Décision de radiodiffusion CRTC 2023-22

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Référence : Demande de la Partie 1 affichée le 2 septembre 2022

Ottawa, le 3 février 2023

Bell Média inc.
L’ensemble du Canada

Dossier public : 2022-0550-0

Plainte de Bell Média contre Vidéotron alléguant une préférence et un désavantage indus concernant la distribution de VRAK et Z

Sommaire

Le Conseil conclut que Vidéotron ltée ne s’est pas accordé une préférence et n’a pas assujetti Bell Média inc. ou ses services, VRAK et Z, à un désavantage.

Par conséquent, le Conseil rejette la plainte de Bell Média inc. et met ainsi fin au statu quo à l’égard de la distribution des services VRAK et Z. Le Conseil encourage les parties à poursuivre leurs efforts en vue d’une résolution.

Parties

  1. Bell Média inc. (Bell Média) est la propriété de BCE inc. qui exploite l’une des plus importantes entreprises de distribution de radiodiffusion (EDR) au Québec et au Canada. Bell Média est propriétaire de plusieurs services de programmation, dont les services facultatifs de langue française VRAK et Z (Services).
  2. Vidéotron ltée (Vidéotron) est une filiale de Québecor Média inc. et exploite la principale EDR au Québec. Vidéotron détient également plusieurs services de programmation de langue française au Québec.

Contexte

  1. Le 26 mai 2022, Vidéotron a avisé Bell Média de son intention de cesser la distribution des Services. Le 1er juin 2022, Bell Média a déposé un avis de différend auprès du Conseil et a demandé que le Conseil avise Vidéotron de ses obligations en vertu de la règle du statu quo (expliquée au paragraphe 10 ci-dessous) pendant le processus de règlement du différend.
  2. Dans une lettre datée du 6 juin 2022, Vidéotron a indiqué qu’elle était dans son droit de cesser la distribution des Services. Vidéotron a indiqué que les parties ne sont pas en conflit et que, par conséquent, la règle du statu quo ne s’applique pas.
  3. Le 10 juin 2022, le personnel du Conseil a envoyé une lettre aux parties confirmant que la règle du statu quo était en vigueur, a établi un processus accéléré pour traiter le différend, tout en donnant au demandeur et au défendeur l’occasion de résoudre leurs problèmes en suspens de manière collaborative.
  4. Le 11 août 2022, Bell Média a déposé une plainte contre Vidéotron alléguant que, en violation de l’article 9 du Règlement sur la distribution de radiodiffusion, Vidéotron conférait un désavantage indu à Bell Média en exprimant son désir de cesser la distribution des Services tout en continuant à distribuer d’autres services comparables, et une préférence indue à elle-même, y compris à des services autorisés de l’entreprise de programmation associée à Vidéotron, Groupe TVA inc. (TVA).

Cadre réglementaire

  1. L’alinéa 10(1)h) de la Loi sur la radiodiffusion (Loi) stipule que le Conseil, dans l’exécution de sa mission, peut, par règlement, pourvoir au règlement – notamment par la médiation – de différends concernant la fourniture de programmation et survenant entre les entreprises de programmation qui la transmettent et les entreprises de distribution.
  2. Les EDR et les entreprises de programmation peuvent donc se prévaloir du régime de règlement des différends en vertu des dispositions énoncées dans les conditions de licence applicables et dans les articles 12 à 15.02 du Règlement sur la distribution de radiodiffusion et des articles 14 et 15 du Règlement sur les services facultatifs qui a été adopté en vertu de l’alinéa 10(1)h) de la Loi.
  3. La règle du statu quo, en particulier, énoncée à l’article 5.01 du Règlement sur la distribution de radiodiffusion, énonce qu’en cas de différend au sujet de la fourniture ou des modalités de fourniture, le titulaire est tenu de continuer la distribution des services de programmation aux mêmes tarifs et selon les modalités qui s’appliquaient aux parties avant le différend, jusqu’à ce qu’un accord réglant le différend soit conclu par les entreprises concernées ou, si aucun accord n’est conclu, lorsque le Conseil rend une décision concernant toute question non résolue. La règle du statu quo s’applique automatiquement dès le dépôt d’un avis de différend.
  4. De plus, l’article 9 du Règlement sur la distribution de radiodiffusion prévoit qu’il :
    • est interdit au titulaire d’accorder à quiconque, y compris lui-même, une préférence indue ou d’assujettir quiconque à un désavantage indu;
    • incombe au titulaire qui a accordé une préférence ou fait subir un désavantage indu d’établir que la préférence ou le désavantage n’est pas indu.
  5. Le Conseil a l’autorité, en vertu du paragraphe 9(1) de la Loi, d’attribuer des licences pour des périodes maximales de sept ans et aux conditions liées à la situation du titulaire qu’il estime indiquées pour la mise en œuvre de la politique de radiodiffusion visée au paragraphe 3(1) de la Loi, ainsi que de modifier ces conditions.
  6. L’annexe de la politique réglementaire de radiodiffusion 2015-438 énonce le Code sur la vente en gros du Conseil, lequel doit être imposé par condition de licence et qui régit certains aspects des ententes commerciales entre les EDR et les services de programmation.
  7. Enfin, dans la politique réglementaire de radiodiffusion 2015-96 (Parlons télé), le Conseil a établi une feuille de route afin de donner aux Canadiens plus de choix dans la sélection et l’assemblage de leurs services de télévision. Dans cette politique réglementaire, le Conseil a annoncé que les privilèges d’accès de tous les services facultatifs seraient progressivement supprimés, et que cela signifie que la distribution et l’assemblage des services dépendraient davantage des forces du marché. Dans cette politique, le Conseil a reconnu qu’avec une dépendance accrue aux forces du marché pour la distribution et l’assemblage des services, et dans un environnement conçu pour favoriser le choix du consommateur, certains services pourraient ne pas survivre.

Plainte

  1. Dans sa plainte du 11 août 2022 dans laquelle elle allègue que Vidéotron se confère une préférence indue et désavantage indûment Bell Média en cherchant à cesser la distribution des Services tout en continuant à distribuer d’autres services, Bell Média  indique ce qui suit :
    • Étant donné que le Conseil a déjà déterminé dans la décision de radiodiffusion 2009-590 que Bell ExpressVu Limited Partnership et Vidéotron sont des entités comparables parce qu’elles distribuent toutes deux de la programmation au Québec, il s’ensuit que les services facultatifs de langue française qu’elles distribuent sont comparables.
    • Vidéotron est l’EDR dominante au Québec avec une part de 57 % du marché de la distribution et peut essentiellement dicter le succès ou l’échec des services de programmation de langue française non liés. Cela donne à Vidéotron la possibilité de protéger ses propres services en abandonnant intentionnellement les services d’autres acteurs du marché.
    • Le marché de langue française est beaucoup plus petit que le marché de langue anglaise, non seulement en termes d’abonnés, mais aussi en termes de quantité et de variété de programmation disponible. Si Vidéotron cesse de distribuer les services de Bell Média, cela réduira le choix des consommateurs dans ce marché.
    • Les données d’audience ne soutiennent pas la décision de Vidéotron.
    • L’arrêt de la distribution des services aura des répercussions négatives importantes sur les Services et compromettra la réalisation des objectifs de la Loi.
  2. De plus, Bell Média soutient que dans la décision de radiodiffusion 2019-429, le Conseil laisse entendre que la comparabilité est plus prononcée dans le marché de langue française « compte tenu du nombre limité d’options de services de programmation dans le marché de langue française » et que le Conseil examine également  « la façon dont le contenu est offert » comme un indicateur de comparabilité.
  3. Bell Média indique que la préférence est indue parce qu’elle aurait des répercussions importantes sur les Services et, en particulier, entraînerait une réduction notable du nombre d’abonnés des Services, ainsi qu’une réduction notable des revenus. Bell Média soutient que la viabilité des Services est donc menacée.

Réponse de Vidéotron

  1. Dans sa réponse du 12 août 2022, Vidéotron indique que la plainte de Bell Média constitue un abus de procédure. Selon elle, Bell Média cherche à prolonger la prestation des Services le plus longtemps possible plutôt que d’alléguer une préférence indue.
  2. Vidéotron soutient que les services de TVA ne sont pas comparables aux Services. Vidéotron fait remarquer que, comme il est indiqué dans la décision de radiodiffusion 2020-347, Bell Média elle-même a indiqué qu’aucun autre service ne peut être comparé directement à VRAK. Les Services n’étant pas comparables, la question de la préférence ou du désavantage est donc sans objet.
  3. De plus, Vidéotron soutient que le fait d’accorder aux Services des droits d’accès de facto en forçant Vidéotron à les distribuer irait à l’encontre des objectifs de la politique Parlons télé du Conseil, selon lesquels le libre jeu du marché est censé pousser les entreprises à rester pertinentes et à améliorer leur programmation de manière novatrice. Vidéotron fait également remarquer que le Conseil a déjà expliqué dans la décision de radiodiffusion 2016-82 que le simple fait de cesser de distribuer un service tout en continuant à distribuer d’autres services ne suffit pas à établir une préférence indue.
  4. Vidéotron indique qu’elle a le droit de cesser la distribution des Services et qu’elle n’a aucune obligation légale ou réglementaire de les distribuer. Vidéotron précise que sa décision tient compte à la fois du mauvais rendement des Services et des tarifs « déraisonnables » proposés par Bell Média.

Réplique de Bell Média

  1. Bell Média indique qu’elle ne cherche pas à obtenir un accès de facto pour les Services. Elle indique que si la préférence indue alléguée était corrigée, Vidéotron continuerait à distribuer les Services et abandonnerait d’autres services dont le rendement est faible (c.-à-d. les services de TVA).
  2. Bell Média a fourni des données supplémentaires afin de démontrer que les Services sont concurrentiels. Elle précise que VRAK a gagné en popularité depuis qu’elle a modifié sa programmation au printemps 2022 pour se concentrer sur les séries dramatiques et les films, faisant plus que doubler son audience et sa part de marché. Bell Média fait remarquer que la refonte de VRAK comportait un virage vers la programmation de fiction, avec des offres de fiction semblables à celles d’addikTV de TVA et visant un public semblable.
  3. Enfin, Bell Média indique que le choix de Vidéotron constitue une préférence indue, car il aurait des répercussions sur l’atteinte des objectifs de la politique canadienne de radiodiffusion énoncés dans la Loi. Plus précisément, la perte des Services entraînerait une réduction de la diversité des voix dans le marché francophone, déjà plus fragile. En outre, la perte de ces Services entraînerait la perte du contenu canadien qu’ils fournissent.

Questions

  1. Le Conseil estime que les questions sur lesquelles il doit se pencher sont les suivantes :
    • si Vidéotron s’accorde une préférence indue et si elle soumet Bell Média à un désavantage indu en cessant de distribuer les Services tout en continuant à distribuer d’autres entités comparables;
    • s’il convient de mettre fin au différend, levant ainsi la règle du statu quo.

Préférence ou désavantage indu

  1. Lorsque le Conseil examine une plainte alléguant une préférence indue ou un désavantage indu, il doit d’abord déterminer s’il y a préférence ou désavantage. Une préférence ou un désavantage sont généralement définis comme le traitement différent d’entités comparables. Le Conseil vérifie s’il existe des entités comparables comme une première étape afin d’examiner s’il y a eu un traitement dissemblable, et donc une préférence ou un désavantage. Dans la décision de radiodiffusion 2019-427, le Conseil a déclaré qu’il est préférable de définir le terme « comparable » au cas par cas, selon le contexte d’un différend.
  2. Si le Conseil conclut qu’une préférence a été accordée ou qu’une personne a été assujettie à un désavantage, il doit déterminer si la préférence ou le désavantage est indu. Plus précisément, le Conseil évalue si cette préférence ou ce désavantage a causé ou pourrait causer une incidence importante au plaignant ou à toute autre personne. Le Conseil évalue également l’incidence que la préférence ou le désavantage a exercée, ou pourrait exercer, sur l’atteinte des objectifs énoncés dans la Loi.
  3. Le Conseil fait remarquer que dans la décision de radiodiffusion 2009-590 citée par Bell Média, le Conseil se demandait si Vidéotron, une EDR, se conférait une préférence, notamment parce qu’elle se donnait des occasions de commandite dans certaines émissions de TVA alors qu’elle n’en donnait pas à Bell ExpressVu Limited Partnership, également une EDR. Le Conseil a donc déterminé que les entités comparables se situaient sur le plan des EDR et, par conséquent, a examiné s’il y avait un traitement différent des EDR, et non des services particuliers fournis par ces EDRNote de bas de page 1. Par conséquent, le Conseil estime que les faits de ce cas ne sont pas analogues à ceux du présent cas.
  4. Comme susmentionné, Vidéotron indique que VRAK et Z ne sont comparables à aucun de ses services et souligne les propres arguments de Bell Média selon lesquels aucun autre service ne peut être comparé directement à VRAK. Dans sa demande, Bell Média n’a pas fourni d’éléments de preuve pertinents concernant la comparabilité de services particuliers et de leur contenu. Bell Média soutient plutôt que tous les services facultatifs de langue française de TVA ou de Bell Média ainsi que les autres services facultatifs de langue française distribués au Québec sont des entités comparables. Bell Média fait également remarquer que les services facultatifs de langue française de TVA et de Bell Média sont offerts sur diverses options multiplateformes, y compris la distribution terrestre et par satellite. Dans sa réplique, Bell Média fait valoir que la programmation de VRAK est maintenant davantage semblable à celle du service addikTV de TVA. Le Conseil note que Bell Média n’a pas fourni d’éléments de preuve à l’appui de cette affirmation.
  5. Le Conseil conclut que le fait que les Services en question soient des services facultatifs de langue française distribués par les EDR ne constitue pas une base suffisante pour conclure qu’ils sont comparables aux services facultatifs de TVA ou à d’autres services facultatifs de langue française distribués par TVA. En outre, l’affirmation générale de Bell Média concernant les diverses options de distribution des services de langue française ne démontre pas l’existence d’entités comparables dans le présent cas.
  6. Par conséquent, le Conseil conclut que Bell Média n’a pas réussi à démontrer que TVA distribue d’autres services comparables à VRAK et Z. Étant donné le manque d’entités comparables, le Conseil ne peut donc pas conclure à une préférence ou à un désavantage sur la base du dossier de la présente instance. Par conséquent, le Conseil n’a pas besoin de déterminer si la préférence ou le désavantage est indu.
  7. Compte tenu de ce qui précède, le Conseil rejette la plainte de Bell Média.

Fin du litige et levée de la règle du statu quo

  1. Comme indiqué ci-dessus, dans sa lettre du 10 juin 2022 adressée aux parties, le personnel du Conseil a confirmé que la règle du statu quo était en vigueur jusqu’à la résolution du différend actuel.
  2. Dans la politique réglementaire de radiodiffusion 2015-96, le Conseil a indiqué que la règle du statu quo ne doit pas être invoquée à la légère et qu’elle ne peut servir à accorder un droit d’accès de facto. La règle du statu quo vise à assurer que les Canadiens continuent à avoir accès à leurs services de programmation préférés quand des EDR et des entreprises de programmation ne s’entendent pas sur les modalités et les conditions de distribution. Elle n’a pas pour objectif de protéger ou de défendre les intérêts particuliers de l’une ou l’autre partie. Le Conseil interviendra s’il a des raisons de croire que les parties invoquent la règle du statu quo de cette manière, pour contrecarrer des négociations menées de bonne foi ou pour isoler un service donné des conséquences liées à la mise en place d’un plus grand choix pour les consommateurs.
  3. Dans l’analyse de tout litige concernant la règle du statu quo, le Conseil tiendra compte du fait que la partie a démontré une raison commerciale valable afin de cesser la distribution des services, que les parties ont eu une chance équitable de négocier et que l’autre partie a démontré que l’intervention continue du Conseil pour faire respecter la règle du statu quo est justifiée.
  4. Le Conseil estime que les éléments de preuve appuient l’évaluation de Vidéotron selon laquelle la popularité et l’auditoire des Services sont en déclin. De plus, le Conseil prend note du mémoire de Vidéotron selon lequel l’auditoire n’est pas la seule raison de sa décision de mettre fin aux Services. Vidéotron est engagée dans une rationalisation commerciale plus large des services qu’elle distribue, qui comprend une analyse des services, de leur rentabilité financière, y compris leur rendement et leur popularité, de la valeur ajoutée aux autres offres de Vidéotron et à l’écosystème canadien, ainsi que du coût des services. Vidéotron a noté que les autres services de langue française répertoriés par Bell Média ont des seuils d’écoute plus stables et des tarifs de gros plus bas que ceux de VRAK.
  5. Par conséquent, le Conseil conclut que Vidéotron a démontré des raisons commerciales valables pour cesser la distribution des Services. En outre, compte tenu de cette conclusion, et de la souplesse du cadre politique actuel qui met l’accent sur le choix du consommateur et reconnaît que certains services peuvent ne pas y survivre, il n’a pas été démontré que l’intervention continue du Conseil est justifiée.
  6. Pour ce qui est de savoir si les parties ont eu une chance équitable de négocier, le Conseil note que les deux parties sont des EDR intégrées verticalement qui sont des acteurs dominants sur le marché canadien de la radiodiffusion. Par conséquent, il n’y a pas de déséquilibre dans les positions de négociation qui nécessiterait l’intervention du Conseil.
  7. Compte tenu de ce qui précède, le Conseil met fin au différend concernant la distribution de VRAK et Z par Vidéotron. Par conséquent, le statu quo concernant la distribution des Services n’est plus en vigueur.
  8. Le Conseil fait remarquer que la levée de la règle du statu quo ne signifie pas que Vidéotron est maintenant tenue de cesser la distribution des Services. Le Conseil encourage les parties à continuer à négocier les conditions de distribution, avec ou sans l’aide du personnel du Conseil.
  9. Le Conseil estime que les questions soulevées dans la présente demande sont de nature commerciale et qu’elles auraient été traitées de manière plus appropriée dans le cadre des négociations entre les parties. Bien que les parties puissent faire appel au Conseil afin de faciliter la résolution des plaintes, celui-ci s’attend généralement à ce que les parties fassent des efforts raisonnables afin de résoudre leurs différends avant de soumettre ces questions au Conseil aux fins de décision.

Secrétaire général

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