Ordonnance de télécom CRTC 2024-289
Ottawa, le 15 novembre 2024
Numéros de dossiers : 8622-T117-202306919 et 4754-740
Demande d’attribution de frais concernant la participation du Centre pour la défense de l’intérêt public à l’instance amorcée par TekSavvy Solutions Inc.
Demande
- Dans une lettre datée du 19 mars 2024, le Centre pour la défense de l’intérêt public (CDIP) a présenté une demande d’attribution de frais pour sa participation à l’instance amorcée par une demande de TekSavvy Solutions Inc. (TekSavvy) invitant le Conseil à accorder des redressements provisoires et définitifs et à maintenir le statu quo en ce qui concerne l’accès des concurrents aux installations de fil de cuivre et de câble de Cogeco Communications Inc.
- TekSavvy a déposé une intervention, datée du 1er avril 2024, en réponse à la demande du CDIP.
- Le CDIP a indiqué qu’il avait satisfait aux critères d’attribution de frais énoncés à l’article 68 des Règles de pratique et de procédure du Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes (Règles de procédure), car il représentait un groupe ou une catégorie d’abonnés pour qui le dénouement de l’instance revêtait un intérêt, il avait aidé le Conseil à mieux comprendre les questions examinées et il avait participé à l’instance de manière responsable.
- En particulier, le CDIP a souligné qu’il représente les intérêts de tous les consommateurs à travers le Canada qui ont un intérêt dans le choix et l’abordabilité des services de télécommunication. En ce qui concerne les méthodes particulières au moyen desquelles le CDIP a affirmé représenter ce groupe ou cette catégorie, le CDIP a expliqué qu’il menait des recherches approfondies sur les intérêts des consommateurs, y compris des rapports récents concernant la transparence, l’abordabilité et le choix des fournisseurs de services de télécommunication et de radiodiffusion.
- Le CDIP a fait valoir qu’il avait aidé le Conseil à mieux comprendre les questions examinées dans le cadre de l’instance, en plus d’avoir soulevé d’autres points à considérer. En particulier, le CDIP a souligné que le Conseil doit veiller à ce que les consommateurs aient accès à des tarifs justes et raisonnables, ce qui se produit lorsque les concurrents sont en mesure d’offrir leurs services aux utilisateurs finals actuels et nouveaux à des tarifs compétitifs. Le CDIP a également soutenu que le Conseil doit préserver les choix offerts aux consommateurs et veiller à ce qu’aucun utilisateur final ne soit privé du service abordable de son choix à la suite de modifications du réseau.
- Le CDIP a en outre fait valoir qu’il avait participé de manière responsable et qu’il avait respecté les Règles de procédure du Conseil.
- Le CDIP a demandé au Conseil de fixer ses frais à 1 137,74 $, représentant entièrement des honoraires d’avocats. Le CDIP a réclamé 843,99 $ pour 2,8 heures en honoraires d’avocat externe, au taux horaire de 290 $, et 293,75 $ pour 1,25 jour pour un stagiaire en droit, au taux quotidien de 235 $. La somme réclamée par le CDIP comprenait la taxe de vente harmonisée (TVH) de l’Ontario appliquée aux frais, moins le rabais en lien avec la TVH auquel le CDIP a droit. Le CDIP a joint un mémoire de frais à sa demande.
- Le CDIP a fait valoir qu’il est approprié que la moitié des frais accordés par le Conseil soit payée par TekSavvy et que l’autre moitié soit payée par toutes les autres parties en fonction de leur rapport le plus récent sur les revenus annuels provenant des services de télécommunication.
Réponse
- TekSavvy a répliqué qu’elle est d’accord avec le fait que le CDIP a rempli les conditions d’admissibilité pour une demande d’attribution de frais, mais qu’elle n’est pas d’accord avec la répartition des frais suggérée par le CDIP.
- TekSavvy a fait valoir que les frais réclamés sont conformes aux Lignes directrices pour l’évaluation des demandes d’attribution de frais (Lignes directrices), telles qu’elles sont énoncées dans la politique réglementaire de télécom 2010-963. TekSavvy a soulevé que, conformément aux Lignes directrices, les frais devraient être répartis proportionnellement aux revenus d’exploitation provenant d’activités de télécommunication (RET) des parties participantes et que, si une partie intimée est jugée responsable de moins de 100 $ du total des frais attribués, celle-ci est généralement exclue.
Analyse du Conseil
- Les critères d’attribution de frais sont énoncés à l’article 68 des Règles de procédure, qui prévoit :
- Le Conseil décide d’attribuer des frais définitifs et fixe le pourcentage maximal de ceux-ci en se fondant sur les critères suivants :
a) le fait que le dénouement de l’instance revêtait un intérêt pour le demandeur ou pour le groupe ou la catégorie d’abonnés qu’il représentait;b) la mesure dans laquelle le demandeur a aidé le Conseil à mieux comprendre les questions qui ont été examinées;
c) le fait que le demandeur a participé à l’instance de manière responsable.
- Le Conseil décide d’attribuer des frais définitifs et fixe le pourcentage maximal de ceux-ci en se fondant sur les critères suivants :
- Dans le bulletin d’information de télécom 2016-188, le Conseil a donné des directives sur la manière dont un demandeur peut démontrer qu’il répond au premier critère en ce qui a trait à la représentation d’abonnés intéressés. Dans le cas présent, le CDIP a démontré qu’il satisfait à cette exigence. Le CDIP est une organisation nationale à but non lucratif et un organisme de bienfaisance enregistré qui représente les intérêts de tous les consommateurs de services de télécommunication de détail au Canada, y compris les consommateurs à faible revenu et les autres consommateurs vulnérables.
- Le CDIP a également satisfait aux autres critères par sa participation à l’instance. En particulier, les observations du CDIP, notamment en ce qui concerne les intérêts et les choix des consommateurs pour avoir accès à des services de télécommunication abordables même en cas de changement de réseau, ont aidé le Conseil à mieux comprendre les questions qui ont été examinées.
- Les taux réclamés au titre des honoraires d’avocats sont conformes aux taux établis dans les Lignes directrices, telles qu’elles sont énoncées dans la politique réglementaire de télécom 2010-963. Le Conseil conclut que le montant total réclamé par le CDIP correspond à des dépenses nécessaires et raisonnables et qu’il y a lieu de l’attribuer.
- Il convient dans le cas présent de sauter l’étape de la taxation et de fixer le montant des frais attribués, conformément à la démarche simplifiée établie dans l’avis public de télécom 2002-5.
- Le Conseil détermine généralement que les intimés appropriés à une attribution de frais sont les parties qui sont particulièrement visées par le dénouement d’une instance et qui y ont participé activement. Selon cette approche standard, les intimés potentiels qui sont particulièrement visés sont : Bragg Communications Inc., exerçant ses activités sous le nom d’Eastlink; Rogers Communications Canada Inc.; TekSavvy; et TELUS Communications Inc.
- Comme établi dans l’ordonnance de télécom 2015-160, le Conseil estime que 1 000 $ devrait être le montant minimal à payer par un intimé étant donné le fardeau administratif que l’attribution de petits montants impose autant au demandeur qu’aux intimés. Selon la pratique courante consistant à calculer la répartition appropriée des frais sur la base des RET et en tenant compte de la règle des 1 000 dollars, TELUS Communications Inc. serait le seul responsable du paiement total de l’attribution de frais.
- Toutefois, les Lignes directrices définissent les principes clés que le Conseil cherche à mettre en œuvre dans le cadre de son régime de coûts. Il s’agit entre autres de veiller à ce que le processus soit suffisamment souple pour tenir compte des circonstances particulières lorsqu’elles sont pertinentes et que l’approche adoptée soit équitable et efficace.
- Comme la présente instance a été amorcée par TekSavvy et que cette partie est la plus particulièrement visée par le dénouement de la présente instance, le Conseil estime qu’il convient de s’écarter de la pratique habituelle consistant à répartir la responsabilité de l’attribution de frais entre les intimés en fonction de leurs RET ou, dans les cas appropriés, de leurs revenus d’exploitation des services sans fil.
- Par conséquent, le Conseil conclut que la responsabilité du paiement des frais devrait être attribuée entièrement à TekSavvy.
Directives relatives aux frais
- Le Conseil approuve la demande d’attribution de frais présentée par le CDIP pour sa participation à l’instance.
- Conformément au paragraphe 56(1) de la Loi sur les télécommunications, le Conseil fixe à 1 137,74 $ les frais devant être versés au CDIP.
- Le Conseil ordonne à TekSavvy de payer immédiatement au CDIP le montant des frais attribués.
Opinion minoritaire
- L’opinion minoritaire du conseiller Bram Abramson est jointe à la présente ordonnance.
Secrétaire général
Documents connexes
- Directives à l’intention des demandeurs d’attribution de frais concernant la représentation d’un groupe ou d’une catégorie d’abonnés, Bulletin d’information de télécom CRTC 2016-188, 17 mai 2016
- Demande d’attribution de frais concernant la participation de l’Ontario Video Relay Service Committee à l’instance amorcée par l’avis de consultation de télécom 2014-188, Ordonnance de télécom CRTC 2015-160, 23 avril 2015
- Révision des pratiques et des procédures du CRTC en matière d’attribution de frais, Politique réglementaire de télécom CRTC 2010-963, 23 décembre 2010
- Nouvelle procédure d’adjudication de frais en télécommunications, Avis public de télécom CRTC 2002-5, 7 novembre 2002
Opinion minoritaire du conseiller Bram Abramson
- De manière générale, le Conseil attribue les frais proportionnellement aux revenus d’exploitation provenant d’activités de télécommunication des parties participantes qui sont particulièrement visées par le dénouement de l’instance.
- Dans la présente décision, la majorité du Comité des télécommunications, au nom du ConseilNote de bas de page 1, s’est écartée de la pratique habituelle du Conseil. La responsabilité du paiement des frais a plutôt été attribuée entièrement à TekSavvy Solutions Inc. (TekSavvy), car cette dernière était « la plus particulièrement visée par le dénouement de la présente instance. »
- Je suis en désaccord avec cette approche. Selon moi, elle représente mal les implications stratégiques de la question examinée, et les vastes choix que nous avons faits en lien avec le cadre réglementaire. En particulier, elle ne reconnaît pas l’approche de non-intervention comme étant un choix réglementaire parmi d’autres.
- Les homologues du Conseil dans d’autres pays ont généralement établi des cadres pour la supervision du processus de mise hors service des réseaux en cuivre, qui est un processus favorable ayant une importance systémique, mais qui exige de gros investissements. Le Canada n’a toutefois pas établi de tels cadres. Ce choix a transféré les coûts des risques concurrentiels et des risques pour les consommateurs qui accompagnent inévitablement un changement aussi important aux concurrents et aux consommateurs touchés par celui-ci.
- À mon avis, le fait de s’éloigner de notre approche habituelle au motif que c’est le demandeur, TekSavvy, qui est le plus particulièrement visé par le dénouement, ne tient pas compte de ce choix. Par conséquent, cette façon de faire n’est pas conforme à la façon dont nous avons abordé d’autres différends qui, bien que bilatéraux à première vue, reflètent en fait aussi des implications stratégiques plus vastes. Cette incohérence envoie un message stratégique dont il faut tenir compte.
Approche de non-intervention pour la mise hors service des réseaux en cuivre
- Pendant le premier siècle des réseaux publics de télécommunication, on utilisait des fils en cuivre pour les services de téléphone et de câblodistribution. Dans leur deuxième siècle, les réseaux filaires étaient composés de fibre. La transition du premier type de réseau au deuxième est un changement historique qui exige des investissements importants dans les installations de télécommunication. Cet investissement consiste notamment à installer de nouvelles fibres. On enlève progressivement l’ancien cuivre pour le réutiliser dans l’économie circulaire.
- La mise hors service des réseaux en cuivre est donc la dernière étape d’un processus de renouvellement important et coûteux. Lorsque cette étape est entreprise, cela signifie qu’on a terminé la mise en place d’installations de réseau résidentielles et commerciales souterraines plus stables, plus permanentes et ayant une plus grande bande passante que n’importe quel système par satellite direct aux consommateurs. C’est pourquoi la mise hors service des réseaux en cuivre est une étape importante dans le rôle que joue la bande passante dans le développement économique des collectivités.
- Bien que salutaire, la mise hors service des réseaux en cuivre présente également des risques, comme c’est le cas pour tout changement significatif. Parmi ces risques, il y a notamment les vulnérabilités des consommateurs et de possibles distorsions concurrentielles. Dans de nombreux pays, un cadre réglementaire a été établi pour superviser et gérer la mise hors service des réseaux en cuivreNote de bas de page 2.
- Ce n’est pas le cas au CanadaNote de bas de page 3. Ici, la mise hors service des réseaux en cuivre se déroule sans contrôle réglementaire actif. En cas de distorsions concurrentielles ou de vulnérabilités des consommateurs, en dépit des efforts déployés par les responsables de la mise hors service des réseaux en cuivre, il revient aux concurrents ou aux consommateurs touchés de recourir à la voie réglementaire.
- Cette attribution de responsabilité est un choix de répartition des risques qui découle de l’approche canadienne relative à la mise hors service des réseaux en cuivre. Où d’autres cadres réglementaires auraient imposé les coûts aux responsables de la mise hors service, l’approche canadienne a transféré certains coûts des risques aux personnes touchées par ceux-ci au lieu des responsables de la mise hors service.
- La décision de la majorité reflète maintenant un deuxième choix de transfert des risques en aval. Elle oriente les coûts supplémentaires d’une intervention réglementaire, pour donner suite aux risques qui se matérialisent, vers ceux qui assument déjà les risques. Les coûts en dollars ne sont pas élevés dans le cas de la présente instance. Toutefois, l’attribution des frais traduit une position plus vaste en lien avec les politiques.
Répartition des coûts comme message stratégique
- L’approche actuelle du Conseil pour déterminer le montant approprié des frais à attribuer est énoncée à l’article 56 de la Loi sur les télécommunications;dans les règles 60 à 70 des Règles de pratique et de procédure du Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes; dans la politique réglementaire de télécom 2010-963 et les lignes directrices qui y sont liées; ainsi que dans le bulletin d’information de télécom 2016-188.
- Toutefois, il y a moins de détails sur l’approche actuelle du Conseil pour attribuer ces frais. Les paragraphes 28 à 32 de la politique réglementaire de télécom 2010-963 décrivent l’approche générale. L’ordonnance de télécom 2015-160 ajoute un montant minimal de 1 000 $. La méthode utilisée pour évaluer l’importance relative de l’intérêt des parties dans une instance, et donc les inclure en tant qu’intimés, doit en grande partie être tirée de décisions antérieures. Au cours des dernières années, les frais ont habituellement été répartis proportionnellement aux revenus d’exploitation provenant d’activités de télécommunication des fournisseurs participants.
- Le Conseil s’est parfois écarté de cette approche si une partie en particulier – habituellement le demandeur – avait un intérêt disproportionné ou unilatéral dans l’instance. Toutefois, cette exception suggère que la question examinée ne présente pas d’enjeux stratégiques qui vont au-delà des intérêts propres du demandeur. Par exemple, quand Bell Mobilité Inc. a déposé une plainte contre Vidéotron ltée concernant ses tarifs de services d’itinérance, TELUS Communications Inc. (TCI), bien qu’elle n’était « pas directement touchée par le conflit sous-jacent », elle avait néanmoins « un intérêt important envers le dénouement de l’instance. En particulier, TCI a un intérêt important dans les décisions du Conseil sur le régime d’itinérance sans fil de gros auquel TCI est soumiseNote de bas de page 4. »
- Je suis d’avis qu’une situation similaire existe ici. TCI avait un intérêt important dans le cadre portant sur l’itinérance sans fil de gros. De même, les parties qui s’occupent de la mise hors service des réseaux en cuivre avaient un intérêt important dans le cadre régissant la mise hors service des réseaux en cuivre, qui est actuellement un cadre simple de non-intervention. Si la décision antérieure de ne pas établir de cadre de supervision pour la mise hors service des réseaux en cuivre a effectivement transféré le risque de ceux qui font la mise hors service aux concurrents et aux consommateurs touchés, alors la décision actuelle de la majorité, selon laquelle TekSavvy est particulièrement visée par le dénouement, ne tient pas compte du transfert de risque de ce choix précédent. Elle ignore nos choix stratégiques plus vastes, et les réduit simplement à un différend bilatéral.
- Comme je l’ai écrit ailleurs, ce n’est pas la meilleure approche. Nous sommes en train d’orienter nos cadres réglementaires entourant les télécommunications non plus vers les services téléphoniques filaires, mais plutôt vers un monde dominé par le protocole Internet et axé sur les services de données à large bande. La tâche consistant à cerner et à mettre à jour systématiquement les principales composantes de ces cadres d’une manière qui est bien plus que ponctuelle continue de s’appliquer.
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