Décision de radiodiffusion CRTC 2021-341

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Référence : Demande de la Partie 1 affichée le 19 août 2020

Ottawa, le 15 octobre 2021

Canadian Communication Systems Alliance Inc.
L’ensemble du Canada

Dossier public de la présente demande : 2020-0496-9

Plainte déposée par la CCSA contre Bell Média alléguant une préférence et un désavantage indus

Le Conseil conclut que les entreprises de programmation ne sont pas tenues, en vertu de la règle du statu quo, d’autoriser les nouveaux services ou les nouvelles fonctionnalités demandés par des entreprises de distribution de radiodiffusion (EDR) en cas de différend. Lorsqu’une EDR n’a jamais distribué les services ou les fonctionnalités d’une entreprise de programmation et que de tels services ou fonctionnalités n’ont pas été lancés pendant la durée du contrat, la règle du statu quo ne peut être utilisée par une EDR pour imposer de nouvelles obligations à une entreprise de programmation. Par conséquent, le Conseil conclut que Bell Média inc. n’a pas enfreint la règle du statu quo et rejette la plainte de la CCSA à cet égard.

En ce qui a trait aux préoccupations concernant les enquêtes techniques, le Conseil conclut que l’utilisation des enquêtes techniques par Bell Média inc. ne contrevient pas au cadre réglementaire du Conseil. Toutefois, le Conseil surveillera la situation en ce qui concerne les enquêtes techniques afin de s’assurer qu’elles ne deviennent pas un obstacle à la réussite des activités commerciales et aux négociations concernant de petites EDR.

En outre, et compte tenu de ces conclusions, le Conseil rejette la plainte selon laquelle Bell Média inc. s’accorde une préférence indue, assujettit les membres de la CCSA à un désavantage indu et est en situation de non-conformité à l’égard des paragraphes 5e. et 5f., ainsi que l’article 12 du Code sur la vente en gros et de sa condition de licence sur les mesures de protection relative à la concurrence.

Parties

  1. La Canadian Communication Systems Alliance Inc. (CCSA) représente plus de 100 entreprises indépendantes qui fournissent des services Internet, de télévision et de téléphonie dans des communautés partout au Canada, généralement à l’extérieur des marchés urbains. Les membres de la CCSA incluent des coopératives communautaires, des entreprises familiales, des municipalités et des entreprises appartenant à des peuples autochtones. La CCSA a déposé cette plainte au nom de plusieurs de ses membres.
  2. Bell Média inc. (Bell Média) est la plus grande entreprise multimédia du système canadien de radiodiffusion et titulaire d’un certain nombre de services de programmation canadiens populaires.

Contexte

  1. La CCSA représente de petites EDR dans la négociation d’ententes-cadres avec les fournisseurs de services de programmation. Le contrat initial définissant les modalités de distribution des services facultatifs de Bell Média par les membres de la CCSA est l’ « entente-cadre d’affiliation entre CCSA et Bell Média ». La CCSA a également conclu des ententes connexes avec Bell Média, y compris des ententes de distribution de services multiplateformes et la prolongation des ententes. Aux fins de la présente décision, l’ensemble de ces ententes est désigné sous le nom d’entente-cadre.
  2. Malgré ces ententes globales, les membres de la CCSA doivent accepter l’entente-cadre individuellement pour être autorisés à distribuer les services de programmation de Bell Média et les fonctionnalités connexes en vertu d’une convention de prise en charge. Ce faisant, chaque EDR détermine les services et les fonctionnalités qu’elle souhaite distribuer, puis l’entente entre elle et Bell Média ne s’applique qu’aux services et aux fonctionnalités en question. Ainsi, différentes EDR peuvent distribuer différents services et fonctionnalités en fonction de leur capacité technique et des besoins de leurs abonnés.
  3. Bien que Bell Média et la CCSA aient conclu diverses ententes pour prolonger leur relation contractuelle, elles ont toutes pris fin. Bell Média et la CCSA négocient actuellement une nouvelle entente-cadre.

Cadre réglementaire

  1. L’alinéa 10(1)h) de la Loi sur la radiodiffusion (la Loi) stipule que le Conseil, dans l’exécution de sa mission, peut, par règlement, pourvoir au règlement – notamment par la médiation – de différends concernant la fourniture de programmation et survenant entre les entreprises de programmation qui la transmettent et les entreprises de distribution.
  2. Le Conseil a également le pouvoir, en vertu du paragraphe 9(1) de la Loi, d’attribuer des licences aux conditions liées à la situation du titulaire qu’il estime appropriées pour la mise en œuvre de la politique de radiodiffusion visée au paragraphe 3(1) de la Loi.
  3. En vertu de ce pouvoir, le Conseil a imposé des conditions de licence et a pris des règlements relatifs au règlement des différends et visant à protéger l’intérêt public durant les négociations entre les EDR et les entreprises de programmation.
  4. En ce qui concerne les services de programmation, les EDR et les entreprises de programmation peuvent se prévaloir du régime de règlement des différends en vertu des dispositions énoncées dans les conditions de licence applicables et dans les articles 14 et 15 du Règlement sur les services facultatifs (le Règlement).
  5. La règle du statu quo, énoncée à l’article 15 du Règlement, stipule que lors d’un différend entre une EDR et une entreprise de programmation concernant la fourniture ou les modalités de fourniture d’un service de programmation, l’entreprise de programmation doit continuer à fournir ses services de programmation à l’EDR aux mêmes tarifs et selon les mêmes modalités qui s’appliquaient avant le différend, jusqu’à ce qu’un accord réglant le différend soit conclu par les entreprises concernées ou, si aucun accord n’est conclu, jusqu’à ce que le Conseil rende une décision concernant toute question non résolue.
  6. L’article 11 du Règlement indique :
    1. Il est interdit au titulaire d’accorder à quiconque, y compris lui-même, une préférence indue ou d’assujettir quiconque à un désavantage indu.
    2. Dans une instance devant le Conseil, il incombe au titulaire qui a accordé une préférence ou fait subir un désavantage d’établir que la préférence ou le désavantage n’est pas indu.
  7. En outre, l’annexe de la politique réglementaire de radiodiffusion 2015-438 énonce le Code sur la vente en gros du Conseil, lequel doit être imposé par condition de licence et qui dicte certains aspects des ententes commerciales entre les EDR et les services de programmation.
  8. Bell Média a également une condition de licence sur les mesures de protection relatives à la concurrence, laquelle est énoncée à l’annexe 3 de la décision de radiodiffusion 2017-149 et indique :

    23. Le titulaire ne doit ni utiliser ni appliquer de disposition inscrite dans une entente d’affiliation ou un document connexe dont le but serait d’empêcher, ou de créer des incitations à empêcher, une autre entreprise de programmation ou entreprise de distribution de radiodiffusion de mettre en exploitation ou de distribuer un autre service de programmation autorisé.

Plainte

  1. Le 12 août 2020, la CCSA a déposé une demande alléguant qu’en refusant des services et des fonctionnalités aux membres de la CCSA, Bell Média accorde une préférence indue à ses EDR affiliées, fait subir un désavantage indu aux membres de la CCSA en question et viole sa condition de licence sur les mesures de protection relatives à la concurrence, selon les paragraphes 5e., et 5f. ainsi que l’article 12 du Code sur la vente en gros et la règle du statu quo énoncée à l’article 15 du Règlement.
  2. La CCSA soutient que ses membres qui ont accepté l’entente-cadre en signant une convention de prise en charge ont fait face à des empêchements ou des retards déraisonnables dans le lancement de nouveaux services et de nouvelles fonctionnalités de Bell Média, puisque cette dernière refuse d’autoriser de nouveaux lancements tant qu’une nouvelle entente-cadre n’aura pas été mise au point. La CCSA précise que cette situation cause à ses membres un préjudice important sur le plan économique, de la réputation et de la concurrence. Les membres de la CCSA ont déjà investi dans les installations et le matériel nécessaires pour offrir les services de Bell Média en question.
  3. La CCSA fait valoir que la règle du statu quo exige que Bell Média continue de respecter les tarifs, les modalités et les conditions, et continue de distribuer les services facultatifs et les fonctionnalités tels qu’ils sont énoncés dans l’entente, et ce, jusqu’à ce que les modalités de renouvellement soient mises au point. La CCSA soutient que les conditions de l’entente-cadre sont maintenues par la règle du statu quo et comprennent le droit des membres de la CCSA de lancer de nouveaux services de Bell Média, ainsi que de nouvelles fonctionnalités pour les services existants.
  4. La CCSA allègue également que Bell Média contrevient aux paragraphes 5e. et f. du Code sur la vente en gros en imposant des modalités déraisonnables qui restreignent la capacité des EDR à fournir des services et des fonctionnalités, ce qui contrevient également à la condition de licence sur les mesures de protection relatives à la concurrence. De plus, Bell Média contrevient à l’article 12 du Code en ne respectant pas l’exigence selon laquelle le service de programmation « doit offrir à d’autres EDR des modalités raisonnables fondées sur la juste valeur marchande pour les droits multiplateformes non linéaires, en même temps que les droits linéaires, et fournir ce contenu en temps opportun ».
  5. La CCSA affirme également que Bell Média utilise son processus complexe d’enquête technique comme moyen de retarder la livraison d’offres de programmation concurrentielles aux EDR.
  6. Par conséquent, la CCSA demande au Conseil de conclure que Bell Média a accordé une préférence indue à ses EDR affiliées et a fait subir un désavantage indu aux membres de la CCSA, et que Bell Média a enfreint sa condition de licence sur les mesures de protection relatives à la concurrence, selon les paragraphes 5e. et 5f. ainsi que l’article 12 du Code sur la vente en gros et la règle du statu quo. La CCSA demande également au Conseil d’ordonner à Bell Média d’autoriser sans délai la distribution des services de programmation et des fonctionnalités en question.

Réponse de Bell Média

  1. Dans sa réponse, Bell Média affirme que la CCSA ne peut invoquer la règle du statu quo, car la CCSA est un organisme de négociation indépendant pour les EDR et non « une personne autorisée à exploiter une entreprise de distribution ou l’exploitant d’une entreprise de distribution exemptée », comme il est énoncé au paragraphe 15(1) du Règlement.
  2. Néanmoins, Bell Média convient que la règle du statu quo s’applique aux services et aux fonctionnalités qui sont déjà fournis aux EDR en vertu des modalités des conventions de prise en charge individuelles avant que celles-ci ne prennent fin. Par conséquent, les services et les fonctionnalités fournis aux membres de la CCSA avant l’entrée en vigueur de la règle du statu quo demeurent disponibles; aucun service ou fonctionnalité existant n’a été supprimé, réduit ou par ailleurs modifié.
  3. Toutefois, Bell Média fait valoir que la règle du statu quo ne peut être invoquée pour demander de nouveaux services et de nouvelles fonctionnalités après que les conventions ont pris fin et qu’un processus de règlement d’un différend est entamé. Bell Média indique qu’elle ne devrait pas être tenue de fournir des services et des fonctionnalités supplémentaires à des tarifs qui ne sont plus en vigueur et précise qu’elle s’attend à ce que les EDR paient des tarifs équitables et conformes au marché pour ces services.
  4. En ce qui concerne le Code sur la vente en gros et ses mesures de protection relatives à la concurrence, Bell Média affirme que la CCSA n’a fourni aucune preuve à l’appui de ses allégations. La CCSA n’a pas évalué les modalités que recherche Bell Média concernant les services et les fonctionnalités en question.
  5. De plus, Bell Média fait valoir que son processus d’enquête technique est raisonnable et dans l’intérêt de toutes les parties. Il incombe aux EDR de démontrer qu’elles prennent des mesures appropriées pour répondre aux préoccupations des fournisseurs de programmation de Bell Média en matière de droits et de sécurité. Sans ce questionnaire, Bell Média pourrait manquer à ses obligations envers ses partenaires fournisseurs de programmes et être tenue de cesser la distribution de leur programmation.
  6. Bell Média souligne que l’enquête technique et le processus d’examen sont les mêmes pour toutes les EDR. Elle indique qu’elle informe les EDR que le processus d’examen peut prendre jusqu’à six mois, mais que ce délai se limite aux cas plus complexes, et que des délais plus courts sont plus courants. Bell Média ajoute que les membres de la CCSA peuvent causer des retards dans le processus en fournissant des renseignements incomplets ou lorsque ces renseignements sont fournis en retard.

Réplique de la CCSA

  1. En ce qui concerne sa capacité à invoquer la règle du statu quo, la CCSA indique que le Conseil a reconnu à plusieurs reprises le pouvoir de la CCSA d’agir au nom de ses membres dans des cas similaires.
  2. En ce qui concerne son applicabilité, la CCSA fait valoir que la règle du statu quo ne fait pas de distinction entre les services et les fonctionnalités que ses membres ont distribués ou non avant l’expiration de l’entente cadre. Elle exige plutôt des titulaires qu’ils fournissent ses services aux mêmes tarifs et aux mêmes modalités qu’avant le différend. Les modalités de distribution des services et des fonctionnalités sont celles définies dans l’entente-cadre.
  3. La CCSA affirme qu’il est entendu, lors de la négociation des conventions, que les membres peuvent commencer à distribuer à tout moment les services inclus dans la convention en soumettant des « formulaires de lancement ». La CCSA fait valoir qu’en empêchant ses membres d’exercer leurs droits contractuels, Bell Média retire des services visés par la règle dustatu quo.
  4. À l’égard du Code sur la vente en gros et les mesures de protection relatives à la concurrence de Bell Média, la CCSA fait valoir qu’en refusant d’honorer ses obligations contractuelles existantes, Bell Média n’a réussi à offrir des modalités raisonnables pour la distribution non linéaire au moment même où de telles modalités sont offertes aux EDR connexes. La CCSA fait remarquer qu’elle avait inclus dans sa demande initiale des exemples des moyens par lesquels Bell Média a empêché les membres de la CCSA de lancer ou de distribuer les services de Bell Média.
  5. Quant au processus d’enquête technique, la CCSA reconnaît la nécessité de valider les mesures de sécurité des EDR. Toutefois, la CCSA fait remarquer que l’entente-cadre ne fait aucune mention des enquêtes techniques et n’impose donc pas aux membres de la CCSA l’exigence de répondre aux enquêtes techniques. La CCSA affirme que cette exigence a été imposée unilatéralement par Bell Média en dehors du cadre de l’entente-cadre.
  6. La CCSA indique que l’affirmation de Bell Média selon laquelle la plupart des enquêtes techniques sont traitées en moins de six mois ne correspond pas à l’expérience de ses membres. La CCSA ajoute que ses membres n’ont pas connu de délais aussi importants dans le cadre du processus d’enquête technique avec d’autres entreprises médiatiques intégrées verticalement.
  7. La CCSA soutient qu’étant donné que Bell Média possède un si grand nombre de services de programmation « essentiels », ses membres n’ont d’autre choix que de se soumettre au processus d’examen d’enquête technique avec Bell Média. La CCSA fait valoir que les retards créés par Bell Média dans le lancement de nouveaux services et de nouvelles fonctionnalités nuisent à la capacité des membres de la CCSA :
    • de proposer des offres multiplateformes convaincantes aux Canadiens qu’ils servent;
    • de concurrencer d’autres distributeurs, y compris les EDR affiliées à Bell Média;
    • d’obtenir un rendement du capital investi dans les nouvelles technologies et plateformes de distribution;
    • de préserver leur réputation en matière de fourniture de services de radiodiffusion concurrentiels.

Interventions

  1. Le Conseil a reçu deux interventions en appui à la plainte de la CCSA – une de la part de Hastings Cable Vision (un membre de la CCSA) et une autre du Centre pour la défense de l’intérêt public (CDIP). Le CDIP fournit des indications sur la manière dont il croit que cette plainte devrait être traitée. Plus précisément, le CDIP exhorte le Conseil à résoudre les questions de classification terminologique et réglementaire afin d’aborder tout refus d’accès de Bell Média.

Questions

  1. Le Conseil estime que les questions sur lesquelles il doit se pencher sont les suivantes :
    • La CCSA peut-elle se prévaloir de la règle du statu quo au nom de ses membres?
    • La règle du statu quo s’applique-t-elle?
    • Le processus d’enquête technique de Bell Média est-il approprié?
    • Bell Média a-t-elle violé le Code sur la vente en gros ou sa condition de licence sur les mesures de protection relatives à la concurrence?
    • Existe-t-il une préférence ou un désavantage?

Statut de la CCSA

  1. Le Conseil reconnaît que la CCSA n’est pas une EDR; la CCSA représente les EDR dans les négociations avec d’autres entités de radiodiffusion ainsi que dans les instances devant le Conseil. Le Conseil reconnaît également que le Code sur la vente en gros et d’autres règlements et politiques ne précisent pas le rôle des organismes représentatifs comme la CCSA dans le cadre réglementaire. Néanmoins, le Conseil fait remarquer qu’il a déjà reconnu la CCSA comme partie représentant ses EDR membres dans le cadre d’instances de règlement des différends.
  2. Les EDR plus petites peuvent ne pas avoir les connaissances, les moyens financiers ou les ressources logistiques nécessaires pour négocier avec les grandes entreprises. La CCSA dispose des ressources, des connaissances et de l’expérience commerciale nécessaires pour représenter efficacement ses membres dans les négociations commerciales et devant le Conseil. Pour cette raison, les membres acceptent de permettre à la CCSA de conclure des ententes commerciales en leur nom et de les représenter dans les instances du Conseil.
  3. La CCSA est un agent négociateur au nom de ses membres et a été nommée partie aux ententes d’affiliation commerciales entre les services de programmation et les EDR qu’elle représente. Bien que la CCSA ne soit pas elle-même une entreprise de distribution, elle est la représentante autorisée de diverses entreprises de distribution (tant autorisées qu’exemptées) qui seraient en droit de se prévaloir de la règle du statu quo. Dans ce cas présent, la CCSA cherche à invoquer la règle du statu quo au nom de ces entreprises de distribution. Permettre à la CCSA de conclure des ententes au nom des entreprises qu’elle représente, mais sans invoquer la règle du statu quo en leurs noms, pourrait soustraire les services de programmation aux obligations réglementaires. Cela augmenterait également le fardeau administratif des différents acteurs du système, puisque cela aurait pour effet d’obliger les membres de la CCSA à soumettre des demandes individuelles de règlement des différends.
  4. Compte tenu de ce qui précède, le Conseil détermine que la CCSA, en tant que représentante de diverses EDR, est en droit d’invoquer la règle du statu quo au nom de ses membres.

Applicabilité de la règle du statu quo

  1. La règle du statu quo a une longue histoire, fondée sur le principe que le retrait des services de programmation pendant les négociations serait contraire à l’intérêt public. La règle du statu quo a été revue pour la dernière fois dans la politique réglementaire de radiodiffusion 2015-96, dans laquelle le Conseil a réitéré que l’intention de la règle du statu quo est de s’assurer que les abonnés ne sont pas privés de services pendant que les parties sont engagées dans des négociations. Le Conseil a également noté que la règle du statu quo ne doit pas être invoquée à la légère ni être invoquée pour accorder un droit d’accès de facto. La règle du statu quo vise à faire en sorte que les Canadiens ne perdent pas l’accès à leurs services de programmation préférés pendant que les EDR et les programmateurs contestent les modalités de distribution. Bien que la règle du statu quo contribue également à uniformiser les règles du jeu entre les entreprises de programmation et de distribution pendant les négociations, comme l’indique la politique réglementaire de radiodiffusion 2011-601, elle n’est pas destinée à protéger ou à défendre les intérêts particuliers de l’une ou l’autre partie.
  2. En confirmant la compétence du Conseil en matière de règlement des différends en général et la règle du statu quo en particulier, la Cour d’appel fédérale a noté qu’elle « vise précisément à préserver l’équilibre en place et, par le fait même, protéger [l’]intérêt [public] »Note de bas de page 1.
  3. La CCSA soutient que Bell Média devrait être tenue, en vertu de la règle du statu quo, de fournir tout service ou toute fonctionnalité faisant l’objet de l’entente-cadre, peu importe si une EDR avait inclus ce service dans sa convention de prise en charge et l’avait distribué à ses abonnés avant l’expiration de la convention. Plus précisément, elle demande que ses membres puissent lancer des services et des fonctionnalités supplémentaires qui, bien qu’englobés dans l’entente-cadre, n’avaient pas été inclus dans leur convention de prise en charge et n’avaient pas été distribués à leurs abonnés avant l’expiration de la convention.
  4. Compte tenu de son objectif, la règle du statu quo n’a manifestement jamais été conçue pour être utilisée afin de contraindre la distribution de services et de fonctionnalités qui n’avaient pas été préalablement autorisés par l’entreprise de programmation dans le cadre d’un contrat valide et exécutoire.
  5. La formulation utilisée dans le Règlement est également instructive à cet égard. L’article 15 du Règlement indique que le fournisseur « doit continuer à fournir ses services de programmation à l’entreprise de distribution [...] ». Le mot « continuer » implique une continuation et une action continue. Par conséquent, l’article 15 ne peut être interprété comme exigeant l’octroi de l’accès à de nouveaux services et à de nouvelles fonctionnalités qui n’ont pas été fournis précédemment en vertu d’un contrat valide et contraignant entre les parties. Si une EDR n’offrait pas déjà un service ou une fonctionnalité avant le différend, il n’y a rien à « continuer à fournir » et cela ne peut être visé par la règle du statu quo. En outre, les abonnés ne peuvent pas perdre l’accès à quelque chose qu’ils ne recevaient pas déjà.
  6. Par conséquent, la règle du statu quo vise à assurer la prestation continue des services et des fonctionnalités autorisés antérieurement en vertu des ententes contractuelles en place et en vigueur avant le différend afin de maintenir le statu quo pour les consommateurs et ne s’applique pas aux services et aux fonctionnalités qu’une EDR ne fournissait pas à ses abonnés avant le différend.
  7. La règle du statu quo n’oblige pas une entreprise de programmation à autoriser la distribution de nouveaux services ou de nouvelles fonctionnalités dans le cadre d’un différend en l’absence d’une entente. Lorsqu’une EDR n’a jamais distribué les services ou les fonctionnalités d’une entreprise de programmation et que ces services ou fonctionnalités n’ont pas été inclus pendant la durée du contrat, la règle du statu quo ne peut être utilisée par une EDR pour imposer de nouvelles obligations juridiques aux entreprises de programmation. Cela reviendrait à accorder un droit effectif de distribution contraire à l’objectif de la règle du statu quo.
  8. Le Conseil note que les modalités décrites dans l’entente-cadre sont uniquement celles qui s’appliqueraient si un membre de la CCSA incluait ces services et ces fonctionnalités dans sa convention de prise en charge. Par conséquent, le Conseil conclut que dans le cas de la CCSA et de ses membres, c’est la convention de prise en charge qui détermine les services et les fonctionnalités qu’une EDR en particulier était autorisée à distribuer et non l’entente-cadre. Les modalités de l’entente-cadre peuvent être considérées comme ayant été appliquées, au moment du différend à l’égard d’une EDR donnée, qu’aux services et aux fonctionnalités faisant partie d’une convention de prise en charge conclue entre Bell Média et cette EDR particulière avant l’expiration de l’entente-cadre.
  9. Le dossier de la présente instance indique que Bell Média a continué à fournir l’accès aux services et aux fonctionnalités pour chaque EDR membre, conformément aux services et aux fonctionnalités recensés dans leurs conventions de prise en charge respectives avant le différend. Compte tenu de ce qui précède, le Conseil détermine que la règle du statu quo n’a pas été violée.

Processus d’enquête technique de Bell Média

  1. Les enquêtes techniques (également appelées enquêtes de sécurité ou questionnaires) sont des formulaires détaillés qu’un nombre croissant de programmateurs exigent que les EDR remplissent avant de conclure une entente de distribution. L’objectif de ce processus est de s’assurer que la programmation vendue aux EDR par le fournisseur et ses partenaires ne sera pas exposée ou autrement compromise par le réseau, l’infrastructure ou les mécanismes de distribution de l’EDR. Les enquêtes fournissent aux titulaires de droits une garantie que leurs droits ou leur propriété intellectuelle ne seront pas violés, endommagés ou autrement compromis par le processus de distribution.
  2. Les enquêtes techniques sont monnaie courante dans le système de radiodiffusion. À mesure que le volume de programmation multiplateforme augmente, le besoin de protection de tel contenu (p. ex. contre le piratage) croît également. Par conséquent, le Conseil est d’avis que les enquêtes techniques de Bell Média ne sont ni nouvelles ni hors norme.
  3. Toutefois, les enquêtes techniques ne sont pas normalisées dans toute l’industrie, et certaines entreprises de programmation ont des enquêtes plus complexes que d’autres. En général, plus l’entité et son éventail de partenaires commerciaux sont grands, plus l’enquête technique peut être complexe. Bell Média est le plus grand acteur du système canadien de radiodiffusion et achète de la programmation auprès d’un certain nombre de producteurs de contenu canadiens et internationaux de premier plan qui exigent un contrôle de plus en plus strict de la distribution de leur contenu. Par conséquent, les protections et les garanties exigées par Bell Média pour convaincre les producteurs et les fournisseurs de contenu que leur programmation est traitée d’une manière qui ne menace pas leur intégrité peuvent être plus rigoureuses.
  4. Les enquêtes techniques ne sont pas adaptées aux EDR individuelles et seule l’EDR elle-même aura les connaissances requises pour répondre à l’enquête. Par conséquent, les EDR de plus petite taille peuvent avoir plus de difficultés à satisfaire aux exigences du processus, ce qui peut entraîner des retards.
  5. Compte tenu de tout ce qui précède, le Conseil est d’avis que l’utilisation d’enquêtes techniques ne contrevient en soi à aucune partie du cadre réglementaire du Conseil. Le Conseil conclut également qu’il n’y a pas suffisamment d’éléments de preuve pour conclure que le processus d’enquête technique de Bell Média en particulier est problématique.
  6. Le Conseil note toutefois que la CCSA n’est pas la première à soulever des préoccupations concernant le processus d’enquête technique.
  7. Par conséquent, le Conseil surveillera la situation en ce qui concerne le processus d’enquête technique afin de s’assurer qu’elles ne deviennent pas un obstacle au succès des activités commerciales et des négociations pour les petites EDR. Si la pratique de l’industrie devenait trop onéreuse pour ces petites EDR ou pour l’industrie dans son ensemble, le Conseil pourrait procéder à un examen officiel, à l’échelle de l’industrie, des enquêtes et du processus connexe, ainsi que de leur incidence sur la capacité des petites EDR d’accéder aux services de programmation des grandes entreprises de programmation intégrées verticalement.

Le Code sur la vente en gros et la condition de licence sur les mesures de protection relatives à la concurrence de Bell Média

  1. Les arguments de la CCSA concernant le Code sur la vente en gros et la condition de licence sur les mesures de protection relatives à la concurrence reposent sur l’affirmation selon laquelle Bell Média enfreint la règle du statu quo et le caractère prétendument déraisonnable associé au fait d’exiger une nouvelle entente avant de pouvoir distribuer tout nouveau service ou toute nouvelle fonctionnalité et d’exiger la réalisation des enquêtes techniques de Bell Média. Comme la règle du statu quo ne s’applique pas aux services ou fonctionnalités non distribués antérieurement, Bell Média ne peut être considéré, en fonction de cette règle, comme enfreignant le Code sur la vente en gros ou sa condition de licence en refusant de lancer ces services et fonctionnalités supplémentaires. De plus, comme il a été mentionné, les enquêtes techniques de Bell Média ne contreviennent à aucune partie du cadre réglementaire du Conseil.
  2. Si la CCSA ou ses membres souhaitent lancer des services ou des fonctionnalités supplémentaires, ils sont ouverts à la négociation et à la conclusion d’une entente pour ces nouveaux services ou nouvelles fonctionnalités. Pour invoquer la condition de licence sur les mesures de protection relatives à la concurrence de Bell Média et le Code sur la vente en gros, la CCSA devait fournir suffisamment d’éléments de preuve démontrant que les modalités que Bell Média cherche à obtenir dans ces cas sont déraisonnables. La CCSA ne l’a pas fait. Par conséquent, ses allégations de modalités déraisonnables en vertu du Code sur la vente en gros et de la condition de licence sur les mesures de protection relatives à la concurrence ne peuvent être étayées.
  3. Compte tenu de ce qui précède, le Conseil conclut que Bell Média n’a pas enfreint les paragraphes 5e. et 5f. ainsi que l’article 12 du Code sur la vente en gros ou sa condition de licence sur les mesures de protection relatives à la concurrence.

Préférence indue

  1. Lorsque le Conseil examine une plainte alléguant une préférence indue ou un désavantage indu, il doit d’abord déterminer s’il y a préférence ou désavantage. La préférence ou le désavantage sont généralement définis comme le traitement différent d’entités comparables.
  2. Si le Conseil conclut qu’une préférence a été accordée ou qu’une personne a été assujettie à un désavantage, il doit déterminer si la préférence ou le désavantage est indu. Plus précisément, le Conseil évalue si cette préférence ou ce désavantage a causé ou pourrait causer un préjudice important au plaignant ou à une autre personne. Il examine également l’incidence que la préférence ou le désavantage exerce, ou risque d’exercer, sur l’atteinte des objectifs énoncés dans la Loi.
  3. Le Conseil estime que Bell Média ne devrait pas être obligée de fournir des services et des fonctionnalités qui n’étaient pas déjà fournis avant le différend et l’expiration des conventions. Bell Média est en droit de refuser de fournir les services et les fonctionnalités en question en l’absence d’un contrat couvrant ces services et ces fonctionnalités. Les membres de la CCSA n’ont pas été empêchés de conclure d’autres accords de fourniture pour de nouveaux services ou de nouvelles fonctionnalités.
  4. Le Conseil note également que Bell n’a pas refusé de fournir les services en question. Elle indique qu’elle était prête à le faire, mais affirme qu’elle ne pensait pas qu’elle devait être tenue de le faire pour des taux qui ne sont plus en vigueur et sur lesquels les membres ne se sont jamais appuyés. Bell Média ajoute que les membres devraient plutôt payer pour ces services sur la base des tarifs que Bell Média a proposés et jugés commercialement raisonnables. Le Conseil note que le paiement des tarifs proposés par Bell Média sur une base intérimaire pendant que les parties sont en négociation serait une façon d’obtenir l’accès aux services et aux fonctionnalités supplémentaires pendant que les négociations sont en cours. Les parties ont également la possibilité d’ajuster rétroactivement les taux pour refléter le résultat de ces négociations.
  5. De plus, rien dans le cadre réglementaire du Conseil n’empêche Bell Média d’exiger que les parties complètent le processus d’enquête technique avant d’autoriser la distribution de nouveaux éléments. Le Conseil reconnaît que cette étape est un élément important pour assurer l’intégrité du système et protéger les droits des programmateurs. Bien que les membres de la CCSA aient eu des problèmes avec les enquêtes techniques, tel qu’il a été mentionné plus haut, il n’y avait pas suffisamment d’éléments de preuve pour démontrer que les enquêtes techniques de Bell Média étaient problématiques. De plus, le Conseil estime que Bell Média traite toutes les EDR de la même façon en ce qui concerne son processus d’enquête technique. Le temps requis pour compléter le processus peut varier en fonction des circonstances de chaque EDR.
  6. Compte tenu de tout ce qui précède, le Conseil conclut que Bell Média n’accorde pas de préférence à ses EDR affiliées ou ne fait pas subir de désavantage aux membres de la CCSA.
  7. Compte tenu de sa décision, le Conseil n’a pas à examiner la question de la préférence ou du désavantage indu.
  8. Enfin, le Conseil estime que les questions soulevées dans cette demande auraient été traitées de manière plus appropriée dans le contexte des négociations en cours entre les parties, où celles-ci auraient pu résoudre le différend de manière bilatérale ou avec l’aide d’une médiation assistée par le personnel. Bien que les parties puissent faire appel au Conseil pour faciliter la résolution des plaintes, celui-ci s’attend généralement à ce que les parties fassent des efforts raisonnables pour résoudre leurs différends avant de soumettre ces questions au Conseil aux fins de décision.

Secrétaire général

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