Décision de Conformité et Enquêtes CRTC 2016-428

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Ottawa, le 26 octobre 2016

Numéro de dossier : PDR 9094-2014-00305

Blackstone Learning Corp. – Violations de la Loi canadienne anti-pourriel

Le Conseil conclut que Blackstone Learning Corp. (Blackstone) a commis neuf violations de l’alinéa 6(1)a) de la Loi canadienne anti-pourriel en envoyant des messages électroniques commerciaux sans consentement et impose une sanction administrative pécuniaire de 50 000 $ à l’entreprise.

Introduction

  1. Entre le 4 juillet et le 3 décembre 2014, le Conseil a reçu du Centre de notification des pourrielsRetour à la référence de la note de bas de page 1 de nombreuses observations en lien avec des messages électroniques commerciaux non sollicités – à savoir des courriels – qui semblaient avoir été envoyés par Blackstone Learning Corp. (Blackstone). Ces messages faisaient de la publicité sur les services d’éducation et de formation offerts par l’entreprise et ciblaient principalement les employés du gouvernement.
  2. À la suite d’une enquête, Blackstone a reçu le 30 janvier 2015 un procès-verbal de violation en vertu de l’article 22 de la Loi visant à promouvoir l’efficacité et la capacité d’adaptation de l’économie canadienne par la réglementation de certaines pratiques qui découragent l’exercice des activités commerciales par voie électronique et modifiant la Loi sur le Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes, la Loi sur la concurrence, la Loi sur la protection des renseignements personnels et les documents électroniques et la Loi sur les télécommunications (la Loi ou la Loi canadienne anti-pourriel [LCAP]) par une personne désignée à cette fin en vertu de l’article 14 de la LoiRetour à la référence de la note de bas de page 2. Le procès-verbal faisait état de neuf campagnes de communication totalisant 385 668 messages électroniques commerciaux envoyés par Blackstone entre le 9 juillet et le 18 septembre 2014 sans le consentement des destinataires. Par conséquent, une personne désignée a déclaré avoir des motifs raisonnables de croire que Blackstone avait commis neuf violations de l’alinéa 6(1)a) de la Loi.
  3. Le procès-verbal de violation prévoyait une sanction administrative pécuniaire (SAP) de 640 000 $.
  4. Blackstone avait jusqu’au 2 mars 2015 pour payer la SAP établie dans le procès-verbal de violation ou pour présenter des observations au Conseil au sujet des violations ou du montant de la sanction. Le Conseil a reçu des observations de la part de Blackstone, datées du 14 février 2015.
  5. Dans ses observations, Blackstone a soutenu que le processus relatif à l’avis de communication émis à l’entreprise au cours de l’enquête n’avait pas été équitable et qu’elle avait l’intention d’interjeter appel de l’avis de communication devant les tribunaux. Blackstone a également soutenu qu’elle avait le consentement tacite d’envoyer des messages électroniques commerciaux sur la base des conseils fournis par un fonctionnaire du ministère de l’Industrie, et que le montant de la SAP était déraisonnablement élevé.
  6. En vertu du paragraphe 25(1) de la Loi, le Conseil doit déterminer, selon la prépondérance des probabilités, si Blackstone a commis les violations et, le cas échéant, peut imposer la sanction prévue dans le procès-verbal de violation, en réduire le montant ou y renoncer. Le Conseil peut également en suspendre le paiement aux conditions qu’il estime nécessaires pour l’observation de la Loi.
  7. Compte tenu du dossier de la présente instance, le Conseil a établi qu’il devait se prononcer sur les questions suivantes dans la présente décision :
    • Les efforts de Blackstone en vue d’interjeter appel de l’avis de communication ont-ils une incidence sur l’examen du procès-verbal de violation?
    • Blackstone a-t-elle commis les violations?
    • Si oui, le montant de la SAP est-il raisonnable?

Les efforts de Blackstone en vue d’interjeter appel de l’avis de communication ont-ils une incidence sur l’examen du procès-verbal de violation?

  1. Pendant la période d’enquête et avant que le procès-verbal de violation n’ait été émis, une personne désignée pour émettre un avis de communication en vertu de l’article 14 de la Loi a envoyé un avis de communication à Blackstone en vertu de l’article 17 de la Loi, exigeant que l’entreprise produise à l’intention d’une personne désignée des renseignements concernant ses pratiques en matière de messages, la preuve de consentement des destinataires des messages et les renseignements financiers de l’entreprise.
  2. Le 4 décembre 2014, Blackstone a demandé par écrit au Conseil de réviser l’avis de communication conformément à l’article 18 de la Loi. Le 22 janvier 2015, le Conseil a rejeté cette demande et a ordonné à Blackstone de fournir les renseignements requis. Le 1er février 2015, Blackstone a indiqué par courriel qu’elle avait demandé à la Cour suprême du Canada (CSC) l’autorisation d’interjeter appel.
  3. Le paragraphe 27(1) de la Loi accorde le droit d’interjeter appel d’une décision rendue par le Conseil en ce qui concerne un avis de communication, si cet appel ne porte pas sur une question de fait, devant la Cour d’appel fédérale, mais non devant la CSCRetour à la référence de la note de bas de page 3. Cette information a été communiquée à Blackstone dans la décision du Conseil sur la révision, comme l’exige la Loi.
  4. Le 2 mars 2015, le Conseil a reçu une copie d’une lettre du registraire de la CSC envoyée à Blackstone, qui indiquait que la CSC ne constituait pas la tribune appropriée pour l’appel de Blackstone. Le Conseil n’est au courant d’aucun appel ayant été interjeté auprès de la Cour d’appel fédérale.
  5. Pour ces raisons, les tentatives de Blackstone en vue d’interjeter appel de l’avis de communication n’ont soulevé aucune question pertinente pour la requête d’examen du procès-verbal de violation.

Blackstone a-t-elle commis les violations?

  1. Les violations en question sont liées à l’alinéa 6(1)a) de la Loi.
  2. Le paragraphe 6(1) de la Loi énonce qu’il est interdit d’envoyer à une adresse électronique un message électronique commercial, de l’y faire envoyer ou de permettre qu’il y soit envoyé, sauf si a) la personne à qui le message est envoyé a consenti expressément ou tacitement à le recevoir et b) le message est conforme au paragraphe 6(2), lequel énonce des exigences supplémentaires concernant la forme et la teneur qui ne sont pas en cause dans le procès-verbal de violation concerné.
  3. Les messages électroniques commerciaux sont définis au paragraphe 1(2) de la Loi, qui énonce ce qui suit :

    Pour l’application de la présente loi, est un message électronique commercial le message électronique dont il est raisonnable de conclure, vu son contenu, le contenu de tout site Web ou autre banque de données auquel il donne accès par hyperlien ou l’information qu’il donne sur la personne à contacter, qu’il a pour but, entre autres, d’encourager la participation à une activité commerciale et, notamment, tout message électronique qui, selon le cas

    1. comporte une offre d’achat, de vente, de troc ou de louage d’un produit, bien, service, terrain ou droit ou intérêt foncier;
    2. offre une possibilité d’affaires, d’investissement ou de jeu;
    3. annonce ou fait la promotion d’une chose ou possibilité mentionnée aux alinéas a) ou b);
    4. fait la promotion d’une personne, y compris l’image de celle-ci auprès du public, comme étant une personne qui accomplit — ou a l’intention d’accomplir — un des actes mentionnés aux alinéas a) à c).
  4. Le procès-verbal de violation a été corroboré par un rapport d’enquête qui contenait les éléments de preuve sur lesquels le procès-verbal était fondé, ainsi qu’une description des motifs raisonnables du procès-verbal et de l’application des facteurs qui ont été pris en compte pour déterminer le montant de la sanction. Le rapport d’enquête incluait également des copies des observations déposées auprès du Centre de notification des pourriels, ainsi que des renseignements supplémentaires recueillis par la personne désignée auprès des organisations gouvernementales à qui les messages ont été envoyés, notamment Services partagés Canada et l’Agence du revenu du Canada, de même que les gouvernements de l’Alberta, de la Colombie-Britannique et de l’Ontario. Ces renseignements incluaient des copies des courriels et les listes des adresses de courriel auxquelles les messages ont été envoyés. Les messages faisaient constamment référence au « Blackstone Learning Solutions Group » et les messages et les sites Web auxquels les liens renvoyaient ont fourni les coordonnées liées à Blackstone ou au directeur inscrit de l’entreprise.
  5. Dans ses observations, Blackstone n’a présenté aucun argument ni fourni aucun élément de preuve réfutant la conclusion de la personne désignée selon laquelle l’entreprise a envoyé les messages en question. Le Conseil détermine donc, en se fondant sur l’analyse de la personne désignée, que Blackstone a envoyé les messages ou les a fait envoyer.
  6. Les messages envoyés faisaient état ou faisaient la promotion de programmes d’éducation et de formation dans des domaines comme la rédaction technique, la grammaire et la gestion du stress. Le coût de ces programmes n’était pas spécifiquement précisé, mais le langage utilisé, y compris des allusions à divers rabais et tarifs de groupe, faisait comprendre que ces cours étaient des services pouvant être achetés auprès de Blackstone. Le Conseil détermine donc que ces messages ont été envoyés pour assurer la promotion et la publicité de services disponibles commercialement auprès de Blackstone et qu’ils constituaient des messages électroniques commerciaux au sens du paragraphe 1(2) de la Loi.
  7. Le procès-verbal de violation était étayé par des déclarations de témoins provenant de cinq plaignants qui ont confirmé avoir reçu des messages non sollicités de Blackstone envoyés à leur adresse de courriel et ont indiqué qu’ils n’avaient pas fait antérieurement affaire avec cette entreprise et qu’ils n’avaient jamais consenti à recevoir de tels messages. Ces déclarations appuyaient la conclusion de la personne désignée selon laquelle Blackstone n’avait pas le consentement exprès des personnes à qui ces messages ont été envoyés.
  8. Blackstone n’a contesté aucun de ces éléments. Toutefois, dans ses observations, l’entreprise a soutenu qu’elle avait le consentement tacite d’envoyer les messages en cause.
  9. Le paragraphe 10(9) de la Loi prévoit que pour l’application de l’article 6, il n’y a consentement tacite que sur la base de relations d’affaires en cours ou de relations privées en cours, d’une publication bien en vue de l’adresse électronique à laquelle le message a été envoyé, de la divulgation directe de l’adresse électronique par le destinataire ou de toute autre circonstance prévue par règlement.
  10. Blackstone a soutenu dans ses observations qu’elle avait le consentement tacite d’envoyer les messages en cause en vertu de l’exemption relative à la publication bien en vue, en affirmant de façon générale que les adresses électroniques auxquelles les messages ont été envoyés étaient d’accès public. Blackstone a fourni une copie d’un échange de courriels entre le directeur de l’entreprise et un fonctionnaire du ministère de l’Industrie qui, selon Blackstone, appuie sa position.
  11. La réponse du ministère de l’Industrie à Blackstone faisait référence aux exigences du paragraphe 10(9), puis présentait intégralement cette disposition et en soulignait des éléments particuliers pour qu’ils soient encore plus évidents.

Résultats de l’analyse du Conseil

  1. Cet échange de courriels n’appuie pas la position avancée par Blackstone : l’entreprise a posé une question générale sur la relation entre une publication et le consentement tacite, et la réponse du fonctionnaire renvoie simplement Blackstone à l’article pertinent de la Loi.
  2. L’alinéa 10(9)b) de la Loi prévoit que le consentement est tacite si la personne à qui le message est envoyé a publié bien en vue, ou a ainsi fait publier, l’adresse électronique à laquelle il a été envoyé; la publication ne comporte aucune mention précisant qu’elle ne veut recevoir aucun message électronique commercial non sollicité à cette adresse; et le message a un lien soit avec l’exercice des attributions de la personne, soit avec son entreprise commerciale ou les fonctions qu’elle exerce au sein d’une telle entreprise.
  3. L’exemption relative à la publication bien en vue et les exigences qui en résultent énoncées à l’alinéa 10(9)b) de la Loi fixent une norme plus exigeante que la simple disponibilité publique des adresses électroniques. Plus particulièrement, l’adresse électronique à laquelle le message est envoyé ne doit pas être accompagnée d’une mention précisant que la personne ne veut pas recevoir de messages électroniques commerciaux non sollicités à cette adresse. L’exigence selon laquelle le message a un lien avec le rôle ou les fonctions du destinataire crée la condition selon laquelle l’adresse doit être publiée de manière à ce qu’il soit raisonnable de conclure au consentement de recevoir le type de message envoyé, dans les circonstances.
  4. Par exemple, si une entreprise publie bien en vue sur son site Web les coordonnées d’un employé à une adresse détenue par cette entreprise, cette publication pourrait créer un consentement tacite d’envoyer des messages liés au rôle de cette personne. Si cette entreprise choisit de faire de la publicité par l’intermédiaire d’un tiers et fournit les coordonnées de cet employé aux fins de cette publicité, cela pourrait aussi créer un consentement tacite de communiquer avec cette personne en lien avec cette publicité ou en lien avec son rôle, parce que le titulaire du compte est à l’origine de la publication. Toutefois, si un tiers reproduisait cette adresse ou vendait une liste de ces adresses de sa propre initiative, cela ne créerait pas un consentement tacite en soi, parce que dans ce cas ni le titulaire du compte ni le destinataire du message ne publieraient l’adresse ou ne seraient à l’origine de sa publication.
  5. L’alinéa 10(9)b) de la Loi n’accorde pas aux personnes qui envoient des messages électroniques commerciaux la liberté d’envoyer des messages à une adresse électronique qu’ils trouvent en ligne; il désigne plutôt les circonstances dans lesquelles le consentement peut être tacite par une telle publication et qui doivent être évaluées au cas par cas. Conformément à l’article 13 de la Loi, il incombe à la personne qui allègue l’existence du consentement de prouver le consentement, y compris les éléments du consentement tacite en vertu de l’alinéa 10(9)b) de la Loi. Plusieurs publications présentées sur le site Web du ConseilRetour à la référence de la note de bas de page 4 ainsi que sur la page Web du ministère de l’Industrie portant sur la LoiRetour à la référence de la note de bas de page 5, soulignent l’importance d’adopter des pratiques détaillées et efficaces en matière de tenue de documents pour cette raison.
  6. L’avis de communication émis à Blackstone lui demandait de communiquer les renseignements relatifs à la manière dont elle a eu le consentement d’envoyer des messages électroniques commerciaux, qu’il soit exprès ou tacite. Blackstone n’a pas répondu à cet avis, malgré une décision du Conseil lui enjoignant de le faire.
  7. Blackstone a eu une autre occasion de fournir ces renseignements dans ses observations. L’entreprise n’a toutefois pas fourni de renseignements à l’appui au Conseil quant à l’endroit et au moment où elle a découvert les adresses des destinataires en cause et la manière dont elle l’a fait, si leur publication était bien en vue, si elles étaient accompagnées d’une mention précisant que la personne ne veut recevoir aucun message électronique commercial non sollicité, ou comment l’entreprise a déterminé que les messages qu’elle envoyait étaient en lien avec les rôles ou les fonctions des destinataires désignés. Les affirmations imprécises de l’entreprise selon lesquelles elle s’est conformée à la Loi et que le consentement tacite couvre les adresses d’accès public ne prennent pas suffisamment en considération les éléments de l’alinéa 10(9)b) de la Loi.
  8. Blackstone n’a donc pas démontré qu’elle avait le consentement requis afin d’envoyer les messages en cause.
  9. Pour ces raisons, le Conseil détermine, selon la prépondérance des probabilités, que Blackstone a commis les neuf violations de l’alinéa 6(1)a) de la Loi décrites dans le procès-verbal de violation.

Le montant de la SAP est-il approprié?

Détermination d’un montant de la SAP approprié

  1. Le procès-verbal de violation a établi une SAP de 640 000 $.
  2. Le paragraphe 20(3) de la Loi énonce les facteurs suivants dont il faut tenir compte pour déterminer le montant d’une SAP :
    1. le but de la sanction (qui, en vertu du paragraphe 20(2), vise non pas à punir, mais plutôt à favoriser le respect de la Loi);
    2. la nature et la portée de la violation;
    3. les antécédents de l’auteur de la violation, à savoir violation à la Loi, comportement susceptible d’examen visé à l’article 74.011 de la Loi sur la concurrence et contravention à l’article 5 de la Loi sur la protection des renseignements personnels et les documents électroniques;
    4. ses antécédents au regard des engagements contractés en vertu du paragraphe 21(1) de la Loi et des consentements signés en vertu du paragraphe 74.12(1) de la Loi sur la concurrence concernant des comportements susceptibles d’examen visés à l’article 74.011 de cette loi;
    5. tout avantage financier qu’il a retiré de la commission de la violation;
    6. sa capacité de payer le montant de la sanction;
    7. tout versement d’une somme qu’il a fait volontairement, à titre de dédommagement, à toute personne touchée par la violation;
    8. tout critère prévu par règlement;
    9. tout autre élément pertinent.
  3. Blackstone n’a pas d’antécédents de violation ni d’engagements contractés en vertu des lois pertinentes. Il n’y avait pas de renseignements au dossier de l’instance indiquant que l’entreprise avait versé une somme à titre de dédommagement à une personne touchée par les violations et il n’y a pas d’autres critères applicables prévus par règlement.
  4. Le rapport d’enquête a recensé les renseignements suivants comme étant applicables aux autres facteurs ou comme étant d’autres facteurs importants :
    • l’effet de la dissuasion générale associée à la SAP peut favoriser la conformité à la Loi;
    • la conduite non conforme observée s’est manifestée par un grand nombre de messages électroniques commerciaux envoyés à des destinataires d’un éventail d’organisations, sur une période d’environ cinq mois, et s’est poursuivie jusqu’au jour précédant l’émission du procès-verbal de violation;
    • certaines personnes ont acheté des services de Blackstone au cours de la période où les messages ont été envoyés et Blackstone pourrait avoir retiré un avantage financier en conséquence directe des messages envoyés en infraction à la Loi, mais il est impossible de le calculer avec les renseignements disponibles;
    • la capacité de payer de Blackstone n’a pu être évaluée parce que l’entreprise n’a pas présenté de renseignements financiers, tel qu’exigé dans l’avis de communication;
    • Blackstone a fait preuve d’un manque de coopération en refusant de se conformer à l’avis de communication et n’a pas démontré de probabilité d’autocorrection.
  5. Blackstone s’est opposée au montant de la SAP. Le Conseil a tenu compte des brèves observations au sujet du montant dans la mesure du possible; toutefois, à l’exception de la preuve financière présentée par Blackstone, ces observations n’ont généralement pas été d’une grande aide afin de déterminer la SAP appropriée.
  6. Dans l’analyse qui suit, le Conseil évaluera chacun des facteurs prévus par la Loi dans la mesure où le dossier qui lui a été présenté le permet.

But de la sanction

  1. Le rapport d’enquête a tenu compte du but de la sanction et a conclu que, dans le cas présent, l’effet de la dissuasion générale peut favoriser la conformité à la Loi et que la SAP proposée n’était pas disproportionnée par rapport à la non-conformité observée.
  2. Le Conseil convient que les décideurs administratifs peuvent prendre en considération la dissuasion générale en imposant une SAP d’intérêt public. La CSC a réitéré ce principe; l’objectif de la dissuasion générale ne peut toutefois pas déroger à l’exigence selon laquelle de véritables conséquences pénales ne doivent pas résulter de l’imposition d’une SAPRetour à la référence de la note de bas de page 6.
  3. Une véritable conséquence pénale consisterait à imposer une SAP qui semblerait avoir pour objectif de réparer le tort causé à la société en général, plutôt que pour simplement assurer la conformité à l’intérieur d’une sphère d’activité limitéeRetour à la référence de la note de bas de page 7.
  4. L’ampleur de la SAP n’est pas déterminante en soi. Parfois, des sanctions importantes sont nécessaires pour décourager l’inobservation d’un régime administratif ou pour garantir que la sanction ne soit pas considérée simplement comme un coût d’exploitation pour l’entreprise. Toutefois, lorsque le montant en cause est disproportionné par rapport à ce qui permettrait d’atteindre les objectifs de la réglementation, il y a lieu de penser qu’il s’agit là d’une véritable conséquence pénale.
  5. Dans le cas présent, Blackstone n’a pas argumenté que la SAP était disproportionnée par rapport à ce qui serait requis pour se conformer aux exigences réglementaires pertinentes. De plus, la Loi prévoit des sanctions maximales beaucoup plus élevées que certains autres régimes de SAP (notamment les régimes des Règles sur les télécommunications non sollicitées et du Registre de communication avec les électeurs, dont le Conseil est également responsable). La possibilité d’imposer des sanctions plus élevées donne au Conseil et à la personne désignée un moyen de reconnaître et de régler les cas de non-conformité les plus flagrants lorsqu’ils se présentent, mais cela ne signifie pas que les sanctions plus lourdes sont intrinsèquement plus appropriées comparativement à celles des régimes imposant des sanctions maximales moins élevées. Tel qu’il est prévu dans la Loi, l’objectif et l’effet d’une SAP doivent toujours être de favoriser la conformité, et non de punir.
  6. Le Conseil doit en arriver à un montant qui est représentatif des violations qui ont été commises et qui a suffisamment d’impact sur une personne pour favoriser des changements de comportement. Toutefois, si une SAP empêchait la personne de poursuivre ses activités commerciales, elle empêcherait également cette personne de participer aux activités réglementées en toute conformité.
  7. Selon le Conseil, le but de la sanction, lorsqu’on examine le cas précis de Blackstone, tend à indiquer qu’une sanction moins élevée que celle qui est établie dans le procès-verbal de violation serait appropriée.

Nature et portée des violations

  1. Le rapport d’enquête vise la période entre le 4 juillet et le 3 décembre 2014. Il a traité de la nature et de la portée des violations en désignant l’article de la Loi concerné et le nombre de messages électroniques commerciaux individuels associés aux violations (385 668); le rapport indique que ceux-ci ont été envoyés entre le 9 juillet et le 18 septembre 2014. Les messages électroniques commerciaux ont été envoyés aux adresses électroniques d’employés de 25 organisations gouvernementales fédérales et provinciales canadiennes.
  2. La Loi réglemente un éventail de comportements, en interdisant notamment la modification des données de transmission et l’installation de programmes d’ordinateur non sollicités comme des logiciels nuisibles ou malveillants. Les violations de l’alinéa 6(1)a) de la Loi commises par Blackstone avaient trait à l’envoi, par courriel, de messages publicitaires en masse pour ses activités commerciales, sans avoir de preuve de consentement. Le volume de plaintes reçues avant que le procès-verbal de violation n’ait été émis, incluant au minimum 60 observations au Centre de notification des courriels, ainsi que la correspondance de la personne désignée avec certains de ces plaignants montrent que ces messages étaient non désirés et qu’ils ont provoqué des désagréments et de la frustration chez un grand nombre de Canadiens.
  3. Bien que les messages non sollicités envoyés par Blackstone aient été nombreux et perturbateurs, la période d’environ deux mois pendant laquelle les violations en cause ont eu lieu est relativement courte. Selon le Conseil, cela tend à indiquer qu’une sanction moins élevée que celle qui est établie dans le procès-verbal de violation serait appropriée.

Avantage financier

  1. Le rapport d’enquête indique que certains achats ont été effectués et qu’ils pourraient être attribuables à ces violations, mais il n’y avait pas suffisamment de renseignements disponibles pour quantifier ou évaluer l’ampleur de l’avantage dont Blackstone pourrait avoir bénéficié en commettant les violations. Ce facteur ne semble pas avoir influencé l’imposition de la SAP établie dans le procès-verbal de violation.

Capacité de payer

  1. Le rapport d’enquête indique qu’étant donné que Blackstone ne s’est pas conformée à l’avis de communication, qui exigeait de l’entreprise qu’elle produise ses renseignements financiers, ce facteur n’a pas été pris en compte.
  2. Le Conseil a expliqué son approche à l’égard de ce facteur dans un autre contexte, après la remise du procès-verbal de violation à Blackstone. En traitant de son approche politique à l’égard des sanctions concernant le Registre de communication avec les électeursRetour à la référence de la note de bas de page 8, le Conseil a expliqué que l’analyse de la capacité de payer dans ce contexte ne doit pas se limiter aux renseignements financiers particuliers concernant la capacité immédiate d’une personne de payer une SAP. Même si les renseignements financiers détaillés sont extrêmement utiles lorsqu’ils sont disponibles, ce facteur peut également être évalué, au besoin, en utilisant d’autres systèmes de mesure qui pourraient servir d’indications plus générales de la capacité de génération de revenus d’une personne. Une approche similaire pourrait être appropriée dans les cas où les renseignements financiers particuliers ne sont pas disponibles avant que le procès-verbal de violation ne soit émis.
  3. Blackstone a fourni, comme éléments de preuve pertinents pour l’examen de ce facteur, des états financiers non vérifiés des deux années précédentes. Tel que mentionné ci-dessus, ces documents n’ont jamais fait l’objet d’une évaluation dans le rapport d’enquête puisque Blackstone ne s’est pas conformée à l’avis de communication. Le Conseil accepte les éléments de preuve de Blackstone à cet égard et estime qu’ils démontrent que Blackstone est une petite entreprise et qu’ils sont conformes à la position de l’entreprise selon laquelle la SAP est nettement supérieure à la capacité de payer de l’entreprise et que la SAP représenterait la valeur des revenus annuels de plusieurs années.
  4. L’analyse de la capacité de payer de Blackstone tend à indiquer qu’une sanction moins élevée que celle qui est établie dans le procès-verbal de violation serait appropriée.

Autres facteurs pertinents

  1. Le rapport d’enquête a mis en évidence deux autres facteurs qui ont été pris en compte en plus de ceux imposés par la Loi : le manque de coopération en ce qui concerne l’avis de communication et l’absence d’indicateurs d’autocorrection. Le Conseil estime que ces deux facteurs peuvent contribuer à déterminer le montant d’une SAP lorsqu’ils sont présents.
  2. Blackstone n’a pas coopéré pendant l’enquête. L’entreprise a refusé de se conformer à un avis de communication émis en vertu de l’article 17 de la Loi, même après une décision du Conseil l’enjoignant à le faire.
  3. Selon le Conseil, le manque de coopération, lorsque cette coopération est exigée par la Loi, est un facteur qui peut témoigner de la nécessité d’une sanction pour assurer la conformité au régime. Ce facteur a été introduit dans le rapport d’enquête de manière appropriée dans les circonstances. Le refus de Blackstone de se conformer à l’avis de communication émis par la personne désignée de même que sa négligence à respecter la décision du Conseil qui a suivi qui l’enjoignait à le faire accentuent la nécessité d’une sanction pour assurer la conformité future de Blackstone à la Loi.
  4. Le rapport d’enquête a également souligné que Blackstone a démontré une faible probabilité d’autocorrection puisque le comportement non conforme de l’entreprise n’a pas changé après la réception de l’avis de communication en novembre 2014. Toutefois, à la suite de l’émission de l’avis de communication, Blackstone a demandé des renseignements à l’enquêteur quant à la nature du problème, ce qui, selon le Conseil, fournit quelques indices à l’appui d’une probable autocorrection.
  5. La correspondance de Blackstone avec le ministère de l’Industrie est également pertinente pour évaluer le potentiel d’autocorrection. L’effort de Blackstone pour comprendre l’application de la Loi avant son entrée en vigueur par rapport aux pratiques commerciales  de l’entreprise montre, dans une certaine mesure, que l’entreprise était consciente et se préoccupait de sa conformité avec le régime, même si ses efforts pour s’assurer d’exercer ses activités en conformité avec la Loi n’étaient pas particulièrement soutenus. Bien qu’il existe des renseignements concernant le consentement tacite sur le site Web du Conseil, certains d’entre eux ont été publiés après que les violations concernant le présent cas ont été commises.
  6. Selon le Conseil, les demandes de renseignements de Blackstone auprès du ministère de l’Industrie avant l’entrée en vigueur de la Loi et auprès de l’enquêteur pour donner suite à l’avis de communication indiquent un certain potentiel d’autocorrection, qui tend à indiquer qu’une sanction moins élevée que celle qui est établie dans le procès-verbal de violation serait appropriée.

Conclusion

  1. Comme il est indiqué dans la Loi, la sanction vise à favoriser le respect de la Loi, et non pas à punir. À cette fin, la sanction énoncée dans le procès-verbal de violation insiste beaucoup sur le principe de dissuasion générale. Le Conseil convient qu’il s’agit d’un principe valable à prendre en considération lors de l’imposition d’une SAP, mais il estime que les conditions particulières entourant le cas de Blackstone ainsi que les violations qui ont été commises justifient l’imposition d’une SAP moins élevée.
  2. Le Conseil reconnaît que Blackstone est une petite entreprise dont la capacité de paiement est relativement limitée. Les éléments probants montrent que Blackstone connaissait la Loi et qu’elle a cherché à s’informer, quoique de façon limitée, avant l’entrée en vigueur de la Loi et après avoir appris qu’elle était sous enquête. Le Conseil est préoccupé par le manque de coopération de l’entreprise pendant l’enquête, mais il reconnaît que la LCAP est un régime de réglementation relativement nouveau et que Blackstone n’a présenté aucune occurrence de non-conformité à la LCAP ni aux autres lois connexes. L’entreprise croyait de manière erronée qu’elle avait obtenu un consentement tacite pour envoyer des messages électroniques commerciaux et elle n’a pu prendre connaissance de la documentation plus récente publiée à ce sujet, comme les lignes directrices du Conseil sur le consentement tacite publiées le 4 septembre 2015.
  3. La Loi réglemente une vaste gamme de conduites autres que celles abordées par les Règles sur les télécommunications non sollicitées du Conseil et elle crée un régime de réglementation différent de celui découlant de la Loi sur les télécommunications, en vertu  duquel ces règles ont été adoptées. Néanmoins, les circonstances du cas présent, lequel traite exclusivement de publicité non sollicitée, sont similaires en plusieurs points aux cas assujettis aux Règles sur les télécommunications non sollicitées et, plus particulièrement, aux occurrences impliquant l’utilisation de composeurs-messagers automatiquesRetour à la référence de la note de bas de page 9, là où le consentement tacite est un prérequis pour effectuer des activités de télémarketing. Dans ces cas, il a été démontré que des sanctions beaucoup moins substantielles que celle établie pour le présent procès-verbal de violation avaient permis d’assurer la conformité des entreprises ayant des situations similaires à celle de Blackstone.
  4. Ayant pris en considération le rapport d’enquête et les observations de Blackstone dans le cadre de l’examen des facteurs prévus par la Loi, et pour les raisons énoncées ci-dessus, le Conseil estime qu’une sanction totale de 50 000 $ est appropriée aux circonstances du présent cas et est raisonnable et nécessaire afin d’inciter Blackstone à respecter la Loi.
  5. Le Conseil conclut, selon la prépondérance des probabilités, que Blackstone a commis les neuf violations décrites dans le procès-verbal de violation et impose une sanction totale de 50 000 $ à l’entreprise.
  6. Par les présentes, le Conseil avise Blackstone qu’elle peut interjeter appel de la présente décision et la porter devant la Cour d’appel fédérale dans les 30 jours suivant la réception d’une copie de la présente décision. L’appel d’une décision portant sur une question de fait est subordonné à l’autorisation de la Cour d’appel fédérale. La demande d’autorisation doit être présentée dans les 30 jours suivant la signification de la présente décision.
  7. La somme de 50 000 $ doit être payée au plus tard le 25 novembre 2016 et versée conformément aux instructions incluses dans le procès-verbal. Tout montant en souffrance après le 25 novembre 2016 sera assujetti à des intérêts composés calculés mensuellement au taux bancaire moyen en vigueur majoré de 3 %. Ces intérêts s’appliqueront à toute la période comprise entre la date d’échéance susmentionnée et le jour précédant la date de réception du paiement.
  8. Si le paiement n’a pas été reçu dans les 30 jours suivant la date de la signification de la présente décision, le Conseil entend prendre des mesures pour recouvrer le montant exigible, lesquelles pourraient inclure l’établissement d’un certificat et l’enregistrement de ce dernier à la Cour fédérale.

Secrétaire générale

Notes de bas de page

Note de bas de page 1

Le Centre de notification des pourriels est dirigé par le Conseil et recueille de l’information de diverses sources, y compris des particuliers canadiens, sur les pourriels et autres menaces électroniques pour appuyer les activités d’application de la loi des organismes fédéraux responsables de la conformité à la Loi visant à promouvoir l’efficacité et la capacité d’adaptation de l’économie canadienne par la réglementation de certaines pratiques qui découragent l’exercice des activités commerciales par voie électronique et modifiant la Loi sur le Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes, la Loi sur la concurrence, la Loi sur la protection des renseignements personnels et les documents électroniques et la Loi sur les télécommunications.

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Note de bas de page 2

Conformément à l’article 14 de la Loi, le Conseil peut désigner toute personne pour exercer différents pouvoirs d’enquête et fonctions d’application de la loi prévus aux articles 15 à 46. Par exemple, le Conseil peut désigner des personnes pour émettre des demandes de préservation de données et des avis de communication, demander et exécuter des mandats, et contracter des engagements ou émettre des procès-verbaux de violation en ce qui concerne les violations présumées de la Loi.

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Note de bas de page 3

Le paragraphe 27(2) prévoit qu’un appel sur une question de fait est subordonné à l’autorisation de la Cour d’appel fédérale.

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Note de bas de page 4

Voir, par exemple, les Lignes directrices sur le consentement tacite dans le cadre de la LCAP du Conseil.

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Note de bas de page 5

Le ministère de l’Industrie héberge une page Web fournissant des renseignements sur la Loi tant pour les entreprises que pour les individus à l’adresse : http://combattrelepourriel.gc.ca. Ce site constitue également un des moyens par lequel les obervations peuvent être présentées au Centre de notification des pourriels.

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Note de bas de page 6

Cartaway Resources Corp. (Re),2004 CSC 26

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Note de bas de page 7

Guindon c. Canada, 2015 CSC 41

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Note de bas de page 8

Voir Sanctions administratives pécuniaires en vertu du Registre de communication avec les électeurs, Politique réglementaire de Conformité et Enquêtes CRTC 2015-109, 27 mars 2015.

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Note de bas de page 9

Ces types d’appels sont couramment appelés « appels automatisés ».

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