Décision de radiodiffusion CRTC 2019-258

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Référence : Demande de la Partie 1 affichée le 8 novembre 2017

Ottawa, le 17 juillet 2019

Québecor Média inc.
Diverses localités au Québec

Dossier public de la présente demande : 2017-1028-6

Divers services facultatifs et stations de télévision conventionnelle – Modification de licence

Le Conseil refuse une demande déposée par Québecor Média inc., au nom de Groupe TVA inc., en vue de modifier, pour les stations de télévision traditionnelle du réseau TVA et l’ensemble de ses services de télévision à l’exception de LCN, TVA Sports et TVA Sports 2, la condition de licence relative à l’offre de vidéodescription. Cette condition de licence a été imposée à tous les services facultatifs et stations de télévision de Groupe TVA inc. dans le cadre de l’instance de renouvellement des licences de télévision des grands groupes de propriété.

Le Conseil rappelle aux télédiffuseurs l’importance de la vidéodescription pour assurer l’accessibilité de la programmation. Tous les télédiffuseurs, des indépendants aux grandes entités intégrées verticalement, doivent favoriser l’accessibilité à la programmation pour les personnes ayant un handicap, qu’il soit visuel ou auditif, par l’offre d’une programmation adaptée aux besoins particuliers de ces personnes, et ce, afin qu’elles puissent participer pleinement à la vie sociale au Canada.

Contexte

  1. L’article 3(1)p) de la Loi sur la radiodiffusion (la Loi) indique que le système Canadien de radiodiffusion devrait offrir une programmation adaptée aux besoins des personnes atteintes d’une déficience, au fur et à mesure de la disponibilité des moyens. Dans ce même ordre d’idées, dans la politique réglementaire de radiodiffusion 2009-430, le Conseil a déclaré que les personnes handicapées devaient être en mesure d’accéder à des émissions avec vidéodescription provenant tant du secteur privé que du secteur public, en langue française et en langue anglaise.
  2. Dans la politique réglementaire de radiodiffusion 2015-104, le Conseil a déclaré qu’il mettrait en œuvre une approche par paliers pour la production de vidéodescription, en vertu de laquelle les exigences en matière de vidéodescription augmenteraient au fil du temps, en fonction de la taille et des ressources d’un radiodiffuseurNote de bas de page 1. L’exigence de base de quatre heures d’émissions accompagnées de vidéodescription par semaine, dont deux heures devant être de la programmation originale au service, a depuis été progressivement remplacée par une approche par paliers. Selon cette approche, à compter de septembre 2019, les radiodiffuseurs préalablement assujettis à des obligations en matière de vidéodescription ou faisant partie d’entités intégrées verticalement (IV) seraient tenus d’offrir la vidéodescription pour l’ensemble de la programmation tirée des catégories visées aux heures de grande écoute, et ce, tous les jours. Les autres radiodiffuseurs non-exemptés seraient tenus d’offrir quatre heures de programmation tirée des catégories visées accompagnée de vidéodescription par semaine de radiodiffusion à compter de la quatrième année de leur prochaine période de licence.
  3. Dans l’élaboration de sa politique réglementaire, le Conseil avait tenu compte des coûts que la vidéodescription pouvait engendrer, et avait ainsi offert aux télédiffuseurs une période de temps qu’il jugeait raisonnable pour réaliser l’objectif visé, soit un peu plus de quatre années. Le Conseil avait également établi un parallèle avec les exigences de sous-titrage codé, dont l’introduction et le rehaussement graduel ont provoqué l’augmentation du nombre de fournisseurs de sous-titrage pour répondre à la demande croissante de l’industrie.
  4. Dans la politique réglementaire de radiodiffusion 2016-343, le Conseil a exigé que toute la programmation financée par les Fonds de production indépendants certifiés (FPIC), quelle que soit la plateforme de diffusion, soit accompagnée de sous-titrage codé et de vidéodescription. Il notait alors que tous les Canadiens devraient avoir accès à toutes les émissions, sur toutes les plateformes de distribution, et que tous les éléments du système de radiodiffusion devraient soutenir l’accessibilité de la programmation, y compris les FPIC.
  5. Par conséquent, dans la politique réglementaire de radiodiffusion 2016-436, le Conseil a énoncé la condition de licence normalisée suivante pour les stations de télévision et services facultatifs non-exemptés, en tenant compte de la différence entre les petites et les grandes entités IV et des antécédents réglementaires de celles-ci :

    Conformément à Parlons télé : Cap sur l’avenir – Faire des choix éclairés à l’égard des fournisseurs de services de télévision et améliorer l’accès à la programmation télévisuelle, politique réglementaire de radiodiffusion CRTC 2015-104, 26 mars 2015 :

    1. Si le titulaire diffuse quatre heures ou plus de programmation de langue française ou de langue anglaise tirée de l’une des catégories d’émissions de la liste ci-dessous par semaine de radiodiffusion, il doit fournir au moins quatre heures de vidéodescription par semaine de radiodiffusion pour cette programmation, au plus tard au commencement de la quatrième année de la première de période de licence au cours de laquelle s’applique la présente condition de licence;
    2. Si le titulaire diffuse moins de quatre heures de programmation de langue française ou de langue anglaise tirés de l’une des catégories d’émissions de la liste ci-dessous par semaine de radiodiffusion, il doit fournir la vidéodescription pour toute cette programmation, au plus tard au commencement de la quatrième année de la première période de licence au cours de laquelle s’applique cette condition de licence.

    Ces exigences s’appliquent à la programmation tirée des catégories d’émissions suivantes, énoncées à l’article 6 de l’annexe I du Règlement de 1987 sur la télédiffusion, compte tenu des modifications successives : 2b) Documentaires de longue durée, 7 Émissions dramatiques et comiques, 9 Variétés, 11a) Émissions de divertissement général et d’intérêt général et 11b) Émissions de téléréalité, et/ou à la programmation pour enfants d’âge préscolaire (0-5 ans) et pour enfants (6-12 ans).

  1. Au paragraphe 48 de la politique réglementaire de radiodiffusion 2016-436, le Conseil a également reconnu l’importance de faire une distinction entre les petites et grandes entités IV :

    Selon la définition proposée par le Conseil, « entité intégrée verticalement » renvoie à une entité qui détient ou contrôle à la fois des entreprises de programmation audiovisuelle et des entreprises de distribution, ou à la fois des entreprises de programmation audiovisuelle et des sociétés de production. Toutefois, en ce qui concerne la vidéodescription, l’intention du Conseil est d’assujettir les grandes entités intégrées verticalement à l’obligation de fournir la vidéodescription de toute la programmation diffusée par leurs services aux heures de grande écoute, et ce, dès la prochaine période de licence. Les petites entités qui n’étaient pas assujetties aux exigences de vidéodescription avant le dernier renouvellement de leurs licences devraient donc respecter le seuil plus limité de quatre heures de vidéodescription par semaine de radiodiffusion. Le Conseil s’attendra malgré tout à ce que ces petites entités augmentent la quantité de vidéodescription en prévision du prochain renouvellement de licence, lors duquel il conviendra de discuter de nouveaux seuils appropriés.

  1. Ainsi, dans le cadre du renouvellement des licences de ses services et stations de télévision de langue française, dans la décision de radiodiffusion 2017-147, Groupe TVA inc. (Groupe TVA) s’est vu imposer par condition de licence des exigences accrues en matière de vidéodescription, exigences adaptées aux grandes entités IV (subséquemment, la condition VDIV)Note de bas de page 2. La condition VDIV se lit comme suit :

    Le titulaire doit fournir, au plus tard le 1er septembre 2019, la vidéodescription pour toute la programmation de langue française et de langue anglaise diffusée aux heures de grande écoute (soit entre 19 h et 23 h) et tirée des catégories d’émissions 2b) Documentaires de longue durée, 7 Émissions dramatiques et comiques, 9 Variétés, 11a) Émissions de divertissement général et d’intérêt général et 11b) Émissions de téléréalité, ou composée d’émissions pour enfants d’âge préscolaire (0-5 ans) et pour enfants (6-12 ans).

  1. Au cours de l’instance, Québecor Média inc., au nom de Groupe TVA (Québecor, le titulaire), avait avancé que les coûts reliés à la vidéodescription pourraient représenter jusqu’à 25 % du budget de programmation de certains services facultatifs, ce qui forcerait ces derniers à faire des coupures au niveau du contenu, entrant ainsi, selon Québecor, en conflit avec les objectifs de la Loi. Ainsi, il avait demandé au Conseil de n’appliquer les nouvelles exigences qu’aux stations de télévision traditionnelle, et non aux services facultatifs, et seulement aux émissions en première diffusion. Il alléguait alors que l’ajout de la vidéodescription aux émissions en rediffusion représentait un travail de longue haleine demandant davantage d’efforts et de ressources que lorsqu’on l’incorpore en cours de production.
  2. Le Conseil avait alors estimé que Québecor n’avait pas démontré qu’il faisait face à des problèmes financiers justifiant une exception à la politique du Conseil, laquelle a pour but d’améliorer l’accès à la radiodiffusion pour les Canadiens vivant avec un handicap visuel. Le Conseil avait donc refusé la demande de Québecor.

Demande

  1. Le Conseil a reçu une demande de la Partie 1, déposée par Québecor, au nom de Groupe TVA, en vue de modifier la condition de licence à l’égard de la fourniture de vidéodescription imposée dans la décision de radiodiffusion 2017-147 aux stations et services exploités par Groupe TVA. La condition de licence actuelle s’applique aux services facultatifs et stations de télévision suivants : les services Yoopa, Prise 2, AddikTV, Casa, Moi et Cie, ainsi qu’au réseau TVA et aux stations CFCM-DT Québec, CFER-DT Rimouski, CFTM-DT Montréal, CHEM-DT Trois-Rivières, CHLT-DT Sherbrooke et CJPM-DT Saguenay (Québec).
  2. Les services LCN, TVA Sports et TVA Sports 2 sont assujettis aux conditions de licence imposées aux services de nouvelles nationales et aux services de sports, respectivement, et, par conséquent, ne font pas l’objet de la présente demande. De même, les services Zeste et Évasion, nouvellement acquis par Québecor, ne font pas non plus l’objet de la présente instance.
  3. Québecor demande au Conseil de modifier la condition VDIV imposée aux stations de télévision et services facultatifs concernés de Groupe TVA, afin que celle-ci ne s’applique qu’aux émissions dont la première diffusion a lieu après le 1er septembre 2019, et non à toute émission en rediffusion et diffusée pour la première fois avant le 1er septembre 2019. Plus précisément, il propose de modifier le libellé de la condition VDIV comme suit (la modification demandée est en gras) :
    Le titulaire doit fournir, au plus tard le 1er septembre 2019, la vidéodescription pour toute nouvelle programmation de langue française et de langue anglaise diffusée après le 1er septembre 2019 aux heures de grande écoute (soit entre 19 h et 23 h) et tirées des catégories d’émissions 2b) Documentaires de longue durée, 7 Émissions dramatiques et comiques, 9 Variétés, 11a) Émissions de divertissement général et d’intérêt général et 11b) Émissions de téléréalité, ou composée d’émissions pour enfants d’âge préscolaire (0-5 ans) et pour enfants (6-12 ans).
  4. Québecor note qu’au paragraphe 82 de la décision de radiodiffusion 2017-147, le Conseil avait reconnu que « les coûts engendrés par la vidéodescription peuvent se révéler significatifs ». Selon Québecor, cela est d’autant plus vrai lorsqu’il devient nécessaire de verser des sommes considérables tant pour la réalisation de la vidéodescription de nouvelles émissions que pour des émissions qui en sont à leur deuxième diffusion ou plus. Il estime que les coûts pour réaliser uniquement la vidéodescription des nouvelles émissions en première diffusion qui s’inscrivent dans les catégories spécifiques visées par la condition VDIV, s’élèveront en moyenne à plus de 1,8 M$ par année, pour l’ensemble des services concernés, pour la période de 2019-2020 à 2021-2022. Selon Québecor, cela représente approximativement 25 000 heures par année de travail devant être réalisé par des experts.
  5. Québecor affirme que si le Conseil maintient sa décision en refusant la présente demande, vidéodécrire son inventaire actuel qui n’est pas actuellement vidéodécrit exigerait 38 000 heures de travail supplémentaire. Selon le titulaire, les coûts envisagés pour les émissions en rediffusion pour la période de 2019-2020 à 2021-2022 s’élèveraient à environ 3 189 000 $ pour l’ensemble des services concernés.
  6. Il ajoute que les coûts de la vidéodescription de l’exercice débutant le 1er septembre 2019 pourraient représenter, pour certains services facultatifs, jusqu’à 20 % du budget de programmation, ce qui est, selon lui, complètement déraisonnable. Québecor avance qu’il s’agit d’une dépense importante, dans un contexte télévisuel très précaire, pour des émissions en rediffusion, dont le taux d’écoute est généralement plus faible.
  7. Québecor indique que dans ces circonstances, l’exigence relative à la vidéodescription des émissions qui en sont à leur deuxième diffusion ou plus lui nuirait considérablement et pourrait même compromettre la viabilité de certains services. Le titulaire affirme que la vidéodescription est une initiative louable à laquelle il est sensibilisé, mais qu’il est important de s’assurer que les dépenses additionnelles soient en adéquation avec les bénéfices réellement tirés par les téléspectateurs. Conséquemment, il lui apparaît essentiel d’optimiser les ressources financières en amortissant les coûts liés à la vidéodescription sur un nombre maximum de rediffusions, ce qui sera le cas pour les nouvelles émissions diffusées à compter du 1er septembre 2019. Vidéotron entend fournir, à chaque année à compter du 1er septembre 2019, la vidéodescription de l’ensemble des nouvelles émissions tirées des catégories précisées, de sorte que 33 % de la programmation serait vidéodécrite en 2019-2020, 66 % en 2020-2021 et 100 % en 2021-2022.
  8. Le Conseil a reçu plusieurs interventions de la part d’individus, ainsi que de l’Association des personnes handicapées visuelles de Lanaudière (APHVL), de l’Association des personnes handicapées visuelles de l’Estrie (APHVE), de la Confédération des organismes de personnes handicapées du Québec (COPHAN), de l’Institut national canadien pour les aveugles (l’INCA), du Regroupement des aveugles et amblyopes du Montréal Métropolitain (RAAMM), et du Regroupement des aveugles et amblyopes du Québec (RAAQ). Toutes ces interventions se sont inscrites en opposition à la demande de Québecor. Québecor a répondu individuellement à l’intervention de l’INCA, et plus globalement à l’ensemble des intervenants.

Interventions

  1. L’APHVL et le RAAQ soutiennent qu’il est faux de penser qu’une série télévisée ne dure que deux ou trois ans, et indiquent que plusieurs séries sont rediffusées pendant de nombreuses années. La vidéodescription réalisée pour des séries qui sont en rediffusion ne serait donc pas, à leur avis, du travail inutile, mais un investissement permettant d’offrir un contenu de plus en plus accessible. Selon l’APHVL, la vidéodescription existe depuis suffisamment longtemps pour que l’ensemble des télédiffuseurs soit au courant de son importance, et ce, bien avant les décisions découlant de Parlons télé. Pour sa part, le RAAQ s’oppose à la vision « purement mercantile et éphémère » du contenu télévisuel que propose Québecor. De plus, le RAAQ est d’avis qu’avant le 1er septembre 2019, lorsqu’un télédiffuseur fait le choix de ne pas offrir une émission en vidéodescription, il exclut consciemment les personnes ayant des limitations visuelles pour économiser sur les coûts de production.
  2. L’APHVE, pour sa part, soutient que la vidéodescription est un service essentiel à l’information, au divertissement et à la culture de tous et toutes, et ce, pour diverses raisons. Elle ajoute que les personnes handicapées visuelles disposent des mêmes droits que les personnes voyantes. Selon l’APHVE, la vidéodescription permet aux personnes en perte de vision de suivre leurs émissions préférées en même temps que leurs proches voyants, ce qui contribue à réduire la stigmatisation des personnes non-voyantes. Elle termine en affirmant qu’approuver la présente demande pourrait créer un effet d’entraînement et inciter les autres diffuseurs à couper dans ce genre de services pour garder leur compétitivité financière, ce qui serait un manquement éthique important à l’égard des personnes handicapées visuelles, alors que c’est la responsabilité des diffuseurs mêmes de se conformer aux règles en vigueur et de rendre leur contenu aussi accessible que possible.
  3. La COPHAN est également en désaccord avec l’argumentaire de Québecor. Au contraire, elle avance que le titulaire tente de façon détournée de ne pas inclure dans son auditoire les personnes que la COPHAN représente, et estime que Québecor essaie de contourner la future réglementation.
  4. L’INCA souligne l’importance de la vidéodescription pour les personnes non-voyantes ou qui perdent la vue, précisant qu’elle représente plus qu’un moyen d’accéder à du divertissement, mais également un niveleur sociétal, étant donné les liens créés grâce à une participation collective à la culture populaire, par exemple lors des « conversations de machine à café ». La vidéodescription, ajoute L’INCA, permet aux Canadiens ayant un handicap visuel de faire l’expérience de films et de la programmation télévisuelle de façon comparable aux citoyens voyants, et donc de plus pleinement participer à la société. Cette accessibilité, rappelle l’INCA, s’aligne directement avec les principes identifiés dans la Loi.
  5. L’INCA ajoute qu’au lieu de permettre une réduction dans la quantité de vidéodescription offerte, comme le demande Québecor, le Conseil devrait mettre en application la politique et les décisions en place afin qu’ultimement, la totalité de la programmation soit vidéodécrite. Le sous-titrage a atteint ce niveau souhaité, et l’INCA se dit heureux que les Canadiens qui en ont besoin puissent y avoir accès depuis bon nombre d’années. Selon l’INCA, étant donné les attentes énoncées depuis 2009 par le Conseil, et compte tenu des bénéfices sociaux qu’en tirent les personnes vivant avec une vision limitée, la seule réponse raisonnable à la demande de Québecor est un refus. L’INCA appuie ses propos en réitérant ceux tenus dans les messages d’intérêt public créés par Accessible Media Inc., lesquels démontrent, selon l’INCA, la façon dont la vidéodescription peut enrichir l’expérience des abonnés ayant un handicap visuel.
  6. En ce qui a trait aux frais reliés à la vidéodescription tels que rapportés par Québecor, l’INCA admet ne pas disposer de l’expérience de Québecor en la matière. Il a tout de même déposé divers documents qui, selon lui, démontrent que les coûts de la vidéodescription ne sont pas aussi prohibitifs que ce que Québecor avance dans sa demande. Par exemple, selon ses propres recherches, une heure de vidéodescription de langue anglaise coûte autour de 1 200 $, alors qu’une heure de vidéodescription de langue française coûte 1 400 $. Parallèlement, selon un rapport de 2008 préparé pour la Société Radio-Canada par Nordicity Group Ltd. et déposé comme pièce jointe à l’intervention de l’INCA, le coût moyen, sur cinq ans, pour la production d’une heure de contenu de langue française, est de 329 000 $. Ainsi, selon l’INCA, le coût de la vidéodescription ne représente que moins d’un pourcent du coût moyen d’une heure de production.
  7. L’INCA avance que même si l’aspect financier donnait raison à Québecor et s’élevait en barrière à la production de contenu vidéodécrit, la vidéodescription n’est plus superflue; elle est au contraire essentielle. L’INCA cite entre autres certaines décisions claires et relève certaines attentes exprimées par le Conseil dans divers documents au cours de la dernière décennie :
    • politique réglementaire de radiodiffusion et de télécom 2009-430 (par. 104) – Le Conseil estime que les personnes handicapées doivent être en mesure d’accéder à des émissions avec vidéodescription provenant tant du secteur privé que du secteur public en français et en anglais. […] Le Conseil note que la pénurie d’émissions avec vidéodescription est particulièrement marquée pour les émissions de langue française étant donné que, jusqu’à maintenant, aucune n’a été exigée ou offerte.
    • politique réglementaire de radiodiffusion 2015-104 (par. 36) – L’article 3 de la Loi sur la radiodiffusion énonce des objectifs pour le système canadien de radiodiffusion, y compris ceux qui ont trait à l’accessibilité, qui définissent le principe selon lequel l’accès promeut la pleine participation dans une société et l’intégration à celle-ci.
  8. L’INCA conclue en rappelant que le CRTC s’est, de longue date, attendu à ce que les radiodiffuseurs augmentent progressivement la disponibilité de vidéodescription. Selon lui, les coûts qu’implique la vidéodescription sont désormais nominaux en comparaison aux coûts globaux de production de contenu. Ainsi, l’INCA encourage le Conseil à refuser de nouveau la demande de Québecor. Il ajoute qu’en fait, il conviendrait qu’encore davantage de contenu soit vidéodécrit, comme en fait foi la disponibilité croissante d’un tel contenu sur les plateformes en ligne, entre autres celles d’Amazon, Netflix et YouTube.
  9. Le RAAQ, l’APHVL, la COPHAN et l’INCA mentionnent que les diffuseurs ont eu plusieurs années pour planifier l’inclusion de la vidéodescription dans leur programmation, et qu’ils ont, par conséquent, eu le temps de préparer et répartir l’ajout de vidéodescription en fonction des obligations prescrites suite à l’instance Parlons télé.
  10. Le RAAMM, pour sa part, s’est opposé en termes généraux à la demande de Québecor.

Répliques de Québecor

  1. Québecor indique qu’il reconnaît l’importance de la vidéodescription et est sensibilisé à la nécessité d’inclure les personnes aveugles et malvoyantes. Il ajoute avoir remarqué une incompréhension flagrante dans certaines interventions, et précise qu’il n’a nullement l’intention, par l’intermédiaire de sa demande, de se soustraire de l’exigence relative à la vidéodescription imposée par le Conseil ou de s’en voir exempté.
  2. Québecor indique qu’il cherche plutôt à faire modifier légèrement la condition VDIV de façon à lui permettre d’augmenter progressivement la quantité de programmation vidéodécrite au cours des prochaines années, tout en lui permettant d’absorber plus facilement les coûts que cela engendre. Il réitère la condition de licence qu’il propose, et précise que d’ici septembre 2019, seuls TVA et AddikTV sont tenus, par condition de licence, d’offrir la vidéodescription d’au moins quatre heures de programmation par semaine de radiodiffusion, dont au moins deux heures doivent correspondre à une émission diffusée pour la première fois avec vidéodescription.
  3. Dans sa réplique, Québecor avance que contrairement aux propos de l’INCA, le coût horaire pour la production de vidéodescription dépasse largement le 1 % du coût moyen d’une production de langue française, que l’INCA dit être de 329 000 $. Québecor précise que bien que l’estimation de l’INCA de 1 400 $ par heure pour la piste de vidéodescription soit exacte, les chiffres réels sont bien différents en ce qui concerne le coût moyen d’une production de langue française.
  4. Il termine en priant le Conseil de ne pas tenir compte des commentaires non fondés des intervenants à l’égard de sa demande de modification de la condition VDIV. Il rappelle son intention de vidéodécrire la totalité de sa programmation admissible aux heures de grande écoute, et ce, d’ici 2022, mais demande au Conseil de lui accorder une légère modification de la condition VDIV imposée dans la décision de radiodiffusion 2017-147, afin de lui permettre d’augmenter progressivement la quantité de programmation vidéodécrite au cours des prochaines années, tout en allégeant le fardeau financier que représenterait la condition VDIV originale sur certains services.
  5. Il rappelle également que c’est non pour se soustraire, mais bien pour mieux se conformer à la réglementation et aux décisions du Conseil qu’il a effectué sa demande, et ce, malgré la conjoncture économique difficile dans laquelle évoluent les télédiffuseurs.

Analyse et décision du Conseil

  1. Le Conseil a récemment appliqué l’approche par paliers aux services Comedy Gold (WoW Unlimited Networks, dans le cadre d’une acquisition d’actif) et Family Channel (DHX, dans le cadre d’un renouvellement de licence), entre autres. Ces deux services, bien que considérés comme indépendants, se sont vus imposer la condition de licence réservée aux services faisant partie de grandes entités IV parce qu’ils étaient préalablement assujettis à une condition de licence à l’égard de la vidéodescription. Ainsi, en l’absence d’une démonstration probante que des raisons financières empêchaient les services de fournir le niveau de vidéodescription demandé, le Conseil a imposé la condition de licence la plus importante.
  2. Or, dans le cas présent, le titulaire est un exploitant d’expérience, disposant d’assises solides dans plusieurs facettes du marché québécois de langue française. Le Rapport de Surveillance des Communications 2018Note de bas de page 3 donne d’ailleurs à Québecor 37,6 % des parts du marché francophone à l’échelle canadienne, soit un peu plus du double de son plus proche rival, la Société Radio-Canada, qui en détient 18,3 %.
  3. En outre, Québecor est une entité IV qui exploite à la fois des entreprises de programmation audiovisuelle, des entreprises de distribution, et des sociétés de production. Il a récemment ajouté les services Zeste et Évasion à son portefeuille télévisuel. De plus, on trouve au sein de ce portefeuille l’entreprise de services de cinéma et de télévision MELS, un des plus grands studios de ce genre en Amérique du Nord. Les services offerts par MELS passent du tournage à la post-production de longs-métrages, de télévision et de publicité, et comprennent également la vidéodescription. En réponse à une demande de renseignements du Conseil, Québecor a d’ailleurs déposé un document à l’effet que MELS est l’unique source de production de vidéodescription pour la programmation diffusée par les services et stations de Groupe TVA, lorsque celle-ci doit être produite pour une émission originale, ainsi qu’il l’avait mentionné à l’audience dans le cadre des renouvellements de licence par groupe, en novembre 2016 à Laval (Québec), laquelle a mené à la décision de radiodiffusion 2017-147.
  4. Dans le cadre de sa réponse à la demande de renseignements du Conseil, Québecor a illustré les quantités de vidéodescription diffusée par chacun des services facultatifs et stations de télévision de Groupe TVA aux heures de grande écoute. Il a également fait la démonstration, pour chacun, des coûts associés à la fourniture de cette vidéodescription, ainsi que des coûts additionnels qui seraient engendrés en fonction des obligations découlant de la condition VDIV.
  5. Les renseignements ainsi amassés démontrent un écart, entre la condition de licence présentement en vigueur et celle proposée par Québecor, en fonction de la programmation offerte (c’est-à-dire la quantité de nouvelle programmation, quantité et fréquence des reprises, etc.). Par exemple, des services comme Yoopa et AddikTV, de par la nature de leur programmation, seraient tenus d’offrir une grande quantité de vidéodescription si la présente demande de Québecor était refusée, soit respectivement pour 85 % et 100 % de leur programmation aux heures de grande écoute. Si en revanche le Conseil approuvait la proposition de Québecor, pour l’année de radiodiffusion 2019-2020, ces chiffres seraient fort différents, représentant 24 % pour Yoopa et 68 % pour AddikTV. Les stations traditionnelles du réseau TVA, quant à elles, devraient offrir 79 % de programmation avec vidéodescription aux heures de grande écoute en vertu de la condition VDIV, contre 53 % selon la proposition de Québecor.
  6. De même, les investissements nécessaires à la vidéodescription deviennent proportionnellement supérieurs lorsqu’on applique la condition telle qu’imposée, en comparaison avec les investissements nécessaires en fonction de la proposition de Québecor. Pour l’année de radiodiffusion 2019-2020, par exemple, Québecor soumet que la production ou l’acquisition de vidéodescription pour couvrir la totalité des émissions tirées des catégories admissibles sur l’ensemble des services concernés s’élèverait, en vertu de la condition VDIV, à près du double de ce qu’il lui en coûterait en vertu de la condition de licence modifiée qu’il propose. Les coûts, encore une fois, varient en fonction du service ou de la station en question.
  7. Selon les renseignements dont le Conseil dispose, ces investissements pour l’année de radiodiffusion 2019-2020, la première des trois années visées par la condition VDIV, ne représenteraient qu’un faible pourcentage du budget de programmation global pour les stations traditionnelles et les services facultatifs concernés de Québecor. La condition de licence actuelle, en réalité, ne représente qu’une légère augmentation du budget de programmation global, par rapport à la proposition de Québecor, et ce, toujours pour la première année seulement. La proportion de cette augmentation serait moindre au cours de la deuxième année (2020-2021), alors que les émissions vidéodécrites au cours de la première année entreraient à leur tour dans le cycle de rediffusion et pourraient être à nouveau partagées, accompagnées de vidéodescription, entre les divers services de Québecor. Cette proportion diminuerait à nouveau au cours de la troisième année (2021-2022).
  8. Le Conseil estime que Québecor, en tant que grande entité IV, peut utiliser ses propres ressources, comme ses sociétés de production et les studios MELS, afin de tirer profit de synergies à l’interne et ainsi réduire, répartir ou mitiger les coûts de la vidéodescription pour les services et stations de Groupe TVA. Il ne lui serait également pas nécessaire de vidéodécrire la totalité des émissions d’inventaire pour lesquelles il détient les droits de diffusion, mais seulement celles qui font partie des catégories spécifiées et qu’il compte rediffuser dans les années à venir. La variété de ses services peut également lui permettre de partager davantage sa programmation entre ceux-ci, obtenant ainsi plusieurs diffusions pour une émission qui n’en aurait connu qu’une, par exemple, ce que Québecor invoque comme un des problèmes principaux au niveau du retour sur l’investissement. À ce sujet, d’ailleurs, les stations traditionnelles du réseau TVA sont, de l’aveu même de Québecor, celles qui profitent le plus du partage de programmation entre les services. Il ne devrait donc pas être ardu pour elles d’atteindre le niveau nécessaire de programmation vidéodécrite.
  9. Québecor peut également faire appel dans une plus grande mesure au Fonds des médias du Canada, ou à un des nombreux FPIC. Tel que mentionné ci-dessus, ces fonds ont comme critère d’admissibilité que la programmation produite à l’aide de leur financement soit accompagnée de vidéodescription. Faire davantage appel à ces fonds pourrait permettre à Québecor de bonifier son budget de programmation et, ainsi, d’amortir les coûts de la vidéodescription.
  10. Ultimement, le Conseil est d’avis, comme l’ont mentionné le RAAQ, l’APHVL, la COPHAN et l’INCA, que Québecor, compte tenu du temps qu’il a eu pour se préparer à l’exigence depuis la publication de la politique réglementaire de radiodiffusion 2015-104, et étant donné son expérience et les moyens dont il dispose, devrait être en position de mener le mouvement de changement vers une vidéodescription accrue dans la programmation des services et stations de Groupe TVA, plutôt que de demander à en diminuer la vitesse d’adoption.
  11. En outre, plusieurs facteurs entrent en jeu dans l’offre de vidéodescription, y compris les considérations financières. Cependant, la vidéodescription va au-delà de ce seul élément : les bénéfices tirés par les personnes ayant un handicap visuel ont une incidence sur leur autonomie et leur accès à la programmation télévisuelle. Les émissions qui en seraient à leur dernière diffusion, par exemple, représenteraient vraisemblablement la dernière chance que les personnes ayant un handicap visuel auraient de consommer lesdites émissions, rendant ainsi l’investissement d’autant plus significatif pour ces personnes.
  12. Le passage aux niveaux accrus de vidéodescription représente une transition nécessaire et importante à laquelle tous les télédiffuseurs non exemptés doivent faire face, qu’ils soient indépendants ou qu’ils fassent partie d’une entité IV. La date du 1er septembre 2019, établie dans la politique réglementaire de radiodiffusion 2015-104, représente la date limite pour les entités IV pour atteindre le niveau prescrit de vidéodescription, et tous les télédiffuseurs assujettis à cette date limite ont dû progressivement augmenter la quantité de vidéodescription fournie, ou prendre les moyens pour que cette quantité respecte le niveau imposé par la condition VDIV à cette date. Or, dans le cas présent, Québecor n’a pas démontré de préoccupations financières d’importance suffisante pour justifier que le Conseil lui accorde un allègement à l’égard de cette obligation.
  13. Compte tenu de tout ce qui précède, le Conseil refuse la demande de Québecor Média inc., au nom de Groupe TVA inc., en vue de modifier ses licences de radiodiffusion et, par conséquent, maintient la condition de licence actuelle en matière de vidéodescription, telle qu’elle a été imposée dans la décision de radiodiffusion 2017-147.

Rappel

  1. La vidéodescription est une composante essentielle pour les personnes qui en ont besoin pour accéder à la programmation télévisuelle. Tous les télédiffuseurs, des indépendants aux grandes entités IV, doivent, en vertu de l’article 3(1)p) de la Loi, favoriser l’accessibilité à la programmation pour les personnes ayant un handicap, qu’il soit visuel ou auditif, par l’offre d’une programmation adaptée aux besoins particuliers de ces personnes, et ce, afin qu’elles puissent participer pleinement à la vie sociale au Canada.

Secrétaire général

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