ARCHIVÉ - Avis public de radiodiffusion CRTC 2004-51

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Avis public de radiodiffusion CRTC 2004-51

  Ottawa, le 15 juillet 2004
 

Demandes d'inscription d'Al-Jazira sur les listes de services par satellite admissibles à une distribution en mode numérique

  Le Conseil approuve l'ajout du service de nouvelles et d'affaires publiques en langue arabe, Al-Jazira, à ses listes de services par satellite admissibles à une distribution en mode numérique. Une entreprise de distribution de radiodiffusion (EDR) pourra distribuer, en mode numérique uniquement, le service Al-Jazira à condition d'obtenir une condition de licence qui 1) exige que la titulaire conserve un enregistrement audiovisuel de la programmation d'Al-Jazira, 2) interdise à la titulaire de diffuser des propos offensants dans le cadre de la programmation d'Al-Jazira, (3) autorise la titulaire à modifier ou retirer la programmation d'Al-Jazira pour s'assurer de ne distribuer aucun propos offensant. Le Conseil examinera avec célérité les demandes des titulaires des EDR désireuses d'obtenir une telle condition de licence.
 

Demande des parrains

1.

Vidéotron ltée (Vidéotron) et l'Association canadienne de télévision par câble (ACTC), au nom de ses membres, ont soumis au Conseil et parrainé des demandes d'inscription du service de nouvelles et d'affaires publiques en langue arabe, Al-Jazira, aux listes de services par satellite admissibles à une distribution en mode numérique (les listes de services numériques). Vidéotron a déposé sa requête le 12 février 2003; l'ACTC, le 2 avril 2003. Les deux parrains ont inclus du matériel de Reach Media Inc., l'agent nord-américain d'Al-Jazira.

2.

À l'appui de leurs demandes, l'ACTC et Vidéotron (les parrains) déclarent qu'Al-Jazira est un service de nouvelles, d'information et d'expression d'opinions produit au Qatar qui dispose de journalistes et de correspondants dans les principales capitales arabes et du monde, et notent que celui-ci s'est bâti une solide réputation à l'échelle internationale et qu'il cherche avant tout à promouvoir la liberté d'expression et à présenter des reportages honnêtes et exacts.

3.

Les parrains remarquent que l'inscription d'Al-Jazira aux listes de services numériques encouragera la diversité de la programmation disponible au Canada, améliorera la variété des choix télévisuels offerts à la communauté arabe du Canada et aidera celle-ci à se tenir informée dans sa langue maternelle.

4.

Les parrains observent qu'Al-Jazira ne concurrencera ni totalement, ni partiellement, les services canadiens payants et spécialisés. Ils précisent que le service détient tous les droits nécessaires de radiodiffusion au Canada, qu'il ne vendra aucune publicité au Canada et qu'il n'empêchera aucun radiodiffuseur canadien d'acquérir les droits de ses émissions.

5.

Les parrains estiment que l'importance de la population arabe au Canada justifie leurs demandes et précisent que 148 555 personnes vivant au Canada, dont 53 715 à Montréal, affirment que l'arabe est leur langue maternelle. 1Selon eux, la population arabe est bien intégrée au tissu culturel canadien, et la majorité a les moyens de s'abonner à Al-Jazira. Plusieurs distributeurs canadiens, dont Vidéotron, Rogers Cable Inc. et Shaw Cable Inc., se sont montrés intéressés à distribuer Al-Jazira.

6.

En outre, les parrains allèguent que les consommateurs s'adressent actuellement aux marchés noir et gris, qui offrent des services provenant de distributeurs non autorisés au Canada, pour obtenir des services ethniques au Canada, tel Al-Jazira. L'inscription d'Al-Jazira sur les listes de services numériques permettrait de récupérer ces consommateurs.
 

L'instance

7.

Dans Appel d'observations sur des propositions en vue d'ajouter des services par satellite non canadiens à la liste de services par satellite admissibles à une distribution en mode numérique, avis public de radiodiffusion CRTC 2003-36, 11 juillet 2003 (l'avis public 2003-36), le Conseil a invité les parties intéressées à déposer, au plus tard le 11 août 2003, des commentaires sur les demandes visant à ajouter Al-Jazira aux listes de services numériques.2 Dans l'avis public 2003-36, le Conseil s'est montré satisfait de la documentation que les parrains lui ont remise pour juger les demandes, tel que prévu dans Appel de propositions visant à modifier les listes de services par satellite admissibles en incluant d'autres services non canadiens admissibles devant être distribués en mode numérique uniquement, avis public CRTC 2000-173, 14 décembre 2000 (l'avis public 2000-173).

8.

Le Conseil a également exprimé dans l'avis public 2000-173 son intention d'évaluer les demandes d'inscription de services non canadiens sur les listes de services numériques à la lumière de sa politique qui exclut l'inscription de tout nouveau service non canadien susceptible de concurrencer, partiellement ou totalement, les services canadiens payants ou spécialisés.
 

Mémoires

9.

Le Conseil a reçu beaucoup de mémoires traitant des demandes d'inscription d'Al-Jazira sur les listes de services numériques : environ 1 200 sont favorables à ces demandes, plus de 500 leur sont défavorables, et 9 proposent des commentaires généraux. Dans l'ensemble, les opinions sont très polarisées.
 

Mémoires favorables

10.

Parmi les nombreux particuliers et organismes ayant déposé des mémoires à l'appui des demandes, citons le Conseil national des relations canado-arabes (CNRCA), le Forum musulman canadien, la Fédération canado-arabe (FCA), le Council on American Islamic Relations Canada (CAIR-CAN), Regard alternatif media, David Lidov, l'Arab Canadian Civil Liberties Association (ACCLA), la députée de Brampton West-Mississauga Colleen Beaumier, l'Edmonton Council of Muslim Communities, la British Columbia Civil Liberties Association, le Congrès musulman canadien et le Conseil des communautés musulmanes du Canada.

11.

En général, les commentaires favorables portent sur les trois grands domaines suivants :
 
  • le service Al-Jazira lui-même;
 
  • le marché d'Al-Jazira au Canada, y compris le marché gris;
 
  • les questions soulevées par une partie de la programmation d'Al-Jazira.
 

Le service Al-Jazira

12.

Les parties qui appuient Al-Jazira donnent une foule de détails supplémentaires sur le service. Selon la FCA, Al-Jazira est le principal réseau de télévision de langue arabe et celui-ci a, dans le monde arabe, la réputation de résister vigoureusement au contrôle de l'État et à la censure.

13.

La FCA insiste sur l'objectivité d'Al-Jazira et ajoute que la devise de ce service peut se traduire comme « nous avons les deux côtés de l'histoire ». Plusieurs parties, dont la FCA et CAIR-CAN, rappellent qu'Al-Jazira a invité avec succès plusieurs politiciens américains de premier plan, dont le secrétaire d'État Colin Powell, la conseillère à la sécurité nationale Condoleezza Rice et le secrétaire de la Défense Donald Rumsfeld, ainsi que le premier ministre britannique Tony Blair, le premier ministre du Pakistan Perves Musharraf et le premier ministre de la Malaisie Mahathir Mohamed à venir s'exprimer sur ses ondes. Elles soutiennent qu'Al-Jazira recherche activement des points de vue israéliens sur le Moyen-Orient et que des journalistes et politiciens israéliens, dont les anciens premiers ministres Ehud Barak, Shimon Peres et Benjamin Netanyahu, lui font régulièrement part de leurs commentaires et aperçus.

14.

Beaucoup de parties favorables défendent la crédibilité d'Al-Jazira et soulignent que les médias canadiens et occidentaux rivalisent pour obtenir des informations de ce service car il a accès à des sources et à des lieux auxquels eux-mêmes n'ont pas accès. Elles font valoir qu'Al-Jazira a reçu plusieurs prix, notamment le premier prix de la Prince Claus Fund pour le renforcement de la liberté de la presse dans les pays en développement, le prix du National Council for Media in Lebanon et le prestigieux prix de la liberté d'expression décerné par Index on Censorship.

15.

Beaucoup expliquent que l'insistance d'Al-Jazira à privilégier l'actualité du monde arabe, du Moyen-Orient et du monde musulman permet de proposer une perspective unique qu'aucune autre chaîne n'offre encore au Canada. Le Forum musulman canadien fait remarquer qu'Al-Jazira offrira aux Canadiens des reportages objectifs sur l'actualité mondiale, et non pas selon un point de vue unique largement influencé par les perspectives américaines.

16.

Les parties favorables aux demandes soutiennent que l'inscription d'Al-Jazira sur les listes de services numériques servira les objectifs de la Loi sur la radiodiffusion (la Loi) que sont le renforcement et l'enrichissement du tissu social, économique et culturel du Canada; la promotion et la protection du multiculturalisme et de la diversité; le recours à des émissions venant de sources internationales (avec pour corollaire le respect de la demande croissante de programmation à caractère ethnique de la communauté arabe du Canada); et la présentation au public d'opinions divergentes sur des questions d'intérêt public. Elles ajoutent que le Conseil, en acceptant d'inscrire Al-Jazira sur les listes de services numériques, respecterait le droit fondamental de la liberté d'expression inscrite à la Charte canadienne des droits et libertés (la Charte).
 

Le marché d'Al-Jazira au Canada, y compris le marché gris

17.

Les parties favorables ont remis des mémoires complets détaillant les perspectives de marché d'Al-Jazira au Canada, y compris celles liées au marché gris actuel de ce service.

18.

La FCA indique que le Canada compte en gros 500 000 Canadiens d'origine arabe et que ce chiffre continue à augmenter car la rapidité de croissance du groupe des immigrants en provenance du monde arabe place celui-ci au troisième rang des groupes de nouveaux immigrants au Canada. La FCA indique que la télévision canadienne n'offre qu'un pourcentage minimal de programmation arabe et que 98 % des personnes interrogées dans le cadre de son sondage en ligne souhaitent recevoir Al-Jazira au Canada pour se tenir au courant de l'actualité politique et culturelle de leur pays d'origine.

19.

Plusieurs parties favorables, dont le CNRCA, CAIR-CAN et l'ACCLA, déclarent que de nombreux foyers reçoivent actuellement au Canada le signal d'Al-Jazira grâce aux antennes paraboliques du marché gris. Selon le CNRCA, certains Canadiens paient jusqu'à 100 $ par mois pour ce seul service. À cela, CAIR-CAN ajoute que plusieurs milliers de Canadiens écoutent Al-Jazira - une évaluation qui tient compte de ceux qui paient un tarif mensuel pour obtenir cette chaîne par Internet à partir de jumptv.com.

20.

L'ACCLA explique que des milliers de Canadiens musulmans et d'origine arabe s'efforcent de capter le signal d'Al-Jazira grâce à des techniques « créatrices ». Selon l'ACCLA, les communautés arabe et musulmane du Canada, soit plus de 1 million de personnes, comptent sur le Conseil pour avoir accès à Al-Jazira.
 

Possibles difficultés liées à une partie de la programmation d'Al-Jazira

21.

Certaines des parties favorables ont soulevé la question de la partie plus controversée de la programmation d'Al-Jazira et discuté des difficultés que pourrait entraîner sa diffusion.

22.

Même si, selon lui, tous les reportages d'Al-Jazira ne sont pas agréables, le CNRCA estime que tous les Canadiens ont le droit d'être exposés à différentes voix afin de d'obtenir des points de vue équilibrés, de se forger des opinions éclairées et de ne pas rester ignorants ou à l'écart d'enjeux importants. Le CNRCA considère que refuser d'ajouter ce service parce que celui-ci a diffusé des enregistrements attribués à Oussama ben Laden et à Saddam Hussein serait une insulte à l'intelligence des Canadiens. Le fait de s'opposer à la venue d'Al-Jazira au Canada saperait les valeurs fondamentales du Canada que sont la liberté de pensée et d'expression et ferait ainsi le jeu des extrémistes, et aurait aussi pour effet de se mettre à dos les modérés et d'ébranler les libertés collectives des Canadiens.

23.

Plusieurs parties favorables, dont CAIR-CAN et la FCA, expliquent qu'il est important de faire une distinction entre les déclarations des journalistes d'Al-Jazira et celles de ses invités et téléspectateurs pour établir si Al-Jazira encourage, ou non, la haine. CAIR-CAN reconnaît que des propos haineux ont déjà été entendus sur ce service, mais ajoute que, selon des études menées par Columbia Journalism Review et par d'autres, le langage haineux entendu sur les ondes d'Al-Jazira n'est pas celui de ses journalistes, mais de personnes interviewées pour des émissions et reportages d'actualité. En particulier cette remarque, qui traitait les juifs de « singes » et de « cochons », provenait du courriel d'un téléspectateur lu au cours d'une émission il y a quelques années. CAIR-CAN pense qu'il y a beaucoup à gagner à admettre l'existence de l'antisémitisme et à offrir une tribune de discussion et croit que cette reconnaissance ne constitue pas un encouragement à l'antisémitisme.

24.

CAIR-CAN déclare que le Code criminel au Canada et le Règlement sur la distribution de radiodiffusion (le Règlement) pourraient s'abattre avec toute leur rigueur sur les EDR qui distribueraient Al-Jazira au cas, improbable, où ce service diffuserait du matériel haineux. Par conséquent, CAIR-CAN juge inutile de censurer préalablement ce service. Il fait valoir que le système canadien de radiodiffusion repose sur un accès généralisé à l'information, dans les limites des lois sur la diffamation et la haine. Le Congrès musulman canadien rappelle que la loi canadienne régit et réglemente la programmation de tous les services, et que l'arbitre final est l'appareil judiciaire. Il existe déjà des mécanismes légaux pour contrer le matériel haineux et les tribunaux tant civils que criminels offrent divers recours et sanctions si besoin est. Le Conseil des communautés musulmanes du Canada rappelle aussi que plusieurs mécanismes ont pour objectif de combattre le racisme dans les médias, notamment le Conseil canadien des normes de la radiotélévision (CCNR) et son code de pratique des radiodiffuseurs. Pour sa part, M. David Lidov remarque qu'il serait irrationnel de rejeter une nouvelle expérience audacieuse et de grande envergure dans l'univers de la radiodiffusion arabe sous prétexte qu'une partie de la programmation serait répréhensible, puisque que le Conseil a les moyens juridiques d'exercer une surveillance.

25.

Beaucoup de partis allèguent que le refus d'accepter les demandes d'inscription d'Al-Jazira aux listes de services numériques sous prétexte que ce service pourrait inciter à la haine ou contrevenir à la politique canadienne de radiodiffusion ou à la législation canadienne serait une restriction préalable inconstitutionnelle à la liberté d'expression, que la Charte ne justifie pas.
 

Mémoires défavorables

26.

Parmi les 500 mémoires et plus défavorables aux demandes déposées par les parrains, citons ceux de Jewish Women International of Canada (JWIC), de Global Television Network Inc. (Global), de B'Nai Brith Canada (B'Nai Brith), du Congrès juif canadien (CJC), des Christian Friends of Israel - Canada Inc. (CFI-Canada), de M. Robert Fattal et du réseau Asian Television Network International Limited (le réseau ATN).

27.

Les mémoires s'opposant à l'ajout d'Al-Jazira aux listes de services numériques ont fait état des préoccupations suivantes :
 
  • Al-Jazira a l'habitude de diffuser au cours de ses émissions de la propagande haineuse visant surtout le peuple juif, en violation des lois et normes de radiodiffusion du Canada;3
 
  • Aucun mécanisme de réglementation ne permet de régler les inquiétudes associées au matériel haineux des services non canadiens.

28.

Certains mémoires défavorables expriment une autre inquiétude moins généralisée, à savoir la concurrence d'Al-Jazira avec les services spécialisés canadiens.
 

Contenu de la programmation d'Al-Jazira

29.

Beaucoup de parties défavorables aux demandes déclarent que les Canadiens exigent une programmation qui reflète les valeurs canadiennes de tolérance et de respect à laquelle ceux-ci ont légalement droit. Elles estiment, au vu des extraits de la programmation présentés dans cette instance, qu'Al-Jazira appuie clairement les propos haineux et que le Conseil ne peut donc pas autoriser la distribution de ce service au Canada. Elles allèguent que la liberté d'expression est le pivot de toute société libre et démocratique, mais que le droit constitutionnel de la liberté d'expression n'est pas un droit absolu et qu'il doit être envisagé à la lumière d'autres valeurs fondamentales importantes qui préservent la dignité et l'égalité de toutes les personnes et de tous les groupes de la société canadienne. Pour elles, la propagande haineuse va à l'encontre du noble but exprimé à l'article 2 de la Charte. De plus, l'autorisation par le Conseil de la distribution d'Al-Jazira sachant que ce service diffuse des propos haineux serait clairement en violation des articles 3(1)g) et i) de la Loi, irait contre l'objectif de diversité culturelle énoncé dans la Loi et saperait la sécurité et la dignité des juifs du Canada, contrevenant ainsi à l'article 3(1)d).

30.

Le CJC déclare qu'Al-Jazira, sous couvert d'agence de presse apparemment légitime, offre aux terroristes et aux semeurs de haine une tribune leur permettant d'exprimer leurs opinions. Selon le CJC, Al-Jazira diffuse régulièrement des descriptions stéréotypées des juifs qui entretiennent les thèmes classiques de la judéophobie en présentant ces derniers comme une force de conspiration étrangère, malveillante et cherchant à dominer le monde, et en utilisant à leur égard des termes grossiers, insultants et odieux. Le CJC ajoute qu'Al-Jazira a franchi un pas de plus en diffusant des menaces à la sécurité physique des juifs et en s'appliquant à dénier l'Holocauste. Selon le CJC, tous ces commentaires sont des propos offensants qui, pris dans leur contexte, risquent d'exposer les juifs, soit individuellement, soit collectivement, à la haine ou au mépris pour des motifs fondés sur leur religion ou leur origine ethnique.

31.

Global indique qu'Al-Jazira diffuse des émissions-débats et des émissions d'affaires publiques extrêmement controversées même si une grande partie de sa grille horaire est consacrée à des reportages d'actualité. Selon Global, l'une de ses émissions les plus populaires d'Al-Jazira est une émission-débat hebdomadaire animée par M. Faisal Al-Qassam, The Opposite Direction, qui présente toutes sortes d'opinions extrêmes et antisémites. Beaucoup de parties soutiennent que l'expression de sentiments racistes et antisémites n'est pas différente selon que les remarques sont proférées par des personnes interviewées plutôt que par des journalistes du service. Elles maintiennent que cette distinction n'est pas valable et qu'Al-Jazira ne devrait diffuser aucun commentaire antisémite au Canada - que ceux-ci soient émis par ses journalistes ou par ses invités. Le CJC rappelle aussi que, dans le cas d'une émission canadienne de tribune téléphonique, le Conseil a affirmé que les titulaires étaient responsables des remarques de leurs animateurs et invités car celles-ci sont seules responsables de la sélection de leurs journalistes, animateurs et invités.

32.

M. Robert Fattal explique que [traduction] « pour ce qui est des nouvelles, Al-Jazira est l'équivalent arabe de l'animateur de choc Howard Stern » et que le service présente des images censées être vraies et véridiques de façon à provoquer la colère de ses téléspectateurs. Selon lui, l'information est accessoire; la controverse, essentielle.
 

Absence de mécanismes de réglementation permettant de contrer le matériel haineux des services non canadiens

33.

Beaucoup de parties défavorables pensent que le problème des propos haineux d'Al-Jazira est d'autant plus grave que le contrôle du contenu des services non canadiens, une fois approuvés, échappe au régime de réglementation canadien. Elles considèrent donc que le Conseil devrait dès le départ refuser d'ajouter Al-Jazira à ses listes de services numériques. Elles croient que le fait d'autoriser Al-Jazira comme service par satellite non canadien et non comme entreprise canadienne aura pour résultat que le service ne sera assujetti à aucune norme ou exigence de réglementation imposée aux entreprises canadiennes de programmation autorisées, notamment à l'obligation de conserver des rubans-témoins. Compte tenu de l'absence de toute responsabilité ou exigence de réglementation, les parties jugent que le Conseil n'aura aucun moyen d'enquêter sur les plaintes liées à la programmation d'Al-Jazira et qu'il ne pourra pas prendre les mesures appropriées, si besoin est. En fait, elles croient que le seul recours du Conseil devant la pression publique serait de supprimer Al-Jazira des listes de services numériques et voient cette solution comme le recours à un « instrument contondant ». Pour le CJC, cette solution rarement utilisée par le Conseil n'est pas satisfaisante car elle revient, comme le dit le proverbe anglais « à fermer la porte de l'écurie une fois que le cheval est déjà parti ». Ou pour reprendre l'expression de B'Nai Brith, une fois Al-Jazira inscrit sur les listes de services numériques, [traduction] « le génie sera sorti de la bouteille ».

34.

La majorité des parties défavorables croient que le Conseil devrait refuser d'ajouter Al-Jazira aux listes de services numériques pour les raisons énoncées ci-dessus. Dans le cas contraire, le CJC propose de n'autoriser la distribution d'Al-Jazira que sous réserve des trois conditions suivantes :
 
  • Al-Jazira ne serait disponible qu'aux abonnés qui en font la demande expresse. Les EDR devraient complètement bloquer le service pour les abonnés qui demandent à ne pas le recevoir chez eux;
 
  • La distribution d'Al-Jazira ne devrait, dans un premier temps, être autorisée que pour une période de 12 mois et les EDR devraient être tenues de remettre des comptes rendus trimestriels retraçant les plaintes adressées au service et les mesures prises pour les régler. À la fin des 12 mois, le Conseil devrait lancer un appel d'observations pour évaluer s'il convient de reconduire cette autorisation;
 
  • La distribution d'Al-Jazira ne devrait être autorisée qu'à la condition que les EDR adoptent un code semblable au Code de déontologie de l'Association canadienne des radiodiffuseurs (ACR) et instituent un mécanisme d'exécution tel que le CCNR pour traiter et résoudre les plaintes. Ce mécanisme ferait l'objet d'un appel d'observations du Conseil, et son adoption serait une condition préalable à l'autorisation de la fourniture du service.

35.

Le CJC admet les difficultés qu'entraînent le fait de rendre les EDR responsables du contenu d'une programmation dont elles ne sont pas la source. Toutefois, il allègue qu'il serait bizarre d'exiger que les titulaires du système canadien de radiodiffusion respectent des règles plus strictes de représentation des groupes minoritaires alors que les services non canadiens pourraient allègrement les ignorer. Le CJC rappelle que la divergence des régimes de réglementation des services canadiens et non canadiens a déjà été un sujet de préoccupation du Conseil dans les années 1990, lors d'une plainte pour violence inacceptable dans le cadre d'une émission pour les enfants The Mighty Morphin Power Rangers. Le Conseil avait alors demandé des observations du public et proposé que l'une des façons de corriger la situation pourrait être d'obliger les EDR à supprimer les émissions, y compris celles des services non canadiens, dont il estimait qu'elles contrevenaient à un code sur la violence approuvé, sinon à encoder et à brouiller ces émissions. Le Conseil avait finalement choisi d'implanter un système de classification des émissions utilisant la puce antiviolence.

36.

Le CJC soutient que les EDR qui veulent être autorisées à distribuer un service non canadien visent en réalité à diffuser une programmation aux fins de l'article 8 du Règlement et qu'il appartient donc aux EDR qui souhaitent distribuer Al-Jazira de démontrer que le service, s'il est autorisé, n'enfreint pas l'article 8. De plus, celles-ci doivent être prêtes à assumer la responsabilité de ce service en toutes circonstances.
 

Concurrence d'Al-Jazira avec les services canadiens

37.

Le réseau ATN déclare que n'importe quel service non canadien de langue arabe concurrencerait directement son service autorisé de catégorie 2 de langue arabe et qu'il a déjà étudié la possibilité de distribuer la programmation d'Al-Jazira dans le cadre de son service. Selon lui, l'ajout d'Al-Jazira aux listes de services numériques mettra un terme à cette éventualité.

38.

Global et B'Nai Brith signalent que le Conseil a déjà autorisé par le passé plusieurs services arabes spécialisés de catégorie 2 dont la programmation ressemble à celle d'Al-Jazira et qui ne sont toujours pas en exploitation. Les parties considèrent que l'ajout d'Al-Jazira aux listes de services numériques contreviendrait à la politique du Conseil qui prévoit de refuser la distribution de tout service non canadien jugé en concurrence avec des services canadiens.
 

Autres observations

39.

Plusieurs parties, qui ne se sont pas plus opposées aux demandes d'ajouter Al-Jazira aux listes de services numériques qu'elles ne les ont appuyées, ont commenté les normes de programmation applicables aux services non canadiens en général et à Al-Jazira en particulier, ainsi que le rôle que devrait jouer le Conseil à cet égard.

40.

Bien que l'ACR et Stornoway Communications Limited Partnership ne traitent pas directement de la demande d'Al-Jazira, ces deux parties notent que les services canadiens sont assujettis à la surveillance directe du Conseil par le biais des règlements et politiques applicables et par des conditions de licence précises. Les services canadiens doivent aussi se conformer aux normes de programmation et codes du CCNR visant à vérifier que leurs programmations correspondent aux valeurs, aspirations et besoins des Canadiens. En revanche, les deux parties observent que les services non canadiens ne sont pas tenus de respecter ces balises et que le déséquilibre entre les obligations et la contribution des services canadiens et celles des services non canadiens déjà nombreux à profiter d'une absence de réglementation au Canada ne fait qu'empirer.

41.

Le Centre de recherche-action sur les relations raciales (CRARR) commente les demandes d'ajout d'Al-Jazira aux listes de services numériques mais ne s'y oppose pas plus qu'il ne les appuie. Selon lui, la vraie question est de savoir si le Conseil a l'obligation constitutionnelle de s'assurer qu'il ne risque pas d'approuver la distribution au Canada d'un service non canadien susceptible d'exposer des personnes ou des groupes à des situations où leurs droits civils pourraient être violés ou encore, à des situations qui incitent à la haine, au mépris ou au ridicule pour des motifs liés aux caractéristiques personnelles énumérées à l'article 15 de la Chartre. Le CRARR pense qu'il faut faire en sorte que des services non canadiens soient distribués au Canada, avec une programmation et des pratiques respectant les normes canadiennes de radiodiffusion, en gardant à l'esprit qu'il est souhaitable de voir des radiodiffuseurs indépendants ethniques utilisant une langue tierce jouer un rôle plus actif pour relier le Canada au reste du monde.
 

Réponses des parrains

42.

Dans sa réponse, l'ACTC prend note des inquiétudes concernant d'anciennes diffusions d'Al-Jazira ayant pu violer les lois ou les normes de radiodiffusion canadiennes et admet la gravité de ce problème, qui ne doit pas être pris à la légère. Vidéotron déclare qu'elle ne compte pas se mêler des différences de goûts de sa clientèle, mais ajoute qu'elle cesserait immédiatement de distribuer tout service contenu dans ses listes et qui serait jugé inacceptable par les autorités canadiennes.

43.

Les deux parrains ont joint une lettre de Reach Media Inc., le représentant nord-américain d'Al-Jazira, qui affirme qu'Al-Jazira assumera l'entière responsabilité du contenu diffusé, se conformera à tous les règlements applicables et constituera un ajout appréciable au système canadien de radiodiffusion. Al-Jazira, poursuit Reach media Inc., professe un grand respect pour les lois et règlements canadiens et met en pratique les principes d'équilibre de programmation du Conseil en offrant, dans la mesure du possible, des possibilités d'exprimer des opinions variées et des points de vue différents sur des questions d'intérêt général. Reach Media Inc. ajoute qu'Al-Jazira s'assurera que sa grille de programmation offre un équilibre approprié sur ces questions dans des délais raisonnables.

44.

Reach Media Inc. note qu'il peut arriver, lorsque le réseau couvre des moments d'actualité délicats et très tendus comme la guerre d'Irak, que certaines personnes ou invités utilisent exceptionnellement un mauvais choix de mots ou émettent des remarques qui n'obtiennent que très peu d'appuis, voire aucun, et que les esprits peuvent s'échauffer. Reach Media Inc. explique que, lorsque cela se produit, Al-Jazira n'excuse pas plus les outrances de langage que les mauvais jugements ou attitudes répréhensibles qu'il n'encourage la haine ou le racisme et ne cautionne les écarts criminels de conduite. Reach Media Inc. ajoute [traduction] « Certaines personnes pourraient pourtant le faire, et cela fait parfois partie des nouvelles du jour ». En pareil cas, Al-Jazira s'assure de rétablir la perspective comme le ferait n'importe quel télédiffuseur responsable en offrant dès que possible une contre-opinion professionnelle. Selon Reach Media Inc., Al-Jazira, en tant que personne morale n'appuierait jamais l'antisémitisme car le service sait que le traitement injuste d'une personne pour des raisons fondées sur son origine constitue un acte condamnable. De plus, Al-Jazira n'approuve pas l'expression de propos offensants et veillera de plus près à la façon dont les opinions seront exprimées. Enfin, Reach Media Inc. affirme qu'Al-Jazira ne cautionne jamais quelque attitude offensante que ce soit, que le service prendra les mesures nécessaires pour éviter des situations de ce genre et qu'il s'assurera que personne ne pourra agir en ce sens sans que des mesures correctrices soient immédiatement prises.

45.

Dans sa réponse, l'ACTC observe qu'Al-Jazira a déjà clairement promis d'assumer [traduction] « l'entière responsabilité du contenu diffusé » et que le Conseil devrait, au vu de cet engagement, éviter de préjuger de la capacité d'Al-Jazira à se conformer à la législation canadienne. En admettant qu'une fois le service autorisé, Al-Jazira diffuse un contenu illégal, l'ACTC pense que la responsabilité devrait et doit incomber à la source du contenu et qu'Al-Jazira devrait donc être pleinement responsable. En cas de plainte, l'ACTC fait valoir que le Conseil a le pouvoir d'évaluer pleinement et équitablement si Al-Jazira a enfreint son engagement et qu'il devra, le cas échéant, prendre les mesures nécessaires pour rayer le service de ses listes de services numériques.
 

La loi

46.

Selon le Conseil, les dispositions de la Loi, du Règlement et de la Charte reprises ci-dessous s'appliquent aux demandes des parrains d'ajouter Al-Jazira aux listes.
 

La Loi sur la radiodiffusion

47.

L'article 5(1) de la Loi prévoit notamment que :

 

[.] le Conseil réglemente et surveille tous les aspects du système canadien de radiodiffusion en vue de mettre en oeuvre la politique canadienne de radiodiffusion.

48.

Les dispositions pertinentes de l'article 3(1) prévoient ce qui suit :
 

3. (1) Il est déclaré que, dans le cadre de la politique canadienne de radiodiffusion :
[.]

 

d) le système canadien de radiodiffusion devrait :

 

(i) servir à sauvegarder, enrichir et renforcer la structure culturelle, politique, sociale et économique du Canada,
[...]

 

(iii) par sa programmation et par les chances que son fonctionnement offre en matière d'emploi, répondre aux besoins et aux intérêts, et refléter la condition et les aspirations, des hommes, des femmes et des enfants canadiens, notamment l'égalité sur le plan des droits, la dualité linguistique et le caractère multiculturel et multiracial de la société canadienne ainsi que la place particulière qu'y occupent les peuples autochtones,
[.]

 

h) les titulaires de licences d'exploitation d'entreprises de radiodiffusion assument la responsabilité de leurs émissions;

 

i) la programmation offerte par le système canadien de radiodiffusion devrait à la fois :

 

(i) être variée et aussi large que possible en offrant à l'intention des hommes, femmes et enfants de tous âges, intérêts et goûts une programmation équilibrée qui renseigne, éclaire et divertit,

 

(ii) puiser aux sources locales, régionales, nationales et internationales,
[.]

 

(iv) dans la mesure du possible, offrir au public l'occasion de prendre connaissance d'opinions divergentes sur des sujets qui l'intéressent,
[.]

49.

L'article 2(3) de la Loi stipule :

 

L'interprétation et l'application de la présente loi doivent se faire de manière compatible avec la liberté d'expression et l'indépendance, en matière de journalisme, de création et de programmation, dont jouissent les entreprises de radiodiffusion.

 

Le Règlement

50.

Les articles 7 et 8 ci-dessous du Règlement s'appliquent aussi.
 

7. Le titulaire ne peut modifier ou retirer un service de programmation au cours de sa distribution dans une zone de desserte autorisée sauf si, selon le cas :

 

a) la modification ou le retrait est fait en conformité avec les conditions de sa licence ou le présent règlement;

 

b) la modification ou le retrait a pour but le respect du paragraphe 328(1) de la Loi électorale du Canada;

 

c) le retrait du service de programmation a pour but le respect d'une ordonnance de la cour interdisant la distribution du service de programmation dans toute partie de la zone de desserte autorisée;

 

d) la modification du service de programmation a pour but d'insérer dans celui-ci un message d'alerte d'urgence en vertu d'une entente entre le titulaire et l'exploitant du service de programmation ou le réseau ayant la responsabilité du service;

 

e) la modification ou le retrait a pour but d'empêcher la violation des droits de programmation ou des droits sous-jacents d'un tiers, en vertu d'une entente entre le titulaire et l'exploitant du service de programmation ou le réseau ayant la responsabilité du service;

 

f) la modification du service de programmation a pour but la suppression d'un signal secondaire qui n'est pas, en soi, un service de programmation ou qui n'a pas de lien avec le service distribué.

 

8. (1) Il est interdit au titulaire de distribuer un service de programmation dont il est la source et :

 

a) soit dont le contenu est contraire à la loi;

 

b) soit qui contient des propos offensants ou des images offensantes qui, pris dans leur contexte, risquent d'exposer une personne, un groupe ou une classe de personnes à la haine ou au mépris pour des motifs fondés sur la race, l'origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, le sexe, l'orientation sexuelle, l'âge ou une déficience physique ou mentale;

 

c) soit qui contient un langage ou une image obscènes ou blasphématoires;

 

d) soit qui contient une nouvelle fausse ou trompeuse.

 

(2) Pour l'application de l'alinéa (1)b), l'orientation sexuelle exclut toute orientation qui, à l'égard d'un acte ou d'une activité sexuel, constituerait une infraction au Code criminel.

 

La Chartre

51. Les clauses de la Charte reprises ci-dessous s'appliquent également :
 

1. La Charte canadienne des droits et libertés garantit les droits et libertés qui y sont énoncés. Ils ne peuvent être restreints que par une règle de droit, dans des limites qui soient raisonnables et dont la justification puisse se démontrer dans le cadre d'une société libre et démocratique.

 

2. Chacun a les libertés fondamentales suivantes : [.]

 

b) liberté de pensée, de croyance, d'opinion et d'expression, y compris la liberté de la presse et des autres moyens de communication;

 

15(1) La loi ne fait acception de personne et s'applique également à tous, et tous ont droit à la même protection et au même bénéfice de la loi, indépendamment de toute discrimination, notamment des discriminations fondées sur la race, l'origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, le sexe, l'âge ou les déficiences mentales ou physiques.

 

27. Toute interprétation de la présente charte doit concorder avec l'objectif de promouvoir le maintien et la valorisation du patrimoine multiculturel des Canadiens.

 

Analyse et décision du Conseil

 

Concurrence

52.

Le Conseil considère que les services canadiens de langue arabe qu'il a déjà autorisés sont des services de programmation d'intérêt général et qu'aucun d'entre eux n'est exclusivement consacré à l'actualité et aux affaires publiques. Étant donné qu'Al-Jazira se consacre à l'actualité et aux affaires publiques en langue arabe, le Conseil estime qu'il n'y a pas de recoupements importants entre celui-ci et les services canadiens payants et spécialisés et qu'Al-Jazira ne devrait donc pas être considéré en concurrence.
 

Nature du service et éventuelle influence d'Al-Jazira sur la diversité

53.

Le Conseil n'est pas convaincu des arguments de la minorité pour qui Al-Jazira n'est pas un simple service légitime de nouvelles, mais une couverture qui lui permet de poursuivre son véritable objectif : promouvoir la haine et le terrorisme. Il n'est pas non plus convaincu lorsqu'elles affirment qu'Al-Jazira est essentiellement un organe de controverse, et non d'information, et qu'il ne devrait donc pas être autorisé.

54.

Les documents de cette instance démontrent la variété de la programmation d'Al-Jazira, font état de ses entretiens avec de nombreuses figures dominantes de la scène politique actuelle, du grand nombre de médias ayant utilisé ses ressources et des prix qui lui furent attribués. D'après ces informations, le Conseil estime que l'ajout d'Al-Jazira aux listes de services numériques pourrait introduire une nouvelle variété dans la programmation du système canadien de radiodiffusion en offrant notamment la perspective différente d'un service de programmation de nouvelles internationales en langue arabe. Ce service pourrait aussi encourager la satisfaction des besoins et intérêts et contribuer à refléter la condition et les aspirations de la population (hommes, femmes et enfants) canadienne d'origine arabe. L'ajout d'Al-Jazira pourrait aussi permettre de mieux répondre aux besoins et intérêts de la société canadienne en matière multiculturelle et multiraciale en offrant aux Canadiens d'origine arabe davantage d'émissions dans leur langue maternelle. Pour ces raisons, le Conseil estime que la distribution d'Al-Jazira pourrait favoriser la poursuite de certains objectifs des articles 3(1)d)(iii) et 3(1)i)(i) et (ii) de la Loi et devrait donc être autorisée. De plus, le Conseil estime que la distribution d'Al-Jazira permettrait d'exposer le public à des opinions différentes sur des questions d'intérêt général et, par conséquent, que l'ajout de ce service aux listes de services numériques favoriserait la réalisation de l'objectif de l'article 3(1)i)(iv) de la Loi.
 

Intérêt pour Al-Jazira

55.

Au vu du dossier de cette instance, le Conseil est persuadé que beaucoup de Canadiens souhaitent recevoir Al-Jazira et que la distribution de ce service pourrait aider à contrer la tendance des consommateurs à s'adresser aux marchés noir et gris qui inquiète vivement les parrains. L'ajout d'Al-Jazira aux listes de services numériques renforcerait donc la santé financière des EDR canadiennes et favoriserait la poursuite de certains objectifs énumérés dans l'article 3(1)d)(i) de la Loi en sauvegardant, enrichissant et renforçant le tissu économique du Canada.
 

Inquiétudes liées aux propos offensants

56.

L'un des principaux facteurs entrant dans la réflexion du Conseil est la théorie des parties défavorables selon laquelle Al-Jazira diffuserait régulièrement des propos exposant les juifs à la haine ou au mépris pour des motifs fondés sur la religion ou l'origine ethnique, en violation des valeurs canadiennes et des objectifs de la politique de radiodiffusion énoncés dans la Loi. Plusieurs mémoires défavorables donnent des exemples de déclarations offensantes qui, selon les parties, ont déjà été diffusées par Al-Jazira. Certaines de ces déclarations figurent en annexe de cet avis. Les parties défavorables soutiennent qu'il n'existe aucun mécanisme de réglementation permettant de traiter de la diffusion de telles déclarations par les services non canadiens; la plupart d'entre elles préfèrent donc que le Conseil refuse les demandes d'ajout d'Al-Jazira aux listes de services numériques.

57.

La diffusion de propos haineux ou offensants est contraire aux valeurs et aux normes de radiodiffusion canadiennes. Le Conseil interdit par règlement aux entreprises de programmation de radiodiffusion et aux EDR qui sont la source de la programmation de diffuser ou de distribuer des images ou des propos offensants qui, pris dans leur contexte, sont susceptibles d'exposer une personne, un groupe ou une classe de personnes à la haine ou au mépris pour des motifs fondés sur la race, l'origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, le sexe ou l'orientation sexuelle, l'âge ou une déficience physique ou mentale.
58. L'article 5(1) de la Loi prévoit que le Conseil doit surveiller et réglementer tous les aspects du système canadien de radiodiffusion afin de mettre en oeuvre la politique canadienne de radiodiffusion définie à l'article 3(1) de la Loi. Les définitions de la Loi précisent que les EDR font partie du système canadien de radiodiffusion. L'article 3(1) de la Loi décrit longuement la politique de radiodiffusion du Canada et énumère une série d'objectifs généraux. Les objectifs généraux à prendre en considération pour évaluer les demandes d'inscription d'Al-Jazira sur les listes de services numériques, compte tenu des allégations de propos offensants à l'endroit de ce service, se retrouvent aux articles 3(1)d)(i) et 3(1)d)(iii) et sont paraphrasés ci-dessous.
 

1. Le système canadien de radiodiffusion devrait servir à sauvegarder, enrichir et renforcer la structure culturelle, politique et sociale du Canada;

 

2. Le système canadien de radiodiffusion devrait par sa programmation, répondre aux besoins et aux intérêts, et refléter la condition et les aspirations, des Canadiens, notamment l'égalité sur le plan des droits, et le caractère multiculturel et multiracial de la société canadienne.

59.

Le règlement du Conseil interdisant les propos offensants susceptibles d'exposer une personne, un groupe ou une classe de personnes à la haine ou mépris pour des motifs fondés sur la religion, l'origine ethnique ou toute autre raison vise à prévenir les effets dommageables très réels causés par de tels propos4 qui sapent les objectifs de la politique énoncés plus haut. Le premier de ces dommages, le dommage affectif, peut avoir de lourdes conséquences sociales et psychologiques sur les membres d'un groupe ciblé. Le ridicule, l'hostilité et les insultes que favorisent ces propos ont des effets extrêmement négatifs sur la confiance en soi, sur le sentiment de sa dignité et sur l'intégration sociale d'un groupe ou d'une personne. Au pire, des propos violents au point d'inciter à la violence peuvent menacer la sécurité physique des personnes ciblées. Ces dommages sapent l'égalité des droits des personnes et groupes visés qui sont pourtant les mêmes que ceux que la programmation du système canadien de radiodiffusion devrait, selon la politique de radiodiffusion, refléter.

60.

La réglementation visant à interdire les propos offensants sert non seulement à prévenir le mal qui peut être infligé à des personnes ciblées, mais aussi à s'assurer du respect des valeurs canadiennes pour tous les Canadiens. La diffusion de propos incitant à la haine ou au mépris peut affecter beaucoup plus de gens que les personnes directement visées et, par là, créer de graves discordes entre les différents groupes culturels de la société canadienne au détriment de l'ensemble de la société canadienne. Ces effets dommageables effritent le tissu culturel, politique et social du Canada que le système canadien de radiodiffusion devrait sauvegarder, enrichir et renforcer et minent le caractère multiculturel et multiracial de la société canadienne que la programmation du système canadien de radiodiffusion devrait refléter. Par conséquent, la protection contre les effets dommageables des propos offensants ne vise pas seulement à protéger les juifs du Canada, mais aussi tous les Canadiens, y compris les Canadiens d'origine arabe. Le Conseil note que les commentaires soumis par de nombreuses parties qui appuient la distribution d'Al-Jazira, dont de nombreuses organisations représentant les Canadiens d'origine arabe, indiquent que celles-ci tiennent pour acquis ou pensent que le service sera assujetti aux lois et aux normes de radiodiffusion canadiennes.

61.

La surveillance et la réglementation du système canadien de radiodiffusion visant à prévenir des propos offensants susceptibles de miner les objectifs de la politique canadienne de radiodiffusion énoncés dans la Loi prévoit que le Conseil doit tenir compte de l'article 2(3), lequel stipule que « l'interprétation et l'application de la présente loi doivent se faire de manière compatible avec la liberté d'expression et l'indépendance, en matière de journalisme, de création et de programmation, dont jouissent les entreprises de radiodiffusion ». Le Conseil doit également prendre en considération l'article 2(b) de la Charte qui garantit à chacun la liberté d'expression. Le Conseil doit envisager à la fois les droits à la liberté d'expression des entreprises de radiodiffusion et ceux des éventuels téléspectateurs.

62.

Le Conseil estime que l'objectif de la réglementation des propos offensants justifie d'imposer des limites à la liberté d'expression. Les effets nuisibles de ces propos menacent les valeurs d'égalité et de multiculturalisme enchâssées dans les objectifs de la politique canadienne de radiodiffusion et dans les articles 15 et 27 de la Charte. La réglementation établit un juste équilibre entre la protection contre les dommages dus à des propos offensants, tel que discuté plus haut, un objectif que le Conseil juge important et pressant, et le respect de la liberté d'expression. Le Conseil note que la Cour suprême du Canada a confirmé que l'objectif des lois sur la propagande haineuse était suffisamment impérieux pour justifier de limiter le droit d'expression dans plusieurs causes.5

63.

Les parties défavorables aux demandes déclarent que Al-Jazira aurait diffusé des propos offensants. Avant de décider s'il convient, ou non, de refuser l'ajout Al-Jazira aux listes de services numériques, il faut d'abord déterminer si les déclarations contenues dans les émissions d'Al-Jazira et soumises par ces parties sont contraires à la politique canadienne de radiodiffusion.

64.

Cette évaluation repose sur un examen détaillé des déclarations elles-mêmes. Le Conseil remarque que les réponses de l'ACTC et de Vidéotron ne répondent pas précisément à ces déclarations, pas plus qu'elles n'en contestent la diffusion.

65.

Il ne fait aucun doute que des déclarations telles que les juifs sont [traductions] « les fils des singes et des cochons » et « les personnes les plus méprisables . des vers de terre . foncièrement mauvaises » et que les É.-U. devraient « se débarrasser » des juifs compromettent, en l'absence de circonstances atténuantes, la réalisation des objectifs de la politique de radiodiffusion exprimée dans la Loi. On peut dire la même chose de « Dieu . ne reculera pas tant qu'il n'y aura un véritable holocauste pour exterminer du même coup tous [les juifs] .. ». La distribution de tels propos et d'autres figurant en annexe risquent d'affaiblir le tissu social et culturel du Canada en violation de l'article 3(1)d)(i) de la Loi et, en violation de l'article 3(1)d)(iii), ne sert pas les besoins et intérêts et ne reflète pas plus la condition et les aspirations des Canadiens, y compris des juifs du Canada, que l'égalité des droits et le caractère multiculturel et multiracial de la société canadienne.

66.

Le Conseil remarque que l'une des parties en faveur des demandes, CAIR-CAN, reconnaît qu'Al-Jazira a diffusé une déclaration traitant les juifs de « singes et de cochons ». CAIR-CAN précise qu'il s'agit du courriel d'un téléspectateur qui a été lu au cours d'une émission il y a quelques années. Selon CAIR-CAN, il y a beaucoup à gagner à admettre l'existence de l'antisémitisme et à offrir une tribune de discussion à cet égard; refuser d'agir ainsi reviendrait à promouvoir l'antisémitisme. Bien que le Conseil accepte que certaines de ces déclarations, présentées dans le contexte d'une tribune de discussion de l'antisémitisme, peuvent ne pas être considérées comme risquant d'exposer les juifs à la haine ou au mépris, il n'en note pas moins qui ni les parrains, ni une quelconque partie en faveur des demandes ne lui a apporté la preuve que ces déclarations avaient été faites dans un tel contexte.

67.

Le Conseil note aussi que, dans plusieurs des mémoires favorables, on signalait l'importance de faire une distinction entre les déclarations des animateurs d'Al-Jazira et celles des invités ou téléspectateurs. Selon ces parties, Al-Jazira ne ferait que rapporter la haine que traduisent, le cas échéant, certaines de ces déclarations et non pas l'exprimer, l'adopter ou la pardonner. Le Conseil remarque qu'un nombre apparemment relativement faible de déclarations jointes aux mémoires défavorables ont été faites par des employés d'Al-Jazira et que la plupart ont été dites lorsque Al-Jazira a rapporté les opinions controversées d'autres personnes ou diffusé des points de vue de téléspectateurs ou d'invités. Le Conseil note cependant que la politique qu'il applique à ses titulaires, le plus souvent à l'égard des émissions de tribune téléphonique, part du principe que les titulaires ont le libre choix de leurs invités et auditeurs et qu'elles sont donc responsables de leurs propos. Les parties favorables ont également fait valoir que les reportages sur l'actualité sont un élément fondamental de toute société libre et démocratique. Le Conseil estime cependant qu'il y a une différence entre faire un reportage qui véhicule de la haine dans le cadre de bulletins de nouvelles ou pour couvrir l'actualité et favoriser son expression ou l'exprimer directement, la tolérer ou l'adopter. Dans le cas présent, il ne semble pas que les déclarations citées en annexe fassent partie de reportages sur l'actualité.

68.

Au vu des documents de cette instance, le Conseil estime par ailleurs que le refus d'ajouter Al-Jazira aux listes de services numériques, avec pour conséquence qu'aucune EDR au Canada ne pourrait distribuer ce service, ne permettrait pas d'établir un équilibre approprié entre la protection contre les effets dommageables dus à des propos offensants et le respect de la liberté d'expression. Cette conclusion repose sur les raisons ci-dessous.

69.

Premièrement, le Conseil note que la majorité des déclarations provenant d'émissions diffusées par Al-Jazira ont été fournis isolément par les parties défavorables, sans contexte ou presque pour faciliter leur évaluation. Or le contexte, et notamment le contexte culturel, est essentiel dans la mesure où les déclarations fournies sont des traductions de l'arabe et risquent, à ce titre, de ne pas transmettre exactement l'intention et le sens des mots originaux de la culture arabe. La nature de l'émission et les circonstances propres à l'émission au cours de laquelle ces déclarations ont été diffusées sont d'autres considérations tout aussi importantes. Le Conseil ne peut justifier de refuser la demande d'inscrire Al-Jazira sur les listes de services numériques sur la seule base des déclarations que, selon la déposition des parties, Al-Jazira aurait diffusées auparavant sans toutefois avoir précisé dans quel contexte. Cette constatation n'empêche aucunement le Conseil de refuser de minimiser les éventuels effets dommageables de ces déclarations. Il est fort possible qu'il aurait pu trouver ces propos offensants et en violation de la politique canadienne de radiodiffusion si ceux-ci avaient pu être évalués en contexte.

70.

Deuxièmement, le Conseil estime qu'il ne peut raisonnablement justifier de refuser d'ajouter l'ensemble du service Al-Jazira aux listes de services numériques et interdire ainsi aux Canadiens d'origine arabe et à d'autres éventuels téléspectateurs de profiter des avantages de la diversité liée à cette programmation puisque les parties ne lui ont remis qu'un nombre relativement peu élevé de déclarations diffusées par Al-Jazira. Les parties n'ont pas toujours spécifié le nom des émissions au cours desquelles ces déclarations avaient été diffusées. Lorsqu'elles l'ont fait, le Conseil note que quelques émissions seulement reviennent régulièrement, notamment The Opposite Direction. Le Conseil n'a pas la preuve que la majorité des émissions d'Al-Jazira justifie de s'inquiéter d'une programmation offensante. La quantité relativement faible de ces déclarations n'est pas assez probante pour étiqueter toute la programmation d'un service qui, pour ce qu'en sait le Conseil, diffuse 24 heures par jour et 7 jours sur 7 depuis 1996.

71.

Enfin, la plupart des déclarations citées ont été diffusées il y a plus de deux ans et ne peuvent servir d'exemples précis de la programmation actuelle d'Al-Jazira. Le Conseil note les engagements pris dans les mémoires de l'ACTC et de Vidéotron voulant qu'Al-Jazira prenne les mesures nécessaires pour prévenir tout propos offensant et soit dorénavant plus sensible à la façon dont les opinions seront exprimées. Le Conseil tient également compte de la réplique d'Al-Jazira qui a dit professer [traduction] « un grand respect pour les lois et règlements canadiens » et a ajouté que le service serait « un ajout appréciable au système canadien de radiodiffusion ». À la lumière des déclarations reproduites en annexe, le Conseil ne saurait accepter sans un certain scepticisme les propos du représentant d'Al-Jazira affirmant que le service ne diffusera aucun propos offensant, d'autant que le Conseil n'a aucun pouvoir de réglementation sur Al-Jazira. Par ailleurs, le Conseil n'a aucun élément de preuve pour rejeter ces déclarations ou affirmer que celles-ci sont fausses.

72.

Le Conseil décide donc d'ajouter Al-Jazira à ses listes de services numériques. Toutefois, cette décision ne suffit pas à elle seule à décharger de ses responsabilités le Conseil. Il doit aussi, comme le prévoit la Loi, assurer un équilibre entre d'une part la liberté d'expression, les objectifs de diversité de programmation de la politique de radiodiffusion, l'offre d'une programmation puisant aux sources internationales, l'offre de points de vue différents sur des questions d'intérêt général, un système de radiodiffusion qui préserve, enrichit et renforce le tissu économique du Canada, et d'autre part les objectifs de la politique veillant à ce que la programmation reflète les droits à l'égalité des Canadiens et la nature multiculturelle et multiraciale de la société canadienne et que le système protège le tissu culturel, politique et social du Canada.

73.

À la lumière des déclarations qu'Al-Jazira a, selon les parties, diffusées par le passé et de leurs effets néfastes possibles, le Conseil en arrive à la conclusion de fait que la preuve est suffisamment crédible pour laisser croire que la programmation d'Al-Jazira pourrait, à l'avenir, une fois replacée dans son contexte, comprendre des propos offensants susceptibles de contrevenir à la législation canadienne et d'aller à l'encontre de l'article 15 de la Charte qui prône l'égalité et sous-tend la politique canadienne de radiodiffusion. Étant donné la gravité de ces questions et le fait que la réglementation du Conseil au chapitre des propos offensants ne s'applique pas à la distribution de programmation non canadienne par les EDR, le Conseil a le devoir d'examiner s'il est raisonnable et nécessaire d'autoriser la distribution d'Al-Jazira sous réserve de certaines mesures visant à prévenir au mieux la diffusion de propos offensants et devant favoriser un équilibre approprié entre tous les objectifs, droits et valeurs évoqués dans le paragraphe précédent.

74.

Avant d'examiner des mesures précises, le Conseil retient cependant les arguments de plusieurs parties favorables qui soulignent que certains mécanismes existants pourraient servir à régler de tels cas après une éventuelle diffusion de matériel haineux par Al-Jazira. Ces mécanismes sont entre autres les règlements du Conseil, le CCNR, les lois criminelles contre les propos haineux, les lois contre la diffamation et la possibilité de rayer le service des listes du Conseil.

75.

Le Conseil n'est pas persuadé de la disponibilité actuelle de ces mécanismes ou, le cas échéant, de leur efficacité à régler les cas de propos offensants susceptibles d'être diffusés sur Al-Jazira. Premièrement, le Conseil note que l'interdiction de propos offensants exprimée à l'article 8(1)b) du Règlement ne s'applique qu'à la programmation dont l'entreprise de distribution est la source et ne peut donc s'appliquer au service d'Al-Jazira. Deuxièmement, les diffuseurs non canadiens ne peuvent adhérer au CCNR. Troisièmement, le Conseil doute que les lois sur la haine et la diffamation pourraient traiter de façon efficace la programmation d'Al-Jazira distribuée au Canada. Enfin, la suppression du service perturberait les abonnés et elle représente un outil trop répressif pour être utilisé en premier recours pour apaiser des inquiétudes liées à une petite partie de la programmation.
 

Des enregistrements pour préserver le contexte

76. La première mesure qui pourrait soulager les craintes liées à la diffusion de propos offensants serait d'exiger que les titulaires d'EDR qui distribuent Al-Jazira conservent un enregistrement audiovisuel de toutes les émissions d'Al-Jazira pendant une période de quatre semaines. Ces rubans seraient remis au Conseil au cas où il souhaiterait vérifier si des propos offensants ont été diffusés. Le but de cette mesure serait de s'assurer que le Conseil et les titulaires d'EDR peuvent vérifier et évaluer le contexte des émissions en cas d'éventuelle distribution de propos offensants dans la programmation d'Al-Jazira. Conformément à l'article 5(2)(g) de la Loi, le Conseil doit tenir compte du fardeau administratif de cette exigence pour les titulaires désireuses de distribuer Al-Jazira. Le Conseil estime cependant que les frais de conservation de ces enregistrements seraient minimes pour les titulaires d'EDR. La plupart des titulaires des grandes EDR conservent déjà de tels enregistrements en vertu des articles 28(2) et (3) du Règlement pour la programmation dont ils sont la source.
77. Le Conseil estime également que le fait d'accepter toute plainte en réaction à des propos offensants d'Al-Jazira et d'enquêter sur ces plaintes favoriserait la poursuite des objectifs de la politique énoncée dans la Loi. Les titulaires concernées auraient évidemment la possibilité de s'exprimer avant de décider de la suite à donner. En cas d'éventuels propos offensants sur Al-Jazira, les enregistrements audiovisuels faciliteraient un examen contextuel et fondé sur des preuves. Le Conseil considère qu'un tel examen serait nécessaire avant de supprimer Al-Jazira de ses listes, comme il en a le droit, dans le contexte du droit à la liberté d'expression. Le Conseil estime que cette exigence d'enregistrements audiovisuels est nécessaire dans le cadre d'une procédure de plainte publique afin d'assurer l'équilibre requis entre les différents droits et les objectifs de la politique de radiodiffusion.
 

Responsabilité des distributeurs

78.

La seconde mesure envisagée consiste à obliger les EDR qui distribuent Al-Jazira à ne pas diffuser dans le cadre de ce service des images ou des propos offensants qui, pris en contexte, risquent d'exposer une personne ou un groupe ou une classe de personnes à la haine ou au mépris pour des motifs fondés sur la race, l'origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, le sexe ou l'orientation sexuelle, l'âge ou une déficience mentale ou physique. Parallèlement à cette mesure, le Conseil autoriserait les EDR qui distribuent Al-Jazira à modifier ou retirer ce service de programmation en cours de distribution uniquement en vue de se conformer à cette exigence.

79.

Conformément à sa responsabilité statutaire de réglementation et de surveillance de tous les aspects du système canadien de radiodiffusion en vue d'appliquer la politique de radiodiffusion énoncée à l'article 3(1) de la Loi, le Conseil estime nécessaire d'exiger des titulaires des EDR qui distribuent Al-Jazira de ne diffuser aucun propos offensant dans le cadre de leur programmation afin de prévenir le plus possible la distribution de propos offensants sur Al-Jazira. Les politiques qui s'appliquent le mieux à une telle exigence se retrouvent aux articles 3(1)d)(i), 3(1)d)(iii) et 3(1)h) et sont paraphrasés ci-dessous.
 

1. Le système canadien de radiodiffusion devrait servir à sauvegarder, enrichir et renforcer la structure culturelle, politique et sociale du Canada;

 

2. Le système canadien de radiodiffusion devrait, par sa programmation, répondre aux besoins et aux intérêts, et refléter la condition et les aspirations, des Canadiens, notamment l'égalité sur le plan des droits, et le caractère multiculturel et multiracial de la société canadienne;

 

3. Les titulaires de licences d'exploitation d'entreprises de radiodiffusion assument la responsabilité de leurs émissions.

80.

L'ACTC allègue dans sa réponse que la responsabilité du contenu devrait incomber à la source, c'est-à-dire à Al-Jazira. Le Conseil considère que cette éventualité n'est tout simplement pas viable. Le Conseil n'attribue pas de licence à Al-Jazira, et Al-Jazira n'est pas du ressort de sa compétence. Le seul lien entre Al-Jazira et le Conseil passe par les EDR autorisées qui choisissent de distribuer Al-Jazira et qui maintiennent une relation contractuelle avec ce service.

81.

Le Conseil admet que cette mesure restreint la liberté d'expression des EDR et, éventuellement, celle des téléspectateurs d'Al-Jazira. Toutefois, le droit à la liberté d'expression n'est pas absolu; il est soumis aux limites raisonnables énoncées par la loi et dont la justification peut se démontrer dans le cadre d'une société libre et démocratique. Le Conseil considère que cette exigence se justifie parce qu'elle est manifestement nécessaire, selon le dossier de cette instance, pour s'assurer que la programmation d'Al-Jazira qui est distribuée au Canada reflète la condition et les aspirations des Canadiens, notamment l'égalité des droits et le caractère multiculturel de la société canadienne. En outre, le Conseil croit que cette exigence ne représente qu'une atteinte minimale et ne porte préjudice ni aux EDR, ni aux téléspectateurs canadiens du service Al-Jazira.

82.

La façon dont les EDR assumeront leur responsabilité dépendra en premier lieu d'elles seules. Le Conseil ne trouverait pas nécessairement déraisonnable de voir différentes titulaires d'EDR exercer cette responsabilité de différentes manières. Certaines pourraient être plus proactives que d'autres. Aucune titulaire d'EDR n'est en fait obligée de modifier ou de retirer le signal d'Al-Jazira à la suite de la publication de cet avis. Le Conseil considère que la relation établie par la titulaire d'une EDR qui distribue le service d'Al-Jazira, compte tenu notamment des engagements pris par l'agent d'Al-Jazira en son nom dans cette instance, peut ouvrir à cette titulaire d'autres possibilités d'apaiser les inquiétudes liées à une programmation offensante. Le Conseil demandera aux titulaires qui souhaitent modifier ou retirer cette programmation d'exercer ce pouvoir avec discrétion et de ne modifier ou de ne retirer la programmation que s'il est question de propos offensants. Le Conseil reconnaît que cette mesure constituera un fardeau administratif supplémentaire pour les titulaires des EDR qui souhaitent distribuer Al-Jazira. Le Conseil estime néanmoins que ce fardeau ne sera pas trop lourd bien qu'il soit difficile d'en évaluer la portée avant même que le service ne soit distribué.

83.

Le Conseil remarque aussi que cette mesure offre aux titulaires des EDR des possibilités plus nombreuses que celles dont dispose le Conseil pour réagir à la diffusion de propos offensant sur Al-Jazira. Bien que le Conseil conserve le pouvoir de rayer Al-Jazira de ses listes, beaucoup de parties ont allégué que cette mesure serait excessive.
 

Conclusion

84.

Compte tenu de tout ce qui précède, le Conseil approuve l'ajout d'Al-Jazira aux listes de services numériques. Ces listes révisées sont publiées dans Listes révisées de services par satellite admissibles, avis public de radiodiffusion CRTC 2004-52, 15 juillet 2004 et spécifient que l'autorisation de distribuer Al-Jazira est assujettie à une condition de licence en ce sens imposée aux EDR. Le Conseil est prêt à examiner selon une procédure accélérée les demandes des titulaires des EDR qui souhaitent obtenir une telle condition de licence. Cette condition de licence :
 

1. Oblige les EDR qui veulent distribuer Al-Jazira

 

a) à conserver et à fournir un enregistrement audiovisuel clair et intelligible de toutes les émissions d'Al-Jazira distribuées par leur entreprise pendant une période de :

 

i) quatre semaines après la date de diffusion de l'émission;

 

ii) huit semaines après la date de diffusion de l'émission si le Conseil reçoit une plainte pour propos offensant d'une personne ayant regardé l'émission ou souhaitant pour toute autre raison enquêter sur une programmation offensante et ayant avertit la titulaire avant la fin de la période mentionnée à l'alinéa i);

 

b) à ne pas distribuer dans le cadre de la programmation d'Al-Jazira des propos offensants ou des images offensantes qui, pris dans leur contexte, risque d'exposer une personne, un groupe ou une classe de personnes à la haine ou au mépris pour des motifs fondés sur la race, l'origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, le sexe ou l'orientation sexuelle, l'âge ou une déficience physique ou mentale.

 

2. Autorise les EDR qui distribuent Al-Jazira à modifier ou à retirer le service en cours de distribution uniquement en vue de se conformer à l'obligation 1b) ci-dessus.

  Secrétaire général
  Ce document est disponible, sur demande, en média substitut et peut également être consulté sur le site Internet suivant : http://www.crtc.gc.ca.

 

Annexe à l'avis public de radiodiffusion CRTC 2004-51

 

Exemples de déclarations1 diffusées sur Al-Jazira, déposés par les parties ayant présenté des mémoires

  Faisal Al-Qassam (animateur d'une émission de tribune téléphonique hebdomadaire de deux heures, The Opposite Direction), lors d'une discussion, le 15 mai 2001, sur le thème, « Le sionisme est-il pire que le nazisme? » décide de lire en ondes le courriel d'un téléspectateur parlant des juifs comme « les fils de Sion, que notre Seigneur a décrit comme les fils des singes et des cochons ».
  Dans la même émission, Faisal Al-Qassam lit le courriel d'un autre téléspectateur qui déclare que « Dieu. ne reculera pas tant qu'il n'y aura un véritable holocauste pour exterminer du même coup tous [les juifs] ... ».
 

- CJC

 

- JWIC

 

- Global

  Le 22 janvier 2002, l'animateur de l'émission, Faisal Al-Qassam, se demande si Oussama ben Laden a été une bonne ou une mauvaise chose pour l'islam. Un religieux saoudien, convaincu de la première hypothèse, décrit les juifs comme « les personnes les plus méprisables . des vers de terre . foncièrement mauvaises », rejetant sur les juifs le blâme des attaques du 11 septembre et invitant les États-Unis à « se débarrasser d'eux ».
 

- B'nai Brith

  Faisal Al-Kassam, animateur de l'une des émissions les plus populaires, The Opposite Direction, une tribune téléphonique hebdomadaire, diffuse les propos d'un religieux saoudien à la suite du 11 septembre qui, apparemment, « attribue la responsabilité des attaques non pas à Al-Quaeda, mais à l'hypocrisie et au mal juifs », ajoutant « nous avions prévenu les É.-U. et leur avions conseillé de se débarrasser des juifs ».
 

- Global

  Abdallah Bib Matruk Al-Haddal, religieux saoudien, déclare le 22 janvier 2002 à l'émission The Opposite Direction que les É.-U. devraient « se débarrasser » des juifs.
 

- CJC

  Toujours à cette émission, Abdallah Bib Matruk Al-Haddal affirme « je crois que [le 11 septembre] a été ... la suite d'une ancienne attaque. C'est le prolongement de la tromperie juive et de la cruauté juive-sioniste ... Les empreintes juives ont infiltré les É.-U. qui ont été attaqués par la tromperie et le mal juifs. »
 

- CJC

  Malik Al-Teriki, animateur de l'émission Issues of the Hour, commente en ondes « la très forte possibilité que les Israéliens aient su avant tout le monde qui était derrière les attaques du 11 septembre et qu'ils n'en aient pas moins décidé de ne pas en informer leurs alliés américains. »
 

- CJC

  Le 24 octobre 2000, le mufti de l'Armée de libération palestinienne, cheikh Col Nader Al-Tamini, affirme au cours au cours d'un débat télévisé que « il ne peut y avoir de paix avec les juifs parce qu'ils sucent et utilisent le sang des Arabes pendant les vacances de Pessah et Pourim ».
 

- JWIC

 

- B'Nai Brith

  Oussama ben Laden annonce, dans un prêche diffusé en mars 2003 : « Laissez-moi vous dire qui sont les juifs. Les juifs ont menti à propos du Créateur, et encore plus à propos de Ses créations. Les juifs sont les assassins des prophètes, ils violent les ententes, ils sont ceux dont Allah a dit 'chaque fois qu'ils font une promesse sous serment, il y a en a qui les violent ; la plupart d'entre eux sont des incroyants'. Voilà les juifs : des usuriers et des fornicateurs. Ils ne vous laisseront rien, ni ce monde, ni la religion. Allah a dit d'eux : 'Auront-ils une part du royaume, eux qui ne seraient pas capables de donner aux hommes même le creux d'un noyau de datte'. Voilà qui sont les juifs, eux qui, conformément à leur religion, croient que les êtres humains sont leurs esclaves et que ceux qui refusent [de reconnaître cela] devaient être mis à mort... »
 

- CJC

  Ayman Al-Zawahiri déclare, dans une bande diffusée le 21 mai 2003 : « Vengez-vous de vos ennemis, des Américains et des juifs », et « Les croisés et les juifs ne comprennent que l'assassinat et le sang ».
 

- CJC

  Cheikh Yosef al-Karudari, influent religieux musulman, anime aussi une émission hebdomadaire sur Al-Jazira, Sharia and Life. Il « béni[t] les martyrs palestiniens poseurs de bombes et justifie l'assassinat de civils israéliens, même celui des femmes et des enfants. Tout homme a le droit de se faire sauter dans cette société militaire ».
 

- Global

  Cheikh Yousif Al-Karadawi, animateur d'une émission hebdomadaire qui est, au dire de beaucoup, la plus populaire de toutes, Sharia and Life, décrit les attaques suicides à la bombe des Palestiniens comme « la forme suprême du Djihad ... et une sorte de terrorisme autorisée par la charia [loi musulmane] », ajoutant que « l'expression 'opération suicide' est fausse et tendancieuse parce qu'il s'agit des actes héroïques du martyre ... le moudjahid [combattant] devient une 'bombe humaine' qui explose en un lieu et à une heure précise, au milieu des ennemis d'Allah et sur notre territoire, les laissant sans défense... ».
 

- CJC

  Faisal Al-Qassam, animateur de la tribune téléphonique The Opposite Direction, a déclaré le 10 juillet 2001 que « le Hezbollah est un mot superbe et puissant qui a réussi, comme beaucoup l'ont dit, à expulser les sionistes du sud [du Liban] comme des chiens - toutes mes excuses aux chiens. »
 

- CJC

  Cheikh Suleiman Abu Gheith, porte-parole d'Al-Quaeda, téléphone le 10 juillet 2001 à The Opposite Direction  et déclare que « les marchands musulmans doivent supporter financièrement le djihad contre les juifs et les chrétiens ».
 

- CJC

  Dans un entretien avec la SRC, Azman Al-Kamini, animateur remplaçant de l'émission Sharia and Life, aurait dit que cheik Al-Karadawi, l'animateur régulier, « n'incite » personne à se suicider à la bombe, mais « motive les gens à faire le sacrifice de leur vie pour une noble cause ».
 

- CJC

- Global

  Dans une entrevue avec Al-Jazira datant de 1998, Oussama ben Laden a appelé son groupe de coordination terroriste le « front international islamiste voué à la lutte des juifs et à la croisade » et ajouté « nous prions Dieu de lui accorder la victoire et de prendre sa revanche sur les juifs et les Américains ».
 

- CJC

  Dans une lettre lue en ondes le 23 septembre 2001, Oussama ben Laden déclare : « Nous espérons que ces frères [musulmans] sont les premiers martyres de la guerre de l'islam de notre époque. La nouvelle croisade des juifs est menée par le plus grand croisé, Bush, sous la bannière de la croix » et « qu'ils détruiront la nouvelle croisade des juifs sur le sol du Pakistan et de l'Afghanistan ».
 

- CJC

  Dans une bande diffusée le 11 février 2003, Oussama ben Laden appelle les musulmans à repousser toute attaque sur l'Irak et s'appuie sur une sourate du Coran : « Ne prenez pas pour amis les juifs et les chrétiens [.] Qui les prend pour amis sera des leurs ».
 

- CJC

  Le Français Robert Faurisson, négateur de l'Holocauste, déclare au téléphone lors d'un entretien diffusé le 15 mai 2001 à l'émission The Opposite Direction que « nous avons prouvé et nous continuons à prouver que l'Holocauste ou le massacre de juifs n'a jamais existé, qu'il n'y a pas eu de chambres à gaz pour les juifs et que ce chiffre de 6 millions est exagéré . le plus grand mensonge des XXe et XXIe siècles, le mensonge de l'Holocauste. »
 

- CJC

  Ibrahim Alloush téléphone pendant ce même épisode de The Opposite Direction et affirme que « le mythe de l'Holocauste a trois aspects. Premièrement, le mensonge de l'extermination des juifs; deuxièmement, le mensonge de l'assassinat de six millions de juifs pendant la Seconde Guerre mondiale; troisièmement, le mensonge des chambres à gaz qui sont les endroits où les juifs sont censés avoir été exterminés; si nous prouvons que les chambres à gaz n'ont jamais existé, comme les historiens l'ont fait, le mythe complet de l'Holocauste s'effondrera ».
 

- CJC

  Notes de bas de page :

1 D'après les données d'un recensement de 1996 de Statistique Canada. Selon les statistiques fournies par les parrains, il y aurait 300 000 à 350 000 Libanais et 100 000 Arabes non libanais au Canada et, d'après le recensement de 1991, 253 260 personnes au Canada de confession islamique.

2 Dans Prorogation de la date limite pour la soumission des répliques, avis public de radiodiffusion CRTC 2003-36-1, 16 juillet 2003, le Conseil a indiqué que les parrains avaient jusqu'au 15 septembre 2003 pour répondre aux observations.

3 Plusieurs parties s'opposant à la demande ont donné des exemples présumés d'anciennes diffusions. Certains sont présentés en annexe de cet avis.

4 Ces dommages ont été reconnus par la Cour suprême du Canada : R. c. Keegstra, [1990] 3 R.C.S. 697 et Canada (Commission des droits de la personne) c. Taylor, [1990] 3 R.C.S. 892.

5 Ibid.

1 Toutes les déclarations sont des traductions des déclarations reçues en langue anglaise.

Mise à jour : 2004-07-15

Date de modification :