Décision de télécom CRTC 2011-416

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Ottawa, le 11 juillet 2011

Société TELUS Communications – Demande de précision et de redressement accéléré sur la façon dont Bell Canada entend mettre en œuvre la décision de télécom 2010-908

Numéro de dossier : 8622-T66-201100213

Dans la présente décision, le Conseil détermine que Bell Canada n’est pas autorisée à recourir au blocage d’appels pour appliquer l’exigence établie dans la décision de télécom 2010-908, qui prévoit que les entreprises de services locaux concurrentes (ESLC) doivent acheminer tous les appels interurbains aux clients des petites entreprises de services locaux titulaires (ESLT) au moyen de circuits d’interconnexion de l’interurbain, compte tenu des préoccupations d’intérêt public associées à la méthode de blocage d’appels proposée par Bell Canada. Le Conseil rappelle aux ESLC que, conformément à la décision de télécom 2010-908, elles sont néanmoins tenues de continuer d’acheminer tous les appels interurbains aux clients des petites ESLT au moyen de circuits d’interconnexion de l’interurbain, et non au moyen du service d’interconnexion de transitage local de Bell Canada.

Contexte

1.         Dans la décision de télécom 2010-908, le Conseil a ordonné aux ESLC d’acheminer tous les appels interurbains aux clients des petites ESLT au moyen de circuits d’interconnexion de l’interurbain dans les 60 jours suivant la date de la décision. Après cette période de 60 jours, Bell Canada aurait été autorisée à bloquer tous les appels interurbains acheminés aux clients des petites ESLT au moyen de son service d’interconnexion de transitage local.

2.         Le Conseil a reçu une demande de la Société TELUS Communications (STC), datée du 7 janvier 2011, dans laquelle l’entreprise demandait de donner des instructions à Bell Canada concernant la méthode de blocage d’appels que celle­ci mettrait en œuvre conformément à la décision de télécom 2010-908.

3.         Dans sa demande, la STC a indiqué a) qu’elle avait correspondu avec Bell Canada concernant la mise en œuvre de la décision de télécom 2010-908 et les répercussions possibles associées à cette application, et b) qu’elle avait pu confirmer, par cet échange, que Bell Canada avait l’intention de recourir à un mécanisme de blocage d’appels qui se sert du numéro de l’appelant et du numéro d’arrivée pour déterminer si un appel est interurbain ou non. La STC s’est dite préoccupée par la méthode proposée par Bell Canada pour bloquer les appels interurbains mal acheminés et a demandé au Conseil un redressement accéléré de la situation avant que Bell Canada puisse commencer à bloquer les appels le 2 février 2011.

4.         Dans une lettre datée du 19 janvier 2011, un processus a été établi pour que les parties puissent donner leurs commentaires au sujet de la demande de la STC. Dans une lettre datée du 1er février 2011, le Conseil a déterminé qu’il serait dans l’intérêt public de proroger la date limite, énoncée dans la décision de télécom 2010-908, à laquelle Bell Canada peut commencer à bloquer les appels interurbains acheminés aux clients des petites ESLT au moyen de son service d’interconnexion de transitage local, jusqu’à ce qu’il ait rendu une décision sur les questions soulevées par les parties à l’instance. Par conséquent, le Conseil a ordonné à Bell Canada de ne pas commencer à bloquer ces appels, et ce, jusqu’à nouvel ordre[1].

5.         Le Conseil a reçu des observations de la part de Bell Canada, du Canadian Independent Telephone Company Joint Task Force, de Quebecor Média inc. au nom de son affiliée Vidéotron ltée (Vidéotron), de Rogers Communications Partnership (Rogers) et de la STC. On peut consulter sur le site Web du Conseil le dossier public de l’instance, lequel a été fermé le 18 mars 2011. On peut y accéder à l’adresse www.crtc.gc.ca, sous l’onglet Instances publiques ou au moyen du numéro de dossier indiqué ci-dessus.

Bell Canada devrait-elle être autorisée à bloquer des appels pour appliquer l’exigence selon laquelle les ESLC doivent acheminer tous les appels interurbains aux clients des petites ESLT au moyen de circuits d’interconnexion de l’interurbain?

6.         La STC a fait valoir que la méthode de blocage d’appels de Bell Canada comporte des failles étant donné qu’elle se fonde sur le numéro de téléphone de l’appelant pour déterminer si un appel est local ou interurbain, par opposition à l’emplacement géographique de l’appelant. Selon la STC, le Conseil avait déjà établi que les emplacements géographiques d’où proviennent les appels et vers lesquels ces appels sont acheminés constituaient les facteurs pertinents à examiner lorsqu’il faut déterminer si un appel est local ou interurbain[2], et que Bell Canada ne devrait pas avoir l’autorisation de recourir à une méthode de blocage d’appels qui repose sur une norme différente, c’est­à­dire, dans le cas présent, le numéro de téléphone de l’appelant.

7.         La STC a soutenu que, conformément à la méthode de blocage d’appels de Bell Canada, certains appels locaux légitimes, à savoir certains appels effectués au moyen d’un service de communication vocale sur protocole Internet (VoIP) ou d’un
service sans fil[3], seraient incorrectement bloqués parce qu’ils seraient considérés à tort comme des appels interurbains. La STC a affirmé qu’elle n’est pas en mesure de séparer ces appels du reste de son trafic local. Par conséquent, elle n’aurait d’autre choix que d’acheminer tout son trafic, y compris le trafic local, vers des lignes interurbaines plus coûteuses pour éviter que les appels de ses clients soient bloqués. Rogers a exprimé des préoccupations semblables dans son mémoire.

8.         La STC a proposé deux solutions de rechange possibles à l’égard du blocage d’appels. Dans le cadre de la première solution, Bell Canada procéderait à des exercices périodiques d’établissement de rapports et de facturation visant à recouvrer les revenus perdus de toute ESLC ayant incorrectement acheminé des appels interurbains au moyen de son service de transit local. Quant à la deuxième solution, elle consisterait à apporter des modifications au régime d’interconnexion de l’interurbain des petites ESLT, en particulier aux tarifs d’interconnexion de l’interurbain.

9.         Rogers a fait valoir que le Conseil avait autorisé les entreprises de services sans fil et les ESLC à établir leurs propres zones d’appel local, ce qui signifie qu’un appel local d’une entreprise peut être défini comme un appel interurbain pour une autre entreprise. Rogers a également souligné qu’elle n’utilisait pas les mêmes zones d’appel local que Bell Canada pour le reste de son réseau et qu’il n’était donc pas pratique d’utiliser ces zones d’appel local uniquement pour acheminer du trafic aux petites ESLT.

10.     Bell Canada a soutenu que les appels auxquels la STC faisait référence étaient en fait des appels interurbains qui devraient être acheminés par des lignes interurbaines, et non par son service de transit local, et elle a cité deux décisions du Conseil pour étayer sa position[4]. Selon Bell Canada, le blocage d’appels en fonction du numéro de téléphone de l’appelant est donc approprié.

11.     Bell Canada a indiqué que ses systèmes opérationnels ne lui permettaient pas de déterminer l’emplacement physique des personnes qui effectuent les appels acheminés par son service de transit local, et que les coûts liés à la mise en œuvre des modifications nécessaires aux systèmes afin qu’ils offrent cette possibilité l’emporteraient sur les avantages. En outre, Bell Canada a fait remarquer que le Conseil avait déjà établi qu’il n’était pas approprié d’obliger l’industrie à apporter des modifications semblables à ses systèmes en ce qui concerne la détermination de l’emplacement physique des personnes qui effectuent des appels 9­1­1 au moyen du service VoIP indépendant de l’accès, car les coûts l’emportaient sur les avantages[5].

12.     Bell Canada a fait valoir que le volume d’appels en cause était négligeable et qu’aucun traitement particulier n’était requis pour veiller à ce que le trafic ne soit pas bloqué. Selon l’estimation de Bell Canada, les appels effectués au moyen d’un service VoIP ou d’un service sans fil en cause représentent moins de 1 % de tous les appels acheminés aux petites ESLT par son service de transit local.

13.     Bell Canada s’est opposée aux deux solutions de rechange proposées par la STC à l’égard du blocage d’appels. Elle a affirmé que la solution concernant une surveillance périodique ne serait pas réalisable, qu’elle entraînerait de nombreux différends et qu’elle engendrerait des coûts inutiles. Quant à la solution concernant la révision des tarifs d’interconnexion de l’interurbain des petites ESLT, Bell Canada a fait remarquer qu’un tel changement fondamental du régime d’interconnexion de l’interurbain des petites ESLT dépassait la portée de la décision de télécom 2010-908.

14.     Le Canadian Independent Telephone Company Joint Task Force a fortement appuyé les conclusions tirées par le Conseil dans la décision de télécom 2010-908, et a soutenu Bell Canada dans le cadre de la présente instance.

Résultats de l’analyse du Conseil

15.     En ce qui concerne la question à savoir si les appels effectués au moyen d’un service VoIP ou d’un service sans fil en cause sont des appels locaux ou interurbains, le Conseil est d’avis que les emplacements géographiques d’où proviennent les appels et auxquels ces appels sont acheminés constituent les facteurs pertinents à examiner. De plus, il fait remarquer qu’il a tiré une conclusion semblable dans la décision de télécom 98-2 à l’égard de la définition du trafic interurbain aux fins du calcul des contributions.

16.     Pour ce qui est des décisions citées par Bell Canada, le Conseil souligne que la décision de télécom 2005-28 établissait le cadre de réglementation régissant les services de communication vocale sur protocole Internet, et que la décision de télécom 2007-23 portait sur les obligations des ESLC offrant des services sans fil, notamment les obligations se rapportant aux codes de centraux. Il estime que la définition d’un appel interurbain n’était abordée dans aucune de ces décisions.

17.     Le Conseil soutient que la méthode de blocage d’appels de Bell Canada consisterait à filtrer les appels en fonction du numéro de téléphone de l’appelant, lesquels appels pourraient être attribués à un numéro de central éloigné, mais effectués localement au moyen d’un service VoIP ou d’un service sans fil. En outre, les systèmes opérationnels de Bell Canada ne permettent pas de filtrer les appels en fonction de l’emplacement géographique du numéro de central à partir duquel ils sont effectués. Par conséquent, le Conseil estime qu’il y a un risque que les appels locaux de certains abonnés de services VoIP ou de services sans fil soient bloqués à tort dans le cadre de la méthode de blocage d’appels de Bell Canada. En ce qui concerne l’argument de Bell Canada selon lequel le nombre d’appels qui risquent d’être bloqués serait négligeable, le Conseil estime que, même si l’estimation de 1 % de Bell Canada était exacte, ce pourcentage pourrait représenter des centaines ou des milliers d’appels bloqués, et que ce résultat ne serait pas dans l’intérêt public.

18.     Selon le dossier de la présente instance, le Conseil estime qu’il ne semble pas y avoir de solutions de rechange rentables à l’égard du blocage d’appels sur le plan technique ou autre. D’un point de vue technique, la modification des systèmes opérationnels de Bell Canada serait trop coûteuse. Le Conseil est d’avis que la solution proposée par la STC selon laquelle Bell Canada effectuerait une surveillance périodique ne serait pas appropriée, car elle serait lourde et coûteuse, et elle pourrait entraîner d’autres différends. Quant à l’autre solution proposée par la STC, selon laquelle les tarifs d’interconnexion de l’interurbain des petites ESLT seraient révisés, le Conseil estime qu’il s’agit d’une question complexe qui dépasse la portée de la présente instance. Il fait toutefois valoir que le régime d’interconnexion de l’interurbain des petites ESLT est actuellement en cause dans l’instance visant à examiner le cadre de réglementation applicable aux petites ESLT[6].

19.     À la lumière de ce qui précède, le Conseil conclut que Bell Canada n’est pas autorisée à bloquer des appels pour appliquer l’exigence selon laquelle les ESLC doivent acheminer tous les appels interurbains aux clients des petites ESLT au moyen de circuits d’interconnexion de l’interurbain.

20.     Le Conseil rappelle aux ESLC que, conformément à la décision de télécom 2010-908, elles sont néanmoins tenues de continuer d’acheminer tous les appels interurbains aux clients des petites ESLT au moyen de circuits d’interconnexion de l’interurbain, et non au moyen du service d’interconnexion de transitage local de Bell Canada. Cette dernière peut déposer des modifications à ses tarifs de services de transit afin d’inclure un libellé précis à cet égard.

Secrétaire général

Documents connexes



Notes de bas de page

[1]     Dans une lettre du personnel du Conseil datée du 18 février 2011, des demandes de renseignements ont été adressées à un certain nombre de parties. Les réponses à ces demandes ont été déposées le 11 mars 2011, et la STC a déposé des répliques aux observations supplémentaires le 18 mars 2011.

[2]     Voir la décision de télécom 98-2

[3]     Plus particulièrement, (i) les appels qui sont acheminés depuis une zone de desserte d’une petite ESLT et qui sont reçus dans cette zone, et qui sont effectués au moyen d’un service VoIP indépendant de l’accès où l’appelant s’est vu attribuer un numéro de téléphone d’une zone géographique différente (les appels effectués au moyen d’un service VoIP), (ii) les appels effectués au moyen d’un service sans fil qui sont faits par des clients de services sans fil itinérants dans une zone de desserte d’une petite ESLT et qui sont acheminés vers cette zone (les appels effectués au moyen d’un service sans fil), ou (iii) les autres types d’appels locaux qui peuvent sembler être des appels interurbains en raison du numéro de l’appelant.

[4]     Voir les décisions de télécom 2005-28 et 2007-23

[5]     Voir la décision de télécom 2010-387

[6]     Voir l’avis de consultation de télécom 2011-348-1

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