Décision de radiodiffusion CRTC 2021-250

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Référence : Demande de la Partie 1 affichée le 16 janvier 2020

Ottawa, le 3 août 2021

Québecor Média inc., au nom de Vidéotron ltée
L’ensemble du Canada

Dossier public de la présente demande : 2019-1113-1

Plainte de Québecor, au nom de Vidéotron, contre la Société Radio-Canada alléguant une préférence indue concernant le service Ici Tou.tv Extra

Le Conseil estime qu’en offrant son service payant de vidéo sur demande par abonnement Ici Tou.tv Extra (Tou.tv Extra) par le biais d’Internet, la Société Radio-Canada (SRC) ne s’accorde pas de préférence indue et n’en accorde pas à TELUS Communications Inc. (TELUS). Par conséquent, le Conseil rejette, par une décision majoritaire, la plainte de préférence indue de Québecor Média inc. (Québecor) concernant le service Tou.tv Extra par la SRC.

Le Conseil estime également que la SRC n’enfreint pas la règle sur l’exclusivité des offres de programmation par le biais de l’offre conclue avec TELUS relativement à la distribution de Tou.tv Extra à ses clients au Québec. Par conséquent, le Conseil rejette, par une décision majoritaire, la plainte de Québecor à l’égard de la règle sur l’exclusivité.

Les parties

  1. Vidéotron ltée (Vidéotron), une filiale de Québecor Média inc. (Québecor), exploite une des principales entreprises de distribution de radiodiffusion (EDR) au Québec. Ses activités comprennent également la téléphonie mobile et le service de vidéo sur demande hybride exempté, Club illico.
  2. Québecor est la société mère de Vidéotron. Elle détient, par le biais de Groupe TVA inc., des entreprises de programmation de télévision et des services spécialisés et, par le biais de Vidéotron, des entreprises de distribution par câble et un service sur demande.
  3. La Société Radio-Canada (SRC), le radiodiffuseur public national, est titulaire de divers services, dont des stations de télévision traditionnelle et des services facultatifs. La SRC exploite également Ici Tou.tv (Tou.tv), un service de vidéo sur demande (VSD) gratuit lancé en 2010 qui offre du contenu de rattrapage, et Ici Tou.tv Extra (Tou.tv Extra), un service payant de vidéo sur demande par abonnement (VSDA) sans publicité lancé en 2014 qui s’apparente notamment aux services Club illico, Crave, Netflix et Amazon Prime Video. Les services Tou.tv et Tou.tv Extra sont offerts uniquement en ligne et présentent de la programmation différente.
  4. TELUS Communications Inc. (TELUS) est titulaire d’EDR exploitées principalement en Alberta et en Colombie-Britannique et dans quelques marchés de petite et de moyenne taille au Québec ainsi que des services de téléphonie mobile et d’Internet.

La plainte

  1. Le 30 octobre 2019, Québecor, au nom de Vidéotron, a déposé une plainte contre la SRC alléguant que cette dernière s’avantage elle-même en offrant son service payant de VSDA Tou.tv Extra de façon à désavantager les EDR. Dans cette plainte, Québecor allègue également que la SRC a contrevenu à la règle sur l’exclusivité des offres de programmation en concluant une entente qui permet uniquement aux abonnés de TELUS au Québec de recevoir gratuitement Tou.tv Extra.

Position des parties

Québecor

  1. Dans sa plainte, Québecor fait valoir que la SRC contrevient aux paragraphes 3 et 5 de l’Ordonnance d’exemption relative aux entreprises de radiodiffusion de médias numériques énoncée dans l’ordonnance de radiodiffusion 2012-409 (l’Ordonnance d’exemption). Québecor fait également valoir que, selon elle, en vertu de l’article 3 de la Loi sur la radiodiffusion (la Loi), le mandat de la SRC doit être dans une optique de complémentarité et de collaboration avec le secteur privé et non pas de concurrence. Plus précisément, en vertu de l’alinéa 3(1)l) de la Loi, la SRC, à titre de radiodiffuseur public national, doit offrir des services de radio et de télévision qui comportent une très large programmation qui renseigne, éclaire et divertit. De plus, l’alinéa 3(1)n) de la Loi stipule que les conflits entre les objectifs de la SRC et les intérêts de toute autre entreprise de radiodiffusion du système canadien de radiodiffusion doivent être résolus dans le sens de l’intérêt public ou, si l’intérêt public est également assuré, en faveur des objectifs énumérés aux alinéas 3(1)l) et 3(1)m) de la Loi.
  2. Dans le présent cas, Québecor allègue que la SRC contrevient au paragraphe 3 de l’Ordonnance d’exemption en s’octroyant une préférence indue par l’offre de Tou.tv Extra au détriment des EDR et des contribuables canadiens. Québecor allègue également que la SRC contrevient au paragraphe 5 de l’Ordonnance d’exemption compte tenu de l’entente convenue avec TELUS relativement à l’offre de Tou.tv Extra.
  3. Québecor fait valoir que Tou.tv Extra offre du contenu exclusif, des séries d’ici et d’ailleurs, des films, des émissions en primeur, et du contenu provenant d’autres services de programmation canadiens, spécialisés ou traditionnels, de façon semblable aux EDR, ainsi qu’un accès exclusif à Véro.tv. De plus, la SRC a conclu des ententes en vue de distribuer du contenu provenant de services de télévision traditionnelle tels que TV5 et Télé-Québec, de services facultatifs détenus par Bell, et de l’Office national du film du CanadaNote de bas de page 1. Québecor affirme qu’étant donné que Tou.tv Extra distribue des services de télévisionNote de bas de page 2, notamment des services qui n’appartiennent pas à la SRC, le service devient une EDR ou s’y assimile. De plus, selon elle, le client peut être induit en erreur puisque Tou.tv Extra affiche le logo de ces services sur son site Web.
  4. En outre, Québecor allègue que la SRC, en recevant des revenus mensuels d’abonnement pour Tou.tv Extra, court-circuite le système canadien de radiodiffusion, car elle reçoit également du gouvernement l’argent des contribuables. De plus, les abonnés au service Tou.tv Extra paient pour avoir accès à du contenu qui est en grande partie déjà financé par les contribuables et les EDR. Québecor est d’avis que ceci est inapproprié de la part du diffuseur public.
  5. Selon Québecor, la SRC introduit TELUS comme un nouveau concurrent aux EDR existantes dans le marché de langue française. Québecor soutient que l’entente conclue avec TELUS garantit à la SRC un bassin de millions d’abonnés et crée ainsi une concurrence déloyale aux EDR existantes. Québecor estime que cette entente encourage la migration des téléspectateurs vers les plateformes non réglementées. De plus, TELUS ne détient pas de licence lui permettant d’exploiter une EDR dans le marché de Vidéotron alors qu’elle lui livre concurrence dans ce marché. Par conséquent, Québecor estime que la SRC accorde à TELUS une préférence indue.
  6. Québecor soutient de plus que les écarts entre les tarifs de détail constituent un élément de la préférence. En effet, elle fait valoir que les abonnés de Vidéotron qui désirent recevoir les services distribués par Tou.tv Extra sont désavantagés puisqu’ils doivent s’abonner au service de base et à d’autres forfaits pour un total pouvant atteindre jusqu’à 45 $ alors qu’ils peuvent s’abonner directement à Tou.tv Extra pour la somme mensuelle de 6,99 $.
  7. Québecor est d’avis que la SRC contribue de façon préméditée à l’érosion du système canadien de radiodiffusion. Québecor souligne que le nombre d’abonnés de Vidéotron a diminué entre 2013 et 2018.
  8. Québecor estime que la SRC contrevient au paragraphe 5 de l’Ordonnance d’exemption compte tenu de l’offre exclusive accordée à TELUS. Québecor affirme qu’en 2014, la SRC a créé des partenariats avec TELUS et Rogers pour elles offrent Tou.tv Extra gratuitement à leurs abonnés en échange de contreparties. À l’heure actuelle, seuls les abonnés de TELUS reçoivent les émissions de Tou.tv Extra gratuitement. Pour Québecor, la situation actuelle d’exclusivité prime sur le fait que ce soit une exclusivité par défaut parce que d’autres parties ont refusé l’offre de la SRC.
  9. Québecor spécifie donc que cette offre gratuite exclusive constitue une « manière autrement préférentielle » interdite par le paragraphe 5 de l’Ordonnance d’exemption. Tel qu’indiqué précédemment, l’accès à cette offre gratuite de Tou.tv Extra dépend de l’abonnement aux services de TELUS.
  10. Québecor demande donc au Conseil d’exiger la cessation des activités de Tou.tv Extra compte tenu de la non-conformité aux paragraphes 3 et 5 de l’Ordonnance d’exemption et du mandat de la SRC à titre de radiodiffuseur public.

Société Radio-Canada

  1. Dans sa réponse du 18 février 2020 à la plainte de Québecor, la SRC affirme ne pas s’accorder de préférence indue et ne pas faire subir de désavantage indu.
  2. En s’appuyant sur la définition d’EDR dans la Loi, la SRC réfute les arguments de Québecor selon lesquels Tou.tv. Extra est une EDR. Elle indique qu’une EDR est une entreprise qui distribue les signaux d’un nombre important de services de programmation canadiens ainsi que, généralement, un éventail de services de programmation étrangers, dans leur intégralité et sans les modifier. La SRC souligne que Tou.tv Extra est plutôt une entreprise de programmation de radiodiffusion qui transmet des émissions uniquement par Internet. Cela en fait un service de VSDA au sens de la réglementation du Conseil comme d’autres services de programmation de même nature (par exemple Netflix, Club illico, Crave et Amazon Prime Video).
  3. De plus, la SRC précise que les services par contournement, y compris Netflix et Club illico, offrent une bibliothèque de contenu constituée en partie d’émissions originales distribuées en primeur et d’un vaste éventail de films et d’émissions qui sont ou ont été diffusés préalablement par une variété de services de programmation. De plus, comme Tou.tv Extra est offert uniquement par le biais d’Internet, le service est exploité en vertu de l’Ordonnance d’exemption.
  4. La SRC est aussi d’avis que les EDR exploitées dans les marchés de langue française ne sont pas indûment désavantagées. À l’appui de sa plainte, Québecor n’a invoqué que la baisse du nombre d’abonnés de Vidéotron entre 2013 et 2018. Cependant, les relevés statistiques et financiers publiés par le Conseil démontrent que, pour cette période, les EDR par câble et la télévision par protocole Internet desservant le Québec ont collectivement connu une hausse de leurs abonnés et de leurs revenus totaux. La SRC fait valoir que ces données démontrent que ces EDR n’ont pas été assujetties à une incidence négative.
  5. Selon la SRC, la perte d’abonnés de Vidéotron n’a rien à voir avec l’arrivée de Tou.tv Extra puisqu’il y a eu une croissance globale au cours de cette période. La SCR indique ne pas posséder l’information pour prouver l’incidence négligeable de son service Tou.tv Extra sur Vidéotron. La SRC est cependant d’avis que, selon les données publiées par le Conseil dans ses relevés statistiques et financiers, la baisse des abonnés de Vidéotron s’explique plutôt par l’incapacité de Vidéotron de résister à la concurrence, y compris celle des EDR par la télévision par protocole Internet. De plus, la SRC estime que l’incidence de Tou.tv Extra est extrêmement négligeable.
  6. En ce qui a trait au contenu exclusif, la SRC indique que Tou.tv  Extra offre 51,35 heures de contenu exclusif sur une offre d’environ 3 500 heures, ce qui représente environ 1,5 % de l’ensemble des émissions offertes par le service.
  7. Pour ce qui est de la plainte en vertu du paragraphe 5 de l’Ordonnance d’exemption, la SCR affirme ne pas accorder d’exclusivité à TELUS puisqu’elle a tenté dès 2012 de conclure de telles ententes avec plusieurs entreprises de distribution et de téléphonie mobile, dont Vidéotron. La SRC indique que Rogers s’en est prévalu pendant un certain temps alors que Vidéotron l’a refusée. La SRC affirme ne jamais avoir délibérément offert à une seule entreprise les conditions dont TELUS se prévaut. Au contraire, la SRC indique qu’il lui serait plus avantageux qu’un plus grand nombre d’entreprises acceptent son offre.
  8. De plus, la SRC fait valoir que tous les Canadiens peuvent avoir accès à Tou.tv Extra par le biais d’Internet. Selon la SRC, l’entente conclue avec TELUS ne remet aucunement en cause l’universalité d’accès puisque l’accès ne dépend pas de l’abonnement aux services de TELUS. L’accès gratuit offert par TELUS est possible puisque TELUS prend en charge les frais d’abonnement.
  9. La SRC précise que l’entente conclue avec TELUS se limite aux abonnés aux services mobiles et Internet haute vitesse du Québec et que ce ne sont pas tous les abonnés admissibles qui s’en prévalent. La SRC ajoute que les EDR de TELUS desservent des marchés de taille modeste, soit ceux de Baie-Comeau, Montmagny, Rimouski et Sainte-Marie. Par conséquent, l’accès gratuit au service en question est loin d’être offert à un bassin d’un million d’abonnés.  
  10. La SRC fait valoir que, plutôt que de demander de cesser les activités de Tou.tv Extra, le remède logique à la plainte de Québecor serait de conclure une entente similaire avec Vidéotron et avec toutes les autres entreprises intéressées. La SRC fait valoir que le redressement suggéré par Québecor est complètement disproportionné. La SRC conclut que Québecor aurait pu demander un traitement semblable plutôt que de chercher à éliminer un concurrent de son service Club illico.
  11. La SRC ajoute qu’elle exploite Tou.tv Extra en vertu de l’Ordonnance d’exemption puisque son service n’est offert que par Internet. Elle précise qu’aucune EDR n’offre le service, celui-ci étant offert uniquement par abonnement sur le site de Tou.tv ou au moyen d’une application Apple. On y accède par le site Internet, les applications et appareils connectés tels que les téléphones, les tablettes et les téléviseurs intelligents. La SRC ajoute que Netflix, Amazon Prime Video et CBC Gem constituent des services comparables car ils sont également uniquement distribués par Internet.

TELUS

  1. Dans son intervention du 18 février 2020, TELUS affirme qu’il n’y a pas d’exclusivité de l’offre de la SRC, ni d’exclusivité de contenu. TELUS ajoute que l’entente qu’elle a conclue avec la SRC ne crée pas d’avantage puisque la SRC a présenté des offres semblables à d’autres entreprises. En vertu de l’offre conclue avec la SRC, le service Tou.tv Extra est offert gratuitement à une partie de la clientèle de téléphonie mobile et d’Internet de TELUS au Québec. Selon TELUS, si préférence il y a, celle-ci n’est pas indue puisque, dans l’ensemble, les EDR traditionnelles et la télévision par protocole Internet ont connu une hausse des revenus et des abonnés. Elle fournit à l’appui des parts de marché où celles de Tou.tv Extra se situent bien en-deçà de celle de Netflix et de Club illico. TELUS ajoute qu’en cas de désavantage, Québecor devrait chercher à conclure une entente semblable à celle qu’elle a conclue avec la SRC plutôt que de tenter d’en obtenir la résiliation.
  2. TELUS indique que l’offre de la SRC ne lui est pas exclusive et que d’autres distributeurs, dont Vidéotron, peuvent s’en prévaloir. TELUS affirme qu’il n’y a pas d’exclusivité de contenu et que tous les Canadiens peuvent s’abonner à Tou.tv Extra. Elle indique que l’entente en est une de marketing et non de distribution. À l’instar de la SRC, TELUS fait remarquer que le service Club illico est offert gratuitement à certains abonnés de Vidéotron.

Interventions

  1. Le Conseil a reçu des observations concernant la plainte de Québecor de la part de Cogeco Communications inc. (Cogeco). Cette dernière indique partager les préoccupations de Québecor au sujet du désavantage subi par les EDR du marché de langue française découlant de l’exploitation des services par contournement, qui n’ont aucune obligation réglementaire. Cogeco ajoute que l’exploitation de Tou.tv Extra par la SRC contribue à exacerber la crise touchant le système de radiodiffusion canadien.
  2. Le Conseil a également reçu une intervention provenant d’un particulier qui indique que bien que le service Tou.tv Extra soit offert gratuitement à certains abonnés de TELUS, ce service n’est pas réellement gratuit puisque les abonnés le paient indirectement dans la facturation de leurs services. Il fait valoir que personne dans son entourage n’a choisi les services de TELUS en raison de l’offre gratuite de Tou.tv Extra. Les gens de son entourage ayant un fournisseur de téléphonie mobile autre que TELUS ont indiqué que cette offre n’influencerait pas leur choix de fournisseur de téléphonie mobile puisque leurs services par contournement actuels leur conviennent. De plus, celui-ci fait valoir que TELUS, en tant qu’EDR, dessert de petites agglomérations dont les plus importantes sont des villes comme Rimouski et Saint-Georges alors que Vidéotron dessert le plus beau bassin de la population à Montréal et à Québec.

Réplique de Québecor

  1. Dans sa réplique, Québecor indique ne jamais avoir entièrement attribué la perte d’abonnés de Vidéotron de 2013 à 2018 à l’introduction de Tou.tv Extra mais précise plutôt que le service y a contribué. Elle ajoute que la SRC n’a présenté aucune preuve concrète permettant d’affirmer que l’offre des EDR par la télévision par protocole Internet est la seule raison qui explique la baisse d’abonnement chez Vidéotron. De plus, selon Québecor, il est impossible d’isoler Tou.tv Extra de l’ensemble des menaces concurrentielles qui pèsent lourdement sur les EDR traditionnelles et le système canadien de radiodiffusion dans son ensemble.
  2. Québecor confirme également qu’elle ne conteste pas Tou.tv, un service qui n’inclut pas la distribution des services des entreprises concurrentes de Québecor. De plus, Québecor indique ne pas s’opposer à la disponibilité gratuite du contenu du diffuseur public sur une plateforme numérique. Par conséquent, Québecor affirme qu’il est totalement faux que la plainte est une tentative d’éliminer un concurrent direct de son service Club illico. Québecor fait également valoir que l’incidence totale de Tou.tv Extra et des autres services par contournement a été dommageable pour le système de radiodiffusion du Québec. Elle ajoute que les services Club illico et Tou.tv Extra ne peuvent être comparés. Club illico est un service de vidéo sur demande hybride assujetti à une réglementation différente de Tou.tv Extra, un service exploité en vertu de l’Ordonnance d’exemption. Toutefois, Vidéotron précise que Club illico peut être offert exclusivement à ses abonnés.
  3. Québecor explique ne pas mettre en doute l’universalité de l’accès à Tou.tv Extra. Elle précise ses arguments sur l’exclusivité en faisant valoir que, bien que ce soit par défaut, la SRC concède un droit exclusif et préférentiel à TELUS en lui permettant d’être le seul télédistributeur et fournisseur de téléphonie mobile au Québec à offrir gratuitement à ses clients Tou.tv Extra.

Particularité de la plainte

  1. Québecor soulève de multiples préoccupations à l’égard du financement de la SRC et de son rôle dans la sphère numérique. Selon elle, la SRC « s’écarte de son mandat de radiodiffuseur public ».
  2. Dans une lettre procédurale en date du 14 janvier 2020, le personnel du Conseil a indiqué que seules les questions relatives à la préférence indue et à l’exclusivité des offres de programmation en vertu des paragraphes 3 et 5 de l’Ordonnance d’exemption seraient examinées par le Conseil car de nombreuses préoccupations de nature politique dépassaient ce que le Conseil traite habituellement dans le cadre de plaintes en préférence indue.
  3. Suite à cette lettre procédurale, dans sa réplique en date du 28 février 2020, Québecor a indiqué ce qui suit :

    [I]l importe de reconnaître que ce n’est pas parce que le Conseil a indiqué dans sa lettre que certaines questions soulevées dans notre demande étaient d’ordre politique que l’on devrait exclure le fait que Tou.tv Extra est le service du diffuseur public. Nous jugeons qu’il est essentiel que le Conseil tienne compte de cela dans son analyse du dossier en question.

  4. De plus, Québecor a fait valoir qu’étant donné que Tou.tv Extra est le service de VSDA du diffuseur public, la SRC déroge de son mandat qui se doit d’être dans une optique de complémentarité et de collaboration avec le secteur privé et non de concurrence. Québecor a également fait valoir que l’offre de service ne sert pas l’intérêt public.
  5. Québecor a soulevé plusieurs préoccupations dans le cadre de la présente instance, y compris le rôle et le mandat de la SRC, son financement et son rôle dans la sphère numérique. Bien que le Conseil ne rende une décision que sur les questions qui s’inscrivent dans le cadre réglementaire énoncé pour les décisions relatives aux questions de préférence indue, il reconnaît néanmoins que plusieurs des autres questions ont été soulevées dans le contexte du processus lancé par l’avis de consultation de radiodiffusion 2019-379
  6. Par conséquent, le Conseil conclut qu’il n’examinera pas ces arguments dans le cadre de la présente décision puisqu’ils dépassent la portée des questions que le Conseil examine habituellement dans le cadre d’une plainte en préférence indue.

Analyse et décisions du Conseil

  1. Le Conseil estime que les questions sur lesquelles il doit se pencher sont les suivantes :
    • La SRC s’accorde-t-elle une préférence indue, ainsi qu’à TELUS, en offrant son service payant de VSDA Tou.tv Extra de façon à désavantager les autres EDR, dont Vidéotron?
    • La SRC enfreint-elle la règle sur l’exclusivité?

La SRC s’accorde-t-elle une préférence indue, ainsi qu’à TELUS, en offrant son service payant de VSDA Tou.tv Extra de façon à désavantager les autres EDR, dont Vidéotron?

  1. Le Conseil note les préoccupations soulevées par Québecor quant à la nature du service Tou.tv Extra. Toutefois, le Conseil estime que Tou.tv Extra, contrairement aux EDR exploitées en vertu du Règlement, distribue une bibliothèque d’émissions, et non le signal intégral des services, et ce même si Tou.tv Extra fait la promotion des émissions en affichant le logo des services en question. Le Conseil note que la SRC indique, juste au-dessus des logos des différents services, que Tou.tv Extra offre « une foule d’émissions des chaînes [suivantes …] ». Le Conseil est donc d’avis que le service Tou.tv Extra n’a pas les caractéristiques d’une EDR traditionnelle et est plutôt un service de VSDA distribué par Internet, tout comme d’autres services par contournement, dont Netflix et Club illico, et qu’il correspond à la définition d’une entreprise de média numérique exploitée en vertu de l’Ordonnance d’exemption.
  2. Compte tenu de ce qui précède, le Conseil conclut que Tou.tv Extra n’est pas une EDR, pas plus qu’elle ne s’y assimile. Par conséquent, le Conseil estime approprié d’examiner la plainte en vertu du cadre énoncé dans l’Ordonnance d’exemption. De plus, à titre d’entreprise exploitée en vertu de l’Ordonnance d’exemption et contrairement aux EDR exploitées en vertu du Règlement, Tou.tv Extra n’a pas l’obligation d’offrir un forfait de base, ni de contribuer à la programmation canadienne de la même façon qu’une EDR.
  3. En ce qui concerne la préférence ou le désavantage indu, le paragraphe 3 de l’Ordonnance d’exemption stipule que :

    L’entreprise ne doit pas accorder de préférence indue à quiconque, y compris elle-même, ni causer à quiconque un désavantage indu. Lors d’une instance devant le Conseil, il incombe à la partie qui a accordé une préférence ou fait subir un désavantage d’établir que la préférence ou le désavantage n’est pas indu.

  4. Lorsque le Conseil examine une plainte alléguant une préférence ou un désavantage indu, il doit d’abord déterminer s’il y a préférence ou désavantage. Si le Conseil conclut à une préférence ou un désavantage, il doit ensuite déterminer si celui-ci est indu. Pour ce faire, il évaluera si la préférence ou le désavantage a eu ou est susceptible d’avoir une incidence négative importante sur le plaignant ou sur toute autre personne ou une incidence sur l’atteinte des objectifs de la politique canadienne de radiodiffusion énoncée dans la Loi. Il incombe à la partie qui a accordé la préférence ou le désavantage d’établir que la préférence ou le désavantage n’est pas indu. Cela ne relève pas toutefois pas le plaignant de l’obligation de présenter suffisamment de preuves à l’appui de sa demande.
  5. En ce qui concerne la question de savoir si les autres EDR sont désavantagées par l’offre de Tou.tv Extra par la SCR, le Conseil souligne que la SRC a exprimé son intention de négocier des offres semblables avec d’autres entreprises, dont Vidéotron, et que Rogers s’est par le passé prévalue d’une telle offre alors que Vidéotron l’a refusée. Le fait que TELUS est la seule entreprise qui se prévaut actuellement de cette offre ne prouve pas que la SRC a accordé à TELUS une préférence ou a désavantagé Vidéotron. De plus, puisque Tou.tv Extra n’est pas une EDR, TELUS, par le biais de son offre de ce service par Internet ou par cellulaire, n’exploite pas d’EDR sans licence dans le territoire de Vidéotron. Par conséquent, le Conseil estime qu’il n’y a pas de préférence ou de désavantage à cet égard.
  6. Le Conseil prend note des arguments de Québecor selon lesquels Tou.tv Extra entraîne une concurrence déloyale et contribue à la migration des téléspectateurs vers les plateformes non réglementées, ce qui se ferait au détriment du système traditionnel de distribution, désavantagerait les EDR traditionnelles et fragiliserait le système canadien de radiodiffusion. Cependant, le Conseil estime qu’au moment où la plainte a été déposée, l’offre du service Tou.tv Extra ne créait pas de désavantage en vertu du cadre réglementaire actuel, le service étant plutôt une offre concurrentielle à l’avantage du système canadien de radiodiffusion et des Canadiens.
  7. Dans la politique réglementaire de radiodiffusion 2015-86 (Parlons télé), le Conseil a choisi de permettre une télévision de plus en plus sur demande et plus personnalisée par les entreprises canadiennes afin de concurrencer les entreprises par contournement non canadiennes. Plus précisément, le Conseil a indiqué ce qui suit :

    Au cours des prochaines années, les Canadiens poursuivront la transition d’une télévision programmée et de services de programmation en forfait vers une télévision de plus en plus sur demande et plus personnalisée. Ils chercheront à mieux contrôler les émissions qu’ils regardent et accéderont à des vidéos sur un éventail toujours plus diversifié d’appareils. Ce nouvel environnement exigera que tous les joueurs du système de radiodiffusion, y compris les gouvernements et le Conseil, concertent leurs efforts en vue de trouver des approches nouvelles et innovatrices favorisant la création d’une programmation captivante et diversifiée.

  8. De façon générale, il est possible que pour un téléspectateur les services de VSDA par Internet puissent constituer une option autre que celle des EDR traditionnelles. D’ailleurs, le dossier public de la présente instance tend à démontrer que de plus en plus d’entreprises offrent de tels services dans les marchés de langues française et anglaise.
  9. Pour ces raisons, le Conseil conclut que la SRC n’octroie, ni à elle-même ni à TELUS, de préférence et ne désavantage ni Vidéotron ni aucune autre EDR. Par conséquent, le Conseil rejette, par une décision majoritaire, la plainte de préférence indue déposée par Québecor en vertu du paragraphe 3 de l’Ordonnance d’exemption concernant la distribution du service Tou.tv Extra par la SRC.

La SRC enfreint-elle la règle sur l’exclusivité?

  1. Le paragraphe 5 de l’Ordonnance d’exemption stipule ce qui suit :

    Sous réserve du paragraphe 6, l’entreprise n’offre pas une programmation de télévision en exclusivité ou de manière autrement préférentielle de sorte que l’accès dépend de l’abonnement à un service mobile ou d’accès Internet de détail en particulier.

  2. Dans la politique réglementaire de radiodiffusion 2011-601 (la politique sur l’intégration verticale), le Conseil a interdit la distribution exclusive de programmation de télévision dans certaines circonstances et a indiqué que :

    […] les entités intégrées verticalement ont à la fois l’occasion et l’incitatif de se conférer une préférence indue en s’attribuant des droits d’exclusivité du contenu qu’elles contrôlent sur différentes plateformes de distribution. Un consommateur serait ainsi obligé de s’abonner à la plateforme de distribution appartenant à une entité donnée pour avoir accès à ce contenu exclusif.

    […] permettre aux entités intégrées verticalement de bénéficier de la distribution exclusive sur les plateformes néomédiatiques (tels les portails de large bande et les plateformes mobiles) la distribution exclusive de programmation d’abord conçue pour la télévision traditionnelle, les services spécialisés, payants et de VSD nuirait aux consommateurs et à la capacité concurrentielle de l’industrie. Le Conseil estime également que si d’autres joueurs de l’industrie autres que les entités intégrées verticalement bénéficiaient d’une telle exclusivité, les mêmes inconvénients en résulteraient.

  3. L’interdiction relative à l’exclusivité vise à empêcher les entreprises exploitées en vertu de l’Ordonnance d’exemption de conférer l’exclusivité d’accès à la programmation conçue d’abord pour la télévision traditionnelle, les services spécialisés, payants ou de VSD si l’accès à ces émissions devait dépendre de l’abonnement à un service mobile ou un service d’accès Internet de détail en particulier.
  4. Dans le cas de Tou.tv Extra, le service est offert par la SRC à tous les Canadiens par le biais d’Internet et ne dépend pas de l’abonnement à un service mobile ou à un service d’accès Internet de détail en particulier. La notion d’exclusivité telle qu’énoncée par le Conseil dans la politique sur l’intégration verticale et incorporée dans l’Ordonnance d’exemption n’est donc pas mise en cause.
  5. De plus, le Conseil note que Rogers s’est déjà prévalue de l’offre et que la SRC a affirmé l’avoir également présentée à Vidéotron. Bien que TELUS ait été la seule à profiter de l’offre au moment de la plainte, le Conseil considère qu’il serait inapproprié de pénaliser la SRC alors que le service a été offert à d’autres entreprises, dont Vidéotron.
  6. Pour ces raisons, le Conseil conclut que la SRC n’a pas contrevenu à la règle d’exclusivité énoncée au paragraphe 5 de l’Ordonnance d’exemption. Par conséquent, le Conseil rejette, par une décision majoritaire, la plainte de Québecor à l’égard de la règle sur l’exclusivité des offres énoncée au paragraphe 5 de l’Ordonnance d’exemption.

Secrétaire général

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