Décision de radiodiffusion CRTC 2019-429

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Référence : Demande de la Partie 1 affichée le 3 mai 2019

Ottawa, le 19 décembre 2019

Bell Média inc.
L’ensemble du Canada

Dossier public de la présente demande : 2019-0274-2

Plainte de Bell Média contre Vidéotron alléguant une préférence indue concernant l’assemblage de Super Écran

Le Conseil conclut que, bien que Québecor Média inc., au nom de Vidéotron ltée, ait accordé une préférence à son service de vidéo sur demande hybride, Club illico, et fait subir un désavantage à Bell Média inc. (Bell) lorsqu’elle a modifié l’assemblage du service Super Écran, cette préférence et ce désavantage ne sont pas indus pour l’instant.

Par conséquent, le Conseil rejette la plainte de Bell.

Les parties

  1. Bell Média inc. (Bell) est une société de multimédias qui possède des éléments d’actif importants, notamment dans les domaines de la télévision. Elle détient, entre autres, des services facultatifs comme Super Écran.
  2. Vidéotron ltée (Vidéotron), une filiale de Québecor Média inc. (Québecor), exploite l’une des principales entreprises de distribution de radiodiffusion (EDR) au Québec. Elle exploite également le service de vidéo sur demande hybride exempté Club illico.

La plainte

  1. Le 23 avril 2019, Bell a déposé une plainte contre Vidéotron alléguant que cette dernière aurait assujetti Super Écran, le service facultatif de Bell, à un désavantage indu et se serait accordé une préférence indue en modifiant l’assemblage du service de façon à ce que Super Écran ne se trouve plus à titre d’option « Premium » dans les forfaits sur mesure offerts aux abonnés de Vidéotron.
  2. Bell indique que Super Écran était auparavant inclus dans la liste des options « Premium », tout comme Club illico, Super Channel et TMN (maintenant Crave) et qu’il se trouvait dans trois forfaits thématiques. Toutefois, en novembre 2018, Vidéotron a retiré Super Écran de la liste des options « Premium ». Le service se trouve maintenant dans une autre liste, appelée « Autres spécialités », qui est beaucoup moins populaire et visible. De plus, selon Bell, Super Écran est le seul service en français faisant partie de cette liste, composée de plusieurs services en langues tierces. Bell ajoute que Québecor s’accorde une préférence indue en continuant d’offrir Club illico comme option de choix de catégorie « Premium ».
  3. Bell affirme que la modification à l’assemblage a une incidence négative sur l’atteinte des objectifs de la Loi sur la radiodiffusion (la Loi), qui énoncent entre autres que le système canadien de radiodiffusion devrait favoriser l’épanouissement de l’expression canadienne et la programmation offerte par celui-ci devrait être à la fois variée et aussi large que possible. Bell ajoute que la Loi précise aussi que les EDR devraient donner priorité à la fourniture des services de programmation canadienne. Elle soutient que Super Écran contribue de manière importante à l’atteinte de ces objectifs de la Loi.
  4. De plus, Bell souligne qu’en supprimant Super Écran de la liste des options « Premium », les abonnés à Vidéotron n’ont aucune autre option de service canadien de langue française à considérer dans cette liste que Club illico.
  5. Bell affirme que la modification à l’assemblage a causé un préjudice important à Super Écran. Elle précise que le nombre total d’abonnés à Super Écran chez Vidéotron a diminué depuis cette modification et cette diminution s’est accélérée au début de 2019.
  6. Bell demande donc au Conseil de conclure que Vidéotron accorde une préférence indue à son propre service de vidéo sur demande hybride, Club illico. Elle demande également que Vidéotron soit tenue de réintégrer Super Écran comme l’une des options « Premium » qu’elle propose et de l’offrir de façon similaire aux autres services de télévision premium, y compris Club illico.

Réponse de Québecor

  1. Dans sa réponse du 3 juin 2019, Québecor soutient que le réassemblage n’était que le résultat de la hausse de tarifs que Bell propose pour Super Écran. Québecor ajoute que Bell a été informée de ses préoccupations à l’égard de la hausse de tarifs demandée et de l’incidence que cette hausse pourrait avoir sur la distribution de Super Écran. Bien que les nouveaux tarifs ne soient pas encore en place, Québecor indique qu’elle n’avait pas le choix de modifier l’assemblage des canaux étant donné que les tarifs proposés seront rétroactifs.
  2. Québecor soutient également que Club illico ne retire pas d’avantages particuliers à faire partie de la liste des options « Premium » puisque les abonnés de Vidéotron qui veulent avoir accès à des services de langue française ont le choix entre Club illico ou l’ensemble de canaux non canadiens Canal+ et Studio Canal. De plus, Vidéotron fait valoir que Club illico n’est pas comparable à Super Écran puisque les deux services offrent des contenus différents.
  3. De plus, Québecor conteste la manière dont Bell décrit sa liste « Autres spécialités », dans laquelle se trouve Super Écran. Elle indique que 40 % des services de cette liste sont en de langue anglaise et deux sont de langue française.
  4. En réponse aux arguments de Bell concernant les objectifs énoncés dans la Loi, Québecor soutient qu’elle ne voit pas en quoi le fait que Super Écran ne fasse plus partie de la liste des options « Premium » de Vidéotron pourrait nuire à la réalisation des objectifs. Elle ajoute qu’elle n’a pas cessé de distribuer Super Écran : elle n’a que déplacé le service dans une autre liste d’options en raison des hausses tarifaires importantes demandées par Bell.
  5. Enfin, Québecor affirme que depuis 2013, il y a une décroissance continue des abonnements des clients de Vidéotron à Super Écran. Selon elle, ce n’est pas tant la manière dont le service est assemblé qui a un effet sur l’abonnement au service, mais plutôt la baisse d’intérêt généralisée. Québecor ajoute que le nombre d’abonnés à Super Écran varie en fonction du contenu. Par exemple, Super Écran voit croître son nombre d’abonnements en fonction de la disponibilité des nouvelles saisons de la série Game of Thrones.

Réplique de Bell

  1. Dans sa réplique du 13 juin 2019, Bell soutient que la hausse du prix de détail de Super Écran effectuée par Vidéotron à titre préventif fait partie de la stratégie de cette dernière pour désavantager Super Écran. Bell précise que les tarifs de gros définitifs n’ont pas encore été établis et les deux parties poursuivent les négociations. De plus, Bell fait remarquer que Super Écran faisait déjà l’objet de frais supplémentaires de 5 $ dans l’assemblage proposé par Vidéotron avant que Super Écran soit déplacé dans la liste « Autres spécialités », en novembre 2018. Selon Bell, Vidéotron aurait pu modifier ces frais, plutôt que l’assemblage.
  2. Bell soutient également que, contrairement à ce que Québecor avance, la préférence indue ne repose pas sur des comparaisons de programmation entre services et que sa plainte n’est pas fondée sur ce genre de facteurs. Selon Bell, le principal enjeu est que le retrait de Super Écran a éliminé le principal compétiteur à Club illico parmi les options offertes dans la liste. Ainsi, la plupart des abonnés de Vidéotron choisiraient Club illico comme option « Premium » dans leur forfait sur mesure, ce qui désavantage Super Écran.
  3. En ce qui concerne la baisse du nombre d’abonnés à Super Écran, Bell précise que bien que le nombre d’abonnés à la plupart des services facultatifs canadiens est en déclin, le déclin des abonnés à Super Écran chez Vidéotron s’est accéléré depuis la modification de l’assemblage en novembre 2018. 
  4. Bell ajoute que les services qui se trouvent dans la liste « Autres spécialités » comprennent des services de créneau qui ne sont pas comparables à Super Écran. Bell affirme également que les abonnés ont encore un intérêt pour le service et la diminution du nombre d’abonnés à Super Écran chez Vidéotron ne signifie pas que les consommateurs ne sont plus intéressés au service.

Cadre réglementaire

Test de la préférence indue

  1. L’article 9 du Règlement sur la distribution de radiodiffusion prévoit ce qui suit :
    1. Il est interdit au titulaire d’accorder à quiconque, y compris lui-même, une préférence indue ou d’assujettir quiconque à un désavantage indu.
    2. (…) il incombe au titulaire qui a accordé une préférence ou fait subir un désavantage indu d’établir que la préférence ou le désavantage n’est pas indu.
  2. Lorsque le Conseil examine une plainte alléguant une préférence indue ou un désavantage indu, il doit d’abord déterminer s’il y a préférence ou désavantage. La préférence ou le désavantage sont généralement définis comme le traitement différent d’entités comparables.
  3. Si le Conseil conclut qu’une préférence a été accordée ou qu’une personne a été assujettie à un désavantage, il doit déterminer si la préférence ou le désavantage est indu. Plus précisément, le Conseil évalue si cette préférence ou ce désavantage a causé ou pourrait causer un préjudice important au plaignant ou à une autre personne. Il examine également l’incidence que la préférence ou le désavantage exerce, ou risque d’exercer, sur l’atteinte des objectifs énoncés dans la Loi.

Analyse et décision du Conseil

  1. Le Conseil estime que les questions sur lesquelles il doit se pencher sont les suivantes :
    • Y a-t-il préférence ou désavantage?
    • Dans l’affirmative, la préférence ou le désavantage sont-ils indus?

Y a-t-il préférence ou désavantage?

  1. En dépit des arguments de Québecor à l’effet que les deux services sont complémentaires et non comparables, le Conseil estime que la programmation offerte par les deux services est semblable à plusieurs égards. En effet, dans les deux cas, celle-ci est composée de contenu populaire exclusif de premier choix, comme des séries télévisées et des films, en français, et ce, sans publicité. Il y a donc un chevauchement entre les programmations des deux services, particulièrement compte tenu du nombre limité d’options de services de programmation dans le marché de langue française. Dans une certaine mesure, la façon dont le contenu est offert est aussi semblable puisque les abonnés aux deux services ont accès à du contenu sur demande. Par conséquent, dans le cas présent, le Conseil conclut que Super Écran et Club illico sont des services comparables.
  2. Selon le nouvel assemblage, les abonnés de Vidéotron peuvent facilement trouver Club illico parmi les options « Premium », car celles-ci apparaissent dans plusieurs forfaits, ce qui n’est plus le cas pour Super Écran. Selon l’ancien assemblage, Super Écran était aussi visible que Club illico : il était l’une des options « Premium » dans quatre des sept forfaits offerts par Vidéotron. Dans la nouvelle offre d’assemblage, Super Écran est plus difficile à trouver que peut l’être Club illico, car il n’est offert que dans un forfait plus difficilement découvrable ou encore en tant qu’option à partir de la liste « Autres spécialités ». Pour trouver Super Écran sur le site Web de Vidéotron, il faut faire défiler la page jusqu’à « Autres spécialités » et, ensuite, cliquer sur « Voir plus », car ce service se trouve dans la partie de la liste des services qui est masquée.
  3. De plus, les services offerts dans la liste « Autres spécialités » ne semblent pas comparables à Super Écran. Cette liste contient plusieurs services de créneau, et plus de la moitié des services qui s’y trouvent sont en langues tierces.
  4. Par conséquent, ces modifications à l’assemblage des services ont affecté considérablement la visibilité de Super Écran, qui devient difficile à trouver pour les abonnés potentiels. Compte tenu de ce qui précède, le Conseil conclut que Vidéotron a assujetti Super Écran à un désavantage et a accordé une préférence à son propre service.
  5. De plus, le Conseil note qu’en modifiant l’assemblage de Super Écran, Vidéotron pourrait avoir contrevenu à l’article 10 du Code sur la vente en gros, énoncé à l’annexe de Code sur la vente en gros, politique réglementaire de radiodiffusion CRTC 2015-438, 24 septembre 2015, qui prévoit qu’un « service de programmation doit recevoir de l’EDR un soutien en matière de commercialisation qui soit comparable à celui qu’elle accorde à d’autres services semblables ou qui lui sont liés ».  

La préférence et le désavantage sont-ils indus?

  1. Lorsque le Conseil détermine qu’il y a préférence et désavantage, il examine si ceux-ci ont eu, ou pourraient avoir, une incidence néfaste importante sur le plaignant. Le Conseil examine également l’incidence que la préférence et le désavantage ont eu, ou pourraient avoir, sur l’atteinte des objectifs de la Loi. Dans le cas présent, il incombe à Vidéotron de démontrer que la préférence et le désavantage n’avaient rien d’indus.
  2. Québecor soutient que la perte d’abonnés à Super Écran n’est pas la conséquence des modifications à l’assemblage, mais qu’elle s’inscrit plutôt dans une tendance à long terme de baisse d’intérêt des abonnés. Cette baisse est d’ailleurs visible depuis 2013.
  3. Le Conseil constate que les abonnements à Super Écran ont diminué de façon relativement constante dans l’ensemble du Canada depuis 2014 (exception faite de l’année 2017). Cette diminution a été plus importante chez Vidéotron. Toutefois, bien que le nombre d’abonnés ait diminué de façon plus prononcée après novembre 2018, les abonnements à Super Écran ont augmenté en avril 2019, soit lors de la diffusion d’une nouvelle saison de Game of Thrones. Lorsque Super Écran diffuse du contenu qui revêt de l’intérêt chez les Canadiens, ceux-ci s’y abonnent.
  4. Par conséquent, il est difficile d’établir clairement l’incidence de la modification de l’assemblage sur le nombre d’abonnés à Super Écran. Il est possible que la modification de l’assemblage ait accéléré la diminution du nombre d’abonnés et que celle-ci ait une incidence plus importante à l’avenir. Cependant, compte tenu que la période visée par la plainte est courte, le Conseil estime que les données sont insuffisantes pour déterminer de façon concluante si cette diminution découle directement du réassemblage du service ou si elle est attribuable au déclin général du nombre d’abonnés.
  5. Néanmoins, le Conseil reconnaît que la baisse du nombre d’abonnés à Super Écran chez Vidéotron a été plus prononcée au cours du premier trimestre de 2019 qu’elle l’était auparavant. Toutefois, le Conseil estime que les répercussions financières immédiates de ce déclin sont minimales pour l’instant. Malgré des revenus à la baisse entre 2014 et 2018, Super Écran continue d’afficher de solides marges de bénéfice avant intérêts et impôts. Enfin, pour l’instant, Super Écran demeure rentable et continue de contribuer à l’atteinte des objectifs de la Loi, plus particulièrement à la diversité de la programmation (article 3(1)i)(i)), et apporte des contributions appropriées à la programmation canadienne (article 3(1)d)(ii)).
  6. Le Conseil estime que la modification de l’assemblage de Super Écran par Vidéotron n’a pas de d’incidence négative importante sur Super Écran ou sur le système de radiodiffusion. Par conséquent, la préférence et le désavantage ne sont pas indus.

Conclusion

  1. Compte tenu de tout ce qui précède, le Conseil conclut que, même si Vidéotron s’est  accordé une préférence en modifiant l’assemblage des canaux et ait assujetti Bell à un désavantage, cette préférence et ce désavantage ne sont pas indus pour l’instant. Par conséquent, le Conseil rejette la plainte de Bell.
  2. Le Conseil estime qu’il aurait été plus approprié de traiter les questions soulevées dans la présente demande dans le cadre de négociations entre les parties, au cours desquelles celles-ci auraient pu résoudre leur différend de façon bilatérale ou à l’aide de la médiation assistée par le personnel.

Secrétaire général

 

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