Décision de télécom CRTC 2018-458

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Ottawa, le 11 décembre 2018

Dossier public : 8622-F40-201802372

Frontier Networks Inc. – Demande concernant le refus d’Eastlink de permettre à Frontier de revendre des services d’accès Internet haute vitesse

En avril 2018, Frontier Networks Inc. (Frontier) a demandé au Conseil une mesure de redressement interlocutoire par voie d’ordonnance obligeant Bragg Communications Incorporated, exerçant ses activités sous le nom d’Eastlink (Eastlink), à mettre fin à l’ordre de suspension immédiate visant les activations de service d’accès Internet haute vitesse (AHV) qu’Eastlink a imposé à Frontier.

Dans la présente décision, le Conseil conclut que Frontier a bien interprété le tarif général d’accès Internet de tiers (le tarif) d’Eastlink et rend définitif le redressement interlocutoire accordé à Frontier. De plus, le Conseil ordonne à Eastlink de déposer aux fins d’approbation des pages de tarif révisées contenant une modalité précise qui autorise les clients à revendre le service d’AHV comme un service de gros et de supprimer toute modalité qui limite les services qu’un client du service d’AHV peut offrir aux services Internet et aux services de voix sur protocole Internet (VoIP) de détail.

Les conclusions du Conseil dans la présente décision permettront aux Canadiens de disposer de prix raisonnables et de services novateurs de haute qualité qui répondent à leurs besoins sociaux et économiques en évolution.

Contexte

  1. Le Conseil régit les services d’accès haute vitesse (AHV) de gros groupés que fournissent les grandes entreprises de câblodistributionNote de bas de page 1 et les entreprises de services locaux titulaires. Le service d’AHV de gros offre aux concurrents : i) une composante d’accès (accès aux services pour les utilisateurs finals) au moyen du réseau du dernier kilomètre d’accès hybride par fibre optique et câbles coaxiaux, et ii) une composante de raccordement et de transport qui transmet les données de l’utilisateur final à un point d’interconnexion régional ou provincial. Les compétiteurs peuvent utiliser le service d’AHV pour offrir divers services, notamment des services d’accès Internet de détail, des services de communication vocale sur protocole Internet (VoIP) et des services de télévision.
  2. Le Conseil a ordonné pour la première fois aux grandes entreprises de câblodistribution de fournir le service d’AHV dans les décisions de télécom 98-9 et 99-8. En demandant aux entreprises de câblodistribution de fournir aux compétiteurs un service d’accès à leurs réseaux, le Conseil visait à promouvoir la concurrence dans le marché des services Internet au détail. À cette époque, seules les plus grandes entreprises de câblodistributionNote de bas de page 2 étaient tenues d’offrir un service d’AHV.

Demande

  1. Le 16 avril 2018, le Conseil a reçu une demande de Frontier Networks Inc. (Frontier), dans laquelle la compagnie demandait une mesure de redressement interlocutoire rapide et une mesure de redressement définitive concernant le refus de Bragg Communications Incorporated, exerçant ses activités sous le nom d’Eastlink (Eastlink), de permettre à Frontier de continuer de revendre le service d’AHV à ses deux clients revendeurs. Plus précisément, Frontier a demandé ce qui suit :
    • la confirmation du Conseil que Frontier a respecté les modalités du tarif général d’AIT d’Eastlink (le tarif) et de l’entente de service d’AIT (l’entente), ainsi que les règles et les politiques réglementaires du Conseil lors de la revente du service d’AHV d’Eastlink;
    • une ordonnance du Conseil interdisant à Eastlink toute tentative future visant à empêcher Frontier de revendre des services d’AHV ou à lui imposer des limites à cet égard;
    • des dommages-intérêts de la part d’Eastlink pour les répercussions financières qu’a entraînées la violation alléguée d’Eastlink de la décision de télécom 99-8;
    • l’imposition de sanctions administratives pécuniaires (SAP) à Eastlink, jugées appropriées par le Conseil, car l’entreprise n’a manifestement pas respecté le régime de réglementation actuel qui permet la revente de services d’AHV.
  2. Frontier a également demandé au Conseil une mesure de redressement interlocutoire par voie d’ordonnance obligeant Eastlink à mettre fin, de façon provisoire, à l’ordre de suspension immédiate des activations de service d’AHV qu’Eastlink a imposé à Frontier, jusqu’à ce que le Conseil publie ses conclusions quant à la mesure de redressement définitive sollicitée par Frontier. Le 17 mai 2018, le Conseil a transmis une lettre accordant à Frontier le redressement interlocutoire demandé.
  3. Le Conseil a reçu des interventions au sujet de la demande de Frontier de la part de Bell Canada, du Consortium des Opérateurs de Réseaux Canadiens inc. (CORC), de Distributel Communications Limited (Distributel), d’Eastlink, d’Iristel Technologies Inc. (Iristel), du Centre pour la défense de l’intérêt public (CDIP), de TekSavvy Solutions Inc. (TekSavvy) et de 18 particuliers.

Contexte

  1. Eastlink offre le service d’AHV dans son territoire d’exploitation à l’Île-du-Prince-Édouard, au Nouveau-Brunswick, en Nouvelle-Écosse, en Ontario et à Terre-Neuve-et-Labrador. Frontier fournit des services de connectivité à ses clients au moyen du service d’AHV d’Eastlink, et il revend le service d’AHV à deux autres revendeurs.

Questions

  1. Le Conseil a déterminé qu’il devait examiner les questions suivantes dans la présente décision :
    • Frontier peut-elle revendre le service d’AHV d’Eastlink?
    • Quelles conclusions devraient être tirées en ce qui concerne l’autre mesure de redressement demandée par Frontier?

Frontier peut-elle revendre le service d’AHV d’Eastlink?

Introduction

  1. Le tarif établit les taux, les modalités et les conditions en vertu desquels le service d’AHVNote de bas de page 3 d’Eastlink est rendu accessible. La question principale de la présente instance est de savoir si la revente du service d’AHV d’Eastlink par Frontier à d’autres fournisseurs est autorisée en vertu du tarif. Les observations des parties sur certaines sections du tarif, ainsi que leurs positions concernant d’autres aspects pertinents de la présente instance sont présentées ci-dessous.

Section 1.2 du tarif

  1. La section 1.2 du tarif traite de l’utilisation du service d’AHV pour fournir des services Internet et des services VoIP de détail, sous réserve de certaines conditions.
  2. Frontier a soutenu que cette section du tarif ne limite pas les services qu’un client du service d’AHV peut offrir uniquement aux services Internet et aux services VoIP de détail, mais indique plutôt que le service d’AHV peut être utilisé pour fournir des services Internet et des services VoIP de détail, sous réserve de certaines conditions.
  3. Eastlink a indiqué que la section 1.2 du tarif établit clairement qu’un client peut utiliser le service d’AHV uniquement pour fournir des services Internet de détail à ses utilisateurs finals, et qu’il ne peut pas l’utiliser pour revendre le service d’AHV à d’autres fournisseurs qui le vendront ensuite à leurs clients de détail.

Section 1.4 du tarif

  1. La section 1.4 du tarif indique que les clients d’Eastlink peuvent revendre ou partager le service d’AHV conformément aux modalités du tarif.
  2. Frontier a signalé que le refus d’Eastlink de l’autoriser à revendre le service d’AHV va à l’encontre des modalités de la section 1.4 du tarif. Frontier a soutenu que cette section du tarif lui confère expressément le droit de revendre le service d’AHV et qu’aucune autre modalité du tarif n’annule, n’interdit, ne limite ou ne nuance le sens ordinaire de la section 1.4 du tarif, qui prévoit que le service d’AHV peut être revendu ou partagé.
  3. Eastlink a fait valoir que Frontier a le droit d’utiliser le service d’AHV d’Eastlink uniquement en raison des droits qui lui sont conférés en vertu du tarif. Eastlink a soutenu que la position de Frontier repose sur une mauvaise interprétation de la section 1.4 du tarif, et que le Conseil ne peut pas faire abstraction des modalités claires et non équivoques du tarif et de l’entente de service. Ceux-ci stipulent qu’un client du service d’AHV peut seulement vendre le service à ses propres utilisateurs finals et qu’il n’est pas autorisé à agir à titre de grossiste d’autres fournisseurs sur le marché. Eastlink a ajouté que toute autre interprétation serait fondée sur des droits qui ne sont pas conférés en vertu du tarif.
  4. Eastlink a soutenu que la mention de revente dans la section 1.4 du tarif fait référence à la revente du service d’Eastling par Frontier (en vertu d’une entente d’AHV). Eastlink a précisé que la définition de clientNote de bas de page 4 figurant dans le tarif appuie cette interprétation. Eastlink a argué que Frontier n’est pas un client au sens du tarif si la compagnie ne vend pas le service à ses propres utilisateurs finals, et si son exploitation dépasse le cadre du tarif.
  5. Le CORC, Distributel et TekSavvy ont appuyé la position de Frontier selon laquelle la section 1.4 du tarif permet expressément la revente du service d’AHV. Le CORC et Distributel ont fait valoir que si l’objectif du tarif était de restreindre la revente du service d’AHV uniquement aux utilisateurs finals du client du service d’AHV, comme l’a soutenu Eastlink, la section 1.4 du tarif l’aurait indiqué. De plus, le CORC et Distributel ont soutenu qu’aucune modalité du tarif ne limite, n’interdit ou ne nuance autrement le droit de revendre ou de partager le service d’AHV.
  6. Frontier a soutenu que l’interprétation que fait Eastlink de la section 1.4 du tarif  déforme le sens ordinaire de cette section. Frontier a également refusé l’interprétation d’Eastlink d’autres sections du tarif. En ce qui a trait à la définition d’un client, Frontier a souligné l’interprétation de Distributel, selon laquelle la définition d’un client ne renvoie pas à la manière dont un fournisseur de services de télécommunication (FST) peut, une fois qu’il est un client, revendre le service d’AHV. Ce point est abordé à la section 1.4 du tarif, qui stipule seulement que les clients peuvent revendre ou partager le service d’AHV.

Section 1.5 du tarif

  1. La section 1.5 du tarif indique que les clients doivent conclure une entente de service d’AHV avec Eastlink.
  2. Eastlink a soutenu que cette section renforce sa position générale selon laquelle les clients doivent conclure une entente de service d’AHV avec elle. En revanche, Frontier a soutenu que les clients des services revendus de ses FST ne sont pas des clients d’Eastlink et qu’ils ne sont donc pas obligés de conclure une entente de service d’AHV avec Eastlink.

Section 1.7 du tarif

  1. La section 1.7 du tarif indique que les clients ne peuvent pas utiliser le service d’AHV à des fins autres que celles définies dans le tarif.
  2. Frontier a signalé que la section 1.4 du tarif lui permet explicitement de revendre et de partager le service d’AHV. Frontier utilise donc le service d’AHV à une fin précisée dans le tarif.
  3. Eastlink a fait valoir que rien dans le tarif n’indique qu’un fournisseur a le droit d’offrir un service de gros à d’autres fournisseurs.

Section 8.5 du tarif

  1. La section 8.5 du tarif indique qu’aucune autre partie qu’Eastlink n’a le droit d’exiger le versement d’un paiement pour l’utilisation du service d’Eastlink.
  2. Eastlink a soutenu qu’en touchant un paiement de ses clients revendeurs pour la fourniture du service d’AHV, Frontier contrevient à cette section du tarif.
  3. Frontier a précisé que, contrairement aux affirmations d’Eastlink, elle n’exige pas à ses clients revendeurs de verser un paiement pour l’utilisation du service d’Eastlink, mais plutôt pour l’utilisation du service de revente unique qu’elle a conçu, élaboré et fourni.

Décision de télécom 99-8

  1. Frontier a soutenu que le Conseil reconnaît et protège depuis longtemps le droit absolu de revendre un service d’AHV et que lorsque le Conseil a prescrit la fourniture du service d’AHV dans la décision de télécom 99-8, il a estimé que la fourniture d’un service d’AHV tarifé doit être assujettie à la condition que ce service soit offert aux fins de revente.
  2. Eastlink a indiqué que la position de Frontier repose sur une mauvaise interprétation de la décision de télécom 99-8. Eastlink a soutenu qu’il est mentionné clairement à maintes reprises dans la décision de télécom 99-8 que le Conseil prévoyait l’utilisation de l’AHV uniquement aux fins d’un service Internet de détail, et non d’une entente de revente de gros. Eastlink a fait remarquer que depuis la publication de la décision de télécom 99-8, de nombreuses décisions indiquant clairement que les concurrents devraient avoir recours au service d’AHV pour fournir un service de détail à leurs propres utilisateurs finals ont été publiées.
  3. Le CORC, appuyé par Distributel et TekSavvy, a soutenu que le tarif autorise explicitement les clients du service d’AHV d’Eastlink à revendre ce service et que la revente de services d’AIT est autorisée depuis la publication de la décision de télécom 99-8. Le CORC a précisé que la décision de télécom 99-8 indique clairement que la revente devrait être autorisée sans restriction. Le CORC a ajouté que lorsque le Conseil a approuvé les modalités et les taux applicables aux services d’AIT des grandes entreprises de câblodistribution dans l’ordonnance de télécom 2000-789, il a également énoncé une directive selon laquelle les tarifs d’AIT des grandes entreprises de câblodistribution devraient permettre expressément la revente. Le CORC a argué que ni la conclusion tirée dans la décision de télécom 99-8 ni la directive énoncée dans l’ordonnance 2000-789 ne prévoient une limite, une restriction ou une autre réserve relativement à la façon dont le service d’AHV peut être revendu. De plus, le CORC et TekSavvy ont signalé que si le Conseil avait l’intention d’imposer des limites ou des restrictions sur la revente des services d’AHV, il l’aurait indiqué expressément.
  4. Frontier n’était pas d’accord avec l’interprétation de la décision de télécom 99-8 faite par Eastlink. Frontier a fait valoir que, dans cette décision, le Conseil n’a pas adopté ni approuvé le sens restrictif ou étroit du concept de revente qu’aurait pu proposer un intervenant dans l’instance ayant mené à la décision de télécom 99-8. Frontier a également contesté l’interprétation qu’a faite Eastlink de la description du Conseil des services d’AHV dans des décisions antérieures. Frontier a soutenu que le Conseil n’a déclaré dans aucune de ces décisions que les services d’AHV doivent être utilisés exclusivement pour fournir un service Internet de détail, mais que le Conseil envisageait plutôt que les services d’AHV puissent être utilisés comme intrant à diverses fins.

Observations générales formulées par les parties à l’instance

  1. Eastlink a soutenu que la compagnie n’est pas obligée de rendre son réseau accessible aux clients dont la seule intention est d’agir à titre de fournisseurs de gros. Eastlink a précisé qu’une telle obligation serait inappropriée, car cela signifierait qu’elle n’aurait aucune connaissance directe des fournisseurs qui vendent des services en utilisant son réseau et qu’elle ne serait pas en mesure d’obliger par contrat les fournisseurs qui achètent un service par l’entremise d’un client de son service d’AHV à se conformer aux règles applicables à la sécurité et à l’utilisation du réseau d’Eastlink ou aux règles exigeant un traitement équitable des clients.
  2. Bell Canada ne s’est pas prononcée sur l’interprétation du tarif actuel, mais a soutenu que, dans l’intérêt public, il serait inapproprié de prescrire la revente de services de gros tarifés. En outre, une telle revente ne devrait pas constituer une condition de service de nouveaux services de gros prescrits, et elle devrait être éliminée s’il s’agit d’une modalité actuelle des services de gros existants. Bell Canada a précisé que l’approche générale du Conseil en matière de réglementation des services de gros a été de promouvoir la concurrence fondée sur les installations dans la mesure du possible et de prescrire l’accès de gros seulement s’il a été jugé essentiel ou nécessaire pour satisfaire à des considérations stratégiques d’ordre public. Bell Canada a également soutenu que la revente en gros ne produit aucun avantage d’intérêt public et qu’elle n’est pas conforme à l’exigence des InstructionsNote de bas de page 5 selon laquelle la réglementation doit s’appuyer le plus possible sur le libre jeu du marché, être efficace et adaptée à son objectif. Elle doit interférer le moins possible dans le libre jeu d’un marché concurrentiel.
  3. Le CORC a indiqué que la pratique à laquelle Eastlink s’oppose, soit la pratique d’offrir un service de gros incluant des composantes du service d’AHV à d’autres FST, n’est ni nouvelle ni unique. Ces types de services de gros sont offerts par de nombreux FST concurrents et combinent généralement les composantes du service d’AHV qu’offrent les grandes entreprises de téléphonie et de câblodistribution. Elles comprennent d’autres composantes à valeur ajoutée, comme l’accès à des systèmes de facturation, à des systèmes de commande, à des systèmes de fourniture, à des structures de soutien aux clients et à d’autres infrastructures opérationnelles. Le CORC a également indiqué que même si la présente demande porte spécifiquement sur le différend entre Eastlink et Frontier, la décision du Conseil en la matière aura une incidence sur tous les FST concurrents qui vendent actuellement des services de gros incluant des composantes du service d’AHV à d’autres FST concurrents.
  4. Le CORC et Distributel ont également fait remarquer que d’autres fournisseurs d’AHV n’ont pas cherché à imposer les mêmes restrictions sur la revente qu’Eastlink essaie d’imposer.
  5. Iristel a signalé que la question à trancher est cruciale pour l’avenir des services de télécommunication de gros au Canada et des services de télécommunication concurrentiels en général. La vente de gros est un moyen bien établi de stimuler la concurrence dans l’industrie de la télécommunication et qu’elle sert les objectifs de politique énoncés dans l’article 7 de la Loi sur les télécommunications (la Loi).
  6. Le CDIP a précisé que la restriction de la revente de la manière souhaitée par Eastlink aurait un certain nombre d’effets négatifs, comme le fait d’empêcher des revendeurs de détail spécialisés et nouveaux d’entrer sur le marché.
  7. TekSavvy a indiqué que la méthode utilisée par Eastlink pour interpréter son tarif ne concorde pas avec la pratique courante sur le marché d’accès des réseaux de gros, où la revente est un mécanisme important et bien établi qui permet à un plus grand nombre de fournisseurs d’offrir des services, ce qui favorise la concurrence.
  8. Frontier a répliqué que le service d’AHV est un service de gros qui n’inclut pas le service Internet. La composante de base du service d’AHV comprend simplement un accès à partir de la tête de ligne d’une entreprise de câblodistribution jusqu’aux installations de l’utilisateur final, et d’autres éléments de base sont requis pour offrir le service aux utilisateurs finals. Or, il revient au bout du compte au client de gros ou à ses clients revendeurs subséquents d’ajouter la connectivité à Internet et d’autres aspects de service qui, collectivement, constituent une offre de service complète à l’intention des utilisateurs finals. L’AHV n’est donc simplement qu’un intrant unique dans une offre de service unique que Frontier a élaborée, gérée et vendue. Par conséquent, le service que les clients revendeurs reçoivent de Frontier n’est pas le service Internet d’Eastlink, mais une solution de service élaborée et fournie par Frontier dont la marque appartient à cette compagnie.

Résultats de l’analyse du Conseil

  1. Le tarif devrait être interprété à la lumière des conclusions du Conseil dans la décision de télécom 99-8 ainsi que dans le cadre de réglementation des services filaires de gros actuel du Conseil, qui est établi dans la politique réglementaire de télécom 2015-326.
  2. La décision de télécom 99-8 traite, entre autres, de la question de savoir si la revente et le partage du service d’AHV doivent être autorisés. Le Conseil a déterminé que la revente de ces services contribuerait à un marché de services Internet de détail concurrentiel. Le Conseil s’est également penché sur la question de savoir si des restrictions devaient être imposées sur la revente du service d’AHV, et il a décidé de ne pas imposer de telles restrictions à l’époque. Le Conseil a toutefois imposé des restrictions sur l’utilisation de ce service, notamment des restrictions qui empêchaient les clients d’utiliser le service pour fournir des services comme la multidiffusion.
  3. Eastlink estime que le tarif permet aux clients de fournir uniquement des services Internet et des services VoIP de détail et que, pour le Conseil, il n’a jamais été question que le service d’AHV appuie les clients du service d’AHV qui agissent à titre de grossistes du service d’AHV, et une interprétation aussi restrictive n’est pas raisonnable. Dans le passé, le Conseil a décrit le service d’AHV de gros comme un service qui sert à soutenir la concurrence dans le secteur des services de détail, comme les services de téléphonie locale, de télévision et d’accès Internet. Contrairement aux arguments d’Eastlink, il ne s’agit pas d’une liste exhaustive des services que les concurrents peuvent fournir au moyen du service d’AHV.
  4. Le Conseil a également reconnu la possibilité que les revendeurs agissent à titre de grossistes dans la politique réglementaire de télécom 2017-11. Dans cette décision, le Conseil a examiné les questions liées à l’application de l’article 24.1 de la Loi, qui confère au Conseil le pouvoir de réglementer directement les entreprises autres que les entreprises de télécommunication (p. ex., les revendeurs). Le Conseil a imposé des obligations aux entreprises de télécommunication et aux entreprises autres que les entreprises de télécommunication qui reconnaissent expressément que les entreprises de télécommunication et les entreprises autres que les entreprises de télécommunication peuvent l’une comme l’autre avoir des clients de gros et des clients de gros subordonnésNote de bas de page 6.
  5. L’un des objectifs du régime de réglementation des services de gros établi par le Conseil dans la politique réglementaire de télécom 2015-326 est d’améliorer l’efficacité du régime de services de gros pour favoriser une concurrence dynamique et durable dans les services de détail qui fait en sorte que les Canadiens bénéficient de prix raisonnables et de services novateurs de grande qualité répondant à leurs besoins économiques et sociaux changeants. D’après le Conseil, un fournisseur concurrent qui revend un service d’AHV comme un service de gros est un exemple d’offre de services novatrice qui accroît la concurrence sur le marché de détail.
  6. Le Conseil souligne l’argument de TekSavvy selon lequel l’obtention de services d’AHV auprès de nombreuses entreprises de télécommunication à l’échelle du Canada permet à la compagnie d’ajouter un niveau intermédiaire entre l’entreprise de télécommunication et le fournisseur en aval, d’offrir des services de gros qui harmonisent les processus des entreprises de télécommunication, et de permettre aux petits fournisseurs d’offrir un plus grand nombre de services aux utilisateurs finals. D’après le Conseil, l’interprétation restrictive d’Eastlink limite la capacité des clients du service d’AHV à élaborer des offres de services novatrices qui favorisent la concurrence sur le marché de détail.
  7. Les autres grandes entreprises de câblodistribution, soit Cogeco Communications Inc. (Cogeco), Rogers Communications Canada Inc. (RCCI), Shaw Cablesystems G.P. (Shaw) et Vidéotron ltée (Vidéotron), emploient le même type de formulation dans leurs tarifs en ce qui concerne la revente et le partage du service d’AHV. Les grandes entreprises de services locaux titulaires (Bell Canada, Bell MTS, Saskatchewan Telecommunications et TELUS Communications Inc.) qui offrent des services d’AHV de gros groupés ont toutes une section dans leur tarif général respectif qui autorise la revente des services de télécommunication de la compagnie conformément aux conditions s’y afférant.
  8. Compte tenu de la conclusion qu’il a tirée dans la décision de télécom 99-8 selon laquelle il ne faut pas imposer de restrictions sur la revente, et de l’objectif de son régime de réglementation des services de gros d’offrir aux Canadiens des services novateurs de grande qualité à des prix raisonnables, le Conseil estime que Frontier a bien interprété le tarif et que Frontier devrait donc être autorisée, en vertu du tarif, à revendre le service d’AHV sous forme d’un service de gros.
  9. Le Conseil estime toutefois que, par souci de clarté, le tarif devrait indiquer de manière plus explicite que la revente du service est autorisée. Cette modification fournirait plus de précisions aux clients du service d’AHV existants et potentiels, et réduirait la probabilité d’une interprétation conflictuelle du tarif, comme dans la présente instance. La meilleure façon d’y arriver est d’apporter les modifications suivantes au tarif : i) inclure une modalité précise qui autorise les clients du service d’AHV à revendre le service d’AHV comme un service de gros, et ii) supprimer toute modalité, comme celle énoncée aux sections 1.1 et 1.2 de l’article 101 du tarif et à la section 8.3 de l’article 102 du tarif, qui limite les services qu’un client du service d’AHV peut offrir uniquement aux services Internet et aux services VoIP de détail.
  10. Compte tenu de ce qui précède, le Conseilconclutque Frontier a bien interprété le tarif et rend définitif le redressement interlocutoire accordé à Frontier. De plus, le Conseil ordonne à Eastlink de déposer aux fins d’approbation des pages de tarif révisées contenant une modalité précise qui autorise les clients à revendre le service d’AHV comme un service de gros et de supprimer toute modalité qui limite les services qu’un client du service d’AHV peut offrir uniquement aux services Internet et aux services VoIP de détail. Les pages de tarif révisées doivent être déposées auprès du Conseil pour qu’il les approuve dans les 30 jours suivant la date de la présente décision.

Quelles conclusions devraient être tirées en ce qui concerne l’autre mesure de redressement demandée par Frontier?

  1. Comme il est indiqué ci-dessus, Frontier a demandé le redressement suivant :
    • une ordonnance du Conseil interdisant à Eastlink toute tentative future visant à empêcher Frontier de revendre des services d’AHV ou à lui imposer des limites à cet égard;
    • des dommages-intérêts de la part d’Eastlink pour les répercussions financières occasionnées par la violation alléguée de la décision de télécom 99-8 par Eastlink;
    • l’imposition de SAP jugées appropriées par le Conseil à Eastlink étant donné que cette dernière n’a manifestement pas respecté le régime de réglementation actuel qui permet la revente de services d’AHV.
  2. Le CORC, Distributel, Iristel et TekSavvy ont appuyé la position de Frontier. Le CORC a soutenu que les actions d’Eastlink et leur incidence jouent clairement en faveur de la demande de Frontier visant à ce que le Conseil lui accorde des dommages-intérêts de la part d’Eastlink et impose des SAP à Eastlink. Le CORC a précisé que l’imposition de SAP enverrait un message clair que le Conseil ne tolérera pas les types de mesures prises par Eastlink et garantirait que rien n’incite Eastlink ou d’autres fournisseurs de services de gros prescrits à s’appuyer sur de nouvelles interprétations non vérifiées de leurs obligations pour modifier la façon dont ils fournissent des services de gros prescrits ou à prendre des mesures unilatérales qui défavorisent les FST concurrentiels ou qui leur causent un préjudice.
  3. Eastlink s’opposait fortement aux demandes de dommages-intérêts et de SAP de Frontier. D’après Eastlink, Frontier n’a fourni aucun élément permettant d’étayer le mérite de ses demandes ni aucune explication valable pour étayer le fondement sur lequel le Conseil pourrait ou devrait évaluer les dommages-intérêts. Étant donné que le service d’AHV réglementé ne comprend pas de droit qui permet à Frontier de vendre le service d’AHV d’Eastlink à d’autres FSI comme un service de gros, Frontier est la partie fautive, et non Eastlink.
  4. En ce qui a trait aux SAP, Eastlink a signalé que selon le bulletin d’information de Conformité et Enquêtes et de Télécom 2015-111 (le bulletin d’information 2015-111), des SAP doivent être imposées lorsqu’elles s’avèrent l’outil indiqué pour faire respecter les exigences réglementaires et décourager la répétition d’une conduite non conforme. Eastlink a soutenu qu’elle a suspendu les activations de services parce que Frontier a enfreint le tarif et l’entente, et que les faits démontrent qu’elle a examiné les questions de façon raisonnable avec la volonté d’en arriver à une solution avec Frontier et ses clients.
  5. Dans sa réplique, Frontier a indiqué que le redressement demandé était nécessaire parce que tout manquement futur d’Eastlink aux modalités du tarif, de l’entente de service et des politiques du Conseil attribuable à sa position non fondée concernant la revente et le partage de services d’AHV assujettirait Frontier, ses revendeurs et les utilisateurs finals de ses clients revendeurs à une discrimination injuste et à un désavantage indu et conférerait également une préférence indue à Eastlink, ce qui contrevient au paragraphe 27(2) de la Loi.
  6. En ce qui a trait à sa demande relative aux dommages causés par la violation alléguée de la décision de télécom 99-8 par Eastlink, Frontier a indiqué que le Conseil a le pouvoir d’ordonner à Eastlink de lui verser des dommages-intérêts en vertu de l’alinéa 32g) de la Loi, qui prévoit que le Conseil peut « trancher toute question touchant les tarifs et tarifications des entreprises canadiennes ou les services de télécommunication qu’elles fournissent ». Frontier a également indiqué que le paragraphe 72(1) de la Loi, qui prévoit que des dommages-intérêts peuvent être réclamés devant un tribunal compétent à la suite d’un manquement aux dispositions de la Loi, n’empêche pas le Conseil de donner suite à sa demande en dommages-intérêts. Frontier a aussi soutenu que le paragraphe 72(3) de la Loi précise que les paragraphes 72(1) et 72(2) ne s’appliquent pas aux actions intentées pour rupture de contrat portant sur la fourniture de services de télécommunication ni aux actions en dommages-intérêts relatives aux tarifs imposés ou perçus par les entreprises canadiennes. Frontier a fait valoir que l’ordre de suspension immédiate visant ses activations de service d’AHV était une violation unilatérale, substantielle et fondamentale de l’entente de service par Eastlink et, par conséquent, le Conseil a le pouvoir d’accorder des dommages-intérêts en vertu de l’alinéa 32g) et du paragraphe 72(3) de la Loi.
  7. Frontier a calculé que ses dommages-intérêts s’élevaient à 71 760 $ en se fondant i) sur le nombre d’utilisateurs finals des clients revendeurs de Frontier qui ont annulé leurs demandes d’installation de service pendant l’ordre de suspension immédiate imposé par Eastlink, ii) sur la marge mensuelle de Frontier sur le coût mensuel du service d’AHV, et iii) aux fins de l’établissement d’une estimation prudente, sur l’hypothèse selon laquelle tous les clients qui ont annulé leur demande d’installation en raison de la conduite d’Eastlink se seraient abonnés pour une période de deux ans. Frontier a indiqué que cette somme conservatrice ne comprend pas les dommages associés à l’atteinte à la réputation ni les sommes associées aux dommages comme ceux découlant des installations qui ont été retardées par l’ordre de suspension immédiate d’Eastlink, mais qui ont finalement été effectuées après que le Conseil a ordonné à Eastlink de traiter les nouvelles installations de service.
  8. Frontier a également demandé l’imposition de SAP jugées appropriées par le Conseil à Eastlink étant donné que cette dernière n’a manifestement pas respecté le régime de réglementation actuel permettant la revente de services d’AHV. Frontier a indiqué que ces SAP seraient appropriées pour promouvoir la conformité aux obligations liées à la revente prescrites par la politique réglementaire et aux modalités des tarifs applicables aux services prescrits, comme le service d’AHV d’Eastlink. Frontier a soutenu que les SAP auraient un effet dissuasif spécifique (qu’elles dissuaderaient Eastlink de manquer à l’avenir à ses responsabilités relativement à la revente et au partage) et un effet dissuasif général (qu’elles dissuaderaient les autres titulaires de manquer de façon semblable à leurs responsabilités relativement à la revente et au partage). Frontier s’en est remis au jugement du Conseil pour déterminer le montant des SAP.

Résultats de l’analyse du Conseil

  1. Comme il est indiqué dans le bulletin d’information 2015-111, le Conseil dispose de nombreux outils pour assurer la conformité et les SAP ne sont pas, de manière générale, son premier choix de mesure d’application de la loi. Par conséquent, avant d’appliquer une mesure de réglementation pour assurer la conformité de l’industrie, le Conseil doit d’abord déterminer s’il y a eu une violation et si, selon la prépondérance des probabilités, il conclut qu’il y a eu une violation, il doit ensuite déterminer le redressement qui s’impose pour assurer la conformité.
  2. Le Conseil fait remarquer que dans sa demande de redressement réglementaire pour le préjudice qu’elle soutient avoir subi à la suite des actions d’Eastlink, Frontier n’a fourni aucun élément de preuve clair pour étayer le montant qu’elle réclamait en guise de redressement. En effet, Frontier a seulement mentionné le montant des dommages-intérêts qu’elle réclamait dans ses répliques, de sorte que ni le Conseil ni les autres parties à l’instance n’ont pu évaluer de façon appropriée le montant réclamé. De plus, aucun lien de causalité évident n’a été établi entre le préjudice potentiel qu’aurait subi Frontier et les actions d’Eastlink. Par ailleurs, bien que le Conseil ait le pouvoir explicite, en vertu de l’article 72.01 de la Loi, d’imposer des SAP pour toute contravention à la Loi, à un règlement ou à une décision du Conseil, la Loi indique que l’imposition d’une sanction ne vise pas à punir, mais plutôt à favoriser le respect de la Loi.
  3. Le Conseil fait remarquer que les actions d’Eastlink étaient fondées sur son interprétation du tarif et que, d’après Eastlink, les actions de Frontier allaient à l’encontre des modalités du tarif. Le dossier démontre qu’Eastlink a essayé de négocier avec Frontier et ses deux clients revendeurs pendant deux mois avant de menacer de mettre fin au service de Frontier. Bien qu’il ne soit pas d’accord avec l’interprétation du tarif faite par Eastlink en ce qui a trait à la revente, le Conseil estime qu’Eastlink a fait des efforts pour amener Frontier et ses clients revendeurs à se conformer à son interprétation du tarif.
  4. L’objectif des SAP ou de tout autre outil de réglementation est de favoriser la conformité et d’avoir un effet dissuasif général sur la non-conformité. En l’espèce, le Conseil estime qu’il est peu probable qu’Eastlink continue de refuser d’autoriser Frontier à revendre son service d’AHV malgré la décision du Conseil selon laquelle la revente du service d’AHV comme un service de gros est autorisée en vertu du tarif. D’après le Conseil, l’imposition de SAP à Eastlink n’est pas nécessaire pour favoriser le respect de ses décisions à l’égard des questions en l’espèce.
  5. En ce qui a trait à l’argument du CORC selon lequel l’imposition de SAP est nécessaire pour s’assurer que les autres fournisseurs de services de gros prescrits n’utilisent pas de nouvelles interprétations de tarifs semblables pour empêcher la concurrence, le Conseil estime que rien ne prouve qu’il s’agit d’un problème général ou récurrent auquel les SAP doivent remédier.
  6. Compte tenu de tout ce qui précède, le Conseil refuse les demandes de dommages-intérêts et de SAP de Frontier.

Secrétaire général

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