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Décision de télécom CRTC 2006-16
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Ottawa, le 6 avril 2006
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Bell Canada et Saskatchewan Telecommunications demandent au Conseil d'arrêter d'appliquer les restrictions relatives à la reconquête dans le marché des services locaux parce qu'elles portent atteinte de manière injustifiable au droit à la liberté d'expression garanti par l'article 2b) de la Charte canadienne des droits et libertés
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Référence : 8622-B2-200505068 et 8680-B2-200513707
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Dans la présente décision, le Conseil rejette la demande selon laquelle Bell Canada et Saskatchewan Telecommunications réclament qu'il arrête d'appliquer les restrictions relatives à la reconquête dans le marché des services locaux, telles qu'elles existaient au moment de la demande, parce qu'elles portent atteinte de manière injustifiable au droit à la liberté d'expression garanti par l'article 2b) de la Charte canadienne des droits et libertés (la Charte). Le Conseil conclut que les restrictions relatives à la reconquête dans le marché des services locaux contreviennent effectivement à l'article 2b) de la Charte, mais que cette atteinte constitue une limite raisonnable prescrite par une règle de droit et dont la justification peut se démontrer dans le cadre d'une société libre et démocratique, conformément à l'article premier de la Charte.
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Introduction
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La demande
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1.
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Le 25 avril 2005, Bell Canada et Saskatchewan Telecommunications (SaskTel) (collectivement, les Compagnies) ont déposé une demande en vertu de la partie VII (la demande) dans laquelle elles réclament que le Conseil arrête d'appliquer les restrictions relatives à la reconquête dans le marché des services locaux parce qu'elles portent atteinte à la liberté d'expression des requérantes et des consommateurs aux termes de l'article 2b) de la Charte canadienne des droits et libertés (la Charte)1 et qu'elles ne pouvaient se justifier en vertu de l'article premier de la Charte.2
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2.
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Le 24 octobre 2005, le Conseil a rouvert et prolongé l'instance afin d'accepter les mémoires des parties intéressées sur la constitutionnalité, aux termes de la Charte, de l'énoncé des restrictions relatives à la reconquête dans le marché des services locaux, tel que le Conseil l'a établi dans la décision Cadre de réglementation régissant les services de communication vocale sur protocole Internet, Décision de télécom CRTC 2005-28, 12 mai 2005, modifiée par la décision de télécom CRTC 2005-28-1, 30 juin 2005 (la décision 2005-28), lequel étend les restrictions aux services locaux de communication vocale sur protocole Internet (VoIP). De plus, le Conseil a adressé des demandes de renseignements aux requérantes et à d'autres parties. Le Conseil a fermé le dossier de l'instance le 12 décembre 2005.
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3.
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Le dossier de l'instance comprend les mémoires des parties suivantes : les Compagnies, Aliant Telecom Inc. (Aliant Telecom), TELUS Communications Inc. (TCI), MTS Allstream Inc. (MTS Allstream), qui, dans son mémoire initial, a présenté les observations en son nom et pour le compte de Call-Net Enterprises Inc.3 (Call-Net), et a donc, par le fait même, présenté un mémoire non seulement en tant qu'entreprise de services locaux titulaire (ESLT), mais aussi en tant qu'entreprise de services locaux concurrente (ESLC) (collectivement, MTS Allstream/Call-Net), Bragg Communications Inc., qui exerce ses activités sous le nom d'EastLink (EastLink), Rogers Communications Inc. (Rogers), Quebecor Média inc. (QMI), l'Association canadienne des télécommunications par câble (l'ACTC), le Centre d'aide et de défense juridique pour les handicapés4 (l'ARCH) et la Coalition for Competitive Telecommunications (la Coalition). Les parties autres que les Compagnies, Aliant Telecom et TCI sont désignées les « intimées ».
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4.
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La position des parties a nécessairement été résumée, mais le Conseil a soigneusement examiné et pris en considération les mémoires de toutes les parties.
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La règle de reconquête et la décision 2006-15
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5.
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Les restrictions relatives à la reconquête dans le marché des services locaux, lesquelles font l'objet de l'instance, sont énoncées par le Conseil dans la décision 2005-28-1 comme suit :
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. le Conseil interdit à l'ESLT de tenter de reconquérir un abonné du service d'affaires dans le cas du service local de base ou du service VoIP local5, et dans le cas d'un client du service local de résidence (p. ex. [service local de base (SLB)] ou service VoIP local), à l'égard de tout autre service, pour une période commençant au moment de la demande de service local et se terminant (1) trois mois après que le service local de base ou service VoIP local de l'abonné a été complètement transféré à un autre fournisseur de services locaux dans le cas d'un client du service d'affaires, et (2) 12 mois après le transfert complet dans le cas d'un client du service de résidence, sous réserve d'une exception : les ESLT doivent être autorisées à reconquérir les abonnés qui appellent pour les aviser qu'ils veulent changer de fournisseur de services locaux.
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L'énoncé ci-dessus sera désigné la « règle de reconquête » dans la présente décision.
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6.
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Dans la décision Abstention de la réglementation des services locaux de détail, Décision de télécom CRTC 2006-15, 6 avril 2006 (la décision 2006-15), publiée aujourd'hui, le Conseil a modifié la règle de reconquête, telle qu'elle s'applique aux abonnés du service de résidence, en faisant passer de 12 à 3 mois la période d'application de la règle dans le cas d'un ancien abonné du service local (la période d'interdiction de reconquête). Durant l'instance ayant mené à cette décision, le Conseil s'est employé à établir le cadre à l'aide duquel il prendrait la décision de s'abstenir de réglementer le marché des services locaux. Il a aussi examiné la question de savoir si l'on devait établir un régime transitoire qui permettrait d'assouplir ou de supprimer certaines garanties en matière de concurrence, telles que la règle de reconquête, avant d'autoriser une abstention. Dans la décision 2006-15, le Conseil a établi que la réduction, de 12 à 3 mois, de la période d'interdiction de reconquête à l'égard des anciens abonnés du service local de résidence serait effectuée dans le cadre du régime transitoire, et que cette mesure entrait en vigueur immédiatement6.
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7.
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Le Conseil fait remarquer que les arguments et les éléments de preuve soumis par les parties dans le cadre de la présente instance se rapportent à la règle de reconquête telle qu'elle existait avant la décision 2006-15. Le Conseil estime qu'il ne conviendrait pas, dans cette instance, de tirer des conclusions relativement à la règle de reconquête énoncée dans la décision 2006-15. Toutefois, comme la règle énoncée dans la décision 2006-15 ne modifie que la durée de la période d'interdiction de reconquête auprès des abonnés du service de résidence et qu'elle demeure inchangée à tous les autres égards, le Conseil juge bon de formuler ses conclusions sur la constitutionnalité de l'ancienne règle de reconquête.
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Historique
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Cadre réglementaire régissant la concurrence
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8.
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En 1993, le Parlement a adopté la Loi sur les télécommunications (la Loi), qui remplaçait les dispositions sur les télécommunications de la Loi sur les chemins de fer. Cette loi confirmait bon nombre des objectifs stratégiques que le Conseil avait mis en vigueur en vertu de la Loi sur les chemins de fer depuis les années 1970, y compris l'établissement de la concurrence dans divers marchés des télécommunications.
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9.
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L'article 7 de la Loi énonce les objectifs de la politique canadienne de télécommunication. Plusieurs d'entre eux se rapportent à la promotion de la concurrence dans le secteur des télécommunications, dont les suivants :
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- accroître l'efficacité et la compétitivité, sur les plans national et international, des télécommunications canadiennes;
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- stimuler la recherche et le développement au Canada dans le domaine des télécommunications ainsi que l'innovation en ce qui touche la fourniture de services dans ce domaine;
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- favoriser le libre jeu du marché en ce qui concerne la fourniture de services de télécommunication et assurer l'efficacité de la réglementation, dans le cas où celle-ci est nécessaire.
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10.
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L'article 47 de la Loi prévoit que le Conseil doit exercer ses pouvoirs et fonctions de manière à réaliser les objectifs découlant de la politique canadienne de télécommunication, tels qu'énoncés à l'article 7.
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11.
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Dans la décision Examen du cadre de réglementation, Décision Télécom CRTC 94-19, 16 septembre 1994 (la décision 94-19), le Conseil a établi un cadre réglementaire global pour l'industrie des télécommunications, à la lumière des objectifs de la politique prévus dans la Loi et de l'évolution de l'environnement des télécommunications. Le Conseil a également affirmé que dans les marchés suffisamment concurrentiels, il était préférable, d'ordinaire, de s'en remettre aux forces du marché pour régir le comportement des fournisseurs de services de télécommunication. Il a ajouté que le fait de miser davantage sur les forces du marché permettrait d'accroître les choix offerts et la sensibilité des fournisseurs, d'une part, et de faire en sorte que les conditions d'offre sont dictées par les applications des utilisateurs, et non par les organismes de réglementation, d'autre part.
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12.
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Le cadre présenté dans la décision 94-19 englobait un large éventail de questions d'ordre réglementaire ainsi qu'un cadre d'établissement de la concurrence dans le marché de la téléphonie locale. Plus précisément, le Conseil a établi qu'il existait un potentiel de concurrence réelle dans ce marché et que le fait de l'exploiter se traduirait par des avantages tels que des gains de productivité, la mise en place de services toujours plus innovateurs et des choix accrus de services pour les consommateurs. Le Conseil avait par ailleurs établi que pour atteindre ces objectifs, il fallait supprimer les obstacles à l'entrée en concurrence et établir des conditions favorisant la concurrence.
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13.
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Dans la décision 94-19, le Conseil a fait remarquer que « [l]a principale préoccupation des concurrents, dans la présente instance, était liée à la possibilité que les compagnies de téléphone abusent du pouvoir de marché qu'elles tirent de l'intégration verticale de leur structure et de leur domination historique du marché »7 et que « [l]a réglementation demeure indispensable pour assurer un service abordable, quand les forces du marché ne suffisent pas à donner cette garantie, et pour régler les problèmes de préférence indue et de discrimination injuste que posent l'intégration verticale des compagnies de téléphone et leur domination de certains marchés »8.
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14.
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Le décret C.P. 1994-1689, 8 octobre 1994 (le décret), fait état de la grande importance que le gouvernement du Canada accorde à la promotion de la concurrence dans le secteur des télécommunications. Le gouvernement y précise que « [l]a concurrence stimule l'investissement et l'innovation et réduit l'écart entre le développement et la diffusion des nouveaux produits, services et technologies, d'où une diversification rapide des produits et services offerts aux consommateurs », et qu'elle peut aussi contribuer à la réduction des prix. Il a aussi déclaré que le cadre réglementaire « doit assurer le partage équitable des obligations et des possibilités entre tous les participants, c'est-à-dire offrir à tous les mêmes chances de succès et risques d'échecs et ce, à la mesure de leurs efforts ».
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15.
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Dans la décision Concurrence locale, Décision Télécom CRTC 97-8, 1er mai 1997 (la décision 97-8), le Conseil a établi un cadre de mise en oeuvre de la concurrence locale, conformément aux principes énoncés dans la décision 94-19. Le Conseil a conclu que la meilleure façon d'instaurer une concurrence efficiente et efficace serait de miser sur les fournisseurs de services concurrents dotés d'installations. Le Conseil était d'avis que sans concurrence fondée sur les installations, la concurrence ne se développerait que dans le secteur de détail, les ESLT conservant le contrôle monopolistique de la distribution dans le secteur de gros. Le Conseil a aussi adopté le principe voulant que les ESLC n'étaient pas que de simples clients d'ESLT mais également des entreprises ayant la même importance que les ESLT dans le marché de la téléphonie locale.
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16.
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Dans la décision 97-8, le Conseil a établi qu'il existait plusieurs obstacles à l'entrée en concurrence dans le marché des services locaux. Il a admis qu'il faudrait apporter des modifications techniques et opérationnelles pour permettre aux ESLC d'interconnecter leurs installations réseau aux réseaux omniprésents des ESLT de manière à pouvoir offrir les services locaux aux utilisateurs finaux. Il a conclu que sans dégroupement obligatoire des réseaux des compagnies de téléphone, y compris l'établissement de tarifs équitables et de modalités d'accès aux installations essentielles et quasi essentielles des ESLT, les ESLC seraient obligées d'engager d'énormes dépenses en immobilisations pour entrer dans le marché. Le Conseil a aussi mis en ouvre, au regard de la tarification, une série de mesures de protection sur le plan de la concurrence afin de s'assurer que les ESLC paient des prix raisonnables pour l'utilisation d'installations essentielles d'ESLT, et de prévenir la tarification anticoncurrentielle.
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17.
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À la suite de la décision 97-8, le Conseil a tenu une série d'instances afin de traiter des obstacles à la concurrence, y compris des instances concernant la co-implantation11, le dégroupement12, ainsi que l'accès aux structures de soutènement13, aux servitudes14 et aux immeubles à logements multiples15. Plusieurs de ces questions font continuellement l'objet des travaux du Conseil.
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Adoption et évolution de la règle de reconquête
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18.
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Le Conseil a établi la règle de reconquête dans le cadre d'une série de mesures découlant du cadre réglementaire adopté par le Conseil dans les décisions 94-19 et 97-8, et ce, afin de stimuler la concurrence locale fondée sur les installations.
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19.
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La première version de la règle de reconquête (en ce qui concerne le service local) a été établie par le Conseil dans la lettre Décision du Conseil concernant le litige du Comité directeur sur l'interconnexion du CRTC portant sur les lignes directrices relatives à la reconquête du marché concurrentiel, publiée le 16 avril 1998 (la lettre sur la reconquête). Dans cette lettre, le Conseil a interdit aux ESLT d'essayer de reconquérir d'anciens abonnés du SLB, pour une période de trois mois, et il a déclaré ce qui suit :
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Le Conseil estime que des lignes directrices relatives à la reconquête du marché asymétriques devraient être mises en place pour une certaine période afin de faciliter l'accès des ESLC au marché local. Il fait remarquer à cet égard que, faute de telles lignes directrices, les ESLT pourraient être en mesure de reconquérir des abonnés avant même que le service local soit effectivement transféré à une ESLC parce que les ESLT contrôlent les renseignements propres aux abonnés et y ont accès, notamment pour ce qui est des circuits loués, des inscriptions à l'annuaire et de l'information sur le 9-1-1. Le Conseil fait remarquer que des lignes directrices relatives à la reconquête du marché asymétriques n'empêcheront pas les ESLT de publiciser leurs services au grand public. Il sera plutôt interdit aux ESLT de communiquer avec des abonnés sur une base individuelle pour une certaine période suivant le transfert du service de l'abonné à un autre fournisseur de services locaux.
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Le Conseil estime que des lignes directrices relatives à la reconquête du marché asymétriques aideront à protéger les abonnés et à garantir une entrée en concurrence réelle.. Par conséquent, le Conseil interdit à l'ESLT de tenter de reconquérir un abonné pour une période de trois mois après que le service de l'abonné a été complètement transféré à un autre fournisseur de services locaux, sous réserve d'une exception : les ESLT doivent être autorisées à reconquérir les abonnés qui appellent pour les aviser qu'elles veulent changer de fournisseur de services locaux.
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20.
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Dans la décision Application des règles de reconquête dans le cas du service local de base, Décision de télécom CRTC 2002-1, 10 janvier 2002 (la décision 2002-1), le Conseil a ordonné aux ESLT de ne pas tenter de reconquérir un client du service de résidence pour un SLB ou pour tout autre service, pendant les trois mois suivant le transfert complet du SLB de ce client, et ce, afin de tenir compte de l'évolution des méthodes de commercialisation des services de télécommunication, y compris le service local, auprès des consommateurs. Citons la décision :
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Le Conseil précise que la situation a changé depuis la première application des règles de reconquête en 1998. Il y a eu, en l'occurrence, une plus grande commercialisation d'offres de services groupés. Dans ce contexte, comme le fait remarquer le Conseil, si une ESLT essayait de vendre un groupe de services incluant des services locaux optionnels à un de ses anciens clients du service local de base de résidence, il s'agirait en règle générale d'une pratique de reconquête du service local de base puisque le client, en acceptant l'offre, serait obligé, en règle générale, pour des raisons techniques, de revenir au service local de base de l'ESLT.
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Dans le cas du groupement d'autres services, tels que les services Internet et interurbain, avec le service local de base ou des services locaux optionnels, le Conseil fait remarquer qu'une reconquête d'un client du service interurbain ou du service Internet entraînerait inévitablement la récupération du service local de base même si la reconquête ne ciblait pas ce service16.
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21.
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Dans la décision Call-Net Enterprises Inc. c. Bell Canada - Respect des règles de reconquête, Décision de télécom CRTC 2002-73, 4 décembre 2002 (la décision 2002-73), le Conseil a répondu à une plainte selon laquelle Call-Net alléguait que Bell Canada avait communiqué avec des clients immédiatement après avoir reçu des demandes de service local (DSL) de Call-Net, avant que ces clients n'aient été transférés sur le réseau de Call-Net. Le Conseil a établi que la période d'interdiction de reconquête débutait au moment où la décision que prend un client de changer de fournisseur de services est communiquée dans une DSL. Le Conseil a établi que Bell Canada avait enfreint la règle de reconquête, et il l'a sommée d'élaborer et de mettre en application des procédures internes qui lui permettraient de se conformer à cette règle17.
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22.
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Dans la décision Demande présentée par Call-Net en vertu de la partie VII - Promotion de la concurrence dans les services locaux de résidence, Décision de télécom CRTC 2004-4, 27 janvier 2004 (la décision 2004-4), le Conseil a convenu que l'activité de reconquête peut être un élément constituant d'un marché concurrentiel arrivé à maturité, mais que le marché de la téléphonie locale n'était pas un marché de ce type, et que la concurrence ne s'était pas accrue aussi rapidement que prévu lorsque la règle de reconquête a été imposée en 1998. Le Conseil a décidé qu'il prolongerait la période d'interdiction de reconquête relative au service de résidence de 3 à 12 mois, pour les motifs suivants :
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Le Conseil approuve l'argument de Call-Net selon lequel une concurrence durable n'est possible que si les ESLC ont l'occasion de se bâtir une clientèle stable. Le Conseil fait également remarquer que selon le sondage POLLARA, plus de la moitié des clients des services de résidence ayant quitté Bell Canada l'ont fait parce que l'ESLC offrait un meilleur prix ou un meilleur tarif. Même si une ESLC peut utiliser les prix comme principal moyen pour conquérir les clients, le Conseil estime que si elle veut conserver ses clients et se bâtir une clientèle stable, l'ESLC doit avoir une occasion raisonnable de prouver qu'elle offre des services fiables et de qualité.
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Le Conseil note que la majorité sinon tous les clients des ESLC seront d'anciens clients d'ESLT. Ainsi, une ESLT connaîtra les besoins en télécommunication, les préférences et les modes d'appel des clients, ce qui l'avantagera lorsqu'elle ciblera l'activité de reconquête sur ces clients. En raison de la prédominance des ESLT dans le marché des services locaux de résidence, le Conseil estime que cette capacité accrue de cibler d'anciens clients constitue un avantage indu ou injuste, qui lui est notamment conféré au cours de la période où les ESLC ont besoin d'établir des rapports stables avec leurs clients.
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Le Conseil estime également que les activités de reconquête ciblées augmentent le roulement et les coûts administratifs pour toutes les [ entreprises de services locaux (ESL)] . Un roulement accru est probablement très nuisible aux ESLC, étant donné qu'elles n'ont pas de clientèle suffisamment importante et stable pour financer leurs activités courantes. À cet égard, le Conseil accepte la preuve de Call-Net selon laquelle le roulement des clients diminue sensiblement après qu'un client reçoit le service de Sprint Canada pendant un an ou plus18.
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23.
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Dans la décision 2005-28, le Conseil a étendu l'application de la règle de reconquête aux services VoIP locaux :
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Le Conseil estime que pour empêcher les comportements anticoncurrentiels, les règles de reconquête sont nécessaires et pertinentes. Dans la décision 2004-4, le Conseil a déclaré que l'activité de reconquête peut être un élément constituant de marchés concurrentiels arrivés à maturité, mais que le marché des services locaux n'est pas un marché concurrentiel pleinement développé. Le Conseil estime en outre que les mêmes préoccupations concernant le risque de comportement anticoncurrentiel de la part des ESLT surgissent, à son avis, dans le cas de la reconquête des clients du VoIP local. Le Conseil estime qu'en l'absence de règles de reconquête, les ESLT pourraient, en leur qualité de titulaire, utiliser les mêmes avantages pour reconquérir les clients du VoIP local que pour reconquérir les clients du SLB.
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Par exemple, le Conseil estime que dans la mesure où la majorité des clients du VoIP local seront d'anciens clients du SLB des ESLT, celles-ci connaîtront leurs besoins en télécommunication, leurs préférences et leurs habitudes d'appel. Les règles de reconquête empêcheront les ESLT de tenter de reconquérir d'anciens clients du SLB ou du service VoIP local avant qu'ils n'acquièrent suffisamment d'expérience avec le service VoIP d'un concurrent pour être en mesure de bien évaluer le service. Le Conseil estime que les règles de reconquête donneront aux fournisseurs de services
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VoIP concurrents une période adéquate pour faire la preuve de la fiabilité et de la qualité de leurs services, avant que l'ESLT ne puisse tenter de reconquérir le client19.
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Objections d'ordre procédural concernant la documentation versée au dossier
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Preuves déposées par les intimées
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24.
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Les Compagnies et TCI ont soutenu que les preuves déposées par les intimées relativement à la tarification et aux stratégies de tarification ciblée des ESLT ne relevaient pas de la présente instance et qu'on ne devrait donc pas en tenir compte. TCI a affirmé que l'instance ne portait que sur la question de la constitutionnalité de la règle de reconquête, et non sur les autres restrictions en matière de commercialisation auxquelles les ESLT demeurent assujetties. Selon TCI, même si la règle de reconquête était supprimée, la règle interdisant la subdivision des tarifs, la quasi-interdiction des promotions et les restrictions relatives au groupement de services demeureraient en vigueur et continueraient de freiner les réactions concurrentielles normales des ESLT.
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25.
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Aliant Telecom a soutenu que certains mémoires des intimées se fondaient sur l'hypothèse non pertinente voulant que des ESLT ne se conformeraient pas aux exigences relatives au groupement de services, aux promotions ou à l'établissement de prix inférieurs aux coûts, si la règle de reconquête était supprimée. Aliant Telecom a fait valoir que le Conseil devrait écarter ces mémoires puisqu'ils sont sans rapport avec les demandes de renseignements adressées et qu'ils débordent la portée de l'instance.
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26.
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L'ACTC a répliqué que les preuves qu'elle avait soumises traitaient directement des incitatifs que les ESLT devaient offrir dans le cadre des activités de reconquête, ainsi que des raisons pour lesquelles il était logique sur le plan économique de limiter les offres spéciales seulement aux clients passés aux mains de concurrents. L'ACTC a soutenu ce qui suit :
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- Bien que des activités de reconquête puissent se pratiquer dans n'importe quel marché, les conditions du marché local comportaient d'autres incitatifs qui étaient de nature à motiver l'ESLT à mettre ces stratégies en application. Contrairement à ce qui se passe dans d'autres marchés, les concurrents qui cherchent à réaliser des percées dans le marché local n'avaient pas le loisir de solliciter des clients potentiels non desservis par l'ESLT à cause du statut de la titulaire et de la forte pénétration du service local. Il n'y avait aucun client du service local de résidence qui ne pouvait ou ne serait ciblé par les ESLT.
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- Le fait d'abolir les restrictions relatives à la reconquête aurait pour effet d'accroître considérablement et de façon irrévocable la capacité des ESLT à exploiter les bons incitatifs pour maximiser leurs profits en rapatriant les clients des concurrents. Incapables de récupérer leurs coûts, y compris les coûts élevés liés à l'acquisition de clients, ces concurrents subiraient donc davantage de pression d'un point de vue financier, la part de marché perdue serait récupérée par les ESLT et, au bout du compte, la compétitivité du marché local en souffrirait.
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27.
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Le Conseil estime que la seule question visée par la présente instance est la constitutionnalité de la règle de reconquête aux termes de la Charte. Tel qu'il en sera question plus loin, la règle de reconquête concerne la capacité des ESLT à communiquer directement avec d'anciens clients du service local en vue de les reconquérir; cette règle n'a pas été conçue pour régler les problèmes relatifs à une offre particulière de service qui est communiquée à ces anciens clients. Ces problèmes, qui touchent les tarifs et les modalités selon lesquels les ESLT peuvent offrir les services, sont traités dans les garanties de tarification et les autres règles de tarification du Conseil et, en particulier, dans celles énoncées dans la décision Promotions des services filaires locaux, Décision de télécom CRTC 2005-25, 27 avril 2005 (la décision 2005-25). Le Conseil est donc d'avis que ces règles ne sont pas visées par la présente instance, et c'est pourquoi il n'a pas tenu compte de la documentation déposée relativement à la tarification et aux stratégies de tarification des ESLT pour tirer ses conclusions dans l'instance.
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28.
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Les Compagnies ont soutenu elles aussi que les intimées avaient essayé de présenter d'autres arguments sans rapport avec l'objet de la présente instance et pour appuyer leurs dires, elles ont cité une déclaration faite par QMI relativement au service Téléphonie numérique de Bell. Le Conseil convient que la question de savoir en quoi consiste un service VoIP ne relève pas de l'instance et c'est pourquoi il a écarté les observations qui se rapportaient à cette question aux fins des délibérations tenues dans le cadre de la présente instance.
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Preuves déposées par les Compagnies
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29.
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MTS Allstream a demandé au Conseil de ne pas tenir compte de certains renseignements que les Compagnies ont déposés en réponse aux demandes de renseignements du Conseil et dans leurs observations supplémentaires, prétextant que les Compagnies auraient pu les soumettre avec la demande et, plus important encore, que ces éléments de preuve ne sont pas pertinents au regard des questions soulevées à cette étape de l'instance. Les Compagnies ont répliqué que l'information en question était pertinente au regard de l'instance et qu'elle avait un lien direct avec les demandes de renseignements formulées par le Conseil.
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30.
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Le Conseil conclut que les documents cités sont pertinents à la présente instance, à l'exception de certaines parties du VoIP CRTC Ruling Report, lequel porte sur un sondage mené auprès des consommateurs par Ipsos-Reid, au nom des ESLT (le rapport d'Ipsos-Reid), et qui a été déposé par Bell Canada dans la présente instance. Pour les motifs exposés au paragraphe 27 de la présente décision, le Conseil n'a pas tenu compte, aux fins de l'établissement de ses conclusions, des parties du rapport d'Ipsos-Reid qui se rapportent à la tarification des services et à l'obligation de faire approuver la tarification des forfaits aux termes de l'article 25 de la Loi. Tel qu'il en sera question plus loin, le Conseil a tenu compte de la partie du rapport d'Ipsos-Reid qui concerne la règle de reconquête.
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La règle de reconquête est-elle compatible avec la Charte?
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31.
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Les parties s'accordaient généralement pour dire que la question à trancher dans l'instance est de savoir si la règle de reconquête est justifiable aux termes de l'article premier de la Charte. Le Conseil a établi, aux fins de la présente analyse, que la règle de reconquête constitue une atteinte à la liberté d'expression, dont le caractère et l'ampleur limités sont examinés à partir du paragraphe 53 plus loin, et qu'il était donc nécessaire de déterminer si cette règle était compatible avec l'article premier de la Charte.
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32.
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Dans l'arrêt R. c. Oakes, [1986] 1 R.C.S. 103(l'arrêt Oakes), la Cour suprême du Canada (la Cour) a établi le cadre analytique devant être utilisé pour déterminer si une loi porte qui atteinte à un droit découlant de la Charte est raisonnable au sens de l'article premier (le critère découlant de l'arrêt Oakes)20.
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33.
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Le critère découlant de l'arrêt Oakes comporte deux parties principales. Premièrement, il faut déterminer si la mesure irrégulière est assortie d'un objectif « urgent et réel », faute de quoi elle n'est pas visée par l'article premier et il n'est alors donc pas nécessaire de vérifier la deuxième partie du critère.
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34.
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S'il est reconnu, toutefois, que l'objectif est urgent et réel, il faut alors s'attarder à la deuxième partie du critère découlant de l'arrêt Oakes, soit l'évaluation de la proportionnalité de la mesure (le critère de proportionnalité). Ce critère de proportionnalité est composé de trois éléments importants. Premièrement, les mesures adoptées doivent être soigneusement conçues pour atteindre l'objectif en question (le lien rationnel). Deuxièmement, le moyen choisi doit être de nature à porter le moins possible atteinte à la liberté en question (l'atteinte minimale). Troisièmement, il doit y avoir proportionnalité non seulement entre les effets préjudiciables des mesures et leur objectif, mais également entre les effets préjudiciables des mesures et leurs effets bénéfiques (les effets proportionnels)21.
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35.
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La norme de preuve à toutes les étapes de vérification du critère découlant de l'arrêt Oakes est celle de la prépondérance des probabilités22. Dans la plupart des cas, il n'est pas nécessaire de faire une démonstration scientifique concluante pour défendre la mesure remise en cause.
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36.
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Le Conseil fait remarquer qu'un certain nombre d'arguments semblables avaient été présentés par diverses parties relativement à la réalisation des étapes de vérification du critère découlant de l'arrêt Oakes. Afin d'éviter les répétitions, le Conseil a réagi à ces arguments en s'attardant, en règle générale, à une seule de ces étapes.
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37.
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Le Conseil fait remarquer qu'afin de déterminer si la règle de reconquête satisfait au critère découlant de l'arrêt Oakes, il faut d'abord tenir compte du contexte dans lequel cette règle a été adoptée, ainsi que de la nature et de l'ampleur de l'atteinte à la liberté d'expression.
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Le contexte dans lequel la règle de reconquête a été adoptée ainsi que la nature et l'ampleur de l'atteinte
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Positions des parties
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Les ESLT
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38.
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À l'égard de la nature de l'atteinte, les Compagnies ont fait valoir qu'en raison de la règle de reconquête, un client ayant décidé de quitter une ESLT était coupé de tout contact émanant de l'ESLT pendant la période d'interdiction de reconquête et qu'il n'était donc plus en mesure de faire les mêmes choix éclairés disponibles aux autres clients. Les Compagnies ont soutenu que ce type de contact méritait d'être protégé substantiellement par la Charte, étant donné que la plupart des personnes considéraient que les services téléphoniques locaux et interurbains, les services d'accès Internet et les services de distribution de radiodiffusion sont importants dans leur vie quotidienne. De l'avis des Compagnies, les familles à faible revenu étaient également des consommateurs potentiels de services de télécommunication, pourtant la règle de reconquête actuelle limitait leur accès aux renseignements sur les forfaits à rabais ou sur les fournisseurs. Les Compagnies ont soutenu que contrairement à l'arrêt Irwin Toy Ltd. c. Québec (Procureur général), [1989] 1 R.C.S. 927 (l'arrêt Irwin Toy) qui portait sur la publicité destinée aux enfants, la règle de reconquête ne visait pas à protéger un groupe de consommateurs vulnérables.
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39.
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TCI a fait valoir que la Cour avait soutenu que le droit d'expression commerciale méritait d'être fortement protégé en vertu de l'article 2b) de la Charte, citant les arrêts Irwin Toy, Ford c. Québec (Procureur général), [1988] 2 R.C.S. 712 (l'arrêt Ford) et Rocket c. Collège royal des chirurgiens dentistes d'Ontario, [1990] 2 R.C.S. 232 (l'arrêt Rocket)à titre d'exemples où la Cour a jugé que l'expression commerciale méritait la protection de la Charte, tant à l'égard du locuteur que de l'auditeur.
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Les intimées
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40.
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Citant les arrêts RJR-MacDonald et Irwin Toy, l'ACTC a soutenu qu'un critère moins sévère était approprié relativement à la justification en vertu de l'article premier où le législateur/décideur jouerait un rôle de médiateur entre des groupes différents, contrairement à la situation où l'État agirait à titre d'adversaire singulier de l'individu. L'ACTC a fait valoir que la règle de reconquête cherchait à équilibrer les droits et intérêts des consommateurs et ceux des ESLT à court terme pour établir un environnement concurrentiel à long terme où une telle règle ne serait plus nécessaire.
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41.
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L'ACTC a fait valoir que les Compagnies ont malencontreusement omis de faire mention de l'approche contextuelle généralement appliquée aux causes relatives à l'expression commerciale. S'appuyant sur l'arrêt Rocket,l'ACTC a fait valoir que la Cour avait statué que lorsque le motif de l'expression commerciale était « principalement d'ordre économique », il se pourrait que des restrictions imposées à des expressions commerciales « soient plus faciles à justifier que d'autres atteintes à l'article 2b) »23. L'ACTC s'est également appuyée sur la déclaration de la Cour dans l'arrêt Thomson Newspapers Co. c. Canada (Procureur général), [1998] 1 R.C.S. 877 (l'arrêt Thomson Newspapers), au paragraphe 91 : « compte tenu dans certains cas de la faible valeur de la forme d'expression en cause, l'objectif du gouvernement l'emporte plus facilement sur celle-ci ». L'ACTC a fait valoir que les Compagnies n'avaient pas suffisamment tenu compte du fait que la norme de preuve appropriée associée à l'analyse de la proportionnalité est la prépondérance des probabilités et que cela démontrait une certaine déférence envers le choix du Parlement (ou, dans le cas présent, du Conseil).
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42.
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L'ACTC a soutenu que les Compagnies avaient exagéré l'impact de la règle de reconquête, celle-ci n'affectant qu'un groupe restreint de clients. L'ACTC a fait valoir que la décision 2005-28 réaffirmait que la règle de reconquête ne s'appliquait qu'aux contacts effectués par l'ESLT auprès des « clients qui ont décidé de changer leurs services locaux de résidence. [lorsque le but de ces contacts est] de les reconquérir »24 et que la règle de reconquête « n'est déclenchée que lorsque le fournisseur de service VoIP [ou un autre fournisseur de services locaux] communique avec une ESLT pour l'informer du changement de service »25. Selon l'ACTC, la règle de reconquête n'avait aucun effet sur la capacité des Compagnies de commercialiser leurs services en général ou sur les moyens de communication ou le message, et n'empêchait pas les clients d'examiner toute offre communiquée par les Compagnies au grand public dans les médias écrits, à la radio ou à la télévision, dans leurs points de vente, sur leurs sites Web ou par le biais d'autres moyens de communication.
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43.
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MTS Allstream/Call-Net a soutenu que la règle de reconquête n'avait pas été introduite dans un marché pleinement concurrentiel, contrairement aux marchés mis en cause dans les arrêts Irwin Toy (portant sur la publicité destinée aux enfants) et Rocket (portant sur la publicité dans les services dentaires), mais bien pendant une période de transition incomplète d'un monopole vers un marché des télécommunications concurrentiel. MTS Allstream/Call-Net a fait valoir qu'après l'adoption de la Loi et la publication de la décision 94-19, le Conseil a imposé certaines mesures de protection afin de faciliter la transition vers un environnement concurrentiel, dont la règle de reconquête, pour compenser la position dominante et les avantages dont jouissaient naturellement les ESLT en vertu de leur monopole historique, et pour protéger les ESLC contre les abus potentiels découlant de ces avantages.
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44.
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MTS Allstream/Call-Net a interprété l'expression en question comme étant principalement motivée par des intérêts financiers, puisqu'elle visait à reconquérir les clients perdus. MTS Allstream/Call-Net a soutenu que la règle de reconquête n'affectait pas le choix des clients, car on pouvait supposer que les clients qui avaient changé de fournisseur connaissaient les services de l'ESLT et, donc, savaient qu'ils avaient le choix. De l'avis de MTS Allstream/Call-Net, la seule restriction quant à l'information disponible toucherait d'éventuels changements apportés aux services de l'ESLT depuis le départ du client, et de tels changements étaient improbables compte tenu de la courte durée d'application de la règle de reconquête, soit 3 mois pour le service d'affaires et 12 mois pour le service de résidence. MTS Allstream/Call-Net en outre a soutenu que les impacts présumés de la règle de reconquête étaient théoriques, car les clients pouvaient encore obtenir de l'information à jour sur les services de l'ESLT par le biais de la publicité et de la commercialisation sous toutes ses formes, autres que la sollicitation directe, et lorsqu'ils téléphonent à l'ESLT pour signaler leur intention de changer de fournisseur de services locaux.
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45.
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L'ARCH a fait valoir que la Cour avait à maintes reprises statué que les corps législatifs appelés à se prononcer sur les revendications de groupes concurrents doivent jouir d'une grande latitude pour répartir équitablement les ressources à l'échelle de la société, du fait qu'ils sont bien placés pour prendre de telles décisions. L'ARCH a fait valoir que cela était particulièrement vrai lorsque les intérêts opposés en cause incluaient ceux de groupes défavorisés.
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Réplique des Compagnies
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46.
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Les Compagnies ont soutenu que les tentatives des intimées de dénigrer la valeur de l'expression commerciale allaient fondamentalement à l'encontre de la jurisprudence de la Cour. Les Compagnies ont fait valoir que les restrictions touchant les « renseignements qui seraient utiles pour le public et qui ne présentent aucun danger grave d'induire le public en erreur ou de diminuer le professionnalisme »26 - le type de renseignements touchés par la règle de reconquête - n'étaient pas justifiées. Elles ont en outre soutenu que l'élément de la protection des consommateurs contre les revendications qualitatives touchant des services professionnels qui ne peuvent être évalués par des non-spécialistes, élément qui faisait pencher la balance en faveur de la réglementation de certains types de publicité des dentistes dans l'arrêt Rocket, était totalement absent dans le cas présent. Les Compagnies ont soutenu qu'une activité de reconquête ne constituait pas un comportement abusif, inapproprié ou illégal; au contraire, les données sur les consommateurs et les entreprises dans le dossier de la présente instance indiquent clairement que les clients privés de l'accès aux messages de reconquête n'étaient pas vulnérables et qu'ils accueillaient favorablement ces messages, qui leur fournissaient des renseignements opportuns et exacts leur permettant de faire des choix plus éclairés entre les fournisseurs de services.
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47.
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Les Compagnies se sont appuyées sur la lettre sur la reconquête pour soutenir que, nonobstant la phrase tirée de la décision 2005-28 citée par l'ACTC, pendant les sept années que la règle de reconquête avait été en vigueur, la seule exception à la règle était lorsqu'un client appelait une ESLT directement pour informer cette dernière de son intention de changer de fournisseur de services locaux (FSL)27. Les Compagnies ont fait valoir que cette exception était à tout le moins vague et ont demandé des éclaircissements pour savoir si l'exception s'appliquait à tous les appels effectués par les clients auprès des ESLT ou seulement aux appels de clients au cours desquels le client informe spécifiquement l'ESLT de son intention de changer de FSL.
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Conclusions du Conseil
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Contexte
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48.
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Le Conseil note que la Cour a toujours déterminé qu'une revendication en vertu de la Charte doit être interprétée en fonction du contexte qui l'entoure, car « [l]e contexte est important à la fois pour délimiter la signification et la portée des droits garantis par la Charte et pour déterminer l'équilibre qu'il faut établir entre les droits individuels et les intérêts de la société »28.
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49.
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Tel qu'expliqué ci-dessus, le contexte réglementaire dans lequel le Conseil a adopté la règle de reconquête est celui du cadre de la concurrence établi par les décisions 94-19 et 97-8. Le Conseil considère que favoriser le passage du monopole à la concurrence dans la fourniture des services locaux, par l'adoption de mesures spécifiques visant à atténuer les avantages dont jouissent les ESLT par rapport aux concurrents qui créent des obstacles à la concurrence, est un problème complexe qui se retrouve au cour du mandat du Conseil que lui confère la Loi. La règle de reconquête est un exemple des efforts déployés par le Conseil pour accommoder les besoins et les intérêts des ESLT, des fournisseurs de services concurrents et des consommateurs, en vue d'atteindre les objectifs de la Loi. À cet égard, la règle de reconquête ne se distingue pas des autres mesures adoptées par Conseil dans le but de permettre aux entreprises titulaires et aux nouveaux venus de livrer concurrence à armes égales, à l'avantage ultime des consommateurs. La règle de reconquête est également, à cet égard, similaire aux règles que le Conseil a établies pour promouvoir ses objectifs en vertu de la Loi sur la radiodiffusion, soit de limiter la capacité de certains câblodistributeurs titulaires de communiquer directement avec leurs anciens clients à des fins de reconquête. Ces règles n'ont évidemment pas la même portée que la règle de reconquête, compte tenu du contexte différent dans lequel elles s'appliquent.
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50.
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Le Conseil note que la règle de reconquête a été adoptée au moment où les ESLT dominaient le marché des services locaux. Lorsque la règle de reconquête a été adoptée en 1998, les concurrents nouveaux venus détenaient 4,5 p. 100 des lignes d'affaires locales et une portion tellement insignifiante du marché local de résidence qu'on considérait que les ESLT détenaient 100 p. 100 des lignes locales de résidence29. Bien que la part de marché des ESLT ait diminué depuis 1998, jusqu'à tout récemment le taux de diminution a été plutôt faible. Tel que mentionné dans la décision 2004-4, à la fin de 2001, les ESLT détenaient 99,4 p. 100 de tous les clients du service de résidence au Canada et, à la fin de 2002, leur part de marché n'avait que légèrement baissé à 98,6 p. 100. Selon les données les plus récentes publiées par le Conseil, même si la part de marché des ESLC avait augmenté en 2004 par rapport à l'année précédente, les ESLT restaient dominantes, les ESLC n'ayant atteint que 3,2 p. 100 des lignes locales de résidence et 12,4 p. 100 des lignes d'affaires à la fin de 200430.
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Nature et portée de l'atteinte aux droits
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51.
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Le Conseil note que la valeur constitutionnelle de la liberté d'expression examinée a fait l'objet de plusieurs discussions dans le dossier de la présente instance. Les Compagnies et d'autres ESLT ont fait valoir que le discours commercial avait traditionnellement bénéficié d'un niveau de protection passablement élevé en vertu de l'article 2b) de la Charte, tandis que les intimées ont fait valoir que le discours commercial avait été considéré de moins grande valeur que d'autres formes d'expression, notamment la liberté d'expression politique, qui se rapprochaient davantage des principes fondamentaux de l'article 2b) de la Charte.
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52.
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Le Conseil fait observer que la Cour a déclaré que le discours commercial sert un intérêt public important dans la mesure où il aide réellement les consommateurs à faire des choix éclairés31.
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53.
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Le Conseil note que les anciens clients du service local visés par la règle de reconquête ont accès à des renseignements sur les produits et les services qui sont généralement disponibles dans les points de vente des ESLT, par le biais de la publicité dans les médias et d'autres activités de commercialisation qui n'impliquent aucune communication directe à des fins de reconquête, ainsi que sur les sites Web des ESLT.
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54.
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Le Conseil note par ailleurs que la règle de reconquête n'empêche pas :
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- les clients actuels du service local d'une ESLT, y compris ceux qui ont choisi de s'abonner à d'autres services chez un concurrent, de recevoir des communications directement de l'ESLT, en tout temps;
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- les anciens clients du service local d'une ESLT de recevoir des communications directement d'une ESLT, en tout temps, au sujet de tout service que l'ESLT continue de fournir au client ou d'un service que le client n'avait pas acheté de l'ESLT auparavant.
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55.
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La règle de reconquête empêche plutôt les anciens clients du service local d'une ESLT d'être ciblés directement par des communications d'une ESLT dans le but de les reconquérir à l'égard du service local, dans le cas d'un client du service d'affaires, et à l'égard de tous les services pour lesquels le client a choisi de passer à un concurrent, dans le cas d'un client du service de résidence, durant la période d'interdiction de reconquête applicable.
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56.
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Le Conseil note que les parties à la présente instance ne s'entendaient pas sur la portée de l'exception contenue dans la règle de reconquête pour les appels faits par les clients. Dans la demande, les Compagnies ont fait valoir que lorsqu'un client appelait l'ESLT pour demander des renseignements sur les services locaux, un représentant des ventes était libre d'offrir de l'information au client et de transférer le service à l'ESLT si le client en faisait la demande. Le Conseil est d'avis que les circonstances énoncées par les Compagnies correspondent bel et bien à ce qui est considéré comme une exception dans la règle de reconquête.
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57.
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Par conséquent, le Conseil estime que la règle de reconquête restreint de façon limitée la capacité des ESLT de communiquer de l'information aux anciens clients des services locaux et ne compromet pas de façon substantielle la capacité des consommateurs de faire des choix économiques éclairés concernant les produits et services de télécommunication fournis par les ESLT conformément à la Loi.
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L'objectif de la règle de reconquête est-il urgent et réel?
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Positions des parties
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Les ESLT
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58.
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Les Compagnies ont fait valoir que le but de la règle de reconquête, tel que formulé à l'origine dans la lettre sur la reconquête et dans les décisions 2002-1 et 2002-73, était de favoriser l'arrivée dans le marché de nouveaux concurrents en empêchant les ESLT d'essayer de reconquérir les clients avant que le service local ne soit effectivement transféré.
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59.
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Les Compagnies ont en outre fait valoir que lorsque le Conseil a prolongé la période d'application de la règle de reconquête dans la décision 2004-4, l'objectif a changé et était désormais de fournir à une ESLC « une occasion raisonnable de prouver qu'elle offre des services fiables et de qualité » afin de « se bâtir une clientèle stable ». Les Compagnies ont soutenu que cet objectif était diamétralement opposé aux objectifs de la politique canadienne en matière de télécommunication, car il privait les consommateurs de précieux renseignements sur la valeur et le prix des services de télécommunication et des fournisseurs de services concurrents, il mettait les ESLC à l'abri de la concurrence et de la promotion de l'efficacité, et il plaçait les forces du marché à l'arrière-plan au lieu d'obliger les concurrents à se plier aux forces du marché. Aux yeux des Compagnies, cet objectif n'était pas avantageux pour les consommateurs et il ne leur permettait pas d'opter pour les services et les fournisseurs de leur choix, alors que l'objectif déclaré du Conseil dans la décision 94-19 était de favoriser la concurrence. Les Compagnies ont fait valoir que le mandat du Conseil en vertu de la Loi était de faciliter la concurrence et non pas de la gérer en favorisant une entreprise par rapport à une autre aux dépens des consommateurs.
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60.
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Selon les Compagnies, les câblodistributeurs titulaires avaient des relations de longue date avec le même bassin de clients potentiels que les ESLT. Les Compagnies ont fait valoir que l'élimination d'un important élément de la concurrence, à savoir le libre échange de renseignements commerciaux entre les ESLT et avec les anciens clients des ESLT, dans le but de protéger les intérêts de concurrents dynamiques et financièrement solides ne pouvait être considéré comme un objectif urgent et réel.
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61.
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De plus, les Compagnies ont fait valoir qu'il n'y avait plus raison de craindre que les ESLT jouissent d'un avantage par rapport aux concurrents du fait qu'elles pouvaient offrir des forfaits contenant des services non locaux destinés à reconquérir leurs anciens clients du service local. Les Compagnies ont soutenu que pour les consommateurs intéressés par des forfaits, la lutte se livrait de plus en plus entre les forfaits des concurrents et ceux des ESLT. Les Compagnies ont fait valoir que dans plusieurs cas, il manquait au forfait des ESLT un élément crucial, soit un service de distribution de radiodiffusion.
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62.
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Les Compagnies ont également noté que les études de marché de Rogers indiquaient qu'un nombre important de clients, conscients que les services évoluent et s'améliorent constamment, ne voulaient pas être liés à un seul fournisseur de services. Les Compagnies ont fait valoir que l'établissement de règles empêchant les clients de recevoir des renseignements opportuns qui les aideraient à prendre des décisions éclairées à propos du fournisseur de services qui répond le mieux à leurs besoins pouvait difficilement être qualifié d'objectif urgent et réel.
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63.
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À l'égard des services VoIP, les Compagnies ont fait valoir que la règle de reconquête ne respectait pas le critère de l'objectif urgent et réel. Les Compagnies ont fait valoir que, compte tenu du caractère novateur de la technologie VoIP, du grand nombre de nouveaux fournisseurs de services VoIP, de l'écart important entre les fonctions offertes par de tels services et du niveau élevé de concurrence dans le segment VoIP du marché des services locaux, il était plus important que jamais que les consommateurs aient accès à toutes sortes de communications, y compris aux communications directes des ESLT, à propos des services VoIP locaux.
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64.
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Dans sa réponse aux demandes de renseignements, Bell Canada a fait valoir que les résultats du sondage présentés dans le rapport Ipsos-Reid ont démontré qu'une importante majorité de Canadiens s'étaient récemment prononcés nettement en faveur des activités de reconquête. En effet, 64 p. 100 des répondants estimaient que la politique du Conseil empêchant les ESLT de se livrer à des activités de reconquête auprès de leurs anciens clients à l'égard des services VoIP était désavantageuse pour eux en tant que consommateurs. Conséquemment, les Compagnies ont estimé que ces résultats réfutaient l'évaluation initiale du Conseil quant à l'objectif sous-jacent de la règle de reconquête et démontraient que le fait d'empêcher les Canadiens de recevoir des communications directes faisant d'eux des consommateurs avertis n'était plus un objectif urgent et réel.
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65.
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Les Compagnies ont soutenu que, pour les raisons mentionnées ci-dessus, les objectifs qui sous-tendent la prolongation de la période d'interdiction de reconquête de 3 à 12 mois et l'élargissement de l'application de la règle de reconquête à tous les services à l'égard des services locaux de télécommunication de résidence des anciens clients ne respectent pas le critère de l'objectif urgent et réel. De l'avis des Compagnies, le Conseil devrait, à tout le moins, annuler immédiatement la prolongation jusqu'à 12 mois de la période d'application de la règle de reconquête et son application à tous les services autres que les services locaux de résidence.
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66.
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Aliant Telecom a fait valoir que l'objectif déclaré du Conseil en imposant la règle de reconquête aux ESLT était de fournir aux ESLC une occasion raisonnable de prouver la qualité et la fiabilité de leurs services afin de retenir leurs clients et se bâtir une clientèle stable. Aliant Telecom a soutenu que l'objectif du Conseil de favoriser une clientèle stable pourrait ne pas être viable étant donné la nature dynamique de la concurrence. Aliant Telecom a de plus soutenu qu'il était impossible de garantir, par la réglementation, la réussite d'une entreprise ou d'un groupe d'entreprises en particulier sans, dans les faits, éliminer la concurrence.
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67.
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TCI a fait valoir qu'à la lumière des décisions antérieures du Conseil, la règle de reconquête avait deux objectifs. TCI a fait valoir que le premier objectif, soit la protection contre l'abus des renseignements confidentiels au sujet des clients durant l'étape de transfert du service local, était un objectif légitime de la règle de reconquête. TCI a fait valoir qu'aucune entreprise de services locaux ne devrait être en mesure de profiter de tels renseignements durant l'étape de transfert du service local. TCI a fait valoir que la protection contre l'abus des renseignements confidentiels au sujet des clients durant l'étape de transfert du service local ne pouvait cependant pas être l'objectif que le Conseil tentait d'atteindre avec la règle de reconquête. TCI a soutenu que si c'était le cas, la règle de reconquête devrait être conçue de manière à s'appliquer à tous les fournisseurs de services locaux.
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68.
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TCI a fait valoir que l'autre objectif de la règle de reconquête était de faciliter l'entrée dans le marché des services locaux par les ESLC et qu'il ne s'agissait pas d'un objectif urgent et réel, puisque l'atteinte aux droits en matière de liberté d'expression ne devrait être autorisée que lorsque le but de la loi est d'empêcher toute expression pouvant être préjudiciable au public visé ou de restreindre la liberté d'expression envers un groupe vulnérable. TCI a souligné que les dossiers antérieurs légitimant une atteinte aux droits en matière de liberté d'expression portaient sur du matériel obscène32, la pornographie infantile33, des propos diffamatoires34 et la protection des enfants contre les effets de la publicité (l'arrêt Irwin Toy). TCI a fait valoir qu'il n'y a rien d'intrinsèquement dangereux dans le contenu de l'expression restreinte et qu'il ne serait pas économiquement justifié de protéger un groupe particulier à cet égard; l'objectif était plutôt de protéger les intérêts économiques des concurrents contre le plein effet de la concurrence.
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69.
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TCI a fait valoir que l'élargissement de la règle de reconquête aux services VoIP favorisait sans raison valable l'entrée en concurrence des câblodistributeurs et des fournisseurs de services VoIP indépendants de l'accès. TCI a fait valoir qu'un objectif visant à promouvoir et à favoriser les intérêts des câblodistributeurs, des fournisseurs de services VoIP étrangers et des fournisseurs de services VoIP nationaux aux dépens des clients n'était pas un objectif urgent et réel qui justifiait l'atteinte à une liberté fondamentale protégée par la Charte.
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70.
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TCI a fait valoir que la règle de reconquête, en fait, était préjudiciable au public visé. TCI a soutenu qu'en empêchant les ESLT de communiquer directement avec certains de leurs anciens clients, la règle de reconquête empêchait ces clients de comparer les offres de divers concurrents. TCI a également soutenu que l'accessibilité limitée des renseignements sur les offres concurrentielles mettait les concurrents à l'abri du plein effet de la concurrence. TCI a fait valoir que cette distorsion du marché concurrentiel pouvait avoir comme conséquence de maintenir des prix plus élevés que ceux qui prévaudraient dans un marché pleinement concurrentiel, au détriment des clients et du processus concurrentiel.
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Les intimées
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71.
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L'ACTC a soutenu que l'objectif des restrictions imposées par le Conseil en matière de reconquête du marché des services locaux était d'abord et avant tout de promouvoir une concurrence viable fondée sur les installations dans ce marché, tel qu'expliqué récemment dans la décision Aliant Telecom Inc. - Demande de redressement provisoire à l'égard des règles de reconquête du marché local et de promotions des services filaires locaux, Décision de télécom CRTC 2005-53, 14 septembre 2005 (la décision 2005-53). L'ACTC a fait valoir que l'objectif du Conseil avait été énoncé avec autant de clarté et de précision que possible et que, contrairement aux prétentions des Compagnies, d'autres facteurs mentionnés par le Conseil dans ses délibérations précédentes sur les restrictions touchant la reconquête n'ont pas modifié ou remplacé cet objectif. L'ACTC a soutenu, en outre, que les références du Conseil à des facteurs tels que l'établissement d'une clientèle stable ne font que décrire des résultats conformes à la réalisation d'une concurrence viable. De l'avis de l'ACTC, les modifications apportées par le Conseil à la règle de reconquête au fil des ans avaient pour but de réagir aux occasions et circonstances qui encourageaient les ESLT à adopter un comportement anticoncurrentiel. L'ACTC a fait valoir que l'objectif urgent et réel de la règle de reconquête était également corroboré par les indications que l'état de la concurrence dans le marché des services locaux demeurait faible, en particulier dans le segment des services de résidence.
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72.
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L'ACTC a aussi fait valoir que l'approche contextuelle adoptée dans les arrêts RJR-MacDonald, Thomson Newspapers, Sharpe et Butler exigeait du Conseil qu'il tienne compte de l'objectif de la règle de reconquête dans le contexte plus vaste des objectifs décrits à l'article 7 de la Loi. Citant les décisions 94-19 et 97-8, l'ACTC a soutenu que tous les aspects du cadre de la concurrence locale, y compris la règle de reconquête, étaient liés à l'objectif d'établissement d'un marché concurrentiel pour les services de télécommunication locaux, qu'ils devaient être interprétés à la lumière de cet objectif et que, sans règles favorisant l'entrée en concurrence, la concurrence locale ne pourrait jamais s'installer durablement.
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73.
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Selon MTS Allstream/Call-Net, l'objectif primordial de la règle de reconquête était de promouvoir les valeurs qui sous-tendaient, aux dires mêmes des Compagnies, la liberté d'expression en question : choix éclairé pour le client et promotion de la concurrence. Citant l'article 7 de la Loi et le décret, MTS Allstream/Call-Net a fait valoir que le Parlement et le gouvernement du Canada avaient décrété qu'il était dans l'intérêt de tous les Canadiens d'instaurer une structure de concurrence dans le secteur des télécommunications et que, conséquemment, l'objectif et les préoccupations à l'origine de la règle de reconquête étaient à la fois urgents et réels.
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74.
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Selon MTS Allstream/Call-Net, la règle de reconquête visait à contrer les abus réels et potentiels, par les ESLT, de leur domination du marché et de leur statut d'entreprises titulaires, ainsi que les effets de tels abus sur la concurrence. MTS Allstream/Call-Net a fait valoir que les ESLT fournissaient des services téléphoniques locaux à tous les abonnés de leurs zones de desserte et, ainsi, disposaient d'une foule de renseignements sur les besoins, les habitudes et les comportements de consommation de ces clients, en plus de jouir d'une reconnaissance de la marque sans pareille et de relations avec ces clients. De l'avis de MTS Allstream/Call-Net, ces avantages incitaient les ESLT à anticiper ou à neutraliser l'instauration de la concurrence par la reconquête et leur permettaient de le faire.
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75.
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Pour appuyer son argument selon lequel la concurrence avait à peine progressé dans le marché de résidence local et progressé lentement dans le marché d'affaires depuis l'imposition de la règle de reconquête en 1998, MTS Allstream/Call-Net a fourni un tableau indiquant la part du nombre total de lignes locales détenue par les concurrents dans les marchés de résidence et d'affaires entre 1999 et 2003. Le tableau montre qu'en 2003, les entreprises titulaires avaient conservé 98 p. 100 des lignes locales du marché de résidence et presque 89 p. 100 des lignes locales du marché d'affaires35.
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76.
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Selon MTS Allstream, le fait que la technologie VoIP soit nouvelle ne changeait pas la nature fondamentale de l'expression en cause, soit l'expression commerciale et, par conséquent, n'altérait pas sensiblement l'analyse constitutionnelle.
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77.
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MTS Allstream a fait valoir que l'argument de Bell Canada à l'égard du service VoIP était hors de propos pour diverses raisons. Premièrement, parce que la principale conclusion de la décision sur les services VoIP était que les services VoIP locaux et les services téléphoniques locaux par commutation de circuits constituaient le même marché, MTS Allstream a fait valoir que le fait de permettre aux Compagnies d'essayer de reconquérir les clients pour les services VoIP plutôt que pour les services téléphoniques par commutation de circuits irait non seulement à l'encontre de cette constatation mais serait une approche pratiquement inapplicable. Deuxièmement, MTS Allstream a fait valoir que, tout comme dans le marché des services téléphoniques locaux par commutation de circuits, la règle de reconquête n'empêchait pas les Compagnies de transmettre des renseignements directement, de multiples façons, à tous leurs clients actuels (plus de 97 p. 100 du marché des services locaux résidentiels) et à tous leurs clients actuels et potentiels grâce aux médias de masse et à ses activités de commercialisation destinées au public en général. Troisièmement, MTS Allstream a fait valoir que si des clients ont changé de fournisseur pour les services VoIP, cela signifiait qu'ils étaient conscients d'avoir le choix. Enfin, MTS Allstream a fait valoir qu'il était absurde de prétendre, comme l'ont fait les Compagnies, qu'il était maintenant plus important que jamais pour les consommateurs de recevoir des communications de toutes sortes, incluant des communications directes des ESLT, au sujet des services VoIP, alors que Bell Canada était pour le moment la seule ESLT à fournir le « soi-disant » service VoIP. MTS Allstream a soutenu que rien n'indiquait non plus que l'échec subi par d'autres ESLT à l'égard des services VoIP était lié à l'existence de la règle de reconquête.
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78.
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QMI a fait valoir que le but de la règle de reconquête n'était pas de protéger les concurrents, mais de favoriser la concurrence locale en empêchant les ESLT de saper les efforts des concurrents visant à établir une clientèle stable. De l'avis de QMI, le type de concurrent n'était pas pertinent, car la concurrence ne pourrait pas évoluer si les concurrents, quels qu'ils soient, étaient incapables de se constituer une clientèle de téléphonie locale économiquement viable.
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79.
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QMI a fait valoir que, du point de vue du critère de l'objectif urgent et réel, l'application de la règle de reconquête aux services VoIP n'ajoutait aucune nouvelle dimension aux enjeux et aucun nouveau poids aux prétentions de Bell Canada et de SaskTel.
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80.
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Selon QMI, Bell Canada et SaskTel se sont opposées aussi vigoureusement à la règle de reconquête justement parce qu'elle fonctionnait. QMI a fait valoir que, dans la mesure où une ESLT pouvait orienter ses ressources vers un très petit pourcentage de clients alors que ses concurrents doivent commercialiser leurs services dans presque tout le marché, l'ESLT jouissait d'un avantage significatif. QMI a soutenu que la règle de reconquête annulait cet avantage et permettait de rivaliser à armes beaucoup plus égales. QMI a fait valoir que les Compagnies voulaient éliminer la règle de reconquête pour récupérer l'avantage que leur conférait leur domination du marché. QMI a fait valoir que cette volonté, en soi, prouvait que la règle de reconquête répondait au critère urgent et réel.
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81.
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Rogers a fait valoir que les propres réponses de Bell Canada confirmaient en outre que la compagnie cherchait à faire éliminer la règle de reconquête pour mieux s'attaquer directement à la clientèle des nouveaux venus et qu'elle aurait mieux réussi, sans la règle de reconquête, à empêcher les nouveaux venus d'acquérir et de conserver des clients. Rogers a fait valoir que la preuve déposée par les ESLT appuyait fortement sa position selon laquelle l'objectif de la règle de reconquête, soit de faciliter l'entrée en concurrence et de promouvoir une concurrence locale viable et durable malgré la position dominante et les avantages conférés aux ESLT par leur statut d'entreprises titulaires, demeurait aussi urgent et réel maintenant qu'à l'époque où la règle de reconquête avait été adoptée initialement.
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82.
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Rogers a fait valoir qu'en reconnaissant qu'il n'existait aucune distinction entre les marchés des services VoIP et ceux des services par commutation de circuits à l'égard de la concurrence et de la réglementation dans le marché des services locaux, on ne devait pas autoriser les ESLT à utiliser le service VoIP pour se soustraire à l'objectif de la règle de reconquête.
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83.
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MTS Allstream et QMI ont fait valoir que l'argument de Bell Canada selon lequel les résultats du sondage Ipsos-Reid démontraient qu'une majorité de Canadiens désapprouvaient l'application de la règle de reconquête aux services VoIP locaux n'était pas pertinent et que le Conseil devrait l'ignorer. MTS Allstream et Rogers ont soutenu que les résultats du sondage étaient faussés, car si les répondants au sondage avaient été clairement informés que la technologie VoIP n'était qu'un moyen parmi d'autres de fournir le service local dans un marché où Bell Canada détient toujours une part de marché de plus de 95 p. 100 et si l'objectif de la règle de reconquête avait été expliqué en contexte aux répondants, les réponses auraient vraisemblablement été différentes. Rogers a tenu à souligner le fait que, nonobstant les lacunes du sondage, quelque 36 p. 100 des répondants étaient toujours d'avis que la règle de reconquête devrait s'appliquer aux services VoIP des ESLT. Rogers a de plus fait valoir que le sondage ne sollicitait pas l'opinion des consommateurs sur les liens entre la règle de reconquête et l'accessibilité des renseignements sur la technologie VoIP; on demandait plutôt aux répondants s'ils estimaient que le fait d'interdire à Bell Canada de leur offrir des promotions pour les reconquérir était mauvais pour eux en tant que consommateurs.
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84.
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EastLink a fait valoir que la règle de reconquête était un élément important et nécessaire permettant au Conseil d'atteindre son objectif d'établir une concurrence viable fondée sur les installations.
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85.
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La Coalition a fait valoir que la règle de reconquête, telle qu'appliquée aux services locaux d'affaires, ne servait aucun motif de politique publique légitime, car elle privait les entreprises des renseignements dont elles avaient besoin pour faire des choix éclairés en matière de services de télécommunication.
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Réplique des Compagnies
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86.
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De l'avis des Compagnies, la règle de reconquête présumait de façon paternaliste que les clients contactés directement par leur ancienne ESLT « oublieraient » les raisons qui les avaient incités à transférer leur service et seraient incapables de déterminer si leur expérience avec l'ESLC était suffisamment longue pour décider de rester avec l'ESLC. Les Compagnies ont fait valoir que l'arrêt Thomson Newspapers a rejeté des suppositions similaires voulant que les électeurs canadiens soient incapables d'évaluer les sondages publiés dans les trois jours précédant un scrutin et soutenaient qu'une telle hypothèse ne répondait pas à un critère urgent et réel36.
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87.
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Les Compagnies ont également fait valoir que le fait de protéger un concurrent contre les pressions du marché qui le poussent à innover, à commercialiser et à offrir des services de qualité supérieure pendant qu'il se fait connaître et qu'il fidélise ses clients contredisait l'essence de la concurrence.
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88.
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Les Compagnies ont soutenu que le Conseil avait souligné à maintes reprises depuis la décision 94-19 que la part de marché n'était pas un critère fiable pour déterminer si un marché était vraiment concurrentiel. Les Compagnies ont fait valoir qu'une mesure enfreignant la Charte qui est censée favoriser une part de marché « stable », dans l'espoir de favoriser la concurrence, alors que le Conseil a lui-même minimisé l'importance de la part de marché comme mesure d'une concurrence efficace, ne pouvait pas être un objectif urgent et réel. Les Compagnies ont également noté qu'il n'y avait pas d'élément de preuve indiquant si les intimées seraient viables ou non sur le plan financier en l'absence de la règle de reconquête.
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89.
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Les Compagnies ont soutenu que l'objectif d'empêcher les communications directes entre les ESLT et leurs anciens clients pour permettre aux ESLC de se bâtir une clientèle stable dans le marché des services filaires locaux ne peut être un objectif urgent et réel que s'il respecte l'intention de la Loi dans son ensemble37. Les Compagnies ont soutenu que d'empêcher les consommateurs de recevoir une information non trompeuse à propos de leurs options de communications, uniquement dans le but de les empêcher de prendre une décision éclairée sur l'achat des services de télécommunication locaux d'une ESLT (ou, dans le cas des clients du service de résidence, de n'importe quels services), minait les politiques énoncées dans la Loi et, à ce titre, ne respectait pas l'intention de la Loi et ne pouvait, par conséquent, représenter un objectif urgent et réel suffisant pour justifier la violation d'un droit garanti par la Charte.
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90.
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Les Compagnies ont noté l'affirmation de QMI selon laquelle la règle de reconquête répondait à un objectif urgent et réel compte tenu qu'elle annulait l'avantage qu'ont les ESLT de s'adresser à un trop petit nombre d'abonnés, alors que les ESLC doivent s'adresser à un trop grand nombre d'abonnés. Les Compagnies ont fait valoir que cet argument ignorait comme par hasard le fait qu'il était beaucoup plus efficace pour les concurrents de s'annoncer à grande échelle par le truchement des médias de masse que cela ne l'était pour les ESLT de véhiculer un message s'adressant individuellement et directement à un segment du marché.
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91.
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Les Compagnies ont fait valoir que l'ACTC commettait une erreur de droit et de fait en citant la décision 2005-53 et en affirmant que l'objectif du Conseil à la base de la règle de reconquête était de favoriser une concurrence viable fondée sur les installations dans ce marché. Les Compagnies ont fait valoir que la réexpression de l'objectif dans la décision 2005-53 n'était pas faite dans le contexte de la demande ou de l'instance visant à étendre, à varier ou à interpréter l'application de la règle de reconquête; cette décision servait plutôt à rejeter la demande d'Aliant Telecom d'être dispensée de l'application de la règle de reconquête dans son territoire. Les Compagnies ont fait valoir que la Cour avait fait de nombreuses mises en garde contre les changements inappropriés d'intentions, surtout dans les cas où la nature de la règle n'avait pas changé, comme dans le cas de la décision 2005-5338.
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92.
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Du point de vue des Compagnies, il n'existait pas d'élément de preuve indiquant que les ESLC et les nouveaux venus n'étaient pas économiquement viables ou durables pouvant justifier l'atteinte des droits garantis par la Constitution dont se prévalent les ESLT pour communiquer directement leurs messages concernant leur service local, ou tout autre service dans le cas des abonnés du service de résidence, ainsi que des droits des clients de recevoir ces messages. Les Compagnies ont soutenu que rien ne prouvait que la règle de reconquête favorisait une concurrence durable.
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93.
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Les Compagnies ont fait valoir que les intimées s'étaient fondées exclusivement sur les éléments de preuve liés à la part de marché et au roulement des abonnés pour prouver l'objectif urgent et réel de la règle de reconquête. Les Compagnies ont suggéré que cette preuve était non pertinente, car : i) les seules données sur la part de marché ne disaient rien de l'état de la concurrence; ii) le marché pertinent n'avait pas encore été défini; iii) les indices pertinents pour déterminer le niveau de concurrence dans le marché restaient à être définis; iv) l'objectif approprié du « critère urgent et réel » était de promouvoir l'établissement d'une clientèle stable, et non la concurrence; et v) la preuve de roulement des abonnés n'indiquait pas si le tort défini était urgent et réel.
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94.
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Les Compagnies ont également soutenu que, bien que les intimées aient fait valoir que leurs données indiquaient que les taux de roulement pouvaient avoir diminué quand la règle de reconquête a été modifiée et prolongée, ces données pouvaient aussi bien indiquer que les taux de roulement déclinaient parce que la qualité et la valeur des services des intimées s'amélioraient avec le temps. De l'avis des Compagnies, les données n'étaient pas claires car le suivi des taux de roulement ne semblait pas avoir été fait en fonction du fournisseur de service vers lequel le client avait transféré ses services. Les Compagnies ont maintenu que les taux de roulement n'indiquaient pas si les clients avaient eu suffisamment de temps pour évaluer les services des intimées; les données sur le roulement n'indiquaient pas si la clientèle des intimées était stable, ou si elle allait plus ou moins le devenir, ou si leurs activités dans le domaine des télécommunications étaient viables aux taux de roulement actuels.
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Conclusions du Conseil
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95.
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Comme il a été mentionné précédemment, il est nécessaire en vertu du critère découlant de l'arrêt Oakes de démontrer que l'objectif de la règle de reconquête est urgent et réel. Pour les raisons sousmentionnées, le Conseil estime que l'objectif de la règle de reconquête est urgent et réel.
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96.
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Comme il a été énoncé, le cadre de la concurrence locale établi par le Conseil avait pour but de favoriser une concurrence viable fondée sur les installations que le Conseil considérait comme le meilleur moyen d'offrir aux consommateurs un choix plus varié de services locaux. Le cadre de la concurrence traitait des nombreux avantages dont profitaient les ESLT à titre de fournisseurs de service local monopolistiques. Ces avantages sont liés à la possession et au contrôle de réseaux omniprésents par les ESLT, qui sont branchés à pratiquement chaque résidence et entreprise se trouvant dans les territoires respectifs des ESLT, et à leurs relations de longue date avec presque tous les consommateurs du service local. Le Conseil a adopté des mesures qui traiteraient ces obstacles à la concurrence de manière à offrir à tous les participants une juste possibilité de réussir, ou d'échouer, selon les efforts déployés.
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97.
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Le Conseil considère qu'en déterminant l'objectif précis de la règle de reconquête, il est utile de cerner, par un examen des décisions du Conseil, les obstacles concurrentiels ou les avantages propres aux ESLT que la règle de reconquête devait traiter.
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98.
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Dans la lettre sur la reconquête, le Conseil a établi que la règle de reconquête faciliterait l'entrée des ESLC dans le marché des services locaux et empêcherait les ESLT de reconquérir des clients du fait qu'elles contrôlent les renseignements propres aux clients, comme les lignes louées, les inscriptions dans l'annuaire et les renseignements sur le 911, et qu'elles y ont accès.
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99.
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Dans la décision 2002-1, le Conseil a étendu la portée de la règle de reconquête afin qu'elle englobe tous les services offerts aux clients de services de résidence, compte tenu de l'augmentation de l'importance des offres de services groupés. Dans cette décision, le Conseil a répété que sans la règle de reconquête, les ESLT pourraient reconquérir leurs clients car elles contrôlent les renseignements propres aux clients et elles y ont accès.
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100.
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Dans la décision 2004-4, le Conseil a prolongé de 3 à 12 mois la période d'interdiction de reconquête avec les clients de services de résidence, compte tenu que la concurrence dans le marché des SLB s'est implantée plus lentement que prévu. Le Conseil a noté qu'étant donné que la vaste majorité, sinon la totalité, des clients d'une ESLC serait d'anciens clients d'une ESLT, l'ESLT connaîtrait les besoins, les préférences et les habitudes des clients en matière de télécommunication, ce qui lui donnerait un avantage dans ses activités de reconquête.
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101.
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Finalement, dans la décision 2005-28, le Conseil a soutenu que la règle de reconquête s'appliquerait également au service VoIP local. Le Conseil estime qu'en l'absence de règle de reconquête, les ESLT pourraient, en leur qualité de titulaire, utiliser les mêmes avantages tant pour reconquérir les clients du service VoIP local que pour reconquérir les clients du SLB. Le Conseil estime, plus précisément, que dans la mesure où la majorité des clients du service VoIP local seraient d'anciens clients des SLB des ESLT, celles-ci connaîtraient leurs besoins, leurs préférences et leurs habitudes en matière de télécommunication.
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102.
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Le Conseil conclut que, bien qu'il ait continuellement adapté la règle de reconquête pour répondre à la dynamique du marché, l'objectif qui sous-tend la règle de reconquête a toujours été en lien avec les avantages dont profitent les ESLT à titre d'anciens fournisseurs monopolistiques et, en particulier, avec le fait qu'elles contrôlent des renseignements propres aux abonnés du service local et qu'elles y ont accès. En imposant la règle de reconquête, le Conseil cherche très précisément à empêcher les ESLT de profiter d'un avantage concurrentiel injuste ou indu, ou d'une occasion inéquitable, découlant de leur plus grande capacité de communiquer directement avec les clients de leurs concurrents afin de tenter de les reconquérir. Ce genre de communication directe prive les ESLC d'une juste possibilité de retenir leurs clients. En l'absence de la règle de reconquête, les activités de reconquête des ESLT empêcheraient le développement d'une concurrence viable fondée sur les installations, et minerait l'objectif général du Conseil qui consiste à favoriser un plus grand choix de services locaux pour les consommateurs, conformément aux objectifs de la politique en matière de télécommunication énoncés dans l'article 7 de la Loi.
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103.
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Le sens que les Compagnies donnent à l'objectif de la règle de reconquête originale, c'est-à-dire d'empêcher de reconquérir les clients avant que leur service local soit effectivement transféré, est erroné. Le Conseil conclut que, s'il est vrai qu'il a évoqué la possibilité pour l'ESLT de reconquérir un client pendant le transfert de son service vers une ESLC, il est clair que le Conseil ne s'est pas limité à la période précédant la fin du transfert, compte tenu qu'il a établi une période d'interdiction de reconquête de trois mois dès l'adoption de la règle de reconquête dans la lettre sur la reconquête.
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104.
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Le Conseil note les observations de plusieurs des parties selon lesquelles il est énoncé dans la décision 2004-4, dans laquelle le Conseil a prolongé de 3 à 12 mois la période d'interdiction de reconquête pour les clients des services de résidence, que sa justification signifie qu'une « concurrence durable n'est possible que si les ESLC ont l'occasion de se bâtir une clientèle stable » et que « si elle veut conserver ses clients et se bâtir une clientèle stable, l'ESLC doit avoir une occasion raisonnable de prouver qu'elle offre des services fiables et de qualité ».
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105.
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Dans la décision 2004-4, le Conseil a accepté l'élément de preuve de Call-Net selon lequel le roulement augmentait lorsque les ESLT étaient autorisées à communiquer avec les clients des services locaux et que le roulement diminuait quand les clients utilisaient le service offert par Sprint Canada pendant une année ou plus. Le Conseil a conclu que le prolongement de la règle de reconquête permettrait d'éviter que les ESLT profitent d'un avantage concurrentiel injuste ou indu en ce qui concerne l'utilisation des renseignements propres aux clients quand elles communiquent avec d'anciens clients une fois la période d'interdiction de reconquête de trois mois expirée.
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106.
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Le Conseil conclut que le fait de permettre aux ESLC de se bâtir une clientèle stable et de leur donner la possibilité de démontrer la qualité et la fiabilité de leurs services, bien qu'il soit important pour renforcer l'objectif général du Conseil de favoriser une concurrence durable, n'a pas supplanté l'objectif précis de la règle de reconquête.
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107.
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Le Conseil note l'argument des Compagnies selon lequel il était inapproprié pour le Conseil de se fier à la part de marché pour justifier le caractère urgent et réel de la règle de reconquête, compte tenu que le Conseil a lui-même minimisé l'importance de l'élément de preuve concernant la part de marché pour déterminer si la concurrence est efficace. Le Conseil note qu'au moment de l'adoption de la règle de reconquête, il n'existait, de fait, aucune concurrence dans le marché résidentiel, et que la concurrence commençait à peine à s'implanter dans le marché des services aux entreprises. Le Conseil a conclu que ce n'est que récemment que les réalités du marché ont commencé à évoluer et que la concurrence a commencé à s'intensifier plus rapidement. Afin de tenir compte de cette nouvelle situation, dans son avis Abstention de la réglementation des services locaux, Avis public de télécom CRTC 2005-2, 28 avril 2005, le Conseil a amorcé une instance visant à établir un cadre, y compris des critères, pour l'abstention de la réglementation des services locaux de résidence et d'affaires. Les conclusions du Conseil concernant cette instance sont décrites dans la décision 2006-15 publiée aujourd'hui.
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108.
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Dans la décision 2006-15, le Conseil note que le marché des services locaux évolue rapidement, que de plus en plus de Canadiens se voient offrir des options concurrentielles de services locaux, et que des centaines de milliers de Canadiens choisissent ces options concurrentielles. En conséquence, dans la décision 2006-15, le Conseil a décidé que la période de 12 mois d'interdiction de reconquête dans le cas des clients des services de résidence n'était plus appropriée. Cette période a donc été réduite à trois mois. La règle de reconquête sera complètement abolie dans les marchés faisant l'objet d'une abstention de la réglementation. De plus, avant l'abstention, une ESLT pourra demander que la règle de reconquête soit complètement abolie si elle satisfait certains critères.
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109.
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Le Conseil note le différend qui existe entre les parties relativement aux conclusions qu'il faut tirer des données du sondage présentées dans le rapport Ipsos-Reid.
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110.
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Le Conseil note la question suivante posée aux participants au sondage :
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Question : « Si vous décidiez de remplacer votre service de téléphone local par un service VoIP concurrent, le CRTC interdit pour l'instant à l'entreprise de téléphone de communiquer avec vous pendant une période d'un an pour vous offrir des promotions et des offres spéciales pour tous les services qu'elle fournit afin de vous inciter à vous réabonner à son service. En tant que consommateur, croyez-vous que cette politique est bonne ou mauvaise? »39
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111.
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Selon le rapport Ipsos-Reid, 64 p. 100 des 1 200 personnes interrogées ont répondu que ce n'était pas une bonne politique, tandis que 33 p. 100 estimaient que c'était une bonne politique. Contrairement à la conclusion du Conseil énoncée dans la décision 2004-4 selon laquelle les torts qui pourraient être causés aux anciens clients des ESLT s'ils ne recevaient pas de communications de reconquête seraient compensés par les avantages que pourraient en retirer tous les clients, Bell Canada a soutenu que son sondage ne se limitait pas à ses anciens clients et que, par conséquent, ses résultats reflétaient le point de vue de tous les Canadiens. Bell Canada a soutenu que ces résultats réfutaient l'évaluation initiale du Conseil de l'objectif qui sous-tend la règle de reconquête et qu'ils démontraient qu'un objectif visant à empêcher les Canadiens de recevoir des communications directes pouvant les aider à faire des choix plus éclairés n'était plus un objectif urgent et réel.
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112.
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Le Conseil estime que la question n'est pas claire et qu'elle n'offre pas de contexte adéquat. Comme l'a fait remarquer QMI, la question du sondage ne se concentre pas uniquement sur la règle de reconquête mais elle fait également mention de promotions et d'offres spéciales. Par conséquent, le Conseil conclut qu'il est impossible de dire à quoi pensaient les personnes interrogées quand elles ont donné leur point de vue. Ainsi, le Conseil conclut qu'il ne serait pas approprié de tirer des conclusions sur ce que les répondants au sondage pensent de la règle de reconquête en se fondant seulement sur la question susmentionnée.
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113.
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Même s'il acceptait que seulement 33 p. 100 des consommateurs appuient la règle de reconquête, le Conseil souligne qu'en adoptant la règle de reconquête, il a dû mesurer les avantages à court terme que pouvait représenter pour les anciens clients du service local de l'ESLT le fait de recevoir des communications de reconquête de l'ESLT pendant la période d'interdiction de reconquête par rapport à l'avantage à long terme pour tous les consommateurs de profiter en bout de ligne d'un marché de services locaux concurrentiel qui offrirait un meilleur choix de services et de fournisseurs à tous les consommateurs.
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114.
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Pour ce qui est de l'argument que défendent certaines parties selon lequel l'élargissement de la règle aux fournisseurs de services VoIP n'était pas lié à un objectif urgent et réel, le Conseil note que, dans la décision 2005-28, il a estimé que dans l'établissement d'un cadre de réglementation approprié pour les services VoIP locaux la question n'était pas de savoir quelle technologie serait utilisée mais plutôt quel serait le type de service offert. Le Conseil a conclu que les services VoIP locaux étaient de proches substituts pour les services locaux à commutation de circuits et, par conséquent, faisaient partie du même marché que les services à commutation de circuits. Le Conseil en a conclu que la reconquête des clients de services VoIP locaux donnait lieu à la même possibilité de comportement anticoncurrentiel de la part des ESLT que celle manifestée dans la reconquête des clients de services locaux à commutation de circuits.
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115.
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Compte tenu des conclusions énoncées dans la décision 2005-28, le Conseil conclut que réduire la capacité accrue des ESLT de cibler d'anciens clients de services VoIP locaux à des fins de reconquête était un objectif aussi urgent et réel que dans le cas du marché des services locaux à commutation de circuits.
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116.
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Le Conseil prend note de l'argument des ESLT selon lequel l'application de la règle de reconquête relativement aux anciens clients des ESLT qui ont transféré leur service local chez un câblodistributeur ne pouvait être lié à un objectif urgent et réel, compte tenu des ressources incroyables dont disposent les câblodistributeurs et de leur statut de titulaires. À cet égard, le Conseil fait remarquer que, bien que les câblodistributeurs puissent avoir des relations de longue date avec bon nombre des mêmes clients que les ESLT, ces relations sont surtout fondées sur la prestation de services de radiodiffusion. Le Conseil fait remarquer que les entreprises de câblodistribution ont peu d'expérience, sinon aucune, en ce qui concerne la fourniture de services locaux à leurs clients. Celles qui offrent des services locaux sont de nouvelles venues et sont donc assujetties au cadre réglementaire applicable aux ESLC.
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117.
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À la lumière de tout ce qui vient d'être énoncé, le Conseil conclut que l'objectif de la règle de reconquête est lié à une préoccupation urgente et réelle d'empêcher les ESLT d'utiliser injustement leur capacité accrue de communiquer directement avec les clients de leurs concurrents à des fins de reconquête, et ainsi de priver les ESLC d'une juste possibilité de retenir ces clients. De ce fait, la règle de reconquête renforce l'objectif urgent et réel plus vaste de favoriser un plus grand choix de services locaux pour les consommateurs, en permettant une concurrence viable fondée sur les installations, conformément aux objectifs de la politique en matière de télécommunication énoncés à l'article 7 de la Loi.
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Critère de proportionnalité à trois éléments
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Élément « lien rationnel »
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Positions des parties
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Les ESLT
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118.
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Les Compagnies ont fait valoir que le Conseil n'avait pas de fondement raisonnable selon l'élément de preuve fourni pour conclure que la règle de reconquête atteindrait l'objectif fixé. Les Compagnies ont soutenu que le tort que la règle de reconquête devait corriger à l'origine était la possibilité pour les ESLT de reconquérir leurs clients avant que leur service soit transféré, du fait qu'elles contrôlaient les renseignements propres aux clients et y avaient accès. Les Compagnies ont également fait valoir qu'il n'y avait pas de lien entre l'empêchement de ce tort et la règle de reconquête, qui visait principalement le comportement des ESLT après la période posant problème.
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119.
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Les Compagnies ont fait remarquer l'élément de preuve au dossier ayant mené à la décision 2004-4 démontrant que les activités de reconquête ne sont pas la cause de l'entrée plus lente que prévu des ESLC dans le marché. Les Compagnies ont soutenu que même les statistiques citées par Call-Net révèlent que la plupart des clients de Call-Net qui ont mis fin à leur service l'ont fait pour des raisons qui n'ont rien à voir avec les activités de reconquête de Bell Canada. Les Compagnies ont fait valoir que les propres statistiques de Call-Net démontrent que, dans la plupart des cas, les clients qui ont abandonné leur service l'ont fait dans les trois premiers mois suivant le transfert, alors que les activités de reconquête étaient interdites. Les Compagnies ont fait valoir que, de façon générale, les clients ont quitté Call-Net pour des raisons probablement liées à la qualité ou au prix du service, plutôt qu'aux activités de reconquête.
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120.
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Les Compagnies ont fait valoir que Rogers a reconnu en répondant aux demandes de renseignements menées dans cette instance que des cinq principales raisons fournies par ses clients pour mettre fin à leur service (que ce soit dans la période de 12 mois ou après), trois étaient liées à la piètre qualité du service, les deux autres étant liées au prix ou au fait que le client voulait un service Internet à haute vitesse. Les Compagnies ont fait valoir que les cinq raisons pouvaient être considérées comme une insatisfaction des clients par rapport à la proposition de valeur générale de Rogers. Les Compagnies ont soutenu que les réponses au sondage révélaient que le fait d'offrir aux ESLC une période de 12 mois à l'abri des activités de reconquête des ESLT n'a pas permis à une ESLC de démontrer la qualité et la fiabilité de ses services. Au contraire, Rogers a continué de connaître un roulement, malgré cette période d'interdiction de reconquête de 12 mois. Les Compagnies ont soutenu que la règle de reconquête ne servait alors qu'à priver les clients insatisfaits des avantages associés aux renseignements que pourraient leur fournir les communications de reconquête des ESLT.
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121.
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Les Compagnies ont noté que selon l'élément de preuve que Rogers a elle-même fourni dans ses réponses aux demandes de renseignements, la plus grande partie de ses clients ont opté pour un concurrent durant les trois premiers mois du service. Les Compagnies ont soutenu que cet élément de preuve démontrait que la plupart des clients ont seulement besoin d'un délai se situant entre un jour et trois mois pour se faire une opinion éclairée de la proposition de valeur. De l'avis des Compagnies, cela démontre, à tout le moins, que toute période d'interdiction de reconquête d'une durée de plus de trois mois est indûment longue.
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122.
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TCI a fait valoir que l'évolution du marché des télécommunications avait pour résultat que les ESLT offraient de nombreux services sur une base unique, sans que les clients aient besoin d'acheter un service local. TCI a soutenu que le maintien de l'inclusion de la liste élargie de services autres que le service local n'avait par conséquent plus de lien avec la facilitation de l'entrée dans le marché des services locaux.
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123.
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TCI a soutenu que le fait de protéger les entreprises de câblodistribution titulaires n'avait pas de lien rationnel avec le fait de favoriser l'entrée des ESLC dans le marché des services locaux, dans le contexte du prolongement de la règle de reconquête aux services VoIP. TCI a fait valoir que les entreprises de câblodistribution avaient leur propre infrastructure pour offrir des services VoIP, indépendante des installations des ESLT, et qu'elles avaient déjà une clientèle stable bâtie grâce aux offres de télévision par câble qu'elles proposent en tant que titulaires.
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124.
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TCI a soutenu que le fait d'empêcher les ESLT de communiquer avec leurs anciens clients relativement à leurs offres de services groupés n'avait pas de lien rationnel avec la facilitation de l'entrée dans le marché des services locaux, car tous les principaux fournisseurs proposent un quelconque groupement de services à leurs clients.
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125.
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Aliant Telecom a noté l'observation de l'ACTC voulant que l'élimination de la règle de reconquête entraînerait une augmentation du roulement pour ses membres. Aliant Telecom a soutenu que là n'était pas la question. Aliant Telecom a fait valoir que, pour qu'il existe un lien rationnel en vertu de l'article premier de la Charte entre l'objectif (favoriser une clientèle stable et une concurrence durable) et la mesure portant atteinte à la Charte, il fallait démontrer que cette mesure favorisait l'objectif. Aliant Telecom a noté que nulle part l'ACTC n'a mentionné que, dans un monde sans reconquête, l'un ou l'autre de ses membres serait économiquement non viable. Aliant Telecom a fait valoir que les intimées n'avaient pas réussi à prouver que les restrictions à la reconquête mèneraient à une concurrence durable. Aliant Telecom a également fait valoir que le Conseil n'avait pas encore établi ce qu'était une concurrence durable; ainsi, en ne sachant pas comment mesurer la réussite de l'objectif, il était impossible de créer une mesure efficace et le moins dommageable possible pour atteindre cet objectif. Aliant Telecom a soutenu que, pour ces raisons, les intimées n'ont pas réussi à prouver que l'imposition de restrictions à la reconquête aux ESLT avait un lien rationnel avec l'objectif de favoriser la concurrence et la création d'une clientèle stable pour le concurrent.
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Les intimées
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126.
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MTS Allstream/Call-Net a fait valoir qu'il existait un lien rationnel entre la règle de reconquête et l'objectif de favoriser un meilleur choix pour les clients et une concurrence durable puisque la règle de reconquête visait le problème de dominance du marché par les ESLT et avait pour but de faciliter le choix des clients et la concurrence. MTS Allstream/Call-Net a fait référence à l'élément de preuve déposé dans l'instance traitant de la règle de reconquête pour souligner le piètre état de la concurrence, ainsi que l'incidence des activités de reconquête des ESLT sur la concurrence, qui a été clairement démontrée par les statistiques révélant que le roulement augmentait avec les activités de reconquête. MTS Allstream/Call-Net a également fait référence à l'élément de preuve démontrant que le roulement de clients était coûteux pour les nouveaux venus sur le marché, car les dépenses liées à la commercialisation et à la prestation des services augmentaient sans qu'il y ait une hausse correspondante des clients ou des revenus. MTS Allstream/Call-Net a soutenu qu'il fallait ainsi plus de temps pour récupérer les coûts générés par l'acquisition de nouveaux clients.
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127.
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MTS Allstream/Call-Net a fait valoir que, si les taux de roulement continuaient d'augmenter après qu'une ESLT a ciblé un concurrent avec ses activités de reconquête, le taux de roulement général des concurrents a clairement diminué après la mise en oeuvre de la règle de reconquête et d'autres mesures de protection de la concurrence par le Conseil.
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128.
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En réponse à l'argument des Compagnies selon lequel le Conseil gère la concurrence plutôt que de la faciliter, MTS Allstream/Call-Net a fait valoir que le rôle du Conseil était de servir de médiateur entre les groupes et intérêts concurrents. MTS Allstream/Call-Net a soutenu que le Conseil avait mis en ouvre et prolongé la règle de reconquête en se fondant sur l'élément de preuve qui concerne l'état du marché et le roulement des abonnés, ainsi que sur sa connaissance et son expérience de l'industrie dans le contexte canadien. MTS Allstream/Call-Net a fait valoir que tous ces facteurs démontraient qu'il existe un lien rationnel entre l'objectif des restrictions et les moyens adoptés pour les appliquer.
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129.
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L'ACTC a soutenu qu'il n'était pas étonnant de lire dans la décision 2004-4 que des clients quittaient Call-Net pour des raisons non liées à des activités de reconquête, puisque la règle de reconquête est en place depuis 1998. L'ACTC a soutenu que cet élément de preuve démontrait néanmoins la réceptivité accrue des nouveaux clients des ESLC envers les offres faites par les ESLT durant la période où les clients évaluaient la qualité des services offerts par les ESLC, et que l'objectif de favoriser la concurrence était donc servi par la règle de reconquête.
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130.
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Rogers a fait valoir que la règle de reconquête visait franchement à offrir aux nouveaux venus une juste possibilité de conquérir et de garder des clients en dépit de la centaine d'années de monopole exercé par les ESLT et des avantages que leur confère leur statut d'entreprises titulaires ainsi que leurs mesures incitatives et leur capacité prouvées de conserver leur part de marché. Rogers a aussi fait valoir que le plus récent rapport de surveillance du Conseil révélait que les nouveaux venus avaient encore des progrès à faire pour conquérir et garder des clients. Rogers a soutenu que ses propres réponses aux demandes de renseignements ainsi que celles des ESLT ont confirmé que la règle de reconquête avait joué un rôle très important dans la part de marché que les concurrents avaient réussi à s'approprier jusqu'à maintenant, bien que cette part de marché soit modeste.
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131.
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En ce qui concerne l'argument des Compagnies voulant que le sondage des anciens clients de Rogers a démontré que ces clients avaient quitté Rogers en raison de la piètre qualité de son service et de sa proposition de valeur dans son ensemble, et non à cause d'activités de reconquête, Rogers a fait valoir que les facteurs cités par les participants au sondage renforçaient nettement le lien rationnel entre la règle de reconquête et la facilitation de la concurrence locale. Rogers a fait valoir que les clients avaient annulé leur service en raison des mesures incitatives utilisées lors des appels de reconquête, notamment : les rabais offerts par l'ESLT; l'exploitation par l'ESLT de la courbe d'apprentissage des nouveaux venus dans le marché du service local en matière de prestation de service et de facturation; les restrictions injustes et illégales imposées au client par l'ESLT; les retards dans l'activation du service ou le transfert des clients, etc. Rogers a soutenu que son élément de preuve démontrait que, dans les premiers temps, les clients étaient plus vulnérables et plus susceptibles de réagir positivement aux appels de reconquête des ESLT qui utilisaient l'un ou l'autre des facteurs susmentionnés pour reconquérir leurs clients. Rogers a fait valoir que le but de la règle de reconquête était de permettre au concurrent de créer des relations plus solides avec le client de telle sorte qu'il puisse, une fois la période d'interdiction de reconquête écoulée, prendre une décision plus éclairée s'il reçoit un appel de reconquête, en comparant équitablement les offres du concurrent et celles de l'ESLT.
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132.
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Pour ce qui est de l'argument des Compagnies selon lequel l'élément de preuve de Rogers démontrait que les clients étaient plus vulnérables au roulement dans les premiers temps de leur abonnement (trois mois), et qu'ils n'avaient pas besoin par conséquent d'une période d'un an pour évaluer la qualité et la fiabilité des services de l'entreprise, Rogers a fait valoir qu'au plan du lien rationnel, si les clients étaient plus vulnérables au roulement durant les trois premiers mois de leur service, on pouvait en déduire que l'interdiction pour les ESLT d'effectuer des appels de reconquête pendant toute période dépassant le délai initial de trois mois permettrait d'assurer que les ESLT ne profiteraient pas de cette vulnérabilité.
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133.
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Rogers a fait valoir que Bell Canada avait elle-même appuyé la règle de reconquête dans le marché des entreprises de distribution de radiodiffusion (EDR) afin de favoriser une concurrence accrue, et qu'elle s'était constamment opposée à l'élimination de la règle dans ce marché. Rogers a soutenu que Bell Canada ne pouvait pas faire valoir le lien rationnel existant entre la règle de reconquête et la concurrence seulement quand cela était à son avantage.
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134.
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Quant à l'argument des Compagnies relatif au sondage des clients de Rogers, QMI a fait valoir que c'était précisément à cause de la règle de reconquête que les clients qui avaient choisi de quitter Rogers avaient eu la possibilité d'évaluer raisonnablement la qualité du service de Rogers, sans être influencés par les activités de commercialisation directes de l'ESLT. QMI a fait valoir que le fait que certains clients ont décidé de quitter Rogers indiquait que la règle de reconquête avait un lien rationnel, puisque les clients avaient eu le temps nécessaire pour faire leur choix. QMI a fait valoir que les clients insatisfaits savaient qu'ils pouvaient retourner à l'ESLT et que, par conséquent, il n'y avait pas de raison pour que l'ESLT effectue des activités de reconquête pour faire connaître cette option au client.
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135.
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En ce qui concerne l'argument des Compagnies selon lequel la diminution du roulement avec le temps était une indication que la période d'interdiction de reconquête de 12 mois était inappropriée, QMI a fait valoir que toutes les parties avaient convenu que plus le client passait de temps avec le fournisseur de service, plus le roulement diminuait. QMI a fait valoir qu'il fallait surtout se demander si les activités de reconquête avaient une incidence sur le roulement pendant toute la période de 12 mois. QMI a fait valoir que l'élément de preuve indiquait qu'il y avait une augmentation du roulement des clients une fois la période d'interdiction de reconquête terminée, ce qui établit clairement le lien entre la présence (ou l'absence) de la règle de reconquête et le niveau de roulement. QMI a soutenu qu'il y avait donc un lien rationnel entre la règle et l'objectif.
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Réplique des Compagnies
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136.
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Les Compagnies ont soutenu qu'il n'y avait aucune preuve indiquant que les taux actuels de roulement ont permis de rendre viables, ou davantage viables, les analyses de rentabilisation des intimées. Les Compagnies ont fait valoir que, de façon analogue, les taux de roulement n'ont pas permis d'établir un lien quelconque entre le fait de refuser aux clients l'accès aux messages des ESLT visant à les reconquérir et ce qui constitue une « une occasion raisonnable » pour un nouveau client d'être informé des produits et des services des concurrents.
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137.
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En guise de réponse à l'allégation de Rogers selon laquelle il devrait être interdit pour les Compagnies de remettre en question le lien rationnel de la règle de reconquête puisque Bell Canada avait déjà présenté la preuve qu'il y avait un lien rationnel appuyant la constitutionnalité de la règle de reconquête dans l'industrie de distribution de radiodiffusion, les Compagnies ont conclu que cela n'était pas pertinent dans la présente instance. Les Compagnies ont souligné que l'analyse de l'article premier était nécessairement contextuelle et fondée sur des faits, et que la portée, le contenu et l'ampleur de la règle de reconquête des EDR et des marchés dans lesquels elles opéraient, ainsi que les EDR titulaires auxquelles ces règles s'appliquent, étaient fondamentalement tous différents des marchés SLB, qui n'avaient pas encore été définis.
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138.
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Les Compagnies ont fait valoir que MTS Allstream/Call-Net avait conclu que le marché des services locaux n'était pas suffisamment développé sans fournir de preuve sur les produits, les services et la portée géographique du marché. Elles ont soutenu que les données nationales cumulatives utilisées par MTS Allstream ne permettaient de tirer aucune conclusion quant à la nature et à la portée de la concurrence. Selon les Compagnies, l'objectif de la règle de reconquête, même si cet objectif était la promotion de la concurrence locale, ne permettrait pas d'établir un lien rationnel à la règle de reconquête parce que, sans avoir d'abord mené une analyse de marché, rien ne prouvait pour des raisons de bon sens ou de logique, que la règle de reconquête était nécessaire, ou continuait de l'être dans un quelconque marché de service local.
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Conclusions du Conseil
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139.
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Le Conseil note que pour satisfaire au critère du lien rationnel, il doit y avoir :
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« .un lien causal, fondé sur la raison ou la logique, entre la violation et l'avantage recherché. En d'autres termes, [il] doit établir que la restriction des droits sert la fin visée. »40
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140.
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Le Conseil conclut que la preuve dans le dossier de la présente instance démontre que les ESLT ont communiqué avec d'anciens clients dans le but de les reconquérir (par ex., les anciens clients du service interurbain, et, après la période de reconquête applicable, les anciens clients du service local), que ces tentatives sont des réussites, et que les taux de roulement des ESLC sont inférieurs durant la période d'interdiction de reconquête. En outre, le Conseil conclut que la preuve atteste le fait que le taux de roulement mensuel des ESLC a baissé pendant que le Conseil augmentait régulièrement la portée et la durée de la règle de reconquête.
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141.
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En se fondant sur la preuve, le bon sens et la logique, le Conseil conclut que les ESLT tirent des avantages de leur capacité accrue de reconquérir d'anciens clients du service local au moyen de communications directes, au détriment des ESLC, et que les taux de roulement des ESLC diminuent lorsque la règle de reconquête est en vigueur.
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142.
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Le Conseil conclut que la règle de reconquête empêche les ESLT de profiter d'un avantage concurrentiel indu ou injuste ou de bénéficier d'une occasion injuste du fait de leur capacité accrue à reconquérir d'anciens abonnés du service local en communiquant directement avec eux, ce qui, du même coup, donne aux ESLC une juste occasion de conserver leurs clients. Le Conseil conclut donc que la règle de reconquête remplit son objectif.
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143.
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Le Conseil fait remarquer que certaines ESLT ont soutenu que le lien rationnel ne pouvait être démontré, et qu'il ne l'avait pas été, puisque le Conseil n'avait jamais défini la portée du marché du service local de communications en termes de produits, de services et d'emplacement géographique, et qu'il n'avait jamais tenté d'analyser l'état de la concurrence dans ces marchés.
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144.
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Le Conseil fait remarquer qu'il a analysé l'état de la concurrence locale dans un certain nombre de décisions. Par exemple, dans la décision Cadre de réglementation applicable à la deuxième période de plafonnement des prix, Décision de télécom CRTC 2002-34, 30 mai 2002, le Conseil a conclu que la preuve, dans cette instance, démontrait que la concurrence fondée sur les installations se limitait généralement au marché d'affaires dans les grandes agglomérations urbaines, et qu'il y avait peu, ou pas du tout, de concurrence d'un quelconque type dans le marché des services de résidence. De même, dans la décision Examen des garanties relatives aux prix planchers des services tarifés de détail et questions connexes, Décision de télécom CRTC 2005-27, 29 avril 2005, le Conseil a conclu qu'à la lumière de la preuve dont il disposait, l'état de la concurrence dans les marchés locaux demeurait faible. Dans la décision 2005-28, le Conseil a conclu que bien que la part du marché ne soit pas toujours révélatrice du pouvoir de marché, il était évident que les ESLT sont les fournisseurs dominants des services locaux au Canada. Le Conseil a également indiqué qu'aucune preuve, dans la présente instance, ne permettait d'attester que les parts du marché avaient été sensiblement modifiées depuis la fin de 2003 ou que les ESLT n'avaient pas de pouvoir de marché pour ce qui est des services locaux.
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145.
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Le Conseil fait remarquer que depuis le moment où elle est entrée en vigueur, la règle de reconquête ne devait être appliquée qu'aussi longtemps que le manque de concurrence dans le marché des services locaux était tel que les ESLT pouvaient profiter d'un avantage concurrentiel indu ou injuste ou de bénéficier autrement d'une occasion injuste, en utilisant leur plus grande capacité à communiquer directement avec les clients de leurs concurrents afin de les reconquérir. Le Conseil fait également remarquer que dans la décision 2006-15 publiée aujourd'hui, il a déterminé les conditions particulières devant être respectées pour qu'il puisse supprimer la règle de reconquête et s'abstenir de réglementer.
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146.
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Par conséquent, le Conseil conclut que la règle de reconquête satisfait au critère du lien rationnel.
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Le critère de l'atteinte minimale
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Positions des parties
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Les ESLT
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147.
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Les Compagnies ont soutenu que la règle de reconquête ne respectait pas le critère de l'atteinte minimale puisque ses restrictions à la liberté d'expression n'étaient pas raisonnablement proportionnelles à ses objectifs. Les Compagnies ont appuyé leur argument en affirmant, d'abord, que la règle de reconquête faisait partie de ce qui était effectivement une interdiction complète du Conseil aux ESLT de faire la promotion des services locaux et des services de télécommunication en raison de l'effet de la règle de reconquête; elles ont également fait remarquer que le Conseil n'avait pas tenu compte des demandes des ESLT relatives aux promotions des services locaux. Les Compagnies ont fait valoir que la Cour a souligné, dans l'arrêt RJR-MacDonald, que dans le cas d'une interdiction complète, le critère de l'atteinte minimale ne serait satisfait que si l'on pouvait démontrer que seule une interdiction complète permettrait au gouvernement de réaliser son objectif41.
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148.
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Les Compagnies ont soutenu que, même si le Conseil assouplissait sa restriction relative aux promotions des ESLT visant les services locaux, la règle de reconquête, en soi, ne satisfait pas au critère de l'atteinte minimale. Les Compagnies ont fait valoir que dans le cas des clients du service de résidence, l'application de la règle de reconquête concernant la période de 12 mois d'interdiction de reconquête empiète sur la liberté d'expression en ce qui a trait aux services faisant l'objet d'une abstention et qui étaient suffisamment concurrentiels, c'est-à-dire l'accès Internet, l'interurbain et les services cellulaires. Les Compagnies ont soutenu qu'il était déraisonnable pour le Conseil d'appliquer la règle de reconquête à ces services, qu'ils soient ou non commercialisés comme faisant partie d'un groupe de services locaux, car il était inutile de restreindre les communications des ESLT touchant de tels services dans une tentative de limiter la commercialisation des services locaux.
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149.
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Comme autre exemple de l'application excessive de la règle de reconquête, les Compagnies ont souligné que les utilisateurs finaux de détail qui ne se sont pas abonnés au service local de Bell Canada ou qui se sont abonnés au service local offert par un concurrent qui loue la ligne locale de Bell Canada pouvaient obtenir l'accès au service Internet Sympatico de Bell Canada au moyen de la ligne de cuivre sèche (une ligne locale non utilisée pour fournir le service local téléphonique) à cet endroit, ce qui signifie que la reconquête d'un client du service Internet Sympatico n'amènerait pas nécessairement ce client à se réabonner au service local de base de Bell Canada.
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150.
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Les Compagnies ont fait valoir que la règle de reconquête ne portait pas une atteinte minimale à l'article 2b) de la Charte pour les motifs suivants : i) parce qu'elle s'appliquait désormais aux services VoIP; ii) en raison de nouveaux éléments de preuve indiquant qu'une période d'embargo d'un an sur le service de résidence est déraisonnable; et iii) en raison de la protection inutile et déraisonnable que cela confère aux compagnies de câblodistribution titulaires. Les Compagnies ont fait valoir que la preuve soumise par Rogers indiquant que ses taux de roulement les plus élevés continuaient à se produire parmi les clients qui s'étaient abonnés depuis trois mois ou moins a remis en question le caractère raisonnable d'une interdiction de plus de trois mois car la grande majorité des clients de Rogers qui ont transféré leur service à un concurrent l'ont fait au cours des trois premiers mois, même si une règle de reconquête était en vigueur. Les Compagnies ont affirmé que cela constituait une preuve irréfutable que les clients n'avaient plus besoin désormais d'une année complète pour évaluer raisonnablement la qualité du service.
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151.
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Les Compagnies ont également fait valoir que la période de 12 mois d'interdiction de reconquête était quatre fois plus longue que toute autre restriction de reconquête mise en place par le Conseil en ce qui concerne les marchés des EDR, des services Internet haute vitesse de détail et de l'interurbain. Les Compagnies ont ajouté que la preuve de Call-Net contenue dans la décision 2004-4 démontrait que, dans la plupart des cas, les clients qui avaient abandonné le service de Call-Net l'avaient fait dans les 90 jours suivant le transfert de leur service, même si les activités de reconquête étaient interdites.
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152.
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Les Compagnies ont soutenu que l'expérience des restrictions imposées aux États-Unis en rapport avec la règle de reconquête touchant les services locaux n'a fait que confirmer le caractère déraisonnable d'une période d'embargo d'une année pour le service de résidence. Les Compagnies ont fait valoir qu'il n'y avait pas de restrictions imposées par un règlement sur les activités de reconquête des ESLT dans la vaste majorité des États. Les Compagnies ont indiqué que dans 31 des 38 États sur lesquels Bell Canada a fait enquête, il n'y avait pas de telles interdictions et que, dans les États où il y avait interdiction, les ESLT n'avaient pas le droit de communiquer, pendant un certain temps, avec les anciens clients qui avaient transféré leur service à un autre fournisseur dans le but de les reconquérir. Les Compagnies ont fait valoir, toutefois, que les périodes obligatoires d'interdiction de reconquête étaient très courtes, en général de 7 ou 10 jours, sauf dans l'État d'Indiana où la période atteignait 17 jours pour les entreprises titulaires. Les Compagnies ont ajouté qu'il était important de souligner que les promotions liées aux reconquêtes étaient courantes dans ces États, une fois la période d'interdiction de reconquête terminée.
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153.
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Les Compagnies ont fait valoir que la Federal Communications Commission (la FCC), même si elle avait interdit initialement à certaines entreprises d'utiliser des renseignements privilégiés sur leurs clients afin de les reconquérir, par la suite, s'est rétractée, pour maintenir l'interdiction jusqu'au moment où le client a effectivement transféré son service. Les Compagnies ont fait valoir que la FCC avait conclu que le fait de maintenir l'interdiction une fois le transfert effectué pouvait priver les clients des avantages d'un marché concurrentiel42.
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154.
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TCI a soutenu qu'il était difficile pour les ESLT de justifier le recours à une publicité générale pour joindre un faible pourcentage de leur public-cible, c'est-à-dire les anciens clients du service local, étant donné les coûts associés à une telle publicité; par conséquent, l'incidence pratique de la règle de reconquête était d'interdire complètement aux ESLT de communiquer avec un certain secteur de leur public-cible pendant une période de donnée.
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155.
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TCI a soutenu que, contrairement au critère de l'atteinte minimale à la liberté d'expression au sein du marché des services locaux seulement, la règle de reconquête a réduit la liberté d'expression à un niveau tel, que cela pouvait fausser considérablement le marché de toute une gamme de services de télécommunication et de diffusion, ce qui, en fin de compte, nuit aux clients. TCI a soutenu que la règle de reconquête avait eu un effet démesuré sur le marché d'accès Internet haute vitesse, au détriment des clients, car les ESLT ne pouvaient pas notamment communiquer aux anciens clients du service local l'information relative à l'accès Internet haute vitesse et aux promotions Internet. TCI a également soutenu que la règle de reconquête empêche inutilement les ESLT de commercialiser leurs propres « trios » auprès des anciens clients du service téléphonique tout comme elle les avait empêchées de commercialiser leurs services autonomes de ligne d'abonné numérique ou de télévision, directement à leurs anciens clients du service téléphonique.
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156.
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TCI a soutenu que tous les fournisseurs, y compris les ESLT, offraient ou avaient l'intention d'offrir de nouveaux services VoIP qui devaient être décrits à leurs clients et, par conséquent, dans le contexte du VoIP, la règle de reconquête a donné à certains nouveaux venus une bonne avance sur le marché, au détriment des ESLT. De l'avis de TCI, la situation est tout autre : on ne parle plus de donner aux ESLC la possibilité de prouver que leur service de ligne locale revendue est de qualité comparable à celui des ESLT.
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157.
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TCI a soutenu que les compagnies de câblodistribution n'avaient pas besoin d'une période de 12 mois pour établir une clientèle stable dans le marché de résidence. Dans tous les cas, selon TCI, la preuve a démontré que le succès des activités de reconquête diminuait au fur et à mesure que le temps s'écoulait à partir du moment où un client transférait son service à un nouveau fournisseur, ce qui arrivait bien avant les 12 mois. TCI a ajouté que même si ses données étaient fondées sur son expérience des services interurbains de résidence, on pouvait s'attendre à ce que le taux de succès de reconquête des clients des services de résidence soit semblable à celui des clients du service interurbain. Par conséquent, TCI a soutenu que les conséquences sur la liberté d'expression des ESLT et de leurs anciens clients pouvaient difficilement satisfaire le critère de l'atteinte minimale.
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158.
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Aliant Telecom a soutenu qu'elle n'arrivait pas à comprendre comment le fait de restreindre les communications directes avec les clients au sujet de services qui changeaient rapidement et qui faisaient l'objet d'une abstention pouvait bénéficier aux clients, ni comment cela pouvait tant soit peu porter atteinte aux droits d'Aliant Telecom ou des clients, en vertu de la Charte. Aliant Telecom a fait valoir que les clients étaient suffisamment intelligents pour décider eux-mêmes quels services leur offraient les plus grands avantages et la meilleure valeur, et que les clients, s'ils possédaient toute l'information nécessaire sur les produits offerts, pourraient faire des choix éclairés sur les produits et les services qui répondent le mieux à leurs besoins.
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Les intimées
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159.
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L'ACTC a fait valoir qu'aussi longtemps que la règle de reconquête s'inscrivait à l'intérieur d'une gamme d'options raisonnables, elle ne serait pas considérée comme excessive simplement parce qu'elle constitue un choix éventuel plus susceptible d'atteindre l'objectif43. L'ACTC a soutenu que si la règle de reconquête était moins stricte, elle pourrait se montrer inapte à contribuer à l'atteinte des objectifs et que, même si les ESLT ont communiqué directement avec les clients, toute l'information demeurait librement disponible et accessible aux clients par l'intermédiaire des autres activités de commercialisation des Compagnies, et si le client a lui-même initié le contact directement auprès de ces Compagnies.
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160.
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MTS Allstream/Call-Net a soutenu que les Compagnies ont surévalué l'incidence de la règle de reconquête. MTS Allstream/Call-Net a fait valoir que les moyens choisis ne devaient pas être les moins restrictifs possibles, mais devaient être raisonnables en rapport avec les résultats escomptés44. MTS Allstream/Call-Net a soutenu qu'il n'était pas nécessaire de prendre en considération la plus haute norme contenue dans l'arrêt RJR-MacDonald pour justifier une interdiction complète, car la règle de reconquête ne constituait pas une interdiction complète. MTS Allstream/Call-Net a fait valoir que la règle de reconquête n'avait pas eu une incidence sur le contact des Compagnies avec les clients existants, et que les conséquences de la règle de reconquête se limitaient à interdire aux ESLT d'entrer en communication avec les quelques clients qui avaient décidé de transférer leur service mais qui ne l'avaient pas encore fait ou qui l'avaient fait au cours des 3 mois précédents (dans le cas des clients du service d'affaires) ou dans les 12 mois précédents (dans le cas des clients du service de résidence). MTS Allstream/Call-Net a ajouté que la règle de reconquête n'avait pas empêché les Compagnies de faire passer des messages de publicité à leurs clients au moyen d'une publicité générale ou d'autres stratégies de commercialisation, ni n'avait empêché les Compagnies de tenter de reconquérir des clients qui leur avaient téléphoné pour les informer qu'ils prévoyaient changer de fournisseur. MTS Allstream/Call-Net a également souligné que, dans la décision 2005-25, le Conseil a confirmé la possibilité pour les ESLT de faire la promotion du service local auprès du grand public.
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161.
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MTS Allstream/Call-Net a souligné l'argument des Compagnies voulant que pour les clients du service de résidence, la règle de reconquête entrave leur liberté d'expression en ce qui a trait aux services autres que les services locaux. Citant l'avis du Conseil dans la décision 2002-1, MTS Allstream/Call-Net a fait valoir que les conséquences de cet aspect de la règle de reconquête sur les ESLT étaient négligeables, à tout le moins, car trop peu d'abonnés (2 p. 100 à l'échelle nationale) avaient choisi de transférer leurs services locaux de résidence. MTS Allstream/Call-Net a également souligné le fait que les ESLT pouvaient encore tenter de reconquérir des clients qui avaient transféré des services autres que le service local de résidence à un autre fournisseur et pouvaient continuer à promouvoir toute une gamme de services auprès du grand public. MTS Allstream/Call-Net a soutenu qu'étant donné que les clients des concurrents étaient tout aussi exposés aux annonces publicitaires à la radio, dans la presse imprimée et à la télévision, il n'y avait pas lieu de déclarer que la règle de reconquête empêchait les ESLT de commercialiser leurs autres services.
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162.
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MTS Allstream/Call-Net a fait valoir que la justification contenue dans la décision 2002-1 demeurait fondée, peu importe l'allégation des Compagnies selon laquelle les clients qui n'étaient pas abonnés au service local de Bell Canada pouvaient accéder au service Internet de Bell Canada en utilisant les lignes sèches. Du point de vue de MTS Allstream/Call-Net, un appel téléphonique effectué par une ESLT à un ancien client au sujet de tout service autre que le service local entraînerait, selon toute probabilité, une discussion sur les besoins généraux du client en matière de télécommunication, y compris le service local. Selon MTS Allstream/Call-Net, Bell Canada était la seule ESLT fournissant une ligne sèche à ce stade-ci, et le fait de changer la règle de reconquête en se fondant sur la capacité d'un seul fournisseur était, à tout le moins, prématuré.
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163.
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Pour répondre à l'allégation des Compagnies selon laquelle les périodes d'application de la règle de reconquête étaient trop longues, MTS Allstream/Call-Net a présenté les arguments suivants. Premièrement, pour répondre à l'argument selon lequel la règle de reconquête ne devait s'appliquer qu'à partir du moment de la demande de transfert jusqu'au moment du transfert réel, la lettre sur la reconquête interdisait à une ESLT de tenter de reconquérir un client durant les trois mois suivant le transfert complet du service. Deuxièmement, pour répondre à l'argument selon lequel l'élargissement de la période d'application, aux termes de la décision 2004-4, n'était pas fondé, la preuve présentée par Call-Net, appuyée par les allégations de FCI Broadband et de Microcell et acceptée par le Conseil, démontrait que les concurrents qui ont conservé des clients pendant toute une année avaient davantage tendance à se bâtir une clientèle stable. MTS Allstream/Call-Net a fait valoir qu'étant donné que le but de la règle de reconquête était de faciliter la concurrence, il était raisonnable, pour le Conseil, en se fondant sur cette preuve, de décider que la concurrence serait plus durable si les concurrents avaient la chance de maintenir leur clientèle.
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164.
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Pour répondre à l'argument selon lequel les fournisseurs de services de câblodistribution n'avaient pas besoin de la protection offerte par la règle de reconquête, MTS Allstream/Call-Net a riposté que, malgré les avantages dont jouissaient les fournisseurs de services de câblodistribution, ce qui n'était peut-être pas le cas pour les ESLC, l'objectif sous-jacent de la règle de reconquête s'appliquait aux fournisseurs de services de câblodistribution. Premièrement, une ESLT pouvait aller recueillir de l'information sur le processus de transfert du client et possédait de l'information sur chaque abonné de la téléphonie locale, ce que ne possédaient pas les autres fournisseurs. Deuxièmement, même si elles possédaient une infrastructure, les entreprises de câblodistribution auraient également besoin de temps pour faire la preuve de la fiabilité de leurs services, ce que la règle de reconquête avait pour but d'offrir en évitant un taux élevé de roulement des clients. Troisièmement, bien que certaines compagnies de câblodistribution aient des économies d'échelle plus importantes que d'autres concurrents, les ESLT demeuraient dans une position dominante dans le marché de la téléphonie locale et pouvaient utiliser leur pouvoir de marché pour faire échec à la concurrence. MTS Allstream/Call-Net a fait valoir que la règle de reconquête a été correctement appliquée aux fournisseurs de services de câblodistribution jusqu'à ce que les conditions de marché actuelles prouvent qu'ils avaient fait une percée réelle dans le marché des services téléphoniques locaux de résidence.
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165.
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Selon MTS Allstream/Call-Net, la règle de reconquête devait être temporaire, et l'exemple des restrictions de reconquête dans le secteur des EDR a démontré qu'une fois la concurrence établie et la possibilité d'abus suffisamment réduite, le Conseil s'est montré prêt à réduire les restrictions. MTS Allstream/Call-Net a fait valoir que le Conseil a évalué la règle de reconquête sur une base continue afin de s'assurer de sa pertinence.
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166.
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En ce qui concerne l'argument des Compagnies voulant de l'application de la règle de reconquête aux services VoIP ait empêché les anciens clients de recevoir des messages de commercialisation de la part des ESLT au sujet de leurs propres services VoIP, MTS Allstream a soutenu que la règle de reconquête n'avait pas empêché les Compagnies de communiquer directement à leurs clients actuels de l'information sur leurs services VoIP présents ou futurs, ni de commercialiser leurs services au grand public, ce qui comprend nécessairement les clients de leurs concurrents. MTS Allstream a soutenu qu'à cet égard, la règle de reconquête portait une atteinte minimale à la liberté d'expression des Compagnies.
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167.
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En réponse aux Compagnies qui affirmaient que puisque les services VoIP constituaient une catégorie nouvelle et récente de services, les consommateurs avaient besoin de renseignements plus directs et plus approfondis à leur égard, MTS Allstream a fait valoir que les Compagnies ignoraient un fait essentiel, c'est-à-dire que dans la décision 2005-28, le Conseil avait conclu que le service VoIP local pouvait constituer un substitut au service téléphonique local. MTS Allstream a donc soutenu que le service VoIP local et le service téléphonique local faisaient partie du même marché, un marché où les ESLT demeuraient fortement dominantes. MTS Allstream a soutenu que le fait de permettre aux Compagnies de demander aux clients de retourner à leurs services VoIP locaux, tout en continuant d'appliquer la règle de reconquête aux services téléphoniques locaux à commutation de circuits, serait incompatible avec la conclusion du Conseil et entraînerait une exception à la règle sur un aspect technologique mal défini et non traitable. MTS Allstream a soutenu qu'une telle exception serait presque impossible à mettre en oeuvre, car elle donnerait lieu à des démarches réglementaires interminables, en vue de déterminer les limites de cette exception, et pourrait entraîner de la part des Compagnies de l'abus généralisé et des tactiques de diversion.
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168.
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En ce qui concerne l'allégation des Compagnies selon laquelle le prolongement à 12 mois de la période d'application de la règle de reconquête était excessive, MTS Allstream a noté que dans une demande de renseignements, on a demandé aux ESLT de comparer le succès de leurs activités de reconquête visant les clients du service de résidence qui ont été menées une fois terminée la période d'interdiction de reconquête de 3 mois, avec les succès remportés après une période de 12 mois. De l'avis de MTS Allstream, le fait que les ESLT ont été incapables de fournir l'information demandée est révélateur. MTS Allstream s'est référée aux allégations de Bell Canada et d'Aliant Telecom, selon lesquelles dans le domaine des interurbains, plus le temps s'écoulait après le transfert des clients, plus les taux de succès des reconquêtes diminuaient; MTS Allstream a ajouté que la preuve présentée par les intimées confirmait l'efficacité de la règle de reconquête. MTS Allstream a soutenu qu'en résumé, cela démontrait qu'une période d'interdiction de reconquête plus longue permettait d'atteindre exactement l'objectif visé : réduire le taux de roulement des clients, favorisant ainsi le choix des clients et une concurrence durable.
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169.
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En ce qui concerne la preuve présentée par les Compagnies concernant le traitement réglementaire de la règle de reconquête aux États-Unis, MTS Allstream a soutenu que cette preuve n'était pas pertinente dans le contexte canadien45.
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170.
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Rogers a fait valoir que Bell Canada n'avait produit aucune preuve pour appuyer sa thèse selon laquelle les médias de masse avaient perdu de leur efficacité pour communiquer avec d'anciens clients. Rogers a fait valoir également que même si cela était vrai, la règle de reconquête ne satisferait pas davantage au critère de l'atteinte minimale pour autant. Rogers a soutenu que dans l'arrêt Sharpe, la juge en chef McLachlin a expliqué que pour satisfaire au critère de l'atteinte minimale, les moyens choisis ne devaient pas être les moins restrictifs possibles, mais devaient être plutôt raisonnables à la lumière des résultats attendus46.
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171.
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En ce qui concerne l'argument de Bell Canada selon lequel en raison de l'importance croissante des groupements de services, les conséquences négatives de la règle de reconquête se sont accrues puisque cela a empêché les ESLT de pouvoir commercialiser d'autres services faisant l'objet d'une abstention, Rogers a fait valoir que Bell Canada a nettement surévalué l'incidence de la règle de reconquête sur sa capacité de commercialisation. Rogers a fait valoir que même si la règle de reconquête interdisait aux ESLT de communiquer avec les clients du service de résidence au sujet d'un service quelconque au cours de la période visée, ces clients devaient quand même s'abonner au service local d'un concurrent pour être protégés en vertu de la règle de reconquête. Rogers a soutenu que cela signifiait que le nombre des clients auprès desquels Bell Canada n'avait pas le droit de promouvoir directement ces services pour une période de 12 mois représentait tout au plus 2 p. 100 de l'ensemble du marché.
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172.
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Pour répondre à l'allégation des Compagnies selon laquelle la période de 12 mois d'interdiction de reconquête à l'égard des clients du service de résidence était trop longue, Rogers a soutenu que la réponse de Bell Canada aux demandes de renseignements prouvait que la règle de reconquête avait été plus efficace parce qu'elle avait été prolongée de 3 à 12 mois. Rogers a mentionné la déclaration de Bell Canada selon laquelle le succès des activités de reconquête était inversement et fortement lié au temps écoulé entre le moment où les clients avaient effectivement transféré leur service à un concurrent et le moment où l'on a tenté de les reconquérir. Rogers a déclaré de nouveau qu'à son avis, pour qu'une mesure satisfasse au critère de l'atteinte minimale, il n'est pas nécessaire qu'elle soit la moins restrictive possible; il suffit qu'elle soit raisonnable par rapport aux objectifs à atteindre.
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173.
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Rogers a fait valoir que toutes les parties s'entendaient en général pour dire que la règle de reconquête a facilité la tâche des nouveaux venus sur le plan de l'acquisition et de la fidélisation des clients, et que plus la période d'interdiction de reconquête est longue, plus les avantages sont grands. Rogers a fait valoir que les réponses de Bell Canada confirmaient sans équivoque qu'elle aurait été en mesure de conserver une part considérablement plus grande du marché si ce n'avait été de la période d'interdiction de reconquête de 12 mois. En bref, Rogers a fait valoir que l'objectif urgent et réel de favoriser la concurrence dans les services locaux aurait eu moins de succès ou aurait même été un échec total si ce n'avait été de la période d'interdiction de reconquête de 12 mois.
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174.
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Quant à l'application de la règle de reconquête aux services VoIP locaux, Rogers a fait valoir que les arguments appuyant la règle de reconquête en ce qui a trait au SLB s'appliquaient également aux services VoIP locaux. Rogers a ajouté que rien ne prouvait que le public avait besoin d'offres ciblées dans le contexte des efforts de reconquête de la part des ESLT pour être informé des services et de la technologie VoIP. Rogers a fait valoir que le public semblait bien informé des nouvelles technologies en dépit de la règle de reconquête.
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175.
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EastLink a fait valoir que ses réponses aux demandes de renseignements du Conseil prouvaient que le groupement d'autres services avait un effet sur le taux de transfert du service local à Aliant Telecom. EastLink a également fait savoir qu'à l'heure actuelle, les clients qui désirent s'abonner au service de la télévision numérique d'Aliant Telecom, par exemple, doivent s'abonner au service Internet haute vitesse d'Aliant Telecom et que ces clients avaient davantage tendance à s'abonner également au service téléphonique d'Aliant Telecom.
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176.
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En ce qui concerne l'allégation des Compagnies selon laquelle l'application de la règle de reconquête aux services VoIP était excessive, QMI a fait valoir que s'il y avait un besoin d'information au sujet des nouveaux services VoIP, ce besoin existait également pour tous les clients, pas seulement pour les clients que l'on cherchait à reconquérir.
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Réplique des Compagnies
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177.
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Les Compagnies ont fait valoir que la règle de reconquête constituait une interdiction totale d'une forme particulière de publicité de l'ESLT, c'est-à-dire le contact direct établi par l'ESLT pour tenter de commercialiser son service local, en personne, par la poste, par téléphone, par télécopieur ou par courriel, auprès d'anciens clients de son service local. Les Compagnies ont aussi fait valoir que la décision 2005-25 a clairement interdit les promotions des ESLT visant les services locaux qui ciblaient les clients des concurrents des ESLT, un segment du marché qui incluait nécessairement les anciens clients des ESLT. Elles ont soutenu que, si elles sont lues ensemble, la décision 2005-25 et la règle de reconquête interdisaient aux ESLT d'établir toute forme de communication avec leurs anciens clients, y compris le contact direct et la publicité par les médias de masse. Les Compagnies ont également soutenu que les possibilités de faire de la publicité dans les médias généraux n'atténuaient d'aucune façon le caractère exhaustif de l'interdiction totale du marketing direct. Elles ont fait valoir que cet argument équivalait à obliger les ESLT à communiquer des messages qu'elles ne souhaitaient pas diffuser par la voie de médias qu'elles ne voulaient pas utiliser.
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178.
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Les Compagnies ont également soutenu que la nature « temporaire » de l'interdiction ne changeait pas sa portée excessive. Elles ont fait valoir que le Conseil n'avait jamais considéré de mesures n'enfreignant pas la Charte comme un moyen d'offrir aux concurrents une « période raisonnable » pour démontrer la qualité et la fiabilité de leurs services. Les Compagnies ont soutenu que la preuve de Rogers indiquait que la plupart des transferts de ses clients continuaient de se produire durant leurs trois premiers mois de service, à un moment où ces clients étaient privés de l'accès aux communications de reconquête des ESLT. Selon les mémoires des Compagnies, cette preuve confirmait que les clients pouvaient prendre une décision et la prenaient effectivement dans les trois premiers mois de service. Les Compagnies ont soutenu qu'il était contraire à la logique, au bon sens et à la preuve au dossier de suggérer que les clients du service de résidence étaient incapables de faire un choix éclairé par rapport aux fournisseurs de service local, à moins qu'ils aient été abonnés au service d'une ESLC pendant toute une année.
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179.
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En réponse aux arguments des intimées selon lesquels la situation des États-Unis était non pertinente au Canada en raison des différentes conditions concurrentielles des deux pays, les Compagnies ont fait valoir que, selon leur preuve, même lorsque la part du marché des ESLC pour le service local de résidence et les services d'accès local dans un État était nulle, ou très faible, l'organisme de réglementation de l'État concerné jugeait inapproprié d'imposer une période d'embargo sur la reconquête.
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180.
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Les Compagnies ont soutenu que, contrairement à la suggestion des intimées voulant que le nombre de personnes touchées par une violation de la Charte puisse servir à atténuer le critère découlant de l'arrêt Oakes, le fait qu'il y avait des Canadiens dont les droits garantis par la Charte n'étaient pas enfreints actuellement par la règle de reconquête n'allégeait pas pour les intimées le fardeau d'établir qu'il était raisonnablement nécessaire d'enfreindre les droits à la liberté d'expression de toutes les personnes concernées. De l'avis des Compagnies, la violation des droits à la liberté d'expression, ne serait-ce que ceux d'une seule personne, place un fardeau sur la partie qui cherche à maintenir cette restriction pour satisfaire à chaque élément du critère découlant de l'arrêt Oakes.
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181.
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Les Compagnies ont affirmé qu'aucun des arguments des intimées ne réfutait l'idée que l'application de la règle de reconquête aux services faisant l'objet d'une abstention et aux services autres que les services de télécommunication étendait les formes d'expression protégées qui sont interdites en vertu de la règle de reconquête. Les Compagnies ont soutenu que le fait que les entreprises de câblodistribution étaient tout aussi capables d'assembler des forfaits comprenant des services identiques ou comparables (par ex., téléphonie locale, interurbain, options téléphoniques locales, Internet, services de radiodiffusion, et dans certains cas des services sans fil) à des prix concurrentiels atténuait les motifs d'adoption de la règle de reconquête par le Conseil. Les Compagnies ont fait valoir que, à la lumière de ces nouvelles réalités, il n'y avait plus lieu de craindre que les ESLT aient pu déjà avoir un avantage sur les concurrents quand il s'agissait d'assembler des forfaits incluant des services non locaux afin de reconquérir leurs anciens clients du service local.
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182.
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Les Compagnies ont fait valoir que les intimées n'ont offert aucune preuve permettant de conclure que le fait de communiquer avec un client au sujet d'un service quel qu'il soit pourrait mener, selon toute probabilité, à une discussion sur ses besoins en télécommunication, y compris le service local. Selon les Compagnies, une telle supposition ne constituait pas un motif suffisant pour interdire une forme d'expression protégée par la Charte et ne tenait pas compte des raisons du Conseil justifiant l'extension de la règle de reconquête au service Internet, selon lesquelles la reconquête d'un client Internet « entraînerait inévitablement la récupération du service local de base »47.
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183.
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Les Compagnies ont soutenu que la possibilité que la règle de reconquête puisse être restreinte ou éliminée à un moment donné n'était pas pertinente dans la mesure où elle enfreignait la liberté d'expression à l'heure actuelle. Selon les Compagnies, la règle de reconquête était en vigueur depuis plus de sept ans et avait pour but, entre autres, de favoriser une « concurrence durable » et de mener à une « clientèle stable » pour les concurrents, lesquels termes n'ont jamais été définis. Les Compagnies ont soutenu que, par conséquent, les conditions préalables à remplir, le cas échéant, pour que la règle de reconquête soit assouplie ou retirée n'étaient pas évidentes et que, dans la mesure où le Conseil pourrait traiter de la règle de reconquête dans l'instance sur l'abstention de la réglementation des services locaux, cela pourrait se produire au plus tôt en mars 2006.
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184.
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Les Compagnies ont fait valoir que l'application de la règle de reconquête à des fins de protection des entreprises de câblodistribution reflétait encore plus la portée excessive de cette règle. Elles ont soutenu que la suppression d'un élément important de la concurrence, soit l'échange réciproque, gratuit et rapide de l'information commerciale parmi les ESLT et avec leurs anciens clients, afin de protéger des concurrents dynamiques et solides financièrement comme les entreprises de câblodistribution titulaires, ne représenterait pas une atteinte minimale. Les Compagnies ont fait valoir que, contrairement à la suggestion de l'ACTC, l'objectif de la règle de reconquête n'était pas de s'opposer au ciblage anticoncurrentiel effectué par les ESLT, car les règles sur les promotions et la tarification des services locaux du Conseil assuraient une protection adéquate contre de telles activités.
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Conclusions du Conseil
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185.
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Le Conseil signale que la norme appropriée en vertu de laquelle on évalue si une mesure représente une atteinte minimale a été établie par la Cour comme suit :
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[L]e gouvernement doit établir que les mesures en cause restreignent le droit à la liberté d'expression aussi peu que cela est raisonnablement possible aux fins de la réalisation de l'objectif législatif. La restriction doit être « minimale », c'est-à-dire que la loi doit être soigneusement adaptée de façon à ce que l'atteinte aux droits ne dépasse pas ce qui est nécessaire. Le processus d'adaptation est rarement parfait et les tribunaux doivent accorder une certaine latitude au législateur. Si la loi se situe à l'intérieur d'une gamme de mesures raisonnables, les tribunaux ne concluront pas qu'elle a une portée trop générale simplement parce qu'ils peuvent envisager une solution de rechange qui pourrait être mieux adaptée à l'objectif et à la violation. Par contre, si le gouvernement omet d'expliquer pourquoi il n'a pas choisi une mesure beaucoup moins attentatoire et tout aussi efficace, la loi peut être déclarée non valide48.
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186.
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Pour les raisons mentionnées ci-après, le Conseil conclut que la règle de reconquête satisfait au critère de l'atteinte minimale.
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Interdiction partielle ou totale
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187.
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Le Conseil fait remarquer que la Cour a indiqué qu'« il sera plus difficile de justifier l'interdiction totale d'une forme d'expression que l'interdiction partielle »49.
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188.
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Les Compagnies et TCI ont fait valoir que la règle de reconquête constituait une interdiction totale d'une forme particulière de publicité de l'ESLT.
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189.
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De l'avis du Conseil, le fait de qualifier la règle de reconquête d'interdiction totale des communications entre les ESLT et leurs anciens clients du service local, comme l'ont fait les Compagnies, fait en sorte que l'on réduit artificiellement la forme et le contenu de l'expression qui fait l'objet d'une restriction. Le Conseil estime que le fait de qualifier la règle de reconquête d'interdiction totale de cette manière ferait disparaître la distinction entre ce qui constitue une interdiction partielle et une interdiction totale puisqu'on ne tiendrait pas compte de l'éventail des formes d'expression des ESLT auxquelles la règle de reconquête ne n'applique pas.
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190.
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Tel que mentionné ci-dessus, la règle de reconquête s'applique seulement pendant une période déterminée aux communications directes avec d'anciens clients pour tenter de les reconquérir, pour les services locaux dans le cas des clients d'affaires, et pour tous les services dans le cas des clients du service de résidence.
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191.
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La règle de reconquête n'empêche pas une ESLT de communiquer directement avec :
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- les clients actuels de ses services locaux, y compris ceux qui ont choisi de s'abonner à d'autres services chez un concurrent;
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- les anciens clients de ses services locaux au sujet de tout service que l'ESLT continue de fournir au client ou de tout service que le client n'avait pas acheté de l'ESLT auparavant;
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- un ancien client de ses services locaux qui a appelé l'ESLT au sujet desdits services.
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En outre, la règle de reconquête n'a aucune incidence sur la capacité d'une ESLT de faire de la publicité dans les médias généraux, sur Internet ou par l'intermédiaire de ses points de vente au détail, ou de tenir d'autres activités de commercialisation qui ne nécessitent pas de communication directe avec d'anciens clients du service local dans laquelle l'ESLT tente de les reconquérir.
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192.
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Le Conseil fait remarquer que par opposition aux situations liées à une interdiction totale dont fait mention la jurisprudence, où les clients sont privés d'information permettant de faire des choix éclairés, la règle de reconquête ne touche que les anciens clients du service local durant une période déterminée, et qu'en outre, ces consommateurs disposent de plusieurs moyens d'obtenir de l'information des ESLT au sujet des produits et services qu'elles fournissent conformément à la Loi.
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193.
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Le Conseil note l'argument des Compagnies selon lequel la règle de reconquête, conjointement avec les restrictions à l'égard des promotions du service local énoncées dans la décision 2005-25, constituait une interdiction totale. Le Conseil fait remarquer que les règles tarifaires dans la décision 2005-25 concernent le tarif particulier que les ESLT peuvent légalement facturer pour un service de télécommunication et les conditions selon lesquelles le Conseil serait prêt à approuver un tarif pour l'offre de service, conformément aux articles 25 et 27 de la Loi. À ce titre, les règles tarifaires sont distinctes et indépendantes de la règle de reconquête et, tel que mentionné précédemment, ne sont pas en cause dans cette instance. Quoi qu'il en soit, le Conseil conclut que le fait que ces règles tarifaires exigent que les ESLT rendent accessibles et fassent la promotion, auprès de tous les clients à l'intérieur d'une tranche tarifaire donnée, des rabais ou d'autres offres promotionnelles qu'elles désirent proposer aux clients des concurrents à l'intérieur de cette même tranche, et qu'une telle offre doive satisfaire à certaines garanties de tarification, ne fait pas en sorte que la règle de reconquête constitue une interdiction totale.
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194.
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À la lumière de tout ce qui précède, le Conseil conclut que la règle de reconquête, étant une interdiction ne touchant que certains clients, dans certaines circonstances, pour une période déterminée, peut être qualifiée à juste titre d'interdiction partielle.
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Solutions de rechange ne représentant pas d'entrave
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195.
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Les Compagnies ont soutenu que le Conseil n'a pas envisagé de solutions de rechange qui ne représentaient pas d'entrave pour la règle de reconquête. Le Conseil conclut qu'il n'y a aucune solution de rechange de cette nature à la règle de reconquête qui permettrait d'atteindre l'objectif de la règle, puisque c'est la communication directe entre les ESLT et leurs anciens clients du service local à des fins de reconquête qui cause un préjudice que la règle de reconquête a toujours cherché à empêcher.
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Historique de la mesure contestée
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196.
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Le Conseil fait remarquer que les modifications apportées dans le cadre de la règle de reconquête depuis 1998 prouvent qu'il a adapté la mesure le plus possible aux changements dans le marché des télécommunications pour les raisons mentionnées ci-après.
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(i) Extension de la règle de reconquête à tous les services - Décision 2002-1
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197.
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Dans la décision 2002-1, le Conseil a examiné les nouvelles circonstances entourant la prestation de services locaux à la suite d'une plus grande offre de services groupés. Le Conseil a réagi en étendant l'application de la règle de reconquête des anciens clients du service de résidence aux tentatives de les reconquérir dans le cas d'un service qui a été transféré à un concurrent. Le Conseil fait remarquer qu'il y avait deux volets à l'extension de l'application de la règle de reconquête.
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198.
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En premier lieu, le Conseil a précisé qu'une offre de services groupés, incluant le service local, faite à un ancien client du service local obligerait nécessairement celui-ci à revenir au service local de l'ESLT. De la même façon, une offre de services groupés incluant notamment des services locaux optionnels, qui dépendent techniquement du service local de l'ESLT, constituerait une pratique de reconquête à l'égard du service local, puisque le client, en acceptant l'offre, serait obligé, pour des raisons techniques, de revenir au service local de l'ESLT. Le Conseil a conclu qu'une offre de services groupés incluant le service local ou un service local optionnel (ou tout autre service qui oblige le client, pour des raisons techniques, à obtenir le service local de l'ESLT) serait équivalente à une tentative de reconquérir le service local puisque le client serait tenu de s'abonner au service local faisant partie du groupe de services.
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199.
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Le deuxième volet de cette extension était qu'elle incluait les tentatives de reconquérir un ancien client du service local de résidence pour ce qui est de tout service de télécommunication que le client avait transféré à un concurrent, même lorsque l'offre de l'ESLT ne concernait pas un groupe de services incluant le service local ou un service dépendant du service local. Le raisonnement était le suivant : si un ancien client du service local qui a également transféré d'autres services à un concurrent se fait convaincre de revenir aux services non locaux de l'ESLT, il est raisonnable de s'attendre à ce que le client revienne également pour le service local.
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200.
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Le Conseil conclut que le dossier de la présente instance est conforme aux conclusions qu'il a tirées dans la décision 2002-1. La preuve révèle que la très grande majorité des consommateurs du service de résidence achètent au moins un service de télécommunication supplémentaire auprès de leur fournisseur de services locaux, qu'une importante proportion d'entre eux achètent deux services supplémentaires, et que l'avantage pratique lié au fait de transiger avec un seul fournisseur et de recevoir une seule facture représente une importante considération pour beaucoup de consommateurs. De plus, le Conseil fait remarquer qu'il a tenu compte des éléments de preuve confidentiels soumis par les ESLT relativement au nombre de services auxquels s'abonnent les clients du service de résidence lorsqu'ils reviennent à leur ESLT de départ après avoir fait affaire avec un concurrent. Le Conseil a également tenu compte de l'observation selon laquelle EastLink affirme que la perte d'un abonné à l'égard d'un service se traduit généralement par la perte d'un abonnement à plusieurs services.
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201.
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Par conséquent, compte tenu de la preuve, le Conseil conclut que si une ESLT communique avec un ancien client de ses services locaux de résidence pour tenter de le reconquérir à l'égard d'un service non local qu'il a transféré à un concurrent et qu'elle réussit à convaincre le client de revenir, il est raisonnable de s'attendre à ce que le client revienne également pour le service local.
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202.
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Les Compagnies ont également fait valoir que la règle de reconquête s'étendait aux services faisant l'objet d'une abstention et aux services autres que de télécommunication, ce qui était de ce point de vue déraisonnable. Premièrement, le Conseil fait remarquer que la règle de reconquête ne s'applique qu'aux services de télécommunication qu'un ancien client du service local a transféré à un concurrent, et non, par exemple, aux services de radiodiffusion (à moins que le service autre que de télécommunication soit offert à la condition que le client s'abonne à un service de télécommunication). Deuxièmement, tel que mentionné ci-dessus, si un ancien client du service local revient à une ESLT pour un service faisant l'objet d'une abstention, il est raisonnable de penser que ce client reviendra également pour le service local.
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(ii) Prolongation de la règle de reconquête de 3 à 12 mois - Décision 2004-4
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203.
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Le Conseil note l'argument des Compagnies selon lequel la prolongation de la règle de reconquête à 12 mois dans le cas des clients du service de résidence était excessive puisque, selon la preuve présentée par Call-Net dans l'instance qui a mené à la décision 2004-4, les clients qui ont quitté Call-Net l'ont fait dans la plupart des cas dans les 90 premiers jours suivant le transfert.
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204.
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Le Conseil fait remarquer que dans l'instance ayant mené à la décision 2004-4, Call-Net faisait référence à une étude de groupes de discussion qui révélait que, selon le mois, de 8 p. 100 à 34 p. 100 des répondants avaient quitté Sprint Canada à la suite d'appels téléphoniques de Bell Canada. Call-Net faisait remarquer qu'il existait une corrélation entre la fluctuation des pourcentages mensuels et le niveau d'activité de reconquête de Bell Canada. Selon la preuve présentée par Call-Net dans cette instance, à laquelle les Compagnies ont fait référence, le roulement augmentait de 25 p. 100 après l'expiration de la période d'interdiction de reconquête qui était alors fixée à trois mois. La preuve de Call-Net indiquait aussi que, après un an de fidélisation des clients, le roulement avait baissé à 17 p. 100 du niveau enregistré au cours des 30 premiers jours suivant le transfert des clients à Sprint Canada. Dans l'instance qui a mené à la décision 2004-4, des éléments de preuve démontraient également l'incidence que le roulement avait sur les coûts de Call-Net.
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205.
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Le Conseil conclut que la preuve des ESLT et des ESLC dans la présente instance démontre que, de façon générale, plus le client reste abonné longtemps à une ESLC, plus le taux de roulement de l'ESLC et le taux de reconquête de l'ESLT sont bas.
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206.
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Bien que le Conseil ne considère pas que le taux de succès des reconquêtes du service interurbain ne soit pas nécessairement équivalent à celui des reconquêtes visant le marché des services locaux, il accepte l'argument des Compagnies selon lequel « les données [ sur le marché de l'interurbain] démontrent que le succès des activités de reconquête est inversement et fortement lié au temps écoulé entre le moment où le client transfère son service à un concurrent et le moment où l'on a tenté de le reconquérir ». TCI a ajouté qu'on pouvait s'attendre à ce que le taux de succès de reconquête des clients du service local de résidence soit semblable à celui des clients du service interurbain de résidence.
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207.
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Le Conseil estime qu'il serait difficile de prouver de manière concluante que le taux de roulement après une période d'interdiction de reconquête de 12 mois est considérablement inférieur à ce qu'il serait après une période plus courte. Pour le prouver, il faudrait isoler l'impact de la règle de reconquête d'autres facteurs exogènes qui pourraient influencer le taux de roulement, comme les concurrents particuliers dans le marché à ce moment-là, la nature des offres concurrentielles tant en matière de type de services que de tarification, une grève chez l'ESLT ou le concurrent, le niveau d'activité de reconquête ou d'autres circonstances qui pourraient influer considérablement sur le service à la clientèle durant une période particulière.
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208.
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De plus, le Conseil indique que l'objectif précis de la règle de reconquête n'est pas de réduire le nombre de clients reconquis par les ESLT, ni de s'assurer que les ESLC conservent leur clientèle; le but visé est plutôt de voir à ce que les ESLT ne reconquièrent pas d'abonnés grâce à un avantage indu ou injuste, ou une occasion injuste, et que les ESLC aient une juste occasion de conserver leur clientèle. Le Conseil estime donc que les données relatives au taux de roulement ne sont pas déterminantes en ce qui a trait à ces questions, même si elles peuvent constituer une indication du degré d'utilité et d'efficacité de la règle de reconquête.
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209.
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Le Conseil conclut, à la lumière des circonstances entourant la prolongation de la règle de reconquête à 12 mois et qui existaient jusqu'à tout récemment, qu'une période d'interdiction de reconquête de 12 mois était nécessaire et justifiée afin d'atteindre l'objectif de la règle de reconquête. Tel que mentionné ci-dessus, dans la décision 2006-15, le Conseil a raccourci la période d'interdiction de reconquête des clients du service de résidence de 12 à 3 mois, compte tenu des nouvelles circonstances du marché.
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210.
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Les Compagnies ont également soutenu que rien ne prouvait que les concurrents avaient besoin de 12 mois pour recouvrer les coûts d'acquisition d'un nouveau client. Cependant, le Conseil fait remarquer que la règle de reconquête n'a pas été prolongée à 12 mois pour cette raison. Tel que mentionné ci-dessus, la règle de reconquête dans le cas des services locaux de résidence a plutôt été prolongée sur le fondement que la concurrence s'est implantée plus lentement que prévu, et que les ESLT ont profité d'un avantage concurrentiel indu ou injuste ou bénéficié d'une occasion injuste, découlant de leur capacité accrue à communiquer directement avec les clients des concurrents à des fins de reconquête. Le Conseil a conclu qu'il était nécessaire et justifié de prolonger la règle de reconquête pour offrir aux ESLC une occasion équitable de retenir leurs clients. Quoi qu'il en soit, le Conseil note que bien qu'aucune information précise sur les coûts n'ait été fournie à cet égard dans le dossier de la présente instance, les intimées ont fait valoir qu'une plus longue période donne au concurrent une occasion de récupérer son investissement initial dans l'acquisition du client. Dans la décision 2004-4, le Conseil a estimé que le roulement des clients coûte cher à toutes les ESL et est particulièrement nuisible aux ESLC étant donné qu'elles n'ont pas de clientèle suffisamment importante et stable pour financer leurs activités courantes.
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Le contexte international
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211.
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Les Compagnies ont soutenu que l'expérience aux États-Unis concernant les restrictions de reconquête des services locaux ne servait qu'à confirmer le caractère déraisonnable de la période d'embargo d'un an applicable aux clients du service de résidence. Elles ont fait valoir qu'une majorité des États américains n'avait absolument aucune restriction de reconquête, et que les périodes d'interdiction de reconquête dans les États qui imposaient des restrictions étaient beaucoup plus courtes qu'au Canada. Les Compagnies ont également fait référence à une décision de la FCC qui présentait des conclusions différentes de celles du Conseil quant à l'effet de l'activité de reconquête sur la concurrence.
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212.
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Le Conseil fait remarquer qu'il n'existe aucun consensus parmi les organismes de réglementation aux États-Unis pour ce qui est du besoin de restrictions de reconquête relatives aux entreprises de télécommunication, ou de leur portée appropriée. Le Conseil conclut également que les preuves au dossier ne permettent pas d'expliquer pourquoi les règles de reconquête adoptées par certains organismes de réglementation des États ou par la FCC, ou l'absence de telles règles, sont déterminantes dans la présente instance, compte tenu des différences liées au contexte de réglementation et à l'état de la concurrence pour les services locaux au Canada. Par conséquent, le Conseil conclut que les mesures réglementaires adoptées ou non par divers États américains, ou par la FCC, ne pèsent pas lourd dans l'évaluation du caractère raisonnable de la règle de reconquête au Canada.
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Conclusions
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213.
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En résumé, compte tenu de la preuve et du contexte de réglementation dans lequel la règle de reconquête a été imposée, ainsi que de la nature et de la portée de l'atteinte à la libre expression des ESLT et des consommateurs, le Conseil conclut que la règle de reconquête ne porte pas atteinte à la liberté d'expression plus que raisonnablement nécessaire pour réaliser son objectif, et par conséquent satisfait au critère d'atteinte minimale.
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Élément des effets proportionnels
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Positions des parties
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Les ESLT
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214.
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Les Compagnies ont soutenu qu'il n'y avait aucune proportionnalité entre les effets néfastes et les effets bénéfiques de la règle de reconquête et que son extension en avait considérablement accru les effets préjudiciables, sans augmenter de façon évidente ses effets bénéfiques.
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215.
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Les Compagnies ont fait valoir que l'extension de la règle de reconquête avait réduit l'accès des consommateurs à des renseignements utiles, ce qui nuit à leur capacité de faire des choix éclairés. Les Compagnies ont fait valoir que de nombreux consommateurs éviteraient de transférer leurs services à des FSL concurrents s'ils savaient que cela les disqualifierait de toute admissibilité à d'autres promotions. Les Compagnies ont aussi fait valoir que l'extension des restrictions a eu un impact préjudiciable sur la commercialisation des ESLT dans les secteurs où elles étaient le plus vulnérables à la concurrence, comme les services d'accès à Internet, de communication sans fil et interurbains. Les Compagnies ont en outre fait valoir que dans l'ensemble, ces effets néfastes étaient disproportionnés par rapport aux effets bénéfiques de la règle de reconquête.
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216.
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Les Compagnies ont fait valoir que la décision de Bell Canada de mettre fin à ses activités de commercialisation à l'égard de tous ses services auprès de ses clients des petites et moyennes entreprises (PME) qui avaient transféré leur service local à un concurrent était largement attribuable à la règle de reconquête. Dans sa réponse aux demandes de renseignements, Bell Canada a en outre fait valoir que l'effet combiné de la règle de reconquête, de l'interdiction continue pour les ESLT, conformément à la décision 2005-25, de faire des promotions de leurs services locaux orientées uniquement vers les clients de concurrents ou offertes seulement dans les régions géographiques où les concurrents offraient des services, et de l'extension, conformément à la décision 2005-28, de la règle de reconquête aux promotions pour le service VoIP local, a fait en sorte qu'il était non rentable pour Bell Canada de se livrer à des activités de commercialisation auprès des clients des PME. De tels clients continuaient de s'attendre fortement à se voir offrir des forfaits incluant les services locaux et, pour que ces clients veuillent bien revenir à Bell Canada, ils exigeaient que Bell Canada leur offre, à tout le moins, des incitatifs financiers ou autres, y compris l'élimination des frais de raccordement du service. Bell Canada a fait valoir que pour toutes ces raisons, son taux de succès dans la reconquête de clients des PME était « presque nul ».
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217.
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TCI a soutenu que les effets préjudiciables de la règle de reconquête étaient si profonds et substantiels qu'ils ne pouvaient être jugés proportionnels. TCI a soutenu que la règle de reconquête nuisait à l'exploitation d'un marché concurrentiel des services locaux, ainsi qu'au développement de la VoIP au Canada, qu'elle endommageait la réputation des ESLT auprès de leurs anciens clients des services locaux, et qu'elle nuisait aux clients et à leurs droits à la liberté d'expression.
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218.
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TCI a soutenu que les demandes de renseignements du Conseil ne fourniraient pas suffisamment de renseignements pour satisfaire ses exigences de preuve dans la justification d'une violation de l'article 2b).
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Les intimées
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219.
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MTS Allstream/Call-Net a fait valoir que la restriction mineure à la liberté d'expression que représentait la règle de reconquête était largement compensée par les avantages que procure la promotion de la concurrence et l'accroissement des choix pour les clients. MTS Allstream/Call-Net a soutenu que, pour faire des choix éclairés, les clients devaient avoir accès à de l'information sur les fournisseurs concurrents, mais qu'ils n'avaient pas besoin que les Compagnies communiquent avec eux puisqu'ils les connaissent déjà, ils ont accès à la publicité que font les Compagnies et ils peuvent communiquer eux-mêmes avec les Compagnies. MTS Allstream/Call-Net a fait valoir que les Compagnies n'avaient fourni aucune preuve d'un impact préjudiciable sur la commercialisation de services concurrentiels par les ESLT.
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220.
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MTS Allstream/Call-Net a fait valoir que la règle de reconquête atténuait partiellement les avantages dont jouissent les Compagnies à titre de titulaires et leur pouvoir de marché, et qu'elle favorisait une véritable concurrence et un accroissement des choix pour les clients en permettant aux concurrents de garder leurs clients pendant 3 ou 12 mois avant qu'ils ne puissent faire l'objet de campagne de reconquête. MTS Allstream/Call-Net a en outre fait valoir qu'un marché concurrentiel se traduirait par des prix plus bas, une gamme plus vaste de fournisseurs et d'offres de service, la création de nouveaux produits et un contexte économique plus viable à long terme.
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221.
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En ce qui concerne l'argument des Compagnies selon lequel elles ont mis fin à leurs activités de commercialisation à l'égard de tous leurs services auprès des clients des PME, MTS Allstream/Call-Net a fait remarquer que la règle de reconquête n'empêchait pas les Compagnies de commercialiser des services autres que les services locaux auprès de leurs clients d'affaires et que le Conseil ne devait pas juger de la constitutionnalité de la règle de reconquête en se fondant sur sa mise en oeuvre inutilement restrictive par les Compagnies.
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222.
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L'ACTC a soutenu que les Compagnies n'avaient fourni aucune preuve ni aucune description détaillée des effets préjudiciables de la règle de reconquête sur les consommateurs ou sur la commercialisation de services concurrentiels par les ESLT. L'ACTC a en outre soutenu qu'il n'y avait aucune raison pour le Conseil de conclure que la règle de reconquête était préjudiciable, encore moins de manière disproportionnée.
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223.
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Rogers a soutenu que les réponses de Bell Canada aux demandes de renseignements n'avaient pas contesté son allégation voulant que la règle de reconquête n'ait pas substantiellement nui à la capacité des consommateurs de faire des choix éclairés. Rogers a fait valoir que les consommateurs n'avaient pas besoin de communications directes, individuelles et ciblées initiées par les ESLT pour être informés. Rogers a en outre fait valoir que ces clients étaient d'anciens clients des ESLT déjà familiers avec les services des ESLT, et qu'ils pouvaient obtenir de l'information sur les nouveaux produits et les prix des ESLT qui faisaient de la publicité générale.
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224.
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QMI a fait valoir qu'il y avait une proportionnalité évidente entre l'ampleur de la violation de la liberté d'expression et l'avantage que représente la règle de reconquête sur le plan du développement de la concurrence. QMI a fait valoir que la règle de reconquête favorisait la concurrence dans la téléphonie locale, conformément aux objectifs de la politique énoncés à l'article 7 de la Loi. QMI a en outre fait valoir que la règle de reconquête favorisait ces objectifs en imposant une restriction minimale à la liberté d'expression, l'interdiction faite aux ESLT de communiquer directement avec leurs anciens clients en vue de les reconquérir. QMI a aussi fait valoir que cette interdiction avait eu comme résultat avéré de réduire le roulement, aidant ainsi les concurrents à se bâtir une clientèle économiquement viable et permettant le développement d'une concurrence durable.
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225.
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QMI a fait valoir que la règle de reconquête n'empêchait nullement une ESLT de communiquer au public de l'information sur ses services, y compris à des clients qu'elle pourrait éventuellement reconquérir. QMI a ajouté que la règle de reconquête n'empêchait pas les clients de concurrents de demander de tels renseignements directement à une ESLT ou de retourner à leur ancienne ESLT, qu'ils disposent ou non de renseignements supplémentaires.
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226.
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EastLink a fait valoir que les preuves déposées dans la présente instance confirmaient que la règle de reconquête cadrait avec l'objectif du Conseil de promouvoir dans ce marché une concurrence viable fondée sur les installations, que la règle de reconquête portait aussi peu atteinte que raisonnablement possible aux droits des ESLT garantis par la Charte, et que ses effets bénéfiques l'emportaient sur ses effets néfastes.
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Réplique des Compagnies
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227.
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Les Compagnies ont soutenu que les intimées avaient considérablement sous-évalué les effets préjudiciables de la règle de reconquête tout en exagérant ses avantages présumés. Les Compagnies ont soutenu que les preuves au dossier de préjudices pour les clients étaient claires et irréfutées. Les Compagnies ont aussi fait valoir que les intimées n'avaient pas non plus tenu compte du préjudice que la règle de reconquête imposait à l'intensité de la concurrence. Les Compagnies ont soutenu plus particulièrement qu'il n'y avait aucune raison de l'étendre à la VoIP, qui est une classe distincte de service local, comme l'a reconnu le Conseil en permettant le dépôt de demandes tarifaires distinctes pour ce service. Les Compagnies ont de plus fait remarquer que les atteintes découlant de la règle de reconquête s'appliquaient à des services auparavant jugés suffisamment concurrentiels pour justifier que le Conseil s'abstienne de les réglementer. De l'avis des Compagnies, le préjudice substantiel et profond fait aux consommateurs et à la concurrence équitable et robuste que suscite la règle de reconquête l'emporte largement sur les avantages, le cas échéant, qui en découlent.
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Conclusions du Conseil
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228.
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Selon le troisième et dernier élément de l'enquête sur la proportionnalité, « il doit y avoir proportionnalité entre les effets préjudiciables des mesures restreignant un droit ou une liberté et l'objectif, et il doit y avoir proportionnalité entre les effets préjudiciables des mesures et leurs effets bénéfiques »50.
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229.
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Pour les raisons invoquées ci-dessous, le Conseil conclut que les effets néfastes de la règle de reconquête sont compensés par l'importance de son objectif, ainsi que par ses effets bénéfiques.
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Effets préjudiciables de la règle de reconquête
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230.
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Tel que mentionné plus haut, la règle de reconquête n'empêche pas les ESLT de commercialiser leurs services et leurs produits dans leurs sites Web, dans leurs points de vente au détail, dans les médias en général ou au moyen d'autres activités de commercialisation sans toutefois avoir de communications directes avec d'anciens clients des services locaux dans le but de les reconquérir.
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231.
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Les Compagnies ont soutenu que la publicité générale arrivait de moins en moins à convaincre les clients de retransférer leur service. Le Conseil conclut toutefois que les preuves que les Compagnies ont soumises à titre confidentiel à l'appui de cette position ne sont pas convaincantes. Toutefois, même s'il avait existé des preuves convaincantes établissant que la publicité générale était un moyen de moins en moins efficace de convaincre les anciens clients de retransférer leur service, le Conseil considère que ce seul facteur ne suffirait pas à modifier sa conclusion voulant que les effets néfastes de la règle de reconquête soient compensés par l'importance de son objectif et de ses effets bénéfiques.
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232.
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Les Compagnies ont également fait valoir que Bell Canada avait mis fin à ses activités de commercialisation à l'égard de l'ensemble de ses services auprès des clients des PME qui avaient transféré leurs services locaux à un concurrent en raison du coût du télémarketing ciblé et des attentes de la plupart des clients des PME de se voir offrir des forfaits incluant les services locaux. MTS Allstream/Call-Net a fait valoir que le Conseil ne devrait pas considérer cet argument comme pertinent.
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233.
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Le Conseil conclut, selon le dossier de l'instance, que la décision de Bell Canada de ne plus faire d'activités de commercialisation auprès des clients des PME ne s'applique qu'à ce petit groupe de clients qui ont transféré toutes leurs lignes locales à un concurrent, puisque Bell Canada a fait valoir qu'elle continuait de faire du télémarketing auprès des clients des PME qui ont conservé au moins une ligne locale avec Bell Canada. Le Conseil fait remarquer que Bell Canada n'a pas fait valoir que sa décision de mettre fin à ses activités de commercialisation à l'égard des services qu'elle offrait aux clients des PME qui avaient transféré leurs services locaux à un concurrent était uniquement attribuable à la règle de reconquête. Le Conseil fait en outre remarquer que d'autres ESLT participent à des activités de commercialisation à l'égard de leurs services autres que les services locaux auprès des clients des PME. En tout cas, même s'il acceptait que la décision de Bell Canada de mettre fin à de telles activités de commercialisation était principalement attribuable à la règle de reconquête, le Conseil conclut que ce facteur à lui seul n'est pas si important qu'il le pousserait à conclure que l'ensemble des effets néfastes l'emporte sur l'importance de l'objectif et des effets bénéfiques de la règle de reconquête.
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234.
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Dans la mesure où la règle de reconquête empêche les ESLT de cibler d'anciens clients du service local au moyen de communications directes avec eux pour tenter de les reconquérir, le Conseil conclut que cela constitue à la fois un effet préjudiciable pour les ESLT et un effet bénéfique de la règle de reconquête, puisque cette situation empêche les ESLT de profiter d'un avantage indu ou injuste ou de bénéficier d'une occasion injuste en vue de reconquérir des clients, ce qui donne à leurs concurrents une juste occasion de conserver leurs clients. De plus, le Conseil fait remarquer que les effets préjudiciables pour les ESLT ne touchent qu'une proportion relativement modeste de leurs clients, soit ceux qui se sont abonnés au service local d'un concurrent, alors que l'effet bénéfique pour les ESLC s'étend à un fort pourcentage de leur clientèle.
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235.
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En ce qui concerne les effets préjudiciables sur la liberté d'expression des consommateurs, tel que mentionné précédemment, le Conseil conclut que les effets préjudiciables de la règle de reconquête sur la capacité des anciens consommateurs des services locaux des ESLT de faire des choix économiques informés au sujet des services et produits de télécommunication des ESLT sont minimes.
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236.
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Le Conseil souligne l'argument de TCI voulant que la règle de reconquête nuit ultimement aux ESLC, parce qu'elle oblige les ESLT à offrir des prix artificiellement bas pour inciter les clients à revenir à la fin de la période d'interdiction de reconquête. Le Conseil fait remarquer que les ESLC n'ont pas soulevé une telle préoccupation. Le Conseil fait en outre remarquer que pendant la période au cours de laquelle la règle de reconquête continuera d'être en vigueur, les ESLT seront tenues d'obtenir auprès du Conseil l'approbation de leurs tarifs pour leurs services locaux, ainsi que pour les forfaits les incluant. En conséquence, le Conseil ne peut conclure à l'existence d'une préoccupation substantielle concernant la possibilité que les ESLT offrent des prix artificiellement bas.
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237.
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Les ESLT ont soutenu qu'en raison de la règle de reconquête, les clients étaient vulnérables à de la désinformation au sujet des ESLT, ou susceptibles de tirer des conclusions fausses et négatives sur l'intérêt des ESLT à conserver leur clientèle. SaskTel a ainsi fait état de son expérience avec des campagnes de publicité sur l'interurbain par des concurrents qui, a-t-elle prétendu, désinformaient les consommateurs au sujet des services interurbains de SaskTel et faisaient de fausses allégations concernant, entre autres, les pratiques commerciales et la structure de propriété de la compagnie. SaskTel a soutenu que les campagnes de reconquête permettaient aux ESLT de remettre les pendules à l'heure. Comme le Conseil l'a déclaré précédemment dans la présente décision, la règle de reconquête n'empêcherait pas les ESLT de corriger toute fausse impression par le truchement de la publicité générale ou de communications directes qui ne sont pas des tentatives de reconquête.
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238.
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TCI a soumis une anecdote que des proposés à la vente des services de résidence lui aurait rapportée et selon laquelle d'anciens clients des services locaux avec qui elle avait communiqué après la période de 12 mois ne comprenaient pas pourquoi la compagnie ne les avait pas appelés pendant cette période et avaient conclu qu'elle n'était pas intéressée à faire affaire avec eux. Le Conseil fait remarquer qu'aux termes de la décision 2006-15 publiée aujourd'hui, la règle de reconquête n'empêche pas les ESLT d'envoyer, par exemple, une carte aux anciens clients de leurs services locaux pour les remercier d'avoir fait affaire avec eux, pourvu qu'il ne s'agisse pas d'une tentative de reconquête.
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239.
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Finalement, en ce qui concerne l'argument des Compagnies selon lequel de nombreux consommateurs éviteraient de transférer leurs services aux ESLC s'ils savaient que cela les rendra inadmissibles à d'autres promotions, le Conseil fait remarquer que la règle de reconquête n'a aucun impact sur l'admissibilité des consommateurs à toute offre promotionnelle approuvée par le Conseil.
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Avantages de la règle de reconquête
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240.
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Le Conseil conclut que l'avantage le plus important et le plus direct de la règle de reconquête, comme l'indique le gros bon sens et les preuves déposées au dossier de l'instance, est qu'elle élimine l'avantage concurrentiel indu ou injuste, ou encore l'occasion injuste, dont jouissent les ESLT parce qu'elles peuvent communiquer directement avec les clients de concurrents à des fins de reconquête. En outre, elle donne aux ESLC à leur tour la juste possibilité de tenter de conserver leurs clients.
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241.
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Le fait d'empêcher les ESLT de profiter de cette occasion inéquitable favorise l'atteinte de l'objectif global qui est d'encourager une concurrence viable fondée sur les installations dans la prestation de services locaux, conformément aux objectifs en matière de télécommunication énoncés à l'article 7 de la Loi. Tel que discuté ci-dessus, le Conseil a établi un cadre réglementaire en vue de permettre une concurrence fondée sur les installations dans les services locaux et d'accorder un choix accru aux consommateurs en matière de services et de fournisseurs de services. Le Conseil a conclu que la concurrence dans la prestation de services locaux est dans l'intérêt du public et qu'elle entraînera des avantages, comme des améliorations sur le plan de la productivité, de l'innovation dans les services et des choix accrus pour les consommateurs.
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Conclusions concernant les effets proportionnels
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242.
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Compte tenu de ce qui précède, le Conseil conclut que la volonté d'empêcher les ESLT de profiter d'un avantage concurrentiel indu ou injuste ou d'une occasion injuste, parce qu'il est facile pour elles de communiquer directement avec les clients de concurrents à des fins de reconquête, et les avantages connexes pour les concurrents et les consommateurs l'emportent sur les effets préjudiciables que la règle de reconquête pourrait avoir sur les ESLT et les anciens clients de leurs services locaux.
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Conclusion concernant la demande
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243.
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Le Conseil conclut que la règle de reconquête visée par la présente instance est assortie d'un objectif urgent et réel et qu'elle satisfait aux trois éléments du critère de proportionnalité, si bien qu'elle constitue une limite raisonnable prescrite par une règle de droit et dont la justification peut se démontrer dans le cadre d'une société libre et démocratique, conformément à l'article premier de laCharte. Par conséquent, le Conseil rejette la demande des Compagnies.
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Demande de sursis
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244.
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Le 22 novembre 2005, Bell Canada a déposé une demande distincte en vertu de la partie VII (la demande de sursis) pour que le Conseil émette une ordonnance interlocutoire suspendant l'application de la règle de reconquête à Bell Canada à l'intérieur de son territoire jusqu'à ce que le Conseil publie sa décision finale sur la demande.
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245.
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En réponse, QMI a déposé des observations le 5 décembre 2005, Aliant Telecom a déposé des observations le 20 décembre 2005 et MTS Allstream, l'ACTC et Primus Telecommunications Canada Inc. ont toutes déposé des observations le 22 décembre 2005. Bell Canada a déposé ses observations en réplique le 3 janvier 2006.
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246.
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Compte tenu des conclusions qu'il tire dans la présente instance, le Conseil conclut que la demande de suspension des Compagnies est sans objet et qu'il serait inutile d'en examiner les mérites.
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Secrétaire général
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Notes de bas de page :
1 L'article 2b) de la Charte prévoit que chacun a des libertés fondamentales dont « la liberté de pensée, de croyance, d'opinion et d'expression, y compris la liberté de la presse et des autres moyens de communication ».
2 L'article premier de la Charte prévoit que les droits et libertés énoncés dans la Charte sont garantis et « ne peuvent être restreints que par une règle de droit, dans des limites qui soient raisonnables et dont la justification peut se démontrer dans le cadre d'une société libre et démocratique ».
3 Désormais Rogers Telecom Holdings Inc.
4 Désormais ARCH Disability Law Centre.
5 Ce terme a été défini dans la décision 2005‑28.
6 Le Conseil fait remarquer que la décision 2006‑15 établit également les conditions auxquelles la règle de reconquête serait complètement supprimée, pour les marchés pertinents, avant l'abstention.
7 Décision 94‑19, p. 17.
8 Idem, p. 15.
9 Annexé à l'avis Appel d'observations concernant l'arrêté C.P. 1994‑1689, Avis public CRTC 1994‑130, 20 octobre 1994.
10 Idem.
11 Voir, par exemple, la décision Co‑implantation, Décision Télécom CRTC 97‑15, 16 juin 1997.
12 Voir, par exemple, la décision Tarifs définitifs applicables aux composantes réseau local dégroupées, Décision Télécom CRTC 98‑22, 30 novembre 1998, et l'ordonnance Concurrence locale : clause de temporarisation pour les installations quasi essentielles, Ordonnance CRTC 2001‑184, 1er mars 2001.
13 Voir, par exemple, l'ordonnance Fixation des tarifs relatifs à l'accès aux structures de soutènement des compagnies de téléphone, Ordonnance CRTC 2000‑13, 18 janvier 2000.
14 Voir, par exemple, la décision Ledcor/Vancouver - Construction, exploitation et entretien de lignes de transmission à Vancouver, Décision CRTC 2001‑23, 25 janvier 2001.
15 Voir, par exemple, la décision Fourniture de services de télécommunication aux clients d'immeubles à logements multiples, Décision de télécom CRTC 2003‑45, 30 juin 2003.
16 Décision 2002-1, paragraphes 16‑17.
17 Décision 2002‑73, paragraphes 25‑27.
18 Décision 2004-4, paragraphes 119‑121.
19 Décision 2005-28, paragraphes 254‑255.
20 Le Conseil fait remarquer qu'aucune partie à l'instance n'a soumis d'arguments en ce qui concerne l'obligation que la règle de reconquête soit prescrite par une règle de droit.
21 Tel que modifié dans Dagenais c. Société Radio‑Canada, [1994] 3 R.C.S. 835, paragraphes 93 à 95 (l'arrêt Dagenais).
22 Oakes, paragraphe 67, RJR-MacDonald Inc. c. Canada (Procureur general), [1995] 3 R.C.S.199, paragraphe 137 (l'arrêt RJR‑MacDonald).
23 Rocket, paragraphe 29.
24 Décision 2005-28, paragraphe 258.
25 Idem, paragraphe 259.
26 Rocket, paragraphe 40.
27 La lettre sur la reconquête décrit l'exception comme suit : « [L]es ESLT doivent être autorisées à reconquérir les abonnés qui appellent pour les aviser qu'ils veulent changer de fournisseur de services locaux ».
28 R. c. Wholesale Travel Group Inc., [1991] 3 R.C.S. 154, paragraphe 149.
29 Rapport à la gouverneure en conseil : État de la concurrence dans les marchés des télécommunications au Canada, septembre 2001, page 25.
30 Rapport à la gouverneure en conseil : État de la concurrence dans les marchés des télécommunications au Canada, octobre 2005, pages 51 et 52.
31 Voir, par exemple, Rocket aux paragraphes 14 et 29.
32 R. c. Butler, [1992] 1 R.C.S. 452 (l'arrêt Butler).
33 R. c. Sharpe, [2001] 1 R.C.S. 45 (l'arrêt Sharpe).
34 Hill c. Église de scientologie de Toronto, [1995] 2 R.C.S. 1130.
35 MTS Allstream/Call‑Net a cité la source suivante : Rapport à la gouverneure en conseil : État de la concurrence dans les marchés des télécommunications au Canada, 2001 à 2004.
36 Thomson Newspapers, paragraphes 100 à 102.
37 Vriend c. Alberta, [1998] 1 R.C.S. 493, paragraphe 116.
38 Thomson Newspapers, paragraphe 98; R. c. Big M Drug Mart Ltd., [1985] 1 R.C.S. 295, paragraphe 91; Sauvé c. Canada (Directeur général des élections), [2002] 3 R.C.S. 519, paragraphes 23‑24.
39 Rapport Ipsos‑Reid, page 10.
40 RJR‑MacDonald, paragraphe 153.
41 RJR‑MacDonald, paragraphe 163.
42 Ordonnance de la FCC 99‑223, Order on Reconsideration and Petitions for Forbearance, dossier CC no 96‑115, 3 septembre 1999.
43 RJR‑Macdonald, paragraphe 160.
44 Sharpe, paragraphe 96.
45 MTS Allstream a également protesté contre la présentation de cette preuve en invoquant un motif de procédure, tel que discuté au paragraphe 29, ci‑dessus.
46 Sharpe, paragraphe 96.
47 Décision 2002-1, paragraphe 17.
48 RJR‑MacDonald, paragraphe 160.
49 Idem, paragraphe 163.
50 Dagenais, paragraphe 92.
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Mise à jour : 2006-04-06