Décision de télécom CRTC 2019-277

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Référence : 2019-57

Ottawa, le 2 août 2019

Dossier public : 1011-NOC2019-0057

Examen des services sans fil mobiles – Divulgation de renseignements désignés comme confidentiels au commissaire de la concurrence

Le Conseil ordonne aux parties de divulguer au commissaire de la concurrence (le commissaire) certains renseignements déposés à titre confidentiel au dossier de l’instance d’examen des services sans fil mobiles. Les renseignements qui doivent être divulgués comprennent toutes les répliques déposées à titre confidentiel relativement aux demandes de renseignements du Conseil datées du 24 mai 2019, à l’exception des copies des ententes de partage de réseau. Les parties doivent divulguer ces renseignements au commissaire au plus tard le 9 août 2019.

Contexte

  1. Le Conseil a publié Examen des services sans fil mobiles, avis de consultation de télécom CRTC 2019-57, 28 février 2019 pour examiner trois domaines clés : la concurrence sur le marché de détail, le cadre réglementaire actuel des services sans fil mobiles de gros, avec un accent sur l’accès des exploitants de réseaux mobiles virtuels (ERMV) des services de gros à ce marché, et l’avenir des services sans fil mobiles au Canada, avec un accent sur la réduction des obstacles au déploiement de l’infrastructure.
  2. Le commissaire de la concurrence (le commissaire) participe à cette instance en tant qu’intervenant, conformément à son mandat en vertu de la Loi sur la concurrence, pour présenter ses observations concernant la concurrence aux offices et tribunaux fédéraux.
  3. Le 16 décembre 2014, la Loi sur les télécommunications (Loi) a été modifiée pour inclure une nouvelle disposition relative à la divulgation des renseignements désignés comme confidentiels (renseignements désignés) au commissaire au cours d’une instance du Conseil. Plus précisément, le paragraphe 39(4) se lit comme suit :
    • (4) Dans le cas de renseignements désignés comme confidentiels fournis dans le cadre d’une affaire dont il est saisi, le Conseil peut :
      • b) en effectuer ou en exiger la communication au commissaire de la concurrence si ce dernier en fait la demande, s’il est d’avis qu’ils concernent des questions de concurrence soulevées dans le cadre de l’affaire.
  1. Conformément à cette disposition, le commissaire a demandé qu’on lui divulgue certains renseignements désignésNote de bas de page 1. Les renseignements en question ont été déposés par plusieurs entreprises de services sans fil en réponse aux demandes de renseignements publiées par le Conseil le 24 mai 2019 et ils couvrent un éventail de questions liées au marché (p. ex. prix, plans, promotions, nombre d’abonnés, investissements dans les réseaux, revenus et dépenses).

Positions des parties

  1. Le commissaire a indiqué qu’il entend utiliser les renseignements désignés pour effectuer plusieurs études économiques, y compris une étude événementielle, une analyse transversale et un modèle structurel, afin d’évaluer la compétitivité du marché des services sans-fil mobilesNote de bas de page 2. Il a l’intention de déposer ces études au dossier au cours de la prochaine phase d’intervention afin d’aider le Conseil à prendre ses décisions. Le commissaire a affirmé que les observations qu’il prévoit déposer permettront au Conseil de comprendre la concurrence sur les marchés des services sans fil canadiens dans le passé et à l’heure actuelle, en vue d’évaluer les mesures réglementaires qui pourraient être justifiées et les répercussions découlant des différents cadres du marché de gros, y compris ceux qui régissent l’accès des ERMV et le partage des installations.
  2. Dans l’ensemble, les parties n’ont pas contesté la pertinence de la plupart des renseignements demandés par le commissaire en ce qui concerne les questions de concurrence. Toutefois, Bell Mobilité inc. (Bell Mobilité), SSi Micro Ltd. et TELUS Communications Inc. (TCI) se sont opposées à la divulgation de certaines réponses confidentielles aux demandes de renseignements au motif que i) ces renseignements ne sont pas strictement nécessaires aux fins des études particulières que le commissaire affirme vouloir mener dans le cadre de cette audience, ou que ii) le commissaire n’a pas justifié sa pertinence à cet égard. Par exemple, ces parties ont soutenu, entre autres, que les renseignements concernant le spectre inutilisé, les renseignements ou les ententes de partage de réseau, et les renseignements concernant les dépenses en immobilisations ne sont pas pertinents pour les études du commissaire. Bell Mobilité, en particulier, a également fait valoir que les renseignements sur les prévisions n’étaient pas pertinents et que, par conséquent, ils ne seraient pas nécessaires.
  3. Bell Mobilité, Rogers Communications Canada Inc. (RCCI), TCI et Vidéotron ltée (Vidéotron) ont soulevé des préoccupations à propos de la divulgation au commissaire des renseignements confidentiels fournis en réponse à la demande de renseignements CRTC-206. Ces parties se sont principalement opposées à la divulgation de copies de leurs ententes de partage de réseau. Elles ont soutenu que ces ententes font partie des documents les plus délicats et les plus sécurisés qu’elles possèdent et que l’accès à ces documents n’apporterait aucune valeur aux études économiques que le commissaire entend réaliser, compte tenu de leur nature hautement technique.
  4. TCI s’est dite préoccupée par la divulgation de renseignements confidentiels dans les situations où le niveau de renseignements fournis par les diverses parties pourrait avoir varié considérablement, car le recours à ces renseignements entraînerait une étude de la concurrence sur le marché dont les conclusions seraient inexactes. De son côté, le commissaire a indiqué qu’il – et, par extension, l’organisme qu’il dirige, à savoir le Bureau de la concurrence – possède une vaste expérience en ce qui concerne l’harmonisation de plusieurs ensembles de données provenant de différentes entreprises.
  5. TCI a également exprimé des préoccupations concernant la communication de renseignements confidentiels à de tiers experts externes que le commissaire a indiqué qu’il engagerait pour l’aider à effectuer ses études prévues. Plusieurs parties ont demandé l’imposition de mesures pour garantir que le commissaire n’utilisera les renseignements confidentiels qui lui ont été divulgués que pour participer à la présente instance.
  6. Enfin, tout au long du processus lié à la demande du commissaire, plusieurs entreprises ont soulevé des préoccupations au sujet de l’équité procédurale et ont demandé au Conseil de modifier les étapes procédurales et les dates de l’instance afin de répondre à ces préoccupations. Ces parties ont généralement demandé la possibilité d’obtenir des renseignements supplémentaires du commissaire sur ses rapports, puis de déposer des plaidoyers en réplique, y compris leurs propres rapports. Certaines parties ont indiqué que l’audience orale devrait être reportée jusqu’après la date limite en raison de la soumission de ces contre-rapports. Bell Mobilité a soutenu que le Conseil ne peut pas se prononcer sur la divulgation sans régler simultanément la question de l’équité procédurale.

Résultats de l’analyse du Conseil

  1. Deux conditions doivent être réunies pour que le Conseil puisse exercer son pouvoir discrétionnaire afin de déterminer si la divulgation est appropriée dans le cas présent.
  2. Premièrement, le commissaire doit demander les renseignements, ce qu’il a fait. Outre sa demande générale, formulée dans une lettre datée du 8 mars 2019 et réitérée dans une lettre datée du 6 mai 2019, il a soumis, le 2 juillet 2019, une liste complète des demandes de renseignements particulières dont il souhaite obtenir la divulgation. Il a confirmé explicitement que cette demande englobe tous les renseignements soumis à titre confidentiel en réponse aux demandes de renseignements du Conseil du 24 mai 2019.
  3. Deuxièmement, le Conseil doit déterminer si les renseignements demandés sont pertinents en ce qui concerne les questions de concurrence examinées dans le cadre de l’instance. Dans le cas présent, les renseignements qui font l’objet de la demande de divulgation couvrent une variété de domaines :
    • la détention, les licences d’utilisation et l’utilisation du spectre;
    • les forfaits, y compris les abonnés, les revenus et l’utilisation des données;
    • les promotions de détail;
    • le changement des prix au fil du temps;
    • les revenus et les dépenses des services de détail et des services de gros (historiques et prévus);
    • le nombre de tours et de sites;
    • les dépenses en immobilisations (historiques et prévues);
    • le partage de réseau;
    • l’activité de l’ERMV;
    • le revenu moyen par utilisateur et le bénéfice avant intérêts, impôts, dépréciation et amortissement (BAIIDA) au fil du temps;
    • l’échange, le taux de résiliation et la conservation;
    • l’utilisation excédentaire des données;
    • l’utilisation des données sur les clients;
    • les réseaux de distribution de ventes.
  1. En ce qui a trait aux arguments des parties selon lesquels les renseignements demandés ne sont pas nécessaires dans le cadre des études que le commissaire a l’intention d’entreprendre, le Conseil estime que l’exigence énoncée dans la Loi est d’une portée plus large que celle que les parties ont caractérisée : les renseignements doivent simplement être pertinents pour les questions de concurrence soulevées dans le cadre de l’affaire. S’ils sont pertinents et si le Conseil choisit de les divulguer, il appartient au commissaire de décider dans quelle mesure il peut les utiliser et les utilisera dans son analyse.
  2. Pour ce qui est de savoir si les renseignements sont pertinents, le Conseil est d’avis que tous les renseignements demandés sont manifestement très pertinents aux questions de concurrence examinées dans le cadre de la présente instance. Les domaines susmentionnés sont évidents à cet égard, car ils se rapportent aux questions clés de la politique de la concurrence, y compris les activités de vente au détail et en gros, le rendement financier, la couverture et l’expansion du réseau, et les barrières à l’entrée. Ces renseignements sont importants pour comprendre la dynamique du marché, définir les marchés de produits pertinents et les marchés géographiques pertinents, évaluer le degré de concurrence et l’existence d’un pouvoir de marché et, en fin de compte, déterminer les mesures réglementaires, le cas échéant, qui seraient appropriées pour améliorer la concurrence.
  3. Toutefois, la Loi stipule expressément que le Conseil « peut » effectuer ou exiger la communication de renseignements désignés comme confidentiels. Afin d’exercer son pouvoir discrétionnaire et de prendre une décision à cet égard, le Conseil évaluera les avantages découlant de la divulgation par rapport aux risques connexes.
  4. L’avantage le plus pertinent à prendre en considération dans ce cas particulier est de savoir si la divulgation des renseignements au commissaire donnerait lieu à un dossier plus complet. Selon le Conseil, ce serait le cas : le commissaire offre une analyse approfondie des questions économiques et de concurrence pertinentes en tant qu’expert nommé par le gouvernement fédéral dans ces domaines et appuyé par un organisme spécialisé. Les études que le commissaire propose de mener pourraient apporter une importante valeur ajoutée au dossier, car elles tenteront d’expliquer les développements précédents et évalueront les mesures qui pourraient être appropriées à l’avenir en fonction de l’historique des données et des données prévisionnelles fournies par les entreprises de services sans fil elles-mêmes.
  5. De plus, même si les renseignements précis en question n’étaient pas directement pertinents aux rapports proposés par le commissaire, comme certaines parties l’ont fait valoir, il ne s’ensuit pas nécessairement que les observations du commissaire seront limitées à ces rapports. Il conviendrait plutôt qu’il cherche à maximiser la valeur de ses contributions. Le fait de restreindre la divulgation à la quantité minimale de renseignements nécessaires pour les rapports prévus ne serait pas conforme à cette intention.
  6. En revanche, les avantages de divulguer les ententes de partage de réseau au commissaire ne sont pas évidents. Dans ses demandes de renseignements publiées le 24 mai 2019, le Conseil a demandé aux entreprises de décrire les ententes de partage de réseau qu’elles ont conclues avec d’autres entreprises et de déposer des copies de toutes les ententes connexes au dossier. Les parties ont déposé certains des renseignements descriptifs publiquement et d’autres à titre confidentiel, tandis que les ententes de partage de réseau en tant que telles ont toutes été déposées à titre confidentiel. Comme il est indiqué ci-dessus, plusieurs entreprises ont soulevé des préoccupations au sujet de la divulgation de ces ententes au commissaire.
  7. Bien que le sujet et les renseignements particuliers déposés en réponse aux demandes de renseignements soient pertinents, le Conseil n’estime pas que la divulgation des ententes de partage de réseau elles-mêmes puisse véritablement éclairer une étude économique ou contribuer à une meilleure compréhension du degré de concurrence du marché des services sans-fil mobiles, compte tenu de leur nature hautement technique. Le Conseil reconnaît également que ces ententes contiennent des renseignements commerciaux et sur le réseau de nature très délicate que les entreprises hésitent à divulguer, à juste titre, à moins que ce ne soit absolument nécessaire. Pour ces raisons, le Conseil est d’avis que l’exigence de divulguer des ententes de partage de réseau n’apporterait que des avantages très limités liés au dossier de l’instance.
  8. En ce qui concerne les risques, à l’exception de la divulgation des ententes de partage de réseau, le Conseil estime que la divulgation présente peu de risques. Contrairement à un processus dans le cadre duquel une décision est prise au sujet de la divulgation publique de renseignements confidentiels, la divulgation sélective au commissaire ne soulève pas les mêmes préoccupations concernant une partie qui subirait un préjudice parce que ses renseignements de nature délicate sont rendus largement accessibles (y compris aux concurrents commerciaux éventuels). Le dénouement de l’instance ne revêt aucun intérêt financier pour le commissaire. Bien qu’il puisse faire valoir des points de vue contraires à ceux de certaines parties, y compris les parties qui lui ont peut-être divulgué leurs renseignements confidentiels, il n’a pas vraiment d’intérêts opposés à ceux des parties.
  9. Quant à la question de savoir si les variations dans les ensembles de données auraient une incidence sur la qualité des rapports rendus ou sur les autres conclusions tirées par le commissaire dans le cadre de la présente instance, le Conseil est d’avis qu’il s’agit d’une question qui concerne l’importance à accorder aux preuves produites. Le Conseil estime que cet argument n’est pas pertinent pour évaluer si les renseignements devraient être divulgués ou non.
  10. En ce qui concerne les préoccupations des parties au sujet de l’utilisation ou du traitement inapproprié possible de renseignements confidentiels par le commissaire, son personnel ou tout expert externe auquel il fait appel, le Conseil reconnaît que l’organisme du commissaire, le Bureau de la concurrence, est un organisme d’enquête au sein du gouvernement fédéral du Canada qui a des pouvoirs d’application du droit administratif et pénal. Il possède également une vaste expérience du traitement de renseignements de nature délicate et confidentielle. Par conséquent, le Conseil estime que le risque de mauvaise utilisation ou de traitement erroné des renseignements divulgués est très faible. Il est donc inutile d’imposer des conditions particulières au commissaire pour mieux s’assurer qu’il se conforme aux obligations législatives applicables relatives à l’utilisation des renseignements confidentiels qui lui sont divulgués dans le cadre de la présente instance.
  11. De plus, compte tenu de la vaste expérience du Bureau de la concurrence en ce qui concerne le traitement de renseignements de nature délicate et confidentielle, le Conseil s’attend à ce que le commissaire adopte les mesures appropriées pour s’assurer que tous les renseignements confidentiels fournis aux experts de l’organisme sont convenablement protégés et utilisés uniquement pour aider le commissaire à préparer ses observations dans le cadre de la présente instance.
  12. Comme il est indiqué ci-dessus, le Conseil est d’avis que le risque de mauvaise utilisation ou de traitement erroné des renseignements divulgués est très faible. Toutefois, compte tenu de la nature très délicate des ententes de partage de réseau déposées auprès du Conseil et de la valeur ajoutée limitée qu’elles apporteraient au commissaire dans le cadre de la présente instance, le Conseil estime que ces ententes ne devraient pas être divulguées.
  13. Compte tenu de tout ce qui précède, le Conseil conclut qu’à l’exception des copies des ententes de partage de réseau, la divulgation des renseignements désignés au commissaire présente des avantages évidents et que ces avantages l’emportent sur tout risque susceptible de découler de cette divulgation. Par conséquent, le Conseil ordonne aux parties de divulguer au commissaire tous les renseignements désignés qu’il a demandésNote de bas de page 3, à l’exception des copies des ententes de partage de réseauNote de bas de page 4, au plus tard le 9 août 2019. Cette autorité à communiquer comprend tous les renseignements déposés à titre confidentiel relativement aux ententes de partage de réseau, mais pas les ententes elles-mêmes.
  14. En ce qui concerne les arguments d’équité procédurale présentés par les parties et la demande d’un processus supplémentaire pour aborder l’analyse du commissaire, le Conseil estime qu’il serait prématuré de prendre une décision sur ces questions avant de recevoir les rapports proposés par le commissaire.

Instructions

  1. Le 17 juin 2019, le gouverneur en conseil a enregistré de nouvelles InstructionsNote de bas de page 5 afin d’orienter le Conseil dans sa mise en œuvre des objectifs de politique énoncés dans la Loi (les Instructions de 2019).
  2. Le Conseil estime qu’en ordonnant aux entreprises de services sans fil de divulguer les renseignements désignés au commissaire, qui joue un rôle spécialisé créé par le Parlement qui met l’accent sur la concurrence, il disposera d’un dossier plus complet sur lequel il pourra s’appuyer pour prendre des décisions conformes aux Instructions de 2019.

Secrétaire général

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