ARCHIVÉ - Décision de radiodiffusion CRTC 2010-320

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  Référence au processus : 2009-157

Autres références : 2009-157-1, 2009-157-2, 2009-157-4, 2009-157-5 et 2009-157-6

  Ottawa, le 28 mai 2010
  Plusieurs requérantes
Québec (Québec)
  Audience publique à Québec (Québec)
26 mai 2009
 

Station de radio FM à Québec

  Dans la présente décision, le Conseil refuse, par décision majoritaire, une demande présentée par Evanov Communications Inc., au nom d'une société devant être constituée (Evanov (SDEC)) en vue d'obtenir une licence de radiodiffusion afin d'exploiter une station de radio FM commerciale de langue anglaise à Québec.

Le Conseil refuse à l'unanimité une demande présentée par Evanov (SDEC) en vue d'obtenir une licence de radiodiffusion afin d'exploiter une station de radio FM commerciale de langue française à Québec.

Finalement, le Conseil refuse à l'unanimité une demande présentée par Michel Cloutier, au nom d'une société devant être constituée, en vue d'obtenir une licence de radiodiffusion afin d'exploiter une station de radio FM spécialisée de langue française à Lévis.

Une opinion minoritaire du conseiller Timothy Denton est jointe à la présente décision.

 

Introduction

1. Dans l'avis public de radiodiffusion 2008-87, le Conseil a publié, suite au dépôt d'une demande non sollicitée, un appel de demandes de licences de radiodiffusion afin d'exploiter des entreprises de programmation de radio pour desservir le marché radiophonique de Québec (l'Appel).
2. Dans ce contexte, le Conseil a reçu trois demandes de licences de nouvelles stations de radio FM commerciale en vue de desservir le marché radiophonique de Québec, toutes trois concurrentes sur le plan technique. Deux de ces demandes proposaient des stations de langue française, la troisième proposant une station de langue anglaise. Le Conseil énonce, dans la présente décision, ses conclusions quant à ces trois demandes.
 

Les services proposés

3. Evanov Communications Inc., au nom d'une société devant être constituée (Evanov (SDEC)), a déposé une demande en vue d'obtenir une licence de radiodiffusion afin d'exploiter une entreprise de programmation de radio FM commerciale de langue anglaise à la fréquence 105,7 MHz (canal 289C1). La formule proposée, musique contemporaine et de détente, comprendrait un large éventail de styles musicaux et aurait les auditeurs âgés entre 45 et 64 ans comme auditoire cible. Evanov (SDEC) s'engage, par condition de licence, à ce qu'au moins 40 % des sélections musicales tirées de la catégorie 2 (Musique populaire) qu'elle diffuse chaque semaine soient des pièces canadiennes. Elle s'engage également à consacrer, par condition de licence, au moins 197 750 $ en contribution excédentaire à la contribution obligatoire de base au titre du développement du contenu canadien (DCC) sur sept années de radiodiffusion consécutives.
4. Evanov (SDEC) a également présenté une demande au Conseil en vue d'obtenir une licence afin d'exploiter une entreprise de programmation de radio FM commerciale de langue française à la fréquence 105,3 MHz (canal 287C1), fréquence deuxième adjacente à celle convoitée par la requérante pour le service de langue anglaise qu'elle propose. La formule proposée serait de musique contemporaine et de détente. Evanov (SDEC) s'engage, par condition de licence, à ce qu'au moins 35 % des sélections musicales tirées de la catégorie 2 qu'elle diffuse chaque semaine soient des pièces canadiennes. Elle s'engage également à consacrer, par condition de licence, une somme totale de 2 236 880 $ en contribution excédentaire à la contribution obligatoire de base au titre du DCC sur sept années de radiodiffusion consécutives.
5. Finalement, Michel Cloutier, au nom d'une société devant être constituée (Michel Cloutier (SDEC)), a présenté au Conseil une demande visant à obtenir une licence de radiodiffusion afin d'exploiter une entreprise de programmation de radio FM spécialisée de langue française dont la programmation diffusée serait composée à 40 % de pièces tirées de la sous-catégorie 34 (Jazz et blues). Le service serait exploité à la fréquence 105,7 MHz (canal 289A1). Cette demande est donc en concurrence sur le plan technique avec les deux demandes d'Evanov (SDEC).
6. Le Conseil a reçu des interventions favorables, des interventions en opposition et des commentaires d'ordre général relativement à chacune des trois demandes. Les interventions et les réponses qu'elles ont suscitées peuvent être consultées sur le site web du Conseil, www.crtc.gc.ca, sous « Instances publiques ».
 

Analyse et décisions du Conseil

7. Le Conseil a examiné les demandes afin de desservir le marché radiophonique de Québec à la lumière des lois, règlements et politiques applicables, des interventions reçues et des critères d'évaluation des demandes précisés dans l'Appel et qui comprennent les critères établis dans la décision 99-480 :
  • la concurrence dans le marché radiophonique de Québec et l'incidence sur celui-ci;
  • la qualité de la demande;
  • la diversité des voix.
 

Évaluation des demandes

 

Evanov (SDEC) – station de radio FM commerciale de langue anglaise

8. Astral Media Radio inc., Cogeco Diffusion inc., Corus Entertainment Inc., Radio-Classique Québec Inc. et RNC Media inc. (les signataires) ont déposé une intervention conjointe en opposition aux trois demandes. Dans leur intervention, elles affirment que le marché radiophonique de Québec n'est actuellement pas en mesure d'accueillir une nouvelle station de radio commerciale privée, qu'elle soit de langue anglaise ou française.
9. À l'égard de la demande d'Evanov (SDEC) afin d'exploiter une station de radio commerciale de langue anglaise, les signataires avancent que la population anglaise du marché radiophonique de Québec, qui compte pour moins de 2 % de la population totale, n'est pas suffisante pour faire vivre une station de radio commerciale privée. Elles avancent également qu'au moins 90 % de l'auditoire qu'Evanov (SDEC) prévoit rejoindre est de langue française, et que cela ne pourra que nuire aux stations de langue française en place. Elles en concluent que l'approbation d'une station de radio commerciale de langue anglaise dans le marché radiophonique de Québec aura au moins la même incidence, sur les stations existantes, que si le Conseil approuvait une station de langue française, puisque la nouvelle station puiserait dans le même bassin d'auditeurs de langue française.
10. Les signataires rappellent également que, dans l'avis public de radiodiffusion 2006-101, le Conseil annonçait son refus d'une demande de Standard Radio Inc. (Standard) semblable à celle d'Evanov (SDEC). Elles précisent que le Conseil avait alors jugé que le marché radiophonique de langue anglaise de Québec était trop restreint pour soutenir une telle station et qu'un débordement, tant au niveau de la publicité que de l'auditoire, était inévitable.
11. Voice of English-Speaking Québec (VEQ), dans son intervention, se dit favorable à l'ajout d'une station de radio commerciale de langue anglaise dans le marché radiophonique de Québec. VEQ mentionne entre autres choses qu'au cours des dernières années, voire des dernières décennies, la région de Québec a connu un déclin au niveau des médias de langue anglaise. Elle déplore également le manque de couverture quotidienne dans ces médias, notant que la communauté doit se contenter soit de couverture locale hebdomadaire, soit de couverture provinciale quotidienne, et que d'une manière ou d'une autre, aucun média ne fournit d'informations locales quotidiennes à la communauté de langue anglaise de Québec.
12. En conformité avec ses obligations en vertu de la Loi sur la radiodiffusion (la Loi) et de la Loi sur les langues officielles, le Conseil a examiné avec attention la demande d'Evanov (SDEC) en fonction de sa capacité à répondre aux besoins et aux intérêts spécifiques de la communauté de langue anglaise de Québec, une communauté de langue officielle en situation minoritaire. À cet égard, tel que mentionné dans le Rapport à la gouverneure en conseil sur les services de radiodiffusion de langues française et anglaise dans les communautés francophones et anglophones en situation minoritaire au Canada (le Rapport), publié le 30 mars 2009, le Conseil fait remarquer que les facteurs liés aux communautés de langue officielle en situation minoritaire ne doivent pas être privilégiés aux dépens d'autres facteurs dont le Conseil doit tenir compte. Le Conseil est ultimement tenu de concilier l'ensemble des objectifs émanant de la Loi.
13. Le Conseil a évalué les besoins de la communauté de langue anglaise de Québec en examinant les services déjà présents dans le marché et leur auditoire cible, ainsi qu'à travers l'information fournie par la requérante dans sa demande. Il a tenu compte de l'unique intervention favorable en provenance de la communauté de langue anglaise de la région de Québec, celle de VEQ.
14. Le Conseil note que le marché radiophonique actuel de Québec ne compte que très peu d'auditeurs de langue anglaise. En 2006, le nombre de personnes dont la langue la plus souvent parlée à la maison était l'anglais ne comptait que pour 1,1 % de la population totale de Québec, soit 7420 personnes1. Ainsi, l'assiette publicitaire du marché radiophonique de Québec pour une station de langue anglaise est à toute fin pratique inexistante. Le Conseil est donc préoccupé de la possibilité, soulevée par les signataires, que la station proposée par Evanov (SDEC) en vienne à se tourner vers les auditeurs de langue française.
15. Le Conseil note également que la station de langue anglaise proposée viendrait aussi puiser dans le potentiel publicitaire déjà restreint et difficile à exploiter des touristes dans la région de Québec. Ce faisant, elle viendrait miner les efforts de rentabilité de CJNG-FM Québec, la station de radio touristique de langue anglaise en place exploitée par La Radio touristique de Québec inc. Le Conseil constate que cette station n'a jamais pu atteindre la rentabilité en trois ans, et est d'avis que l'arrivée d'une station de radio FM commerciale de langue anglaise dans le marché radiophonique de Québec ne ferait qu'exacerber sa situation financière déjà précaire.
16. Le Conseil ne peut que constater que desservir la communauté de langue anglaise de Québec n'est pas une entreprise rentable. En effet, en ce qui concerne l'offre de services de radiodiffusion en langue anglaise, un changement significatif est survenu entre le refus de la demande de Standard en 2006 et le dépôt de la demande d'Evanov (SDEC), soit la disparation d'une station de télévision locale de langue anglaise, ainsi que l'a relevé VEQ lors de l'audience. Ce changement démontre la précarité, pour une entreprise, de dépendre de l'assiette publicitaire de langue anglaise dans le marché radiophonique de Québec.
17. Le Conseil estime que les détails fournis par la requérante démontrent clairement que son service est presque entièrement dépendant de l'auditoire de langue française de Québec. Le Conseil ne voit pas dans quelle mesure une telle entreprise de programmation commerciale, dont l'ensemble des revenus sera à ce point tributaire d'un auditoire presque exclusivement francophone, répondrait aux besoins spécifiques de la communauté de langue anglaise restreinte de Québec.
18. Le Conseil souligne que la station proposée par Evanov (SDEC) ne serait pas tenue de respecter des obligations quant à la diffusion de musique vocale de langue française. Il estime que l'absence d'obligations à cet égard confèrerait à la station, au niveau de l'auditoire, un avantage certain sur les stations de langue française déjà présentes dans le marché radiophonique de Québec.
19. Pour toutes ces raisons, le Conseil estime qu'il serait inapproprié d'approuver la demande d'Evanov (SDEC) afin d'exploiter une station de radio commerciale FM de langue anglaise pour desservir le marché radiophonique de Québec.
 

Evanov (SDEC) – station de radio FM commerciale de langue française

20. Les signataires, dans leur intervention conjointe, mentionnent que, depuis 2007, le marché radiophonique de Québec a vu trois stations de radio commerciales s'ajouter aux stations de radio qui le desservent, portant le total à 10. Elles indiquent par ailleurs que le marché tente toujours de s'ajuster à ces arrivées, mentionnant par le fait même que l'année 2008 ne peut être considérée comme normale, étant donné les célébrations du 400e anniversaire de la ville de Québec. Elles ajoutent que 2009 a été marquée par la plus grande récession depuis 1929, et qu'il faudra attendre 2010, voire 2011, pour bien évaluer l'incidence des trois nouvelles stations sur le marché.
21. Les signataires indiquent de plus que l'ajout d'une station supplémentaire apporterait une plus grande concurrence sur le plan des revenus publicitaires, et pourrait ainsi avoir une incidence négative sur les stations existantes. Elles soulignent entre autres choses que le taux de croissance global des revenus publicitaires, entre 2003 et 2007, s'est établi à 7,5 %, mais que cette croissance doit être abordée en tenant compte de l'augmentation de 28,6 % du nombre de stations de radio commerciale privées. Elles indiquent qu'il en résulte une baisse de 16 % des revenus publicitaires par station pour cette période.
22. Malgré la solide performance du marché radiophonique de Québec en 2009 suite à une hausse des revenus de près de 8 %, cinq des dix stations de radio commerciale du marché demeurent déficitaires. Par conséquent, même si le Conseil voit d'un bon œil la croissance des revenus publicitaires du marché, il est néanmoins d'avis que le contexte actuel ne favorise pas l'arrivée d'une nouvelle station, particulièrement si cette dernière n'a pas la possibilité de bénéficier de synergies avec une station déjà établie.
23. De plus, le Conseil note les craintes soulevées par les signataires selon lesquelles de nombreux facteurs ont perturbé le marché radiophonique de Québec depuis 2007. Parmi ces facteurs, on retrouve entre autres les célébrations du 400e anniversaire de la ville de Québec, l'arrêt momentané des activités de TQS, ainsi que l'ajout de nouvelles stations de radio. Même si le marché a réalisé un bénéfice avant intérêts et impôt (BAII) d'environ 16 % en 2009, le BAII du marché n'était que légèrement positif aussi récemment qu'en 2007. Le Conseil est donc d'avis que l'absence de nouveaux concurrents à court et à moyen termes permettrait au marché radiophonique de Québec dans son ensemble de retrouver une stabilité financière qu'il n'a pas connue depuis plusieurs années.
24. Le Conseil est d'avis que la station de langue française proposée par Evanov (SDEC) apporterait une nouvelle voix dans le marché radiophonique de Québec et que sa programmation pourrait répondre à une certaine clientèle. Cependant, la formule de musique contemporaine et de détente qu'elle suggère d'exploiter s'apparente de façon significative à celles de stations établies dans le marché, soit CFOM-FM, CJEC-FM et CITF-FM Québec. Le Conseil estime que ce choix de formule ne contribuerait que de façon très limitée à augmenter la diversité musicale dans le marché radiophonique de Québec, puisqu'elle y est déjà abondamment présente.
25. Le Conseil note qu'en réponse à une de ses questions, Evanov (SDEC) a mentionné que si elle devait faire un choix entre les deux stations qu'elle propose, elle opterait pour l'approbation de la station de langue anglaise. Evanov (SDEC) a cependant ajouté que l'idéal serait encore que les deux stations soient approuvées, invoquant les synergies qui pourraient être réalisées dans un tel cas. Le Conseil souligne à cet effet que même si les deux demandes d'Evanov (SDEC) prévoient exploiter dans deux langues différentes, elles proposent la même formule musicale et le même auditoire cible.
26. Finalement, le Conseil remarque que la requérante propose d'utiliser, pour son service de langue française, une fréquence qui serait deuxième adjacente à celle du service de langue anglaise qu'elle propose également. De tels paramètres techniques ne sont permis par le ministère de l'Industrie que sur consentement des radiodiffuseurs touchés. Bien que le consentement d'Evanov (SDEC) à sa propre demande, advenant son approbation, soit implicite, la requérante n'a pas démontré à la satisfaction du Conseil qu'une telle cohabitation ne serait pas néfaste pour l'une ou l'autre de ces deux fréquences. Le Conseil est donc d'avis que la seule fréquence disponible pour une entreprise de radiodiffusion dans le marché radiophonique de Québec est, dans les faits, la fréquence proposée pour le service de langue anglaise.
27. Pour toutes ces raisons, le Conseil estime qu'il serait inapproprié d'approuver la demande d'Evanov (SDEC) afin d'exploiter une station de radio commerciale FM de langue française pour desservir le marché radiophonique de Québec.
  h3>Michel Cloutier (SDEC)
28. Le Conseil note la faiblesse du plan d'affaires soumis par Michel Cloutier (SDEC). Il n'est en outre pas convaincu qu'une station offrant la formule proposée (Jazz et blues) puisse se développer dans le marché radiophonique de Québec étant donné la zone de desserte proposée par la requérante, qui n'inclut que la ville de Lévis.
29. Le Conseil fait remarquer que la requérante indique vouloir mettre l'accent sur le caractère communautaire de la station qu'elle propose afin de rassurer le Conseil et les stations du marché radiophonique de Lévis quant à l'incidence financière que celle-ci pourrait avoir sur ce marché. Le Conseil est donc également préoccupé de la véritable vocation que la station proposée entend se donner, ainsi que sur la faisabilité et la viabilité du projet dans son ensemble.
30. De surcroit, la requérante demeure vague quant au nombre d'heures de programmation qui seront produites par ses bénévoles, ainsi qu'en ce qui a trait à la façon de remplacer les émissions si la station ne peut recruter suffisamment de bénévoles pour réaliser son plan initial.
31. Le Conseil note que plusieurs stations de radio canadiennes exploitant la formule pour auditoire spécialisé Jazz et blues sont confrontées à de très faibles parts d'écoutes et, par conséquent, à des difficultés financières. Il estime que ce facteur, combiné au fait que la station ne desservirait, dans le marché de Québec, que la ville de Lévis, fait en sorte que les chances de survie de la station sont minimes.
32. Pour toutes ces raisons, le Conseil estime qu'il serait inapproprié d'approuver la demande de Michel Cloutier (SDEC) afin d'exploiter une station de radio FM spécialisée de langue française pour desservir la ville de Lévis.
 

Conclusion

33. Compte tenu de l'ensemble de ce qui précède, le Conseil refuse, par décision majoritaire, la demande suivante en vue d'obtenir une licence de radiodiffusion afin d'exploiter une entreprise de radio FM commerciale de langue anglaise à Québec :
  • Evanov Communications Inc., au nom d'une société devant être constituée
    Demande 2008-1088-9, reçue le 14 août 2008
34. De plus, le Conseil refuse à l'unanimité les demandes suivantes en vue d'obtenir des licences de radiodiffusion afin d'exploiter des entreprises de programmation de radio FM commerciale de langue française à Québec :
  • Evanov Communications Inc., au nom d'une société devant être constituée
    Demande 2008-1622-5, reçue le 2 décembre 2008
  • Michel Cloutier, au nom d'une société devant être constituée
    Demande 2008-1132-4, reçue le 21 août 2008
  Secrétaire général
  Documents connexes
 
  • Avis de consultation – avis public de radiodiffusion CRTC 2008-87, 3 octobre 2008
 
  • Attribution et modification de licences de stations de radio dans la région de Québec (Québec) – Préambule aux décisions de radiodiffusion CRTC 2006-348 à 2006-351, avis public de radiodiffusion CRTC 2006-101, 10 août 2006
 
  • Préambule – Attribution de licences à de nouvelles stations de radio, décision CRTC 99-480, 28 octobre 1999
  *Cette décision devra être annexée à la licence.
 

>Opinion minoritaire du conseiller Denton

  J'ai eu l'occasion de lire les arguments invoqués par la majorité relativement à la demande d'Evanov Communications Inc. (Evanov) en vue d'obtenir une licence de radiodiffusion afin d'exploiter une station de radio FM de langue anglaise à Québec. À mon humble avis, la décision prise par la majorité est erronée à plusieurs égards. Dans les paragraphes qui suivent, j'explique brièvement pourquoi, en faisant référence aux points soulevés dans la décision de la majorité.
 

1. Opposition des occupants actuels du marché

  Les choses étant ce qu'elles sont dans un marché réglementé comme celui de la radiodiffusion, les titulaires du marché de Québec se seraient montrés remarquablement généreux, voire malavisés, de ne pas s'opposer à l'intensification de la concurrence économique, quelle qu'en soit la provenance. On ne se serait pas attendu à autre chose. L'inquiétude des rivaux commerciaux actuels tient peut-être justement à la crainte bien fondée que la station de radio de langue anglaise d'Evanov ne s'avère un franc succès, pour peu qu'elle soit autorisée, et qu'elle soit bien accueillie par les auditeurs francophones de Québec.
 

2. Le fardeau réglementaire de la radio de langue française

  L'opinion de la majorité semble reposer sur la prémisse que le marché de langue française ne devrait pas être soumis à la concurrence d'un exploitant de radio de langue anglaise. En vertu de ce principe, il serait déplacé qu'un auditeur de langue française opte pour une station de langue anglaise, que ce soit pour la formule musicale, pour apprendre l'anglais ou pour toute autre raison. Ainsi, le fardeau accru du contenu francophone que doivent respecter les stations de langue française est utilisé comme argument pour contrer une concurrence de langue anglaise. Lorsqu'elle note le nombre peu élevé de la population de langue anglaise à Québec, la majorité constate que :
 

Le Conseil est donc préoccupé de la possibilité, soulevée par les signataires, que la station proposée par Evanov (SDEC) en vienne à se tourner vers les auditeurs de langue française. 

  Si les gens de Québec veulent écouter la radio de langue anglaise, ou n'importe quelle radio de langue étrangère, ce n'est pas au gouvernement fédéral de les empêcher de le faire. En principe, les gens sont libres d'écouter ce qu'ils veulent. En particulier, ils sont libres d'écouter des émissions de radio dans l'autre langue officielle, là où elles existent. Selon moi, la majorité du Conseil dans cette instance semble croire le contraire. Autrement, pourquoi la majorité s'inquiéterait-elle de la possibilité que les auditeurs de langue française syntonisent une station de langue anglaise à Québec?
  Encore une fois, au paragraphe 18 :
 

Le Conseil souligne que la station proposée par Evanov (SDEC) ne serait pas tenue de respecter des obligations quant à la diffusion de musique vocale de langue française. Il estime que l'absence d'obligations à cet égard confèrerait à la station, au niveau de l'auditoire, un avantage certain sur les stations de langue française déjà présentes dans le marché radiophonique de Québec.

  L'argument est contestable, car il revient à dire que quiconque aurait mis des pierres dans son sac à dos serait moins apte à rivaliser sur une longue distance avec les marcheurs qui n'ont pas ce fardeau à porter. C'est peut-être vrai, mais c'est moralement indéfendable. Il y aurait plutôt avantage à alléger le fardeau du porteur de pierres plutôt qu'à disqualifier ses concurrents éventuels parce qu'ils ne se sont pas encombrés d'un handicap.
  Il est vrai que les stations de langue française ont des obligations de contenu canadien plus importantes à l'égard du français, et c'est apparemment ce qui les empêcherait d'affronter la concurrence des stations de radio de langue anglaise dans un même marché.
  Le lecteur non initié aux mystères de la réglementation canadienne en radiodiffusion pourrait déduire de l'argument invoqué par la majorité que des forces occultes ont encombré la radio de langue française d'un fardeau réglementaire additionnel, peut-être dans l'espoir de la rendre moins concurrentielle. Mais il n'est est rien, et bien au contraire.
  Quand on connaît le contexte historique des décisions réglementaires, on sait que le fardeau réglementaire de la radio de langue française est une initiative des autorités pour protéger la langue française, afin de préserver et promouvoir un contenu musical de langue française. Aucun organisme de réglementation ne voudrait ou n'a jamais voulu remettre cette initiative en question. Faire la promotion de la musique de langue française est un objectif valable et honorable, mais il m'apparaît étrange d'invoquer le fardeau réglementaire de la radio de langue française comme argument moral et probant pour décréter que la radio de langue anglaise doit être écartée du marché de Québec.
 

3. Viabilité économique de la demande Evanov

  Le dossier du groupe Evanov démontre que celui-ci a réussi à gagner de l'argent dans des petits marchés où la concurrence était féroce. Il semble être passé maître dans l'art d'exploiter les filons ténus. J'ai été impressionnée par son flair en affaires et la qualité de son personnel de direction. Au paragraphe 16, on peut lire :
 

Le Conseil ne peut que constater que desservir la communauté de langue anglaise de Québec n'est pas une entreprise rentable.

  Puisque le service, s'il était autorisé, ne desservirait pas seulement que la population anglophone, la conclusion qui précède est avérée, mais sans importance particulière. Le service attirerait des auditeurs et des annonceurs de langue française. L'enjeu pour nous consiste à déterminer si le préjudice concurrentiel que pourrait subir le marché radiophonique existant de Québec éclipse à la fois l'intérêt d'offrir aux auditeurs de Québec une plus grande diversité linguistique et celui d'offrir aux anglophones plus de programmation dans leur propre langue.
  Pour ce qui est de la préoccupation qu'une station de radio ne devrait pas en principe desservir à la fois les communautés de langue française et de langue anglaise, mon désaccord a été clairement exprimé.
  Quant à prétendre que le marché de la radio de langue anglaise à Québec est « précaire », les Evanov sont des adultes matures qui ont des visées capitalistes, et les risques qu'ils prennent sont probablement plus calculés que la plupart des nôtres. S'ils échouent, le Conseil n'a pas la responsabilité de les soutenir. Des stations de radiodiffusion de langue anglaise ont échoué à Québec et cela pourrait encore arriver.
 

4. Répondre aux besoins de la communauté de langue anglaise à Québec

  Au paragraphe 17, l'opinion de la majorité se lit ainsi :
 

Le Conseil ne voit pas dans quelle mesure une telle entreprise de programmation commerciale, dont l'ensemble des revenus sera à ce point tributaire d'un auditoire presque exclusivement francophone, répondrait aux besoins spécifiques de la communauté de langue anglaise restreinte de Québec. 

  Je peux suggérer la façon dont cette entreprise pourrait répondre aux besoins spécifiques de la minuscule communauté anglophone de Québec : avec une programmation en anglais. Il n'en faut pas plus. La minorité anglophone de Québec n'a pas d'autres besoins culturels spéciaux auxquels il faut répondre, si ce n'est le besoin d'entendre de temps en temps autre chose que la CBC. Je n'ai rien contre « CBC - Quebec City ». Il s'agit d'une observation que je fais sur les besoins des anglophones de Québec, des besoins qui ne sont pas uniques à la ville de Québec, mais sont communs aux minorités linguistiques partout ailleurs.
  À l'auditeur de langue anglaise à Québec, ou à toute autre personne qui voudrait élargir ses choix, je conseillerais de se libérer du cadran de la radio et de se tourner vers la radio sur Internet, où la rareté du spectre n'exerce pas de restriction sur le choix.
 

5. Autres considérations

 

a) La présente décision est celle du comité d'audition

  Il faut savoir que les décisions en radiodiffusion sont prises par des groupes de conseillers et non pas par l'ensemble des treize conseillers. Les huit autres conseillers peuvent déplorer, contester ou soutenir la décision, mais ils n'ont aucune voix au chapitre. Le texte d'une décision, lorsqu'elle est publiée, mentionne que « le Conseil a décidé », quand, en fait, c'est un groupe de conseillers qui a décidé.
 

b) Comment le public percevra-t-il cette décision?

  Tout conseiller qui se respecte doit toujours commencer par se demander comment la décision sera perçue par le public.
  Il y a un certain nombre de communautés francophones hors Québec qui sont desservies par des stations de radio commerciale de langue française. Elles comprennent, entre autres,
 
  • CHYK-FM Timmins est une station de radio commerciale de langue française. La population de l'AR de Timmins dont le français est l'unique langue maternelle (16 405) représente 39 % de l'ensemble de la population (42 450).
 
  • CHYC-FM Sudbury est une station de radio commerciale de langue française. La population du Grand Sudbury dont le français est l'unique langue maternelle (42 940) représente 28 % de l'ensemble de la population (155 995).
 
  • CHOY-FM est une station de radio commerciale de langue française à Moncton. La population de la RMR de Moncton dont le français est l'unique langue maternelle (42 925) représente 35 % de l'ensemble de la population (124 055).
  Les chiffres comparatifs démontrent que le Conseil a pris soin d'autoriser des stations de radio commerciale de langue française dans des marchés majoritairement anglophones. Ces exemples démontrent également que les populations de langue française dans ces marchés de langue anglaise sont plus nombreuses que la population de langue anglaise (un peu plus de 7 000) dans le marché de la ville de Québec.
  Ce fait renforce la thèse de la majorité, citée ci-dessus, que la station d'Evanov irait chercher ses auditeurs et ses annonceurs dans le marché de langue française, aussi bien que dans la population de langue anglaise. La plus grande population de langue française dans ces autres marchés de langue anglaise nous rappelle également qu'une station commerciale doit pouvoir se fonder sur un marché important.
  Ainsi, nous revenons à l'inquiétude initiale que la demande d'Evanov ne serait pas rentable à moins de se tourner vers le marché francophone, d'une certaine façon, et que ce fait est d'une plus grande importance que la bonification du service offert à une minorité linguistique officielle. Selon moi, les deux marchés seraient mieux servis puisqu'ils auraient le choix entre deux langues et plusieurs formules musicales.
  J'aimerais regarder l'attribution des licences de radio d'un autre point de vue. J'aimerais accorder plus de poids à l'intérêt des résidents de la ville de Québec, qu'ils soient anglophones ou francophones, et à celui des consommateurs en général, dans la réglementation de la radiodiffusion. La Loi sur la radiodiffusion (la Loi) amène souvent le Conseil à créer des situations favorables aux intérêts des producteurs, et il serait bon que la Loi nous incite à accorder plus d'importance à l'intérêt des consommateurs dans les questions de radiodiffusion. Mais il s'agit là d'un autre combat.
  Étant donné qu'il est improbable que le raisonnement du Conseil dans la présente instance diffère à l'avenir, compte tenu du raisonnement de la majorité, les citoyens anglophones de Québec pourraient considérer de mettre en œuvre une station de radio communautaire, une station dont la classe de licence est admissible à des subventions fédérales. Cette approche, au lieu d'une station commerciale, pourrait mieux répondre à leurs besoins.
 

6. Conclusion

  Ma préoccupation s'adresse autant à la population de langue anglaise qu'à la population de langue française de la ville de Québec. L'intérêt des francophones à bénéficier d'un plus grand choix s'avère aussi réel que l'intérêt des anglophones de Québec à posséder un autre service de langue anglaise s'avère immédiat et pressant.
  Mon jugement repose sur des considérations élémentaires de justice et sur une conclusion que je dois tirer, que la proposition du groupe Evanov avait un réel potentiel commercial.
  Mes collègues de la majorité sont manifestement d'avis que la proposition d'Evanov pourrait être rentable, mais qu'elle pourrait avoir des répercussions inacceptables sur le marché de la radio locale de langue française. Les règles actuelles imposent peut-être un ensemble inacceptable de conditions concurrentielles à la radio de langue française. Mes collègues sont absolument de bonne foi. De mon côté, j'ai évalué les facteurs différemment, et le dossier se termine donc ainsi.
 

Note de bas de page

1 Source : Statistique Canada, recensement de 2006

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