Décision de radiodiffusion CRTC 2022-68

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Référence : 2022-58

Ottawa, le 16 mars 2022

Dossier public : 1011-NOC2022-0058

Examen de l’autorisation de distribuer Russia Today (RT) et RT France en vertu de la Liste de services de programmation et de stations non canadiens autorisés pour distribution

Sommaire

Le Conseil conclut que l’autorisation continue de l’entreprise de distribution de radiodiffusion (EDR) à distribuer RT (anciennement connue sous le nom Russia Today) et RT France n’est pas dans l’intérêt public, car leur contenu semble comporter des propos offensants étant donné qu’ils tendent à exposer le peuple ukrainien à la haine ou au mépris en raison de sa race ou de son origine ethnique ou nationale, ou est susceptible de la faire, et que leur programmation est contraire à l’atteinte des objectifs de la Loi sur la radiodiffusion.

Par conséquent, le Conseil retire Russia Today et RT France de la Liste de services de programmation et de stations non canadiens approuvés pour distribution. Les EDR canadiennes ne sont plus autorisées à distribuer ces services au Canada. 

Le Conseil rappelle aussi aux Canadiens que s’ils ont des préoccupations concernant ces services, ou tout autre service, ils peuvent déposer une plainte, accompagnée de preuves appuyant leur position, auprès du Conseil.

Contexte

  1. Le 2 mars 2022, le Conseil a reçu une demande de la gouverneure en conseil en vertu de l’article 15 de la Loi sur la radiodiffusion (la Loi) demandant au Conseil de tenir une audience pour déterminer si RT (anciennement connu sous le nom Russia Today) et RT France (collectivement RT) devraient être retirés de la Liste des services de programmation et de stations non canadiens approuvés pour distribution (la liste) et d’en faire rapport dans les meilleurs délais, mais au plus tard deux semaines après la date de prise d’effet du décret (le décret en vertu de l’article 15).
  2. Le décret en vertu de l’article 15 indique que le gouvernement du Canada a des préoccupations quant à savoir si les émissions radiodiffusées par RT et RT France enfreindraient les règlements pris par le Conseil en vertu de la Loi, si ces émissions étaient radiodiffusées par une entreprise de programmation canadienne titulaire d’une licence.
  3. Conformément au décret en vertu de l’article 15, le 3 mars 2022, le Conseil a publié l’avis de consultation 2022-58, dans lequel il a lancé une instance sollicitant des observations sur la pertinence de continuer à autoriser la distribution de RT au Canada. Le Conseil a désigné toutes les entreprises de distribution de radiodiffusion (EDR) et Ethnic Channels Group Limited (ECGL) comme parties à l’instance et a demandé aux parties et aux intervenants de soumettre des preuves pour appuyer leur position.
  4. Dans l’avis de consultation de radiodiffusion 2022-58, le Conseil a souligné les préoccupations soulevées par le gouvernement du Canada et par le public quant au caractère approprié de la distribution de RT au Canada. Le Conseil a exprimé l’avis préliminaire que la programmation de RT pourrait ne pas être conforme aux règlements de radiodiffusion du Conseil, en particulier aux dispositions relatives aux propos offensants telles que celles énoncées à l’article 15 du Règlement de 1987 sur la télédiffusion et être contraire aux objectifs de la politique énoncés au paragraphe 3(1) de la Loi, en particulier le sous-alinéa 3(1)d)(i), et pourrait ne pas servir l'intérêt public.

Cadre réglementaire

  1. En vertu de l’article 5 de la Loi, le Conseil réglemente et surveille tous les aspects du système canadien de radiodiffusion en vue de mettre en œuvre les objectifs de la politique énoncés au paragraphe 3(1) de la Loi et à l’égard de la politique réglementaire énoncée au paragraphe 5(2). Le paragraphe 2(3) de la Loi stipule que l’interprétation et l’application de la Loi doivent se faire de manière compatible avec la liberté d’expression et l’indépendance, en matière de journalisme, de création et de programmation, dont jouissent les entreprises de radiodiffusion.
  2. L’alinéa 3(1)d) de la Loi stipule que le système canadien de radiodiffusion devrait, entre autres choses :
    • servir à sauvegarder, enrichir et renforcer la structure culturelle, politique, sociale et économique du Canada,
    • favoriser l’épanouissement de l’expression canadienne en proposant une très large programmation qui traduise des attitudes, des opinions, des idées, des valeurs et une créativité artistique canadiennes, qui mette en valeur des divertissements faisant appel à des artistes canadiens et qui fournisse de l’information et de l’analyse concernant le Canada et l’étranger considérés d’un point de vue canadien,
    • par sa programmation et par les chances que son fonctionnement offre en matière d’emploi, répondre aux besoins et aux intérêts, et refléter la condition et les aspirations, des hommes, des femmes et des enfants canadiens, notamment l’égalité sur le plan des droits, la dualité linguistique et le caractère multiculturel et multiracial de la société canadienne ainsi que la place particulière qu’y occupent les peuples autochtones.
  3. L’alinéa 3(1)i) de la Loi stipule que la programmation offerte par le système canadien de radiodiffusion devrait à la fois :
    • être variée et aussi large que possible en offrant à l’intention des hommes, femmes et enfants de tous âges, intérêts et goûts une programmation équilibrée qui renseigne, éclaire et divertit,
    • puiser aux sources locales, régionales, nationales et internationales
  4. Par conséquent, le Conseil doit trouver un équilibre entre le fait de veiller à ce que le système de radiodiffusion sert l’intérêt public comme il est indiqué dans les objectifs de la politique et respecter la liberté d’expression. À cette fin, le Conseil a adopté plusieurs cadres réglementaires et règlements qui visent à atteindre cet équilibre.
  5. Dans le cas des services de télévision, l’article 5 du Règlement de 1987 sur la télédiffusion stipule ce qui suit :

    5(1) Il est interdit au titulaire de diffuser :

    • quoi que ce soit qui est contraire à la loi;
    • des propos offensants ou des images offensantes qui, pris dans leur contexte, risquent d’exposer une personne ou un groupe ou une classe de personnes à la haine ou au mépris pour des motifs fondés sur la race, l’origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, le sexe, l’orientation sexuelle, l’âge ou la déficience physique ou mentale;
    • tout langage ou toute image obscènes ou blasphématoires;
    • toute nouvelle fausse ou trompeuse.
  6. Des dispositions similaires se trouvent également à l’article 3 du Règlement sur les services facultatifs, et au paragraphe 8(1) du Règlement sur la distribution de radiodiffusion.
  7. Toutefois, le Conseil n’autorise pas des services non canadiens pour radiodiffusion au Canada. Ainsi, ces règlements ne sont pas directement applicables. Le Conseil autorise plutôt les EDR canadiennes à distribuer ces services, si elles désirent le faire, par l’entremise de la liste. Ces services nécessitent un parrain canadien afin d’être ajoutés à la liste.
  8. En permettant aux EDR de distribuer des services non canadiens au Canada, le Conseil reconnaît que la disponibilité de certains services pourrait servir l’intérêt public en ajoutant du choix, de la diversité et une perspective différente au système canadien de radiodiffusion, favorisant ainsi les objectifs de la politique de radiodiffusion énoncée au paragraphe 3(1) de la Loi.
  9. L’approche générale du Conseil à l’égard de l’ajout de services non canadiens de langues française et anglaise à la liste a été énoncée dans l’avis public 2000-173 et révisée dans l’avis public de radiodiffusion 2008-100. En ce qui concerne les services de nouvelles non canadiens, le Conseil a déterminé qu’une approche ouverte serait conforme à l’importance qu’il accorde à la diversité des points de vue éditoriaux. Par conséquent, le Conseil a déclaré qu’ « en l’absence de preuves concluantes, déterminées par le Conseil, qu’un service de nouvelles non canadien serait incapable de respecter les règlements canadiens, par exemple ceux à l’égard des propos offensants, le Conseil sera disposé à autoriser la distribution au Canada de services de nouvelles non canadiens. »
  10. Conformément à cette politique, le Conseil a autorisé la distribution de Russia Today au Canada dans la politique réglementaire de radiodiffusion 2009-676, à la demande d’ECGL. Le Conseil a autorisé la distribution de RT France au Canada dans la décision de radiodiffusion 2020-281, à la demande d’ECGL, en tant que parrain canadien.

La présente instance

  1. Dans l’avis de consultation de radiodiffusion 2022-58, le Conseil cherchait à préparer un dossier pour appuyer ses décisions dans les courts délais indiqués par le décret en vertu de l’article 15 du gouvernement du Canada. Par conséquent, le Conseil a exprimé un avis préliminaire en ce qui concerne l’enjeu et a demandé aux parties et intervenants de soumettre des preuves pour appuyer leur position à l’égard de la question de savoir si RT devrait demeurer sur la liste. Étant donné que leur autorisation serait affectée par le retrait des services de la liste, les EDR ont été désignées comme parties à l’instance. ECGL a aussi été désignée comme partie, compte tenu de son rôle en tant que parrain pour l’ajout des services à la liste.
  2. Malgré les courts délais, le Conseil a reçu 373 interventions, dont 350 en appui  au retrait de RT de la liste et 16 interventions en opposition au retrait de RT de la liste.
  3. La majorité de ces interventions provenaient de particuliers qui exprimaient une opinion quant à savoir si les services devraient continuer à être autorisés pour distribution. Plusieurs d’entre elles condamnaient fortement l’agression de la Russie en Ukraine et des commentaires généraux sur les médias détenus par l’État russe, ce qui n’était pas toujours limité à RT, ainsi que l’incidence de ces médias sur la perception des Ukrainiens. Plusieurs intervenants ont formulé des observations sur la promotion de discours toxiques, la propagande, les mensonges et les théories conspirationnistes sur les médias d’État de la Russie, y compris RT, et ont noté que ce discours était destiné à propager la haine envers les détracteurs et les ennemis de la Russie et à saper les démocraties occidentales. Toutefois, peu d’intervenants ont fourni des preuves concrètes pour appuyer leur position.

Intervention des parties à l’instance 

  1. En ce qui concerne les entreprises désignées comme parties à l’instance, Saskatchewan Telecommunications (SaskTel), Rogers Communications Canada Inc. (RCCI), Shaw Cablesystems G.P. (Shaw Cable) et Star Choice Television Network Inc. (Shaw Direct) (collectivement Shaw) et ECGL ont formulé des observations. SaskTel a seulement noté qu’elle ne distribuait pas les services. 
  2. Shaw a noté que Shaw Direct ne distribue pas RT et que ni Shaw Direct ni Shaw Cable ne distribuent RT France. Elle a de plus noté que Shaw Cable a cessé de distribuer RT le 28 février 2022, ce qui est conforme à l’avis préliminaire du Conseil. Par conséquent, Shaw a indiqué qu’elle n’était pas en mesure d’expliquer pourquoi RT ne devrait pas être retiré de la liste.
  3. RCCI a noté que RT a été retiré de ses listes de canaux le 28 février 2022 en se fondant sur le fait que RT est détenu par un état envers lequel le Canada a placé des sanctions et des mesures connexes. Selon RCCI, il serait approprié pour le Conseil de considérer retirer de la liste tout service de programmation détenu ou contrôlé par un état qui est assujetti à des sanctions canadiennes ou par un particulier ou une entité spécifique identifié dans l’annexe 1 du Règlement sur les mesures économiques spéciales visant la Russie. RCCI a suggéré que cela pourrait inclure, par exemple, Channel One Russia et RTR Planeta.
  4. ECGL a indiqué qu’elle appuyait la présente instance comme moyen approprié de résoudre l’enjeu puisqu’elle est fondée sur les règles, transparente, publique et révisable. Selon elle, les actions unilatérales des EDR qui ont retiré les services n’étaient pas un moyen approprié de résoudre l’enjeu. Elle a aussi suggéré qu’un autre cadre possible et peut-être plus approprié pour examiner la présence des services RT et RT France serait le cadre pour les sanctions économiques de la Loi sur les mesures économiques spéciales. ECGL a souligné les sanctions utilisées par l’Union européenne (UE) qui visaient les exploitants actuels des services RT et qui couvraient tous les moyens de transmission dans l’UE. ECGL a cité le communiqué de presse concernant les mesures de l’UE et a noté que la base de cette mesure était liée à « la manipulation de l’information et la désinformation systématiques par le Kremlin sont utilisées comme un outil opérationnel dans son agression contre l’Ukraine. Il s’agit également d’une menace importante et directe pour l’ordre et la sécurité publics de l’Union. »
  5. Malgré son appui à l’instance, ECGL s’est dite préoccupée par le fait que la présente instance pourrait ne pas être assez large pour empêcher la distribution d’information et de contenu de nouvelles contrôlés par l’État russe au Canada puisqu’elle ne s’applique qu’aux EDR exploitées dans un environnement réglementé (c.-à-d. pas les entités exploitées en vertu de l’Ordonnance d’exemption relative aux entreprises de radiodiffusion de médias numériques ou de manière pirate, ni les services offerts directement par l’entremise d’Internet ou de sites Web détenus par RT) et ne couvre pas d’autres services russes comme Channel One Russia. 
  6. En outre, ECGL a indiqué que, selon elle, il est absolument essentiel pour les Canadiens d’avoir accès à des médias indépendants de langue russe et aussi à des services provenant de l’Ukraine qui offrent un aperçu sur le terrain des événements qui surviennent dans ce pays.

Interventions des groupes représentant les Ukrainiens et d’autres groupes d’Européens de l’Est

  1. Plusieurs groupes représentant les Ukrainiens et d’autres groupes d’Européens de l’Est au Canada ont aussi formulé des observations. 
  2. Le Conseil central d’Estonie du Canada a fait valoir que le régime russe commet systématiquement des crimes contre l’humanité et des crimes de guerre dans le cadre de la guerre d’agression non provoquée de la Russie contre l’Ukraine. Il est tout à fait inapproprié que des médias appartenant à l’État russe ou contrôlés par lui puissent diffuser au Canada.
  3. Le Central and Eastern European Council in Canada (le CEEC) a indiqué que les médias d’État de langue russe, diffusés et regardés par la communauté russe au Canada, encouragent la haine envers l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord (OTAN), le Canada et les communautés d’Europe centrale et de l’Est au Canada. Il a également affirmé que lors des récentes manifestations à Ottawa, les médias d’État russes ont donné une tribune et légitimé les voix extrémistes qui appelaient activement à la destitution du gouvernement canadien et a déterminé que le 11 février 2022, RT a diffusé une entrevue avec un manifestant antigouvernemental appelant à « la suppression absolue de la structure politique actuelle dans ce pays ».
  4. Sans identifier spécifiquement RT, le CEEC a également noté que les médias d’État russes ont encouragé la haine envers des groupes minoritaires, y compris la communauté LGBTQ2+, notant qu’un animateur populaire des médias russes, Dmitry Kiselyov, a déclaré en 2013 que les cœurs des hommes homosexuels devraient être retirés et brûlés à leur mort.
  5. Enfin, le CEEC a signalé une émission de la Société Radio-Canada (la SRC) diffusée le 17 janvier 2019 concernant une émission populaire des médias d’État russes qui a directement avancé des discours anti-Ukrainiens, affirmant que le Canada abrite des fascistes ukrainiens qui dirigent les politiques anti-russes du gouvernement canadien et a soutenu que de telles théories conspirationnistes sont cohérentes avec les affirmations déséquilibrées et complètement fausses de Vladimir Poutine selon lesquelles le président ukrainien Volodymyr Zelensky serait un néonazi toxicomane et menacent de marginaliser la communauté ukrainienne et de la délégitimer en tant que citoyens canadiens. Selon le CEEC, des chaînes comme RT (en anglais et en français), RTR Planeta et Russia 1 sont utilisées par le régime de Poutine pour promouvoir des discours toxiques, de la propagande, des mensonges et des théories conspirationnistes, pour répandre la haine contre ses détracteurs et ses ennemis, et pour saper les démocraties occidentales en érodant leur cohésion. Ce ne sont pas des chaînes de nouvelles : ce sont des instruments de la guerre de l’information et des opérations d’influence de Vladimir Poutine, par lesquels il cherche à manipuler la compréhension des questions géopolitiques et de politique intérieure et à entraver la prise de décision à leur sujet. 
  6. Le Congrès canadien polonais a soutenu que ce ne sont pas des chaînes de nouvelles, mais plutôt des instruments de désinformation et des opérations d’influence par lesquels le régime de Poutine cherche à manipuler la compréhension des questions géopolitiques et de politique intérieure. Le Congrès canadien polonais a également noté que la Russie avait récemment adopté une loi imposant des peines de prison pouvant aller jusqu’à 15 ans aux personnes reconnues coupables de diffusion de « faux », ou d’informations estimées fausses par les autorités, sur les actions des forces armées russes en Ukraine. Le Congrès canadien polonais a estimé que cette action constituait une menace évidente pour la liberté d’expression et la presse indépendante et a noté que la SRC a interrompu ses activités en Russie en conséquence.

Interventions de particuliers

  1. En plus de ces groupes, quelques intervenants particuliers ont présenté des observations concernant du contenu précis sur RT. Un intervenant a soutenu que RT contrevient aux lois canadiennes sur la haine en persistant dans les entrevues antisémites de Charles Bausman, ainsi que des racialistes blancs tels que David Duke, Jared Taylor et Richard Spencer. Cet intervenant a soumis des captures d’écran montrant ces personnes interviewées sur RT.
  2. Cet intervenant a également soutenu qu’il existe de nombreuses preuves que RT est en fait et en fonction un bras du gouvernement de la Russie, destiné à utiliser la désinformation comme un instrument militaire. Il a fourni un lien vers un article qui contenait des liens à une analyse d’entretiens avec la rédactrice en chef de RT, Margarita Simonyan, en 2012 et 2013, dans lesquels elle parlait du service sous l’angle de son rôle d’instrument militaire.
  3. L’article propose ensuite une analyse du rôle de RT dans des événements tels que l’occupation de la Crimée par la Russie en 2014 et le sort des Kurdes en Turquie en 2016, soulignant leur incapacité à fournir des reportages équilibrés. L’article note notamment qu’en Crimée, RT a diffusé à plusieurs reprises des bulletins de nouvelles dans lesquels le gouvernement ukrainien était accusé d’atrocités et dans lesquels les manifestants ukrainiens étaient accusés de sympathies nazies, sans assurer une couverture adéquate du point de vue du gouvernement ukrainien et des manifestants. Dans le cas de la Turquie, RT a diffusé des entrevues de militants prokurdes accusant le gouvernement turc de génocide ou d’ethnocide sans fournir la position du gouvernement turc sur la question. Notamment, l’Ofcom a estimé RT coupable dans les deux cas de ne pas avoir assuré une couverture adéquate du point de vue des gouvernements ukrainien et turc, et donc de ne pas avoir respecté les normes journalistiques de baseNote de bas de page 1.
  4. Un autre intervenant a fourni des captures d’écran, datées du 6 mars 2022, montrant des images de la guerre et des lignes de nouvelles prétendant, entre autres, que la Russie avait trouvé des preuves qu’une arme biologique avait été créée en Ukraine, que l’armée ukrainienne abandonnait les armes et le matériel de l’OTAN pendant sa retraite, et que l’armée ukrainienne utilisait des civils comme boucliers. L’intervenant a qualifié ces affirmations de mensonges du même type que ceux utilisés par l’Allemagne nazie pendant la Seconde Guerre mondiale.
  5. Une autre intervenante a souligné la dévastation causée par l’attaque contre l’Ukraine et a cité un rapport indiquant que plus de 50 % des Russes appuient cette action. L’intervenante a suggéré que cette haine envers les Ukrainiens est incitée par des messages de propagande qui véhiculent une position de domination ultranationaliste de la Russie sur les autres nations qui visent à déshumaniser les Ukrainiens, à nier leur liberté de choix dans leurs affaires intérieures et leur existence même en tant que nation, à se moquer de nos valeurs occidentales et à dépeindre l’OTAN et l’Occident comme des ennemis.

Interventions en opposition au retrait des services

  1. Alors que la majorité des interventions étaient en appui au retrait de RT de la liste, certaines s’y opposaient, principalement pour des raisons de liberté d’expression.
  2. Un particulier a formulé une mise en garde contre la censure, en soulignant l’utilisation historique de cet outil par ceux au pouvoir ou par ceux qui cherchent à y accéder. L’intervenant a noté qu’aujourd’hui, la Russie censure les sources occidentales et l’Occident censure les sources russes, et que cette censure a un prix car elle amplifie l’ignorance et diminue le discernement. Selon lui, un public informé peut seulement comprendre les grands événements s’il a accès à toutes les sources disponibles. Il a indiqué que l’absence de censure atténue la capacité des propagandistes à nous mentir, les oblige à être plus réalistes et nous donne une vision du monde plus exacte. L’intervenant a conclu qu’il préférerait censurer RT lui-même plutôt que de laisser le gouvernement canadien le faire.
  3. Bien que Vaxination Informatique n’ait pas contesté directement le processus, elle a remis en question la pertinence de l’utilisation de l’article 15 de la Loi pour publier une ordonnance, étant donné que les services n’étaient déjà plus en ondes et que les courts délais ne permettent pas un processus complet et créent un dangereux précédent permettant au gouvernement de bloquer les chaînes qu’il n’aime pas. Elle a suggéré qu’une directive en vertu de l’article 7 de la Loi aurait été plus pertinente.
  4. En ce qui concerne la question à l’étude, Vaxination Informatique a fait valoir que RT a été ajoutée à la liste en sachant qu’elle était détenue et contrôlée par le gouvernement russe, un fait qui n’a pas changé. Selon elle, il est plus important que jamais d’accroître la diversité de nouvelles, car cette diversité fournit un point de vue différent, ce qui est utile pour essayer de comprendre la guerre actuelle et ce qui se passe réellement. Elle a aussi invoqué les dangers des médias unilatéraux. Elle a fait valoir qu’avec la fermeture d’un certain nombre de bureaux de médias occidentaux, RT est à peu près la seule façon de voir les politiques et discours officiels du gouvernement russe. En outre, elle a affirmé que, bien que RT peut présenter une couverture biaisée dans les domaines d’intérêt pour le Kremlin, elle peut fournir une bonne couverture d’autres sujets, en particulier si elle couvre des affaires non couvertes par les médias occidentaux. Par conséquent, elle a soutenu que la disponibilité continue de cette voix diversifiée devrait être considérée comme un objectif de la politique, surtout si nous ne sommes pas d’accord avec certains contenus diffusés par RT.
  5. Dans l’optique de démontrer l’utilité de garder RT sur la liste, Vaxination Informatique a donné l’exemple des médias occidentaux qui ont rapporté que Vladimir Poutine voulait débarrasser l’Ukraine des nazis et que ce n’est que lorsqu’ils l’ont entendu sur RT et de la part de l’ambassadeur russe aux Nations Unies qu’ils ont réalisé que Vladimir Poutine utilisait vraiment cette excuse irrationnelle. L’intervenant a de plus noté qu’il est probable que Poutine a amplifié une infime minorité d’Ukrainiens qui appartiennent à des groupes de droite marginaux ou qui n’aiment pas la présence de personnes d’origine russe en Ukraine pour faire croire à des attaques du gouvernement ukrainien contre les personnes d’origine russe dans l’est de l’Ukraine. Elle a cité l’exemple de séquences décrites par les médias occidentaux comme la Russie attaquant un bâtiment à Kharkiv, alors que RT a affirmé qu’il s’agissait du gouvernement ukrainien attaquant des Ukrainiens d’origine russe.
  6. Malgré son appui au maintien de l’autorité de distribution de RT au Canada, Vaxination Informatique a suggéré que les EDR doivent fournir des renseignements sur le propriétaire de la chaîne et un lien vers la politique d’indépendance éditoriale du site de nouvelles. Il est suggéré que ces informations soient fournies aux abonnés avant qu’ils ne s’abonnent à une chaîne afin de favoriser une meilleure connaissance de la nature de chaque chaîne de nouvelles et de ses propriétaires et de permettre aux téléspectateurs de mieux comprendre et traiter ce qu’ils voient.

Analyse du Conseil

  1. Le cadre du Conseil relatif à l’ajout de services de programmation non canadiens à la liste est un cadre ouvert qui reconnaît la valeur fondamentale que les services non canadiens apportent à la diversité et aux perspectives alternatives des Canadiens. Par exemple, de tels services peuvent enrichir et renforcer la structure culturelle, politique, sociale et économique du Canada; ils peuvent répondre aux besoins et servir les intérêts des Canadiens, y compris ceux d’origines culturelles ou raciales différentes, et peuvent apporter une vision internationale au contexte canadien de la radiodiffusion.
  2. Toutefois, les services non canadiens n’ont pas le droit d’être distribués au Canada et l’ajout d’un tel service à la liste ne lui confère pas un tel droit. Le Conseil fournit plutôt une autorisation aux EDR canadiennes de distribuer ces services à leurs abonnés. Cette autorisation n’est pas absolue, et le Conseil peut retirer l’autorisation de la distribution des services lorsqu’il est d’avis que la distribution d’un service n’est plus conforme aux objectifs et, par conséquent, ne sert plus l’intérêt public.   
  3. Un tel cas pourrait être celui où le contenu diffusé par un service de programmation non canadien est en contradiction avec la norme à laquelle le Conseil soumet un service de programmation canadien, de telle sorte que, si ce service de programmation non canadien détenait une licence, il violerait la réglementation. 
  4. Bien que le Conseil détermine généralement si le contenu des services de programmation non canadien est conforme aux règlements et aux objectifs de la Loi lorsqu’un parrain demande l’ajout du service à la liste, le Conseil peut revenir sur cette décision en réponse à des plaintes ou à une information selon laquelle la programmation de ce service pourrait ne pas être conforme aux normes canadiennes telles qu’elles sont énoncées dans les règlements ou dans les objectifs de la Loi.
  5. Dans le présent cas, à la suite des récentes attaques de la Russie contre l’Ukraine, le Conseil a reçu de nombreuses plaintes de la part de Canadiens concernant la programmation de RT et la question de savoir si cette programmation est conforme aux objectifs de la politique de la Loi et aux règlements de radiodiffusion du Conseil. Le gouvernement du Canada a également exprimé sa préoccupation sur la question de savoir si les émissions diffusées sur RT violeraient les règlements pris par le Conseil en vertu de la Loi, si ces émissions avaient été diffusées par une entreprise de programmation canadienne autorisée.
  6. L’avis préliminaire du Conseil était fondé sur ces préoccupations qui, si elles étaient confirmées, pourraient servir à démontrer que RT enfreint les règlements canadiens et, en particulier, la disposition relative aux propos offensants, car ils pourraient être considérés comme des propos offensants ou des images obscènes ou blasphématoires qui tendent à, ou sont susceptibles d’exposer un individu ou un groupe ou une classe d’individus à la haine ou au mépris en raison de leur race ou de leur origine nationale ou ethnique. Plus précisément, le Conseil était préoccupé du fait que les émissions diffusées sur RT pourraient exposer les Ukrainiens à la haine ou au mépris en raison de leur race ou de leur origine nationale ou ethnique.
  7. En outre, le Conseil craignait que la diffusion de telles émissions ne soit pas conforme aux objectifs de politique générale énoncés dans la Loi. Plus particulièrement, elle ne servirait pas à sauvegarder, à enrichir et à renforcer la structure culturelle, politique, sociale et économique du Canada.
  8. À la connaissance du Conseil, toutes les EDR qui distribuaient RT ou RT France ont cessé de distribuer ces services. Par conséquent, le retrait des services de la liste ne modifierait pas la réalité actuelle de la distribution.
  9. Le Conseil note qu’aucune des EDR, dont l’autorité de distribuer les services est en cause dans la présente instance, ne s’est opposée à la suppression de l’autorisation des services, et certaines ont suggéré que le retrait serait conforme aux autres mesures prises par le gouvernement du Canada contre la Russie.
  10. Le Conseil note également qu’aucun des intervenants n’a contesté le fait que RT est parrainée et contrôlée par le gouvernement russe ou qu’elle contient au moins une partie de la propagande gouvernementale.

Propos offensants

  1. En exprimant son avis préliminaire, le Conseil cherchait à étayer son inquiétude quant au fait que la programmation sur RT tendait ou était susceptible d’exposer le peuple ukrainien à la haine ou au mépris en raison de sa race ou de son origine nationale ou ethnique, cette haine ou ce mépris se traduisant par des attaques de la Russie.
  2. Comme indiqué, plusieurs intervenants ont présenté des observations relativement à l’agression russe en Ukraine, le fait que RT est utilisée comme un instrument militaire par les Russes et l’impact que la programmation des médias d’État russes, tels que RT, a eu sur la perception des Ukrainiens. Ils ont fait référence à des discours toxiques, des mensonges et des théories conspirationnistes, y compris en fournissant des captures d’écran des affirmations de RT sur des scénarios, comme la présence d’installations d’armes biologiques, qui ont été largement contestées par d’autres nations et médias. Ils ont indiqué que le discours diffusé par les médias d’État russes, tels que RT, était conçu pour répandre la haine contre les détracteurs et les ennemis de la Russie, dont le Conseil fait remarquer que l’Ukraine en fait partie, et pour déshumaniser les Ukrainiens. Même Vaxination Informatique, qui s’est prononcée en faveur du maintien du service sur la liste, a indiqué des situations où RT avait diffusé du contenu qui retournait le discours contre les Ukrainiens et a suggéré que les EDR fournissent davantage de renseignements aux abonnés au sujet de la nature du service avant qu’ils ne s’abonnent.
  3. En évaluant l’impact du contenu diffusé sur les médias d’État russes, le Conseil note le rapport déposé par un intervenant qui indique que plus de 50 % des Russes appuient l’action contre l’Ukraine. À cette fin, le Conseil note également des renseignements diffusés par les médias du monde entier selon lesquels des Ukrainiens communiquent avec des membres de leur famille en Russie qui croient à tort que la Russie libère l’Ukraine des nazis, que l’armée russe ne ciblerait jamais de civils, que ce sont les Ukrainiens qui tuent leur propre peuple et que ce discours justifie en quelque sorte les attaques contre le peuple ukrainienNote de bas de page 2. En outre, le Conseil estime que les déclarations de Margarita Simonyan dans l’entrevue appuient l’argument selon lequel RT est utilisée par la Russie comme un instrument militaire pour fomenter la haine envers les Ukrainiens ou d’autres groupes.
  4. Le Conseil note que cette pratique consistant à dépeindre un groupe particulier de personnes sous un jour négatif pour servir un programme politique ou militaire n’est pas nouvelle pour la Russie ou RT. En ce qui concerne les événements survenus en Crimée en 2014 et en Turquie en 2016, le Conseil est d’avis que les conclusions de l’Ofcom apportent de la crédibilité aux arguments avancés dans la situation actuelle. Ce qui est intéressant dans ces conclusions, c’est qu’elles n’indiquent pas que RT ne pouvait pas diffuser les sujets ou les points de vue qu’elle a présentés, mais plutôt que les sujets n’ont pas été présentés avec l’impartialité requise, conformément au code de la radiodiffusion de l’Ofcom, car RT n’a pas assuré l’équilibre dans ses reportages en présentant le point de vue des gouvernements ukrainien et turc. Le Conseil note que les émissions et les observations qui ont été examinés par l’Ofcom décrivaient les Ukrainiens et les Turcs sous un jour négatif.
  5. Par exemple, dans le cas de l’Ukraine, l’Ofcom a conclu que certaines émissions mettaient trop l’accent sur le rôle de certaines organisations de droite dans les manifestations et sur l’implication de certains de ces groupes et politiciens dans le gouvernement intérimaire (que la Russie a cherché à délégitimer), tout en qualifiant les actions du gouvernement d’anticonstitutionnelles et en laissant entendre qu’elles ciblaient les Russes au moyen de diverses lois. Dans le cas de la Turquie, à la suite de l’abattage d’un avion militaire russe par les forces turques en novembre 2015, des reportages sur RT ont accusé la Turquie de violations des droits de l’homme, de génocide ou d’ethnocide contre les Kurdes, et d’avoir des liens avec l’État islamique d’Iraq et de Syrie.
  6. Outre ces conclusions précédentes, le Conseil fait remarquer que le 28 février 2022, l’Ofcom a ouvert 15 nouvelles enquêtes sur l’impartialité requise des émissions de nouvelles de RT en relation avec l’UkraineNote de bas de page 3. Le Conseil note également que le Global Engagement Center du département d’État américain a publié un rapport spécial (en anglais seulement) en janvier 2022 concernant les médias financés par le Kremlin, dont RT et Sputnik. Dans ce rapport, ils ont examiné le rôle des médias dans les événements qui se sont produits en Crimée et en Turquie ainsi que dans le renforcement militaire russe du printemps 2021 à la frontière ukrainienne, et ont noté un retour des discours qui avaient été élaborés en 2014. L’un de ces discours revenus dépeint l’allégation selon laquelle l’Ukraine a un sérieux problème nazi ou fasciste et affirme que les citoyens russes en Ukraine, et la Russie elle-même, sont menacés par l’agression néonazie de l’Ukraine. Selon un autre discours, les forces armées ukrainiennes blesseraient intentionnellement les enfants. Le rapport fournit des renseignements qui réfutent ces affirmations.
  7. Selon le Conseil, le portrait des activités des gouvernements ukrainien et turque dépeint était conçu de manière à favoriser une opinion négative de ces derniers. Dans le cas de la Crimée, l’opinion négative a formé une partie de la base sur laquelle la Russie s’est fiée pour justifier son invasion et son annexion de la Crimée. 
  8. Le Conseil estime qu’une programmation similaire diffusée aujourd’hui dans le contexte de l’invasion de l’Ukraine, comme il est indiqué dans de le dossier de la présente instance, pourrait également créer une opinion négative des Ukrainiens. Un tel portrait négatif pourrait être considéré comme constituant des propos offensants dans la mesure où ils tendent ou sont susceptibles d’exposer le peuple ukrainien à la haine ou au mépris en raison de sa race ou de son origine nationale ou ethnique, cette haine ou ce mépris se traduisant par des attaques par la Russie.
  9. De plus, le Conseil note les observations qui indiquent la promotion de la haine envers les Ukrainiens-Canadiens par les diffuseurs de l’État russe ainsi que la promotion de la haine envers le Canada et ses alliés. Les déclarations selon lesquelles le Canada « abrite des fascistes ukrainiens » et la présentation du Canada, de l’OTAN et de l’Occident comme des ennemis pourraient être considérées comme des propos offensants dans la mesure où elles tendent à exposer les Ukrainiens-Canadiens ou les Canadiens en général à la haine ou au mépris en raison de leur race ou de leur origine nationale ou ethnique, ou sont susceptibles de le faire.
  10. Enfin, outre les préoccupations relatives à la programmation ciblant les Ukrainiens, le dossier de la présente instance indique également que la programmation de RT a historiquement ciblé les communautés LGBTQ2+. En particulier, le Conseil fait remarquer les déclarations de Dmitry Kiselyov en 2013, et estime que des commentaires de ce genre constitueraient de toute évidence des propos offensants, en ce qu’ils tendent à exposer les homosexuels à la haine ou au mépris en raison de leur orientation sexuelle, ou sont susceptibles de le faire.
  11. Le Conseil est d’avis que, bien que de nombreux exemples cités dans les interventions fournies soient de nature historique, ils font état d’une tendance dans la programmation qui tend à exposer divers groupes à la haine ou au mépris, ou est susceptible de le faire. De plus, dans la mesure où la programmation actuellement diffusée par RT contient de la programmation similaire qui cherche à avoir un impact négatif sur la perception du public des Ukrainiens, le Conseil estime que cela aussi constituerait des propos offensants. 

Autres considérations

  1. Le Conseil prend note de la difficulté que les parties et les intervenants ont pu avoir pour obtenir les preuves nécessaires pour appuyer leur position compte tenu des courts délais imposés en raison du décret en vertu de l’article 15 et du fait que les services n’étaient plus distribués. Par conséquent, le Conseil conclut qu’il est aussi important de tenir compte du contexte plus large en évaluant s’il doit retirer les services de la liste.
  2. Par conséquent, en plus de la gravité des allégations contenues dans les interventions, le Conseil prend note des rapports de la situation actuelle en Ukraine, des sanctions actuelles et croissantes envers la Russie et des particuliers russes ainsi que des mesures prises rapidement par d’autres pays pour bannir les services.
  3. Comme plusieurs intervenants l’ont noté, le gouvernement du Canada a condamné la violation de la souveraineté et de l’intégrité territoriale de l’Ukraine et les graves violations des droits humains qui ont été commises en Russie et a imposé des sanctions envers la Russie. Récemment, le gouvernement du Canada a imposé des sanctions envers des particuliers russes compte tenu de la récente incursion dans la souveraineté ukrainienne, ce que RT a dépeint comme une mission de secours. Le Conseil note que RCCI a suggéré au Conseil d’examiner le retrait de la Liste de tout service de programmation qui est soit contrôlé par un état, un particulier ou une entité assujetti à des sanctions canadiennes. 
  4. Dans la série de sanctions la plus récente, le Conseil note que le gouvernement du Canada a imposé des sanctions à Margarita Simonyan, rédactrice en chef de RT, le 6 mars 2022. Margarita Simonyan a été décrite par l’UE comme une figure centrale de la propagande du gouvernement russe et est accusée de promouvoir l’agression russe en UkraineNote de bas de page 4.
  5. Le Canada n’est pas seul dans cette démarche, et de nombreux autres pays, dont les États-Unis et de nombreux pays européens, ont imposé des sanctions similaires. En outre, bon nombre de ces pays ont également pris des mesures pour retirer des ondes RT et d’autres médias de l’État russe. Le 17 février 2022, l’UE a interdit la diffusion de RT et de Sputnik dans ses pays membres en réponse à l’invasion, et le service a été retiré des ondes dans d’autres pays, dont l’Australie. En imposant l’interdiction de RT et de Sputnik, l’UE a noté la « campagne internationale systématique de manipulation des médias et de distorsion des faits [de la Russie] afin de renforcer sa stratégie de déstabilisation des pays voisins et de l’Union et de ses États membres. En particulier, la propagande a pris pour cible de manière répétée et constante les partis politiques européens, notamment en période électorale, ainsi que la société civile, les demandeurs d’asile, les minorités ethniques russes, les minorités de genre et le fonctionnement des institutions démocratiques dans l’Union et dans ses États membresNote de bas de page 5. »
  6. Les mémoires d’ECGL comprenaient une référence au communiqué de presse de l’UE à la date à laquelle elle a imposé des sanctions contre RT. Une des préoccupations soulevée dans le communiqué de presse est le fait que la Russie a réprimé les médias indépendants en Russie en utilisant la législation « pour museler les médias indépendants et les journalistes considérés comme critiques à l’égard du gouvernement ». Il note également que des journalistes russes ont été menacés, poursuivis en justice et contraints de fuir le pays simplement pour avoir fait leur travail. À cette fin, le Conseil prend également note du mémoire du Congrès canadien polonais concernant le fait que la Russie a adopté une législation qui punirait toute personne diffusant ce qu’elle considère comme des informations « fausses » sur son invasion de l’Ukraine d’une peine pouvant aller jusqu’à 15 ans de prison. Ce type de législation vise clairement la liberté d’expression et l’indépendance des journalistes et a conduit de nombreux organes de presse étrangers à suspendre leurs activités en Russie afin de protéger leurs journalistes.
  7. En particulier, le libre accès à l’information est un droit fondamental inscrit dans la Déclaration universelle des droits de l’homme et dans la Convention européenne des droits de l’homme (article 10). Il s’agit également d’un principe qui se retrouve dans la disposition sur la liberté d’expression du Canada, énoncée dans la Charte des droits et libertés.
  8. Bien que les points soulevés par Vaxination Informatique concernant les dangers des médias unilatéraux et l’importance de la diversité des points de vue aient du mérite et qu’ils constituent le fondement de l’approche d’entrée libre du Conseil en ce qui concerne l’autorisation de distribuer des services non canadiens, le Conseil doit peser les avantages de cette approche par rapport aux autres objectifs stratégiques et à la réglementation globale du système de radiodiffusion.
  9. Comme indiqué, la Loi stipule que son interprétation doit se faire de manière compatible avec la liberté d’expression et l’indépendance en matière de journalisme, de création et de programmation dont jouissent les entreprises de radiodiffusion. Le fait qu’un gouvernement impose des contraintes aux journalistes et aux voix indépendantes est contraire à ce principe clé qui sous-tend le système canadien de radiodiffusion, et ne doit pas être pris à la légère. Le Conseil conclut donc que les mesures prises par le gouvernement russe pour limiter l’indépendance journalistique des agences de presse indépendantes dans le pays et pour orienter le contenu de RT et d’autres services de radiodiffusion publics vont à l’encontre de cet aspect fondamental du système canadien de radiodiffusion.
  10. De plus, en ce qui concerne les préoccupations relatives à la liberté d’expression et à la censure soulevées par certains intervenants, le Conseil note que les Canadiens pourront toujours accéder au contenu sur d’autres plateformes, comme l’Internet, s’ils le choisissent. 
  11. Le Conseil est aussi grandement préoccupé par la promotion de la haine envers les Canadiens d’origine ukrainienne de la part de radiodiffuseurs de l’État russe et par la programmation qui cherche à affaiblir les institutions démocratiques au Canada ainsi que par la promotion de la haine envers le Canada et ses alliés.
  12. Le Conseil conclut que la distribution au Canada de programmation provenant d’un pays étranger qui cherche à affaiblir la souveraineté d’un autre pays, à rabaisser les Canadiens ayant une origine ethnique particulière ainsi qu’à affaiblir les institutions démocratiques au Canada ne sert pas à sauvegarder, enrichir et renforcer la structure culturelle, politique, sociale et économique du Canada. Le Conseil conclut également qu’une telle programmation ne traduit pas des attitudes, des opinions, des idées et des valeurs canadiennes et ne sert pas les besoins et les intérêts des Canadiens.

Conclusion

  1. Compte tenu de tout ce qui précède, le Conseil conclut que le maintien de l’autorisation accordée aux EDR de distribuer RT et RT France n’est pas dans l’intérêt public. Après avoir soupesé les préoccupations soulevées dans le dossier concernant la programmation de RT, le contexte plus large associé aux activités de la Russie en Ukraine, la liberté d'expression et les objectifs de politique de la Loi, le Conseil estime qu’il est approprié de retirer ces services de la Liste. Si ces services avaient obtenu une licence au Canada, le Conseil leur aurait demandé de rendre compte de leur contenu, au motif qu’il constitue un commentaire abusif puisqu’il tend ou est susceptible d’exposer le peuple ukrainien à la haine ou au mépris en raison de sa race, de son origine nationale ou ethnique, et que sa programmation va à l’encontre de la réalisation des objectifs stratégiques de la Loi.
  2. Par conséquent, le Conseil retire Russia Today et RT France de la Liste de services de programmation et de stations non canadiens approuvés pour distribution. Les EDR canadiennes ne sont plus autorisées à distribuer ces services au Canada. 
  3. Comme l’ont fait remarquer certains intervenants, la portée de cette instance se limite à RT et RT France. Bien que plusieurs intervenants aient soumis des observations qui s’appliquent globalement aux médias contrôlés et parrainés par l’État russe, le Conseil limite pour le moment son analyse aux services identifiés dans le décret en vertu de l’article 15 et dans l’avis de consultation de radiodiffusion 2022-58.
  4. Si les Canadiens ont des préoccupations concernant ces services, ou tout autre service, ils peuvent déposer une plainte, accompagnée de preuves appuyant leur position, auprès du Conseil. Lorsque cela est possible, une telle plainte doit inclure des détails sur la date, l’heure et le contenu de l’émission concernée par l’allégation de contenu qui violerait les règlements. Si possible, elle devrait également inclure des enregistrements, des captures d’écran ou des citations de l’émission ainsi que toute preuve supplémentaire que le Conseil pourrait utiliser pour évaluer la pertinence de la distribution de ce service au Canada.

Secrétaire général

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