Télécom - Lettre du Conseil adressée à Dennis Béland (Québecor Média inc.) et Philippe Gauvin (Cablevision du Nord de Québec inc.)

Ottawa, le 10 décembre 2020

Nos références : 8622-V3-202005511

PAR COURRIEL

Monsieur Dennis Béland
Vice-président, Affaires réglementaires
Télécommunications, Québecor Média Inc.
612, rue St-Jacques, 15e étage
Montréal (Québec)  H3C 4M8
regaffairs@quebecor.com

Monsieur Philippe Gauvin
Chef adjoint, Services juridiques
Cablevision du Nord de Québec inc.
160, rue Elgin, 19e étage
Ottawa (Ontario)  K2P 2C4
bell.regulatory@bell.ca

Objet : Demande de Vidéotron concernant le traitement des commandes AITP par Cablevision

Le 1er septembre 2020, conformément à la partie 1 des Règles de pratique et de procédure du CRTC, Québecor Média, au nom de sa filiale Vidéotron (Vidéotron), a soumis une demande concernant le refus de Cablevision du Nord du Québec inc. (Cablevision) de traiter à l’intérieur d’un certain délai toutes les commandes de service d’accès Internet aux tierces parties (AITP) ainsi que les commandes d’ajout de capacité d’interconnexion AITP de Vidéotron en Abitibi-Témiscamingue. Les parties se sont depuis entendues concernant le deuxième enjeu, soit l’ajout de capacité d’interconnexion.

Vidéotron soumet que le refus de Cablevision de se doter du personnel nécessaire pour traiter ses commandes de service d’accès constitue une violation flagrante du Tarif général AITP de Cablevision (tarif AITP) ainsi que de l’article 27(2) de la Loi sur les télécommunications (la Loi). Vidéotron indique qu’à peine un mois après le lancement de ses services, elle se retrouvait déjà avec une importante liste d’attente et a dû cesser ses activités de marketing dans la région.

À la lumière de la situation présentée, le Conseil se prononce sur les enjeux suivants :

  1. Est-ce que la réponse de Cablevision concernant le traitement des commandes pour Vidéotron constitue une violation de son tarif AITP ou de l’article 27(2) de la Loi ?
  2. Quelle serait une capacité appropriée pour le traitement par Cablevision des commandes de service AITP de Vidéotron ?
  3. Est-ce que le Conseil devrait ordonner à Cablevision de respecter le rapport de conception et de coût concernant la capacité d’interconnexion ?
  4. Est-ce qu’un refus de Cablevision de se conformer à la décision émise à la suite de la présente instance entraînera l’imposition d’une sanction administrative pécuniaire en vertu de l’article 72.001 de la Loi ?

Outre Vidéotron et Cablevision, les Opérateurs des réseaux concurrentiels Canadiens (ORCC) et Teksavvy Solutions Inc. (Teksavvy) ont soumis des interventions.

Position des parties

Vidéotron

Vidéotron indique que lors du lancement de ses services dans la région de l’Abitibi-Témiscamingue le 4 août 2020, elle avait avisé Cablevision qu’elle aurait besoin d’une capacité de traitement de ses commandes bien supérieure à celle qu’elle avait communiquée précédemment. En raison du refus de Cablevision d’accroître en conséquence sa capacité de traitement des commandes pour Vidéotron, cette dernière se voit maintenant contrainte d’indiquer aux clients potentiels que l’installation ne pourra être effectuée qu’avant plusieurs mois.

Vidéotron convient que Cablevision avait droit à une période raisonnable pour augmenter sa capacité de traitement de commandes. Cependant, pendant la période qui s’est écoulée entre le lancement de Vidéotron et le dépôt de sa demande au Conseil, tout indique que Cablevision n’a fait aucun effort pour répondre à l’augmentation des commandes.

Vidéotron affirme que l’obligation de répondre à la demande d’un service réglementé n’est pas à la discrétion de Cablevision. Il n’y a rien dans le Tarif AITP ni dans son entente de service AITP qui donne à Cablevision le droit de refuser d’accepter des commandes parce que cela faciliterait sa gestion du personnel interne ou lui permettrait de protéger son monopole local.

Vidéotron affirme que l’effort requis de Cablevision pour répondre à l’augmentation des commandes est simple et que plusieurs stratégies s’offrent à elle. Vidéotron indique qu’elle a même proposé à Cablevision de négocier une entente hors tarif afin de l’aider à augmenter plus rapidement sa capacité de traitement des commandes, une offre qui a été refusée.

Cablevision

Cablevision indique que Vidéotron lui a fourni, en date du 20 mars, 21 mai, et 17 juillet 2020, des prévisions de commandes AITP avec des volumes largement identiques, si ce n’est qu’elles étaient reportées de quelques mois. Cablevision a alors engagé et formé de nouveaux employés lui permettant de répondre à ces prévisions initiales de Vidéotron. Ce n’est qu’au moment du lancement des services de Vidéotron que ses prévisions ont grimpé en flèche, alors qu’elle avisait Cablevision qu’elle prévoyait un total de commandes beaucoup plus élevé que les prévisions faites deux semaines plus tôt pour la même période, et avec un pic de demande pendant un mois, pour ensuite se mettre à redescendre graduellement.

Cablevision indique qu’il est inconcevable de penser qu’elle aurait pu absorber un tel bouleversement immédiatement, et que Vidéotron cherche à la blâmer pour ses propres erreurs. Elle indique que Vidéotron ne lui a toujours pas fourni de prévisions pour toute la durée du service, conformément à l’article 200.3(f) du tarif AITP, ce qui l’empêche de bien planifier ses ressources à long terme, et qu’elle a révisé ses prévisions avec moins d’un trimestre d’avis.

Cablevision indique que malgré ces lacunes de Vidéotron, elle a de bonne foi entamé un processus à court et à moyen terme pour augmenter sa capacité à traiter les commandes de Vidéotron. Il est donc clairement faux qu’elle ne fait rien pour répondre aux besoins de Vidéotron. Au contraire, elle a mis en place un processus qui lui permettra de répondre, de façon raisonnable et réaliste, aux besoins de Vidéotron et des autres fournisseurs dans la région.

Cablevision indique qu’il ne lui est pas possible d’augmenter encore plus rapidement sa cadence dû au fait que le processus d’embauche, de formation et de rodage demande six semaines. Cablevision opère dans un petit marché et les augmentations demandées représentent un niveau temporaire et injustifiable selon les prévisions de Vidéotron.

ORCC et TekSavvy

ORCC fait valoir que le fait qu’un grand fournisseur AITP comme Vidéotron ait lui-même des difficultés en tant que concurrent permet de comprendre la situation à laquelle sont confrontés les petits concurrents, y compris face à Vidéotron. ORCC déplore le peu de progrès récent sur la question de la qualité du service et estime que le Conseil devrait ajouter cette question à l’examen à venir des services filaires de gros et d’interconnexion. TekSavvy, quant à elle, soutient la demande de Vidéotron mais estime que Cablevision devrait être tenue de respecter ses obligations à l’avenir et devrait être pénalisée pour ses violations passées.

Réplique de Vidéotron

Vidéotron soumet que les efforts promis par Cablevision demeurent nettement insuffisants puisque son arriéré de clients en attente ne serait pas éliminé avant plusieurs mois, sans tenir compte des nouvelles commandes de service qui continuent de s’accumuler. Elle indique que sa capacité à produire des prévisions à long terme est directement tributaire du présent différend puisque la décision du Conseil va notamment déterminer à quel moment elle pourra reprendre ses activités de marketing dans la région. Selon elle, toute entreprise de communications doit régulièrement redéployer des ressources humaines en réponse à une évolution de la demande.

Résultats de l’analyse du Conseil

I. Violation du tarif AITP ou de l’article 27(2) de la Loi

Article 27(2) Note de bas de page1

Peu après son lancement en Abitibi-Témiscamingue, Vidéotron s’est vue forcer d’interrompre ses activités promotionnelles et repenser ses plans de croissance, ce qui a pour effet de priver les résidents et petites entreprises de la région des bénéfices d’une véritable concurrence en matière de services de télécommunication. Les agissements et omissions de Cablevision résultent donc en une forme de discrimination envers Vidéotron et ses usagers potentiels en attente de branchement. En effet, en raison des actions de Cablevision pendant la période visée par la demande de Vidéotron, certains des clients de Cablevision ont pu changer de fournisseur avec succès, alors que de nombreux autres n’ont pas été en mesure de le faire.

Le Conseil note que cette situation peut être frustrante pour Vidéotron et pour les usagers en attente alors que Vidéotron tente de s’implanter dans un nouveau marché dans lequel la demande est plus forte que prévu. Il appert également que Cablevision résiste à augmenter davantage sa capacité de traitement des commandes sur la base de prévisions qui atteignent un pic pendant un mois pour ensuite se mettre à redescendre. Bien que selon Vidéotron, l’effort requis de Cablevision est simple et plusieurs stratégies sont à sa disposition, le Conseil considère que Cablevision opère dans un marché relativement petit et il lui faut un certain temps pour s’ajuster.

Le Conseil considère que bien que le comportement de Cablevision constitue de la discrimination au sens de l’article 27(2) de la Loi, Cablevision a réussi à démontrer que cette discrimination n’est pas injuste. Cette dernière a pris les mesures nécessaires pour répondre aux prévisions initiales de Vidéotron, a continué à augmenter son rythme de traitement des commandes considérant la hausse substantielle des commandes dans les circonstances, a fait des changements à son portail web, et a soumis à Vidéotron une proposition que cette dernière a par la suite acceptée concernant l’ajout de la capacité d’interconnexion.

Tarif AITP

En ce qui a trait aux modalités du tarif AITP pertinentes au traitement de la présente instance :

Ainsi, les circonstances de la présente instance ne permettent pas d’établir que Cablevision a agi en violation de son tarif AITP. Cependant, comme énoncé dans la décision de télécom 2019-423Note de bas de page3,  Cablevision est tenue de fournir son service AITP à tout concurrent ayant un intérêt réel pour ce service. De plus, son tarif stipule qu’elle offre son service AITP là où elle offre ses services d’accès Internet à ses propres usagers finaux. Ainsi, elle se doit d’être en mesure de répondre aux besoins réels en matière d’AITP de ses concurrents en se fiant aux meilleures prévisions que ces derniers sont en mesure de lui faire en temps opportun, toujours conformément aux dispositions du tarif AITP, et confirmées par le nombre réel de nouveaux abonnés.

Conclusion

Le Conseil conclut donc que par ses agissements et omissions, Cablevision a exercé une discrimination à l’endroit de son concurrent Vidéotron et des usagers potentiels, mais que cette discrimination n’est pas injuste. Le Conseil conclut également que Cablevision n’a pas contrevenu à son tarif AITP.
II. Capacité appropriée de traitement des commandes de service AITP de Vidéotron

Vidéotron demande au Conseil d’ordonner à Cablevision d’augmenter sa capacité de traitement des commandes à un certain niveau à partir du 1er novembre 2020. Cablevision propose plutôt d’atteindre un niveau qu’elle juge plus raisonnable à partir de novembre et de maintenir ce rythme jusqu’en juin 2021.

En admettant que l’engouement de la population quant à la présence d’un nouveau concurrent soit tel que Vidéotron l’affirme, l’approche proposée par Cablevision pourrait avoir pour effet de limiter ou de plafonner pendant certains mois la capacité de Vidéotron de répondre à la demande. Cette dernière se verrait alors dans la fâcheuse position, particulièrement pour un concurrent qui cherche à s’établir dans un nouveau marché, de devoir sans cesse réajuster ses activités promotionnelles et expliquer les délais à ses abonnés potentiels. De plus, il lui serait difficile d’éliminer son arriéré de commandes de manière à préserver sa réputation auprès de ses abonnés potentiels.

Il semble peu pratique pour les parties que le Conseil ordonne un niveau de traitement de commandes précis qui pourrait s’avérer trop bas pendant certains mois (et contribuer à ajouter à l’arriéré de commandes de Vidéotron) et trop élevé pendant d’autres mois (et obliger Cablevision à former et maintenir des ressources qui pourraient s’avérer non nécessaires). En réalité, le Conseil considère qu’il s’agit plutôt d’une question qui demande une collaboration accrue entre Vidéotron et Cablevision, afin qu’elles s’échangent des prévisions et autres données nécessaires dans des délais raisonnables pour déterminer un rythme de traitement approprié.

En raison de ce qui précède et bien que le dossier ne fait pas état d’une discrimination injuste ou d’une violation du tarif AITP, le Conseil s’attend, conformément à ce même tarif et à défaut d’une entente entre les parties, à ce que :

III. Ordonnance concernant la capacité d’interconnexion

Le dossier public reflète que les parties se sont entendues sur l’enjeu de l’ajout de capacité d’interconnexion. Le Conseil s’attend à ce que les parties respectent leurs engagements respectifs dans le cadre de toute entente conclue entre elles en lien avec les enjeux de cette instance.

IV. Sanction administrative pécuniaire

À la lumière des conclusions ci-dessus selon lesquelles il n’y a pas eu de discrimination injuste ou de violation de son tarif AITP de la part de Cablevision, la présente instance n’en est pas une pour laquelle il serait approprié d’imposer des sanctions administratives pécuniaires en vertu de la Loi.

Instructions

Pour parvenir à ses conclusions, le Conseil a tenu compte des Instructions de 2006Note de bas de page4 et de 2019Note de bas de page5.

Les Instructions de 2006 exigent que le Conseil s’appuie sur le libre jeu du marché dans toute la mesure du possible et qu’il réglemente, là où il est encore nécessaire de le faire, de façon à ne faire obstacle au libre jeu du marché que dans la mesure minimale nécessaire pour atteindre les objectifs stratégiques de la Loi. Elles exigent également que le Conseil précise, lorsqu’il a recours à des mesures réglementaires, l’objectif de ces mesures. Les conclusions ci-dessus favorisent la réalisation des objectifs stratégiques énoncés aux alinéas 7a), 7b), 7c), 7f) et 7h) de la Loi. De plus, elles s’appuient sur le libre jeu du marché dans toute la mesure du possible en formulant quelques attentes afin que les parties respectent les termes du tarif AITP ou de toute entente conclue entre elles, et collaborent davantage avec l’objectif de répondre aux besoins de la population de l’Abitibi-Témiscamingue qui souhaite bénéficier de la concurrence dans le marché des télécommunications.

Quant à elles, les Instructions de 2019 précisent que dans l’exercice des pouvoirs et fonctions que lui confère la Loi, le Conseil devrait examiner comment ses décisions peuvent promouvoir la concurrence, l’abordabilité, les intérêts des consommateurs et l’innovation. Le Conseil juge que les attentes émises dans la présente décision sont conformes aux Instructions, notamment en ce qui concerne les alinéas (i), (iii), (iv), (v), et (vi). Par exemple, les déterminations ci-dessus visent à faire respecter le tarif AITP de Cablevision et toute entente conclue entre les parties. La décision du Conseil vise par ailleurs à favoriser davantage de collaboration dans la fourniture de services de télécommunication de gros, de manière à permettre aux consommateurs de la région de l’Abitibi-Témiscamingue de bénéficier des avantages d’une saine concurrence entre les fournisseurs et avoir accès à des services concurrentiels, abordables et de haute qualité.

Conclusion

Le Conseil note qu’il aurait été plus approprié de traiter les questions soulevées dans la présente demande dans le cadre de négociations entre les parties, au cours desquelles celles-ci auraient pu résoudre leur différend de façon bilatérale et faire appel au service de résolution des différends assistée par le personnel si nécessaire. La question au cœur de ce litige en est une qui demande une collaboration accrue entre les différentes équipes de Vidéotron et de Cablevision, au service de la population de l’Abitibi-Témiscamingue, et le Conseil s’attend à ce que les parties travaillent davantage ensemble en ce sens dans le futur.

L’original signé par

Claude Doucet
Secrétaire général

c. c. Opérateurs de réseaux concurrentiels canadiens, regulatory@cnoc.ca
TekSavvy Solutions Inc., regulatory@teksavvy.ca

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