiffusion mobile en direct dont les services sont du même type ou semblables à ceux qui ont fait l’objet de la présente instance, mais qui ne sont pas nécessairement « distribués et accessibles sur Internet ».

L’ordonnance d’exemption proposée a été approuvée par la suite dans Ordonnance d’exemption relative aux entreprises de télédiffusion mobile en direct, avis public de radiodiffusion CRTC 2007-13, 7 février 2007 (l’Ordonnance d’exemption relative à la télédiffusion mobile). En ce qui concerne la distinction entre l’Internet public et un réseau de gestion privée, le Conseil note ce qui suit au paragraphe 23 :

Shaw propose au Conseil de préciser que la nouvelle ordonnance d’exemption ne s’applique qu’aux services de télédiffusion mobile en direct qui ne sont ni distribués, ni accessibles sur Internet. À cet égard, le Conseil reconnaît qu’avec la formulation qu’il propose, les deux ordonnances d’exemption pourraient s’appliquer à certaines entreprises. Les entreprises non visées par les deux ordonnances, c’est-à-dire celles qui fournissent des services mobiles qui ne sont ni accessibles, ni distribués sur Internet, devront être exploitées en vertu de l’ordonnance examinée ici; par conséquent, le Conseil n’estime pas utile d’ajouter la formulation proposée par Shaw.

En notant que « les deux ordonnances d’exemption pourraient s’appliquer à certaines entreprises », le Conseil reconnaît que, selon la technologie utilisée et/ou le mode d’accessibilité, le contenu pouvait aussi bien passer par l’Internet public que par un réseau de gestion privée avant que l’utilisateur final y ait accès.

L’Ordonnance d’exemption relative à la télédiffusion mobile a été révoquée en totalité dans Modifications à l’Ordonnance d’exemption relative aux entreprises de radiodiffusion de nouveaux médias (annexe A de l’avis public CRTC 1999-197), Révocation de l’Ordonnance d’exemption relative aux entreprises de télédiffusion mobile, ordonnance de radiodiffusion CRTC 2009-660, 22 octobre 2009 (l’ordonnance de radiodiffusion 2009-660). De plus, l’ordonnance de radiodiffusion 2009-660 a étudié et adopté de nouvelles définitions pour les entreprises de radiodiffusion de nouveaux médias, en soulignant que les définitions précédentes n’étaient plus valables. Aux paragraphes 8 et 10, le Conseil a déclaré ceci :

Le Conseil estime que la définition proposée a une portée suffisamment étendue pour englober toute une gamme d’entreprises de radiodiffusion néomédiatique, nonobstant qu’elles exercent des fonctions de programmation ou de distribution [c’est moi qui souligne].

Le Conseil note que la définition proposée a pour objectif de clarifier la réglementation. Les modifications proposées englobent en effet les définitions actuelles d’entreprise de radiodiffusion de nouveaux médias et d’entreprise de télédiffusion mobile. Par conséquent, le Conseil estime approprié de révoquer l’ordonnance d’exemption relative à la télédiffusion mobile.

Les définitions énoncées dans l’ordonnance de radiodiffusion 2009-660 ont été intégrées par la suite à l’Ordonnance d’exemption relative aux médias numériques maintenant en vigueur. L’adoption d’une définition englobant aussi bien les entreprises de radiodiffusion de nouveaux médias que les entreprises de télédiffusion mobile permettait de les exempter jusqu’au moment où une réglementation se justifierait. Cette ordonnance d’exemption fusionnait et remplaçait toutes les ordonnances d’exemption précédentes, notamment celles qui avaient établi une distinction en fonction de l’Internet public ou d’un réseau de gestion privée.

En résumé, la chronologie des événements présentée ci-dessus démontre qu’aucun document du Conseil actuellement en vigueur ne retient la distinction entre les entreprises exploitées sur l’Internet public et les entreprises exploitées sur des réseaux de gestion privée pour les besoins d’une ordonnance d’exemption – et par extension, pour l’analyse de la préférence indue faisant partie d’une telle ordonnance d’exemption.

L’Ordonnance d’exemption relative aux médias numériques ne fait pas de distinction entre les diverses technologies pouvant servir à accéder à Internet, quelles que soient leurs différences. Cette interprétation correspond à la notion de neutralité technologique inhérente à la Loi. Comme susmentionné, les entreprises régies par l’Ordonnance d’exemption relative aux médias numériques sont définies en vertu de l’interprétation donnée au terme « radiodiffusion » dans Nouveaux médias, avis public de radiodiffusion CRTC 1999-84/avis public de télécom CRTC 99-14, 17 mai 1999 (la politique sur les nouveaux médias)Footnote 2. Aux paragraphes 38 à 40 de la politique sur les nouveaux médias, le Conseil indique ceci :

38. Le Conseil fait remarquer que la définition de « radiodiffusion » inclut la transmission d’émissions, encodées ou non, par tout autre moyen de télécommunication. Cette définition est, à dessein, neutre sur le plan technologique. Par conséquent, le simple fait qu’une émission soit transmise par Internet plutôt qu’à l’aide d’ondes radioélectriques ou par un câblodistributeur ne l’exclut pas de la définition de « radiodiffusion ».

39. Certaines parties ont soutenu qu’il n’y a pas de « transmission » de contenu par Internet et, donc, qu’il n’y a pas de « radiodiffusion ». Le fait qu’un utilisateur final active la livraison d’une émission n’est pas déterminant, selon le Conseil. Tel qu’il en est question ci-dessous, la livraison sur demande est incluse dans la définition de « radiodiffusion ». De plus, le Conseil estime que la technologie particulière utilisée pour acheminer des signaux sur Internet ne peut être déterminante. En se fondant sur l’acception la plus courante du mot et en tenant compte du fait que la définition est, à dessein, neutre sur le plan technologique, le Conseil estime que la livraison de signaux de données par Internet, d’un point d’origine (par ex., un serveur principal) à un point de réception (par ex., l’appareil d’un utilisateur final) comporte la « transmission » de contenu.[C’est moi qui souligne.]

40. Certaines parties ont fait valoir que la définition de « récepteur » ne visait pas des appareils comme les ordinateurs personnels et les boîtes WebTV, quand on les utilise pour accéder à Internet. Le Conseil fait remarquer que la définition de « récepteur » inclut un « appareil ou ensemble d’appareils conçu pour la réception de radiodiffusion ou pouvant servir à cette fin ». Le Conseil estime qu’une interprétation de cette définition qui inclurait uniquement les appareils de télévision et de radio traditionnels ne correspondrait pas à l’acception la plus courante de la définition de « radiodiffusion » et compromettrait la neutralité technologique de cette définition. Selon le Conseil, les appareils tels les ordinateurs personnels ou les téléviseurs équipés de boîtes WebTV correspondent à la définition de « récepteur », dans la mesure où ils peuvent servir à la réception de radiodiffusion.

Selon moi, la distinction que fait le Conseil dans la décision fait offense à cette interprétation de la radiodiffusion, neutre au point de vue technologique, qui continue toujours de s’appliquer. En ce qui concerne la politique sur les nouveaux médias, toutes les entreprises qui ont été étudiées au cours de cette instance – qu’il s’agisse du service proposé par Leiacomm, des offres en ligne de Bell ou d’entreprises de télévision IP – transmettent du contenu en ligne. Lorsqu’on établit une distinction entre elles en vertu de la technologie qu’elles utilisent, on ne se contente pas de recenser une activité de radiodiffusion; on va plus loin, jusqu’à valider ou à restreindre de façon arbitraire certains modèles d’affaires pour cette activité, ce qui signifie qu’on enfreint la neutralité technologique de la Loi. L’un des avantages recherchés en révoquant l’Ordonnance d’exemption relative à la télédiffusion mobile et en la fusionnant avec l’ordonnance de radiodiffusion 2009-660 était de dispenser du fardeau de la réglementation les industries de la radiodiffusion qui en sont encore à leurs balbutiements et leur donner ainsi la chance de croître et devenir des services susceptibles de présenter un intérêt véritable pour les Canadiens.

En outre, avec la croissance de l’industrie du contenu en ligne ces dernières années, la distinction entre les différentes offres de service a tendance à s’estomper, si bien qu’une distinction comme celle que le Conseil essaie de faire dans sa décision n’a plus tellement de signification ni d’utilité. Les entreprises actives exclusivement sur Internet, tout comme les entreprises de télévision IP, peuvent faire usage ou non de réseaux de distribution de contenu pour livrer leur contenu aux utilisateurs finaux via un fournisseur de services Internet (FSI)Footnote 3. Les deux types d’offre vont se partager la même connexion pour atteindre l’utilisateur final. Les deux types d’offre peuvent ou non avoir recours à des méthodes pour identifier leurs abonnés/utilisateurs. Toutes les entreprises de télévision IP obligent les consommateurs à accepter leurs services Internet au détail avant de leur donner accès à leurs offres de contenu télévisé; or, elles ne font jamais mention d’un « réseau de gestion privée ». Elles appellent ces services par leur nom : des services d’accès Internet au détail. Selon la perspective du consommateur, toutes les entreprises qui œuvrent sur Internet sont comparables. À mon avis, la perspective du consommateur canadien devrait primer dans l’analyse de préférence indue.

Je suis d’avis que le Conseil enfreint son devoir d’équité à l’égard du plaignant puisqu’il :

  1. se fonde sur une distinction de politique désuète qui date d’un cadre réglementaire révoqué depuis lors et ne revêt plus aucune pertinence dans les faits, dans une loi ou dans une politique;
  2. se fonde sur une distinction de politique qui va à l’encontre de la neutralité technologique prônée dans la Loi.

Absence de fondement probatoire pour conclure que Leiacomm n’est pas une EDR

Au paragraphe 20 de sa décision, le Conseil déclare ceci :

Même si Leiacomm offrira un service de distribution de contenu exclusivement sur Internet et n’exploitera pas (ni ne propose d’exploiter) d’EDR, cela ne change rien au fait que Leiacomm sera aussi exploitée à titre d’entreprise de médias numériques en vertu de l’Ordonnance.

Cette déclaration voulant qu’un service de distribution de contenu exploité exclusivement sur Internet ne puisse pas être considéré comme une EDR ne repose sur aucun fondement probatoire, ni énoncé de politique, ni base juridique.

Premièrement, il n’y a pas eu de discussion ou d’échange au cours de cette instance consacrée au règlement d’une plainte à savoir si un service de distribution de contenu exploité exclusivement sur Internet pouvait être qualifié d’EDR. Étant donné que l’étude de la définition d’une EDR n’entrait pas dans le cadre de cette instance, il est difficile de savoir sur quoi s’est fondé le Conseil pour restreindre sa définition d’une EDR à des entreprises autorisées ou à celles qui sont exemptées en vertu de l’Ordonnance d’exemption relative aux EDR énoncée dans l’ordonnance de radiodiffusion 2014-445. Comme le note Leiacomm dans sa réplique aux interventions, cette restriction élimine d’emblée de nombreuses EDR exploitées actuellement au Canada. De plus, Leiacomm se qualifie lui-même de distributeurFootnote 4onnance d’exemption relati et d’entreprise de télévision IPFootnote 5.

En outre, tel qu’indiqué au paragraphe 25 de la présente opinion minoritaire, la définition d’une entreprise de radiodiffusion de médias numériques englobe les entreprises ayant pour fonction de distribuer de la programmation. On peut donc en déduire que la définition d’une entreprise de médias numériques dans l’Ord

ve aux médias numériques englobe les entreprises de distribution – et qu’une entreprise de distribution exemptée demeure une EDR.

Deuxièmement, la Loi définit une entreprise de distribution comme suit : 

« entreprise de distribution » Entreprise de réception de radiodiffusion pour retransmission, à l’aide d’ondes radioélectriques ou d’un autre moyen de télécommunication, en vue de sa réception dans plusieurs résidences permanentes ou temporaires ou locaux d’habitation, ou en vue de sa réception par une autre entreprise semblable.

Le service proposé par Leiacomm répond dès le premier coup d’œil à la définition d’une entreprise de distribution énoncée dans la Loi. En outre, si l’on réfère à la définition de « radiodiffusion » qui figure dans la politique sur les nouveaux médias comme on l’a vu plus haut, il est clair que le service proposé par Leiacomm recevrait et retransmettrait de la programmation de la façon prévue par la Loi. Par conséquent, l’assertion du Conseil que Leiacomm n’est pas une EDR apparaît discutable sur le plan juridique.

Troisièmement, quand on regarde les conditions rattachées aux licences de télévision IP émises par le Conseil jusqu’à maintenant – le type de service réglementé qui ressemble le plus à celui que propose le plaignant – on ne trouve rien qui empêcherait un service comme Leiacomm de se faire imposer les mêmes. Comme le service de radiodiffusion proposé par Leiacomm distribuerait du contenu en ligne aux consommateurs canadiens au moyen d’un procédé assez semblable à celui qu’utilisent les entreprises de télévision IP – avec des protocoles Internet et un processus d’authentification – on ne voit pas a priori pourquoi le Conseil refuserait de la classer comme EDR, exemptée ou non, pour les besoins de la présente analyse.

À ce sujet, on remarque que Bell, dans sa réponse, convient que Leiacomm pourrait se faire attribuer une licence en tant qu’EDR en disant que [traduction] « si Leiacomm se faisait attribuer une licence comme EDR, ces produits seraient aussi mis à sa disposition pour qu’il les distribue à ses abonnés »Footnote 6.

Cette assertion du Conseil à l’effet que les entreprises qui distribuent du contenu exclusivement sur Internet ne peuvent pas être considérées comme des EDR (exemptées ou non) comporte de sérieuses implications pour les entrepreneurs canadiens qui cherchent à innover dans cette sphère et, en particulier, restreint leur accès aux outils de réglementation – comme les règles sur la préférence indue qui se rattachent à d’autres politiques et règlements du Conseil – susceptibles de renforcer cette industrie florissante. Par conséquent, avant de rendre une décision judiciaire sur leur statut selon la Loi, le Conseil devrait avoir dûment sollicité les commentaires, non seulement du plaignant, mais de tous les Canadiens qui prennent part à ce type d’activité ou s’y intéressent.

À cet égard, je note que la politique habituelle du Conseil consiste à recourir à une instance publique quand il s’agit d’approfondir la proposition d’un cadre réglementaire, d’une ordonnance d’exemption et/ou d’un problème de définition. Au paragraphe 35 des Lignes directrices à l’égard des Règles de pratique et de procédure du CRTC, bulletin d’information de radiodiffusion et de télécom CRTC 2010-959, 23 décembre 2010, le Conseil déclare qu’il peut décider de tenir une audience publique pour l’une ou l’autre des raisons suivantes :

Dans le présent cas, les intervenants et les demandeurs ont soulevé, dans le contexte d’une procédure de la Partie 1, de sérieuses préoccupations en matière de politique justifiant, à mon avis, une audience publique.

Compte tenu de ce qui précède, j’estime que le Conseil a manqué à son devoir d’équité à l’égard du plaignant :

  1. en rendant une décision sur la façon dont la Loi devrait s’appliquer au cas du plaignant sans entendre la version du plaignant à ce sujet; et
  2. en rendant une décision sur l’éventuelle applicabilité de la Loi sur toute une catégorie d’entreprises de conception nouvelle (les entreprises de distribution exploitées exclusivement sur Internet) sans passer par une consultation publique.

Erreur dans l’analyse de l’incidence réelle

Le paragraphe 28 de la décision du Conseil déclare ce qui suit :

[…] le Conseil estime que le refus de Bell de fournir du contenu à Leiacomm n’a pas d’incidence néfaste significative sur le service de Leiacomm. Le Conseil est d’avis que même sans le contenu de Bell, Leiacomm pourra offrir un service en ligne attrayant, comme d’autres fournisseurs de contenu en ligne le font déjà avec succès (par exemple, Netflix, TOU.TV, etc.). Bien qu’il soit possible que Leiacomm doive modifier son plan d’affaires, le Conseil note qu’il peut profiter d’un large éventail de programmation provenant d’un grand nombre de fournisseurs tant Canadiens qu’étrangers.

À mon avis, l’analyse d’incidence menée par le Conseil est fautive pour les raisons ci-dessous.

Tout d’abord, Netflix et TOU.TV sont cités comme exemples de fournisseurs de contenu en ligne qui, « même sans le contenu de Bell […] [offrent] un service en ligne attrayant ». On ne compare pourtant pas ici des pommes avec des pommes. Le service proposé par Leiacomm diffère considérablement des services offerts par Netflix et TOUT.TV. Ceux-ci sont essentiellement des services de vidéo sur demande en ligne; Netflix fonctionne par abonnements, tandis que TOU.TV est offert avec de la publicité. Ces services donnent tous deux directement accès à une programmation en ligne.

En contrepartie, le service proposé par Leiacomm consiste à « distribuer des canaux linéaireset non linéaires (contenu sur demande) » (c’est moi qui souligne). Autrement dit, Leiacomm propose de transmettre en continu à ses abonnés des canaux et des services spécialisés, plus une quantité non spécifiée de contenu sur demande. Pour pouvoir distribuer ces canaux, Leiacomm doit absolument y avoir accès; sans accès aux canaux, canadiens ou autres, il n’a pas de produit à offrir. Quant à Netflix et TOU.TV, ils peuvent carrément contourner les radiodiffuseurs et créer leur propre contenu ou en acheter chez d’autres. Netflix et TOU.TV n’ont pas besoin de Bell pour exploiter leurs modèles d’affaires. Un distributeur de contenu en ligne comme Leiacomm, toutefois, ne peut pas fonctionner sans ententes d’affiliation avec des radiodiffuseurs ou des services sur demande; son modèle consiste à distribuer, en flux continu, les signaux et les applications d’un radiodiffuseurFootnote 7.

De surcroît, Netflix est une immense multinationale américaine exploitée dans plus de 40 pays, qui compte plus de 50 millions d’abonnés dans le monde entierFootnote 8. TOU.TV est un service de vidéo sur demande exploité en français par la Société Radio-Canada, le diffuseur public du Canada. Sans parler des évidentes divergences linguistiques, TOU.TV bénéficie aussi d’un contenu redirigé à partir des plateformes de télévision de Radio-Canada et produit, en partie, avec les deniers publics. Le service de Leiacomm en est encore à l’étape de projet; il n’a pas encore été lancé. Il sera exploité uniquement au Canada, ne ciblera que des abonnés canadiens (surtout de langue anglaise) et n’aura vraisemblablement pas accès à des émissions provenant de plateformes liées ou subventionnées par l’État. La taille, l’envergure et l’auditoire cible de Netflix et de TOU.TV diffèrent considérablement du service de Leiacomm qui n’est pas lancé. Il est difficile de comprendre pourquoi le Conseil a jugé approprié de comparer ces entités à Leiacomm pour mener son analyse sur le degré d’incidence réelle; leurs modèles d’affaires sont tout à fait différents.

Par ailleurs, il ne faut pas perdre de vue l’immense pouvoir commercial de Bell au sein du système canadien de radiodiffusion si on veut évaluer l’incidence réelle du manque d’accès à ses services de programmation. Le paragraphe 2 de la décision du Conseil rappelle que Bell Média inc. (Bell), une filiale de BCE inc., est une société de multimédias qui possède des éléments d’actif importants dans les domaines de la télévision, de la radio, de la publicité par affichage et des médias numériques. Dans le domaine de la télévision, il détient CTV, des chaînes spécialisées, dont TSN et RDS, ainsi que des services payants comme The Movie Network (HBO Canada) et Super Écran. Bell exploite aussi plus de 200 sites web et distribue son service Télé Partout au moyen de ses services de visionnement en continu GO, y compris CTV GO, TMN GO et Bravo GOFootnote 9.

Selon le Rapport de surveillance des communications 2013 du CRTC, pour la part d’écoute combinée de l’auditoire anglophone par groupe de propriété, Bell vient en tête avec 40,2 % Footnote 10, bien en avance de Shaw Media, qui se classe second avec 23,4 %. Depuis la publication de ce rapport, Bell a dû se départir de certains éléments d’actif d’Astral Média sur ordre du Conseil, mais ses actifs en télévision demeurent inégalés dans le système canadien de radiodiffusion, avec le contrôle du réseau de télévision en direct (CTV), du service spécialisé (TSN) et des services de télévision payante (The Movie Network/HBO Canada), tous trois les plus rentables de leur catégorie. Plus de Canadiens regardent plus de télévision appartenant à Bell que tout autre radiodiffuseur canadien – souvent avec un ratio de plus de quatre pour un.

Au paragraphe 8 de Les entreprises de radiodiffusion d’Astral – Modification du contrôle effectif, décision de radiodiffusion CRTC 2013-310, 27 juin 2013 (la décision 2013-310), le Conseil a noté « qu’un distributeur détenant les droits à l’égard du contenu de l’entité combinée BCE/Astral proposée à ce moment-là pourrait exercer un pouvoir excessif sur le marché de façon anticoncurrentielle soit en limitant l’accès à ses services de programmation ou encore en les offrant à ses concurrents à des tarifs supérieurs aux tarifs du marché. Le pouvoir sur le marché d’une telle entité pourrait avoir une incidence négative sur l’offre d’une programmation diversifiée aux Canadiens et mettre en péril la capacité des entreprises de distribution à offrir une programmation à prix abordable et selon des modalités raisonnables sur des plateformes multiples. »

Selon moi, si l’on tient compte de la part d’écoute dominante de Bell, de son assortiment extrêmement attrayant de propriétés télévisuelles, et du pouvoir qu’il exerce sur le marché (comme le reconnaît le Conseil dans la décision 2013-310), le Conseil se trompe en déterminant qu’il n’y aurait pas d’incidence néfaste significative rattachée au refus de fournir du contenu à Leiacomm. Privée de l’accès aux services que Bell vend aux entreprises de télévision IP, Leiacomm subit un sérieux désavantage face à la concurrence en ligne.

La décision de la majorité est ultra vires pour le Conseil

Comme je l’ai dit en parlant des politiques, j’estime que la distinction établie par la décision de la majorité repose sur une notion dépassée qui va à l’encontre de la neutralité technologique de la Loi. D’un point de vue juridique, toutefois, les conséquences de la décision de la majorité vont encore plus loin, parce que cette décision :

  1. exige essentiellement qu’une entité de distribution exploitée exclusivement sur Internet, afin de bénéficier des règles relatives à la préférence indue, se soumette d’abord aux dispositions de la Loi sur les télécommunications, puis à un régime d’attribution de licences non défini régissant la télévision IP;
  2. balaye d’un revers de main la disposition sur la préférence indue que renferme l’Ordonnance d’exemption des médias numériques.

À mon avis, le Conseil outrepasse les pouvoirs que lui confère la Loi en procédant de cette façon.

Comme noté plus haut, quand le Conseil détermine – dans les faits – que l’exécution d’une obligation découlant de la Loi s’avère sans conséquence majeure sur la mise en œuvre de la politique canadienne sur la radiodiffusion, il a l’obligation d’exempter l’entreprise en question. Le Conseil bénéficie ensuite du pouvoir juridique discrétionnaire de déterminer les obligations dont l’entreprise peut être exemptée. Dans le cas des entreprises régies par l’Ordonnance d’exemption des médias numériques, dont Leiacomm fait partie, elles sont exemptées de toutes les obligations de la partie II de la Loi, à l’exception des règles concernant la préférence indue, la présentation de rapports, l’exclusivité, le comportement anticoncurrentiel et les procédures de règlement des différends.

La distinction que fait la décision de la majorité au sujet des entreprises de médias numériques exploitées sur Internet vient de ce qu’elle fait la différence entre l’Internet public et les réseaux de gestion privée comme ceux qu’exploitent les entreprises autorisées de télévision IP. Cette distinction comporte des implications précises de nature réglementaire, administrative et financière pour les entités de distribution de contenu en ligne. Dans le cas de l’Internet public, il n’y a pas d’implications techniques pour l’entreprise qui veut s’y déployer; elle peut lancer son service au moment de son choix et mener ses affaires en tant qu’entreprise de radiodiffusion exemptée. Si elle veut exploiter un réseau de gestion privée, toutefois, une entité a deux options : elle peut se constituer un système par exemple de fibre optique ou hybride fibre optique/câble coaxial pour atteindre les foyers de ses abonnés et s’établir comme fournisseur de service Internet afin d’avoir accès à un réseau propriétaireFootnote 11, ou bien elle peut louer les installations d’une entreprise de services locaux titulaire (ESLT) et agir comme revendeur de services Internet. Dans les deux cas, l’entité de distribution de contenu sur Internet doit se soumettre à la Loi sur les télécommunications.
La position est problématique sur le plan juridique. En obligeant les entités de distribution de contenu exploitées exclusivement sur Internet à se soumettre à la Loi sur les télécommunications en même temps qu’à se conformer à un régime d’attribution de licences régissant la télévision IP pour pouvoir se prévaloir de la règle de préférence indue et avoir accès aux services de programmation des radiodiffuseurs canadiens, le Conseil enfreint l’article 9(4) de la Loi et, par extension, l’Ordonnance d’exemption des médias numériques. En d’autres mots, la décision de la majorité, de façon paradoxale, prétend exiger de la part d’entités comme Leiacomm – pour qui l’attribution d’une licence a été jugée non nécessaire – qu’elles se soumettent à un régime d’attribution de licences pour pouvoir bénéficier d’une protection (soit la règle sur la préférence indue) qui existe déjà dans l’ordonnance d’exemption du Conseil à laquelle Leiacomm est actuellement assujettie.

Le Conseil est habilité par la Loi à surveiller l’interconnexion entre les entreprises de radiodiffusion et les exploitants de télécommunications afin de voir à ce que la programmation soit distribuée aux Canadiens. L’article 9(1)f) de la Loi s’énonce comme suit :

9(1) Sous réserve des autres dispositions de la présente partie, le Conseil peut, dans l’exécution de sa mission :

f) obliger les titulaires de licences à obtenir l’approbation préalable par le Conseil des contrats passés avec les exploitants de télécommunications pour la distribution — directement au public — de programmation au moyen de l’équipement de ceux-ci;

Tel que susmentionné, l’article 9(4) de la Loi exempte les entreprises de toute obligation « découlant soit de la présente partie, soit de ses règlements d’application ». L’article 9(1)f) est incorporé à la Partie II de la Loi. En obligeant les entités de distribution de contenu œuvrant exclusivement sur Internet à devenir des FSI ou des revendeurs Internet pour pouvoir accéder aux services des radiodiffuseurs canadiens par l’intermédiaire d’un processus d’approbation de licences pour la télévision sur IP, le Conseil a enfreint l’obligation qui lui est faite par la Loi d’exempter des exigences de la Loi les entreprises qui ne contribuent pas de façon significative à l’atteinte des objectifs de la Loi.

Je crois que le Conseil essaie de faire indirectement avec cette décision ce qu’il a publiquement déclaré qu’il ne ferait pas directement, à savoir imposer une réglementation aux entités de contenu exploitées exclusivement sur Internet. C’est précisément la conséquence juridique de la distinction que le Conseil établit dans cette décision : pour avoir accès aux services de télévision des radiodiffuseurs canadiens en se prévalant des règles sur la préférence indue, une entité de distribution de contenu exploitée exclusivement sur Internet doit devenir une entreprise comparable aux entreprises autorisées de télévision IPFootnote 12. Dans l’esprit du Conseil, la seule façon d’y arriver est de devenir une entreprise de services locaux concurrentiels (ESLC) et d’investir dans des infrastructures matérielles (ou devenir un revendeur d’accès Internet), pour ensuite obtenir une licence en tant qu’entreprise de télévision IP. L’obliger à devenir revendeur d’accès Internet profite tout au moins à l’ESLT qui, la plupart du temps, détient les services de radiodiffusion que l’entité de distribution œuvrant exclusivement sur Internet souhaite justement fournirFootnote 13. En somme, la distinction consiste à rattacher la notion d’installations matérielles à la radiodiffusion réglementée, une notion confinée jusqu’à maintenant au régime des télécommunications et qui n’est pas reflétée dans les objectifs de politique de la radiodiffusion canadienne énoncés dans la Loi.

En agissant de la sorte, il me semble que le Conseil ne respecte pas la politique réglementaire […]
c) pouvoir aisément s’adapter aux progrès scientifiques et techniques;
d) favoriser la radiodiffusion à l’intention des Canadiens;
e) favoriser la présentation d’émissions canadiennes aux Canadiens;
f) permettre la mise au point de techniques d’information et leur application ainsi que la fourniture aux Canadiens des services qui en découlent;énoncée dans la Loi, notamment dans les articles 5(2)c), d), e), f) et g) :

2.  La réglementation et la surveillance du système devraient être souples et à la fois :


g) tenir compte du fardeau administratif qu’elles sont susceptibles d’imposer aux exploitants d’entreprises de radiodiffusion.

Finalement, en ce qui concerne la règle régissant la préférence indue dans l’Ordonnance d’exemption des médias numériques, la décision du Conseil a pour effet de la rendre dénuée de sens d’un point de vue opérationnel.

D’un point de vue technique, la télévision IP fournit un service de grande qualité. Les services sont généralement gérés de façon à éviter les problèmes de contention qui risquent d’affecter la qualité de l’image. Les services de télévision par contournementFootnote 14, quant à eux, sont sujets aux aléas d’un réseau non géré, susceptibles d’altérer la qualité du flux. Avec un service de contournement, le consommateur risque de dépasser sa limite de téléchargement, si son plan d’abonné en prévoit une. En cas de contention (quand un service de télévision IP et un service par contournement se partagent une connexion Internet limitée), la priorité revient habituellement au service de télévision IP. Les deux types de service ont recours à un procédé d’authentification.

En déterminant qu’il y a une distinction à faire entre les entreprises exploitées sur le réseau public d’Internet (télévision par contournement) et les entreprises exploitées sur des réseaux de gestion privée (télévision IP) aux fins d’une analyse de préférence indue, le Conseil s’est essentiellement assuré qu’à l’avenir, un entrepreneur qui s’intéresse à fournir de la programmation en ligne aux Canadiens choisira le régime d’attribution de licences à la télévision IP plutôt que le régime non réglementé de la télévision par contournement.

Une règle de base à respecter quand on interprète la loi, c’est que l’interprétation juridique d’un concept ne doit pas aboutir à un résultat manifestement injuste. D’un point de vue technique, étant donné que les entreprises de télévision IP ont priorité sur les entreprises de télévision par contournement pour ce qui est de la gestion de réseau, la décision du Conseil accorde une importance non fondée à la capacité des entrepreneurs à s’entendre avec des FSI pour créer des réseaux de gestion privée servant à acheminer du contenu de radiodiffusion aux Canadiens de manière à éviter une gestion du trafic dans le contexte des télécommunications qui nuit au modèle d’affaires des entreprises de télévision par contournement exemptées. En l’absence d’un cadre réglementaire ou d’un ensemble de règles qui affirmeraient la compétence du Conseil en vertu de l’article 9(1)f) de la Loi, ce résultat est manifestement injuste à l’endroit des éventuels exploitants canadiens de télévision par contournement, et constitue une infraction aux articles 5(2)c), f) et g) de la Loi puisque ceux-ci sont déjà exemptés de l’application de l’article 9(1)f) de la Loi.

À ce sujet, il importe de souligner que le Conseil n’a jamais adopté de cadre politique officiel relatif à l’attribution de licences aux services de télévision IP, et n’a jamais non plus mené de consultation publique pour solliciter les commentaires à cet égard. Manifestement toutefois, il existe une politique non écrite puisque le Conseil accorde seulement une licence à des entreprises de télévision IP qui fournissent également un service d’accès Internet au détail et que, dans la présente décision, il refuse de classer Leiacomm, une entité qui distribue du contenu exclusivement sur Internet, dans la même catégorie qu’une entreprise de télévision IP ou une EDR. Il y a donc beaucoup d’ambiguïté dans le cadre politique sur lequel s’appuie le Conseil pour accorder des licences aux entreprises de télévision IP. À mon avis, cette ambiguïté, et l’obligation qu’elle entraîne pour un exploitant canadien de la télévision par contournement de s’entendre avec un FSI pour que la qualité de son service ne soit pas altérée, mérite d’être examinée d’un point de vue juridique.

Conclusion

Au paragraphe 5 de sa réponse à la plainte de Leiacomm, Bell soutient que [traduction] « Leiacomm ne peut pas gagner sur tous les fronts. Il ne peut pas refuser de se faire attribuer une licence par le Conseil et en même temps demander que les entités de programmation autorisées mettent leurs services à sa disposition ».

Je suis d’accord en principe avec l’idée derrière la déclaration de Bell : les avantages d’une licence ne doivent pas s’étendre aux entreprises exemptées. Leiacomm, toutefois, ne cherche pas à « gagner sur tous les fronts ». Elle cherche tout simplement à se prévaloir d’une des dispositions de l’ordonnance d’exemption dûment rendue en vertu de la Loi. Dans le contexte de cette exemption, le Conseil, grâce à la règle sur la préférence indue, ouvre potentiellement l’accès aux services offerts par les radiodiffuseurs à d’autres services de distribution sur Internet, comme des services de télévision IP. À mon avis, puisqu’il n’existe aucun motif réglementaire en vertu de la Loi et aucune politique du Conseil qui permettent de faire une distinction entre le service proposé par Leiacomm et une entreprise de télévision IP, Leiacomm devrait se faire accorder l’accès aux mêmes services que Bell met à la disposition des entreprises de télévision IPFootnote 15.

Sous l’angle de la politique, Bell avance que la demande de Leiacomm, si elle était approuvée, aurait pour effet de l’avantager par rapport aux EDR autorisées. Cela peut s’avérer vrai ou non. Néanmoins, le recours approprié pour Bell ou pour toute autre partie intéressée est de réclamer un nouvel examen des dispositions de l’Ordonnance d’exemption relative aux médias numériques et/ou une instance publique pour établir un cadre approprié pour l’attribution de licences aux entreprises de télévision IP, qui engloberait des services comme celui que propose Leiacomm. Exiger que les fournisseurs de services canadiens de télévision par contournement, pour avoir un modèle d’affaires rentable, se soumettent à un régime d’attribution de licences conçu pour les services de télévision IP mais raccroché à la Loi sur les télécommunications, ne constitue pas une solution appropriée.

Pour aborder une question plus vaste, il n’est pas clair au nom de quelle politique ou sur quelle base juridique le Conseil voudrait éviter de soutenir les entités de distribution de contenu œuvrant exclusivement sur Internet. À notre époque de déréglementation des tarifs, la concurrence entre entreprises de distribution est la meilleure façon de réduire les coûts pour les consommateurs, d’améliorer le service à la clientèle et d’assurer la meilleure expérience à l’utilisateur. Le service proposé par Leiacomm aurait pu constituer une bonne solution de rechange aux services par câble et par satellite dont disposent actuellement les Canadiens. La distinction que fait le Conseil dans cette décision freine injustement l’apparition de modèles d’affaires en ligne, paralyse l’innovation et, au bout du compte, réduit la concurrence pour les EDR. En outre, la décision du Conseil fait pencher la balance de la concurrence de manière déraisonnable et injustifiable en faveur des entreprises de télévision IP au détriment des fournisseurs de télévision par contournement exemptés, sans qu’on ait eu recours à une consultation publique ou à l’intention du législateur.

En dernier lieu, je soutiens qu’il faut un processus public pour déterminer si la Loi s’applique aux EDR en ligne. Tel que susmentionné, le service proposé par Leiacomm présente, à première vue, toutes les caractéristiques d’une EDR. En raison des avantages évidents que représenterait un accroissement de la concurrence entre les entreprises de distribution, le Conseil devrait lancer une instance publique pour étudier la façon d’augmenter la concurrence des EDR en ligne, et ce, au profit de tous les Canadiens.

Annexe à l’opinion minoritaire du conseiller Raj Shoan

Titulaires d’une licence IPTV terrestre

Province Lieu Titulaire Date d’expiration de la licence
Alberta Calgary, Edmonton (y compris St. Albert, Sherwood Park, Spruce Grove et Stony Plain), Fort McMurray, Grande Prairie, Lethbridge, Medicine Hat et Red Deer TELUS Communications Inc., et 1219723 Alberta ULC et Emergis Inc. en partenariat avec TELUS Communications Inc. dans Société TÉLÉ-MOBILE, associés dans une société en nom collectif faisant affaires sous le nom de Société TELUS Communications 31 août 2016
Colombie-Britannique Kamloops, Kelowna, Nanaimo, Penticton, Prince George, Terrace, Vancouver (y compris Lower Mainland et Fraser Valley), Vernon et Victoria TELUS Communications Inc., et 1219723 Alberta ULC et Emergis Inc. en partenariat avec TELUS Communications Inc. dans Société TÉLÉ-MOBILE, associés dans une société en nom collectif faisant affaires sous le nom de Société TELUS Communications 31 août 2016
Vancouver et le Lower Mainland AEBC Internet Corp. 31 août 2018
Manitoba Winnipeg et les régions avoisinantes MTS Allstream Inc. 31 août 2015
Nouveau-Brunswick Fredericton et les régions avoisinantes, Saint John et Moncton

(également sous la licence régionale : St John’s, Paradise et Mount Pearl [Terre-Neuve-et-Labrador], Halifax, Dartmouth, Bedford et Sackville [Nouvelle-Écosse])
Bell Aliant Communications régionales inc. (l’associé commandité), ainsi qu’associé commanditaire avec 6583458 Canada Inc. (les associés commanditaires), faisant affaires sous le nom de Bell Aliant Communications régionales, société en commandite 31 août 2018
Nouvelle-Écosse Halifax, Dartmouth, Bedford et Sackville

(également sous la licence régionale : Fredericton et régions avoisinantes, Saint John et Moncton [Nouveau-Brunswick]; et St John’s, Paradise et Mount Pearl [Terre-Neuve-et-Labrador])
Bell Aliant Communications régionales inc. (l’associé commandité), ainsi qu’associé commanditaire avec 6583458 Canada Inc. (les associés commanditaires), faisant affaires sous le nom de Bell Aliant Communications régionales, société en commandite 31 août 2018
Ontario Grand Sudbury et Sault Ste. Marie Bell Aliant Communications régionales inc. (l’associé commandité), ainsi qu’associé commanditaire avec 6583458 Canada Inc. (les associés commanditaires), faisant affaires sous le nom de Bell Aliant Communications régionales, société en commandite 31 août 2018
Hamilton/Niagara, Kingston, Kitchener, London, Oshawa, Ottawa, Peterborough, Stratford, Toronto et Windsor, et leurs régions avoisinantes Bell Canada 31 août 2018
Région du grand Toronto, y compris Ajax, Aurora, Bolton, Brampton, Caledon, Claremont, Etobicoke, Georgetown, King City, Markham, Milton, Mississauga, Nobleton, North York, Pickering, Richmond Hill, Scarborough, Toronto, Vaughan et Woodbridge; Hamilton-Niagara; Kingston; Kitchener-Waterloo; London; Oshawa; Ottawa; Peterborough; Sudbury; Thunder Bay et Windsor, et leurs régions avoisinantes 2251723 Ontario Inc. 31 août 2017
Sudbury 768812 Ontario Inc. 31 août 2016
Thunder Bay et ses environs TBayTel 31 août 2015
Toronto Pannu Media Inc. 31 août 2015
Toronto (East Bayfront et West Don Lands) Beanfield Technologies Inc. 31 août 2018
Toronto, Hamilton/Niagara, Oshawa, Kitchener, Ottawa, London et Windsor, et leurs régions avoisinantes Zazeen Inc. 31 août 2019
Québec Baie-Comeau, Gaspé, Montmagny, Mont-Tremblant, Rimouski, Saint-Georges, Sainte-Marie et Sept-Îles, et leurs régions avoisinantes TELUS Communications Inc., et 1219723 Alberta ULC et Emergis Inc. en partenariat avec TELUS Communications Inc. dans Société TÉLÉ-MOBILE, associés dans une société en nom collectif faisant affaires sous le nom de Société TELUS Communications 31 août 2018
Drummondville et ses environs, Saint-Hyacinthe et ses environs Télé-Int-Tel inc. 31 août 2015
Drummondville (région du Centre-du-Québec), Gatineau, Joliette (région de Lanaudière), Montréal, Québec, Saint-Jérôme (région des Laurentides), Sherbrooke et Trois-Rivières (région de la Mauricie), et leurs régions avoisinantes Bell Canada 31 août 2018
Gatineau, Montréal, Québec et Sherbrooke, et leurs régions avoisinantes Zazeen Inc. 31 août 2019
Montréal, Drummondville, Trois-Rivières, Gatineau, Sherbrooke et Québec, et leurs régions avoisinantes Télécom Colba.Net inc. 31 août 2019
Saint-Liboire Sogetel inc. 31 août 2016
Saint-Paulin Sogetel inc. 31 août 2015
Saskatchewan Regina (y compris Pilot Butte et White City) et Saskatoon Saskatchewan Telecommunications 31 août 2015
Terre-Neuve-et-Labrador St John’s, Paradise et Mount Pearl

(également sous la licence régionale : Fredericton et régions avoisinantes, Saint John et Moncton [Nouveau-Brunswick]; et Halifax, Dartmouth, Bedford et Sackville [Nouvelle-Écosse])
Bell Aliant Communications régionales inc. (l’associé commandité), ainsi qu’associé commanditaire avec 6583458 Canada Inc. (les associés commanditaires), faisant affaires sous le nom de Bell Aliant Communications régionales, société en commandite 31 août 2018

Avis : Le tableau a été compilé avec les meilleurs renseignements disponibles.

Footnotes

Footnote 1

Aux fins de la présente décision, « EDR » fait référence à une EDR autorisée ou à une EDR exploitée en vertu de l’ordonnance d’exemption relative aux EDR, énoncée dans l’ordonnance de radiodiffusion.

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Footnote 2

Cette référence à la politique de 1999 sur les nouveaux médias dans l’Ordonnance d’exemption relative aux médias numériques revêt une importance particulière dans le présent contexte. En commençant par exempter, pour ensuite révoquer les politiques et les ordonnances touchant les entreprises de télédiffusion mobile, le Conseil a voulu pour ainsi dire « remettre les pendules réglementaires à l’heure » avec un retour à sa politique initiale de 1999 dans laquelle la neutralité technologique de la Loi apparaît comme un critère primordial.

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Footnote 3

On appelle parfois Internet « le réseau des réseaux ». Un service exempté doit ainsi traverser des points d’interconnexion ou contourner certains d’entre eux en empruntant des réseaux de diffusion de contenu qu’utilisent également la télévision IP et les services de contournement.

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Footnote 4

Paragraphe 20, réplique de Leiacomm aux interventions

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Footnote 5

Voir le site web de Leiacomm : http://picktv.net/

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Footnote 6

Paragraphe 18, réplique de Bell Média à la demande de la Partie 1 présentée par Leiacomm

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Footnote 7

Paragraphe 18, réplique de Leiacomm aux Interventions

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Footnote 8

http://ir.netflix.com/

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Footnote 9

La liste des éléments d’actif de Bell peut être consultée sur ce site web : http://www.bellmedia.ca/fr/a-propos-de-bellmedia/

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Footnote 10

Ce chiffre de 40,2 % représente la part d’écoute combinée de Bell et Astral Média.

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Footnote 11

Bell Fibe, Telus Optik et d’autres services de télévision IP offerts par les ESLT sont fournis sur des réseaux qui leur appartiennent.

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Footnote 12

Pour les systèmes de télévision IP, les signaux de télévision sont captés dans un emplacement central (la « tête de réseau ») en direct, par satellite et/ou par la technologie du câble (fibre optique ou cuivre), puis transmis aux consommateurs par l’entremise d’un réseau de distribution locale ou d’accès local (p. ex. réseau de cuivre du téléphone, câble coaxial, fibre jusqu’aux locaux). La télévision IP est une réplique des réseaux traditionnels du câble.

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Footnote 13

Selon moi, la plupart des entreprises de télévision IP qui ne sont par des ESLC agissent en tant revendeurs d’accès Internet. Selon leur point de vue, pour fournir des services de télévision, il est plus rentable de louer les installations d’une ESLC que de construire un système de fibre jusqu’au foyer. Les services traditionnels de télévision IP se limitent généralement à leur marché local ou régional et dans les faits, sont limités par la technologie qui régit le réseau d’accès local (généralement DSL standard). Ce type d’arrangement finit par ressembler à une revente d’accès Internet. Les ESLC bénéficient à divers degrés de ce type d’arrangement.

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Footnote 14

YouTube, Netflix et Crackle sont des exemples de services de contournement exploités au Canada (depuis août 2014).

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Footnote 15

De plus, Leiacomm n’a jamais refusé une licence. Le dossier de la présente instance n’indique pas que Leiacomm se soit fait offrir la possibilité de détenir une licence.

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