"

Décision de télécom CRTC 2017-435

Version PDF

Ottawa, le 7 décembre 2017

Numéro de dossier : 8662-B2-201705724

Bell Canada – Demande de révision et de modification de l’ordonnance de télécom 2017-95

Le Conseil rejette la demande de révision et de modification de l’ordonnance de télécom 2017-95 déposée par Bell Canada au sujet d’une attribution de frais à l’Affordable Access Coalition.

Demande

  1. Le Conseil a reçu une demande, datée du 7 juillet 2017, de la part de Bell Canada, dans laquelle la compagnie lui demandait de réviser et de modifier l’ordonnance de télécom 2017-95. Dans cette ordonnance, le Conseil a ordonné aux intimés de verser la somme de 455 046,82 $ à l’Affordable Access Coalition (AAC). Bell Canada devait payer 34,8 % de ces frais, soit 158 356,29 $.
  2. Bell Canada a soutenu qu’il existe un doute réel quant au bien-fondé de l’ordonnance de télécom 2017-95 pour deux raisons. Premièrement, Bell Canada a argué que le Conseil avait commis une erreur de fait en appliquant les taux applicables aux stagiaires en droit externes alors que le dossier de l’instance qui a mené à l’ordonnance (instance) comprenait des preuves concrètes que les stagiaires en droit étaient embauchés directement par le Centre pour la défense de l’intérêt public (CDIP), et qu’il s’agissait donc de ressources internes. Deuxièmement, Bell Canada a soutenu que le Conseil avait commis une erreur de droit en négligeant d’appliquer le paragraphe 70(2) des Règles de pratique et de procédure du Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes (Règles de procédure), selon lequel le montant total des frais ne doit pas dépasser le montant total des frais nécessaires et raisonnables engagés par le demandeur.
  3. Bell Canada a donc demandé que le Conseil modifie la décision qu’il a prise dans l’ordonnance de télécom 2017-95 afin de veiller à ce que les frais attribués à l’AAC reflètent la bonne relation entre le CDIP et ses stagiaires en droit, et à ce que seuls les frais nécessaires et raisonnables engagés soient recouvrés par l’intermédiaire du processus de recouvrement des frais du Conseil. Étant donné que les frais ont déjà été déboursés, Bell Canada a demandé au Conseil d’ordonner à l’AAC de rembourser aux intimés les frais attribués de façon inappropriée.
  4. Le Conseil a reçu une intervention de l’AAC au sujet de la demande de révision et de modification de Bell Canada. On peut consulter sur le site Web du Conseil le dossier public de l’instance, lequel a été fermé le 7 août 2017. On peut y accéder à l’adresse www.crtc.gc.ca ou au moyen du numéro de dossier indiqué ci-dessus.

Contexte

Ordonnance de télécom 2017-95

  1. Lors de l’instance, il y a eu un débat important sur le statut professionnel de M. Lawford et des stagiaires en droit du CDIP. Dans l’ordonnance de télécom 2017-95, le Conseil a fait référence aux Lignes directrices pour l’évaluation des demandes d’attribution de frais (Lignes directrices) établies dans la politique réglementaire de télécom 2010-963, lesquelles énoncent que, dans le contexte d’une demande d’attribution de frais, le fait d’exiger qu’un réclamant pratiquant le droit atteste la manière dont il déclare sa situation d’emploi à tout barreau dont il est membre est un moyen efficace d’évaluer si l’avocat peut réclamer des frais d’avocat externe.
  2. Le Conseil a estimé que les circonstances particulières de l’instance ayant mené à la politique réglementaire de télécom 2016-496, lors de laquelle le Conseil a effectué un examen des services de télécommunication de base, justifiaient une exception à l’échelle tarifaire normale qui s’applique en vertu des Lignes directrices. Par exemple, l’instance a été longue et complexe, une grande importance ayant été accordée aux groupes de consommateurs et à l’intérêt public. Le Conseil a donc conclu que les frais réclamés au taux horaire externe pour M. Lawford et les deux stagiaires en droit du CDIP, tels que modifiés, étaient nécessaires et raisonnables et qu’ils devraient être attribués.
  3. Le Conseil a également conclu que la répartition des travaux par l’AAC à un avocat principal et externe, ainsi qu’au témoin expert, était raisonnable et que les frais connexes ont été engagés dans la mesure où ils étaient nécessaires et raisonnables. Bien que le Conseil ait reconnu que le montant global des frais réclamés était important, il a estimé que l’attribution de frais selon le montant réclamé, tel que modifié, n’affectera pas la capacité et le désir des fournisseurs de services de télécommunication à participer aux instances du Conseil, puisque i) des instances d’envergure et de portée semblables, présentant de telles répercussions manifestes et directes pour les consommateurs, sont relativement rares; et ii) lorsque de telles instances se produisent, elles ont également des répercussions manifestes et directes sur les fournisseurs de services de télécommunication, suffisantes pour l’emporter sur les frais éventuels que les fournisseurs pourraient être obligés de payer.

Critères relatifs à la révision et à la modification

  1. Dans le bulletin d’information de télécom 2011-214, le Conseil a précisé les critères qu’il utilise pour évaluer les demandes de révision et de modification déposées en vertu de l’article 62 de la Loi sur les télécommunications. En particulier, le Conseil a déclaré que les demandeurs doivent démontrer qu’il existe un doute réel quant au bien-fondé de la décision initiale, résultant, par exemple :
    • d’une erreur de droit ou de fait;
    • d’un changement fondamental dans les circonstances ou les faits depuis la décision;
    • du défaut de considérer un principe de base qui avait été soulevé dans l’instance initiale;
    • d’un nouveau principe découlant de la décision.

Questions

  1. Le Conseil a déterminé que les questions suivantes devraient être examinées dans la présente décision :
    • Le Conseil a-t-il commis une erreur de fait dans l’ordonnance de télécom 2017-95 en appliquant le taux externe pour les stagiaires en droit?
    • Le Conseil a-t-il commis une erreur de droit dans l’ordonnance de télécom 2017-95 en négligeant d’appliquer le paragraphe 70(2) des Règles de procédure à l’égard du témoin expert?

Le Conseil a-t-il commis une erreur de fait dans l’ordonnance de télécom 2017-95 en appliquant le taux externe pour les stagiaires en droit?

Positions des parties

  1. Bell Canada a indiqué que peu importe les conclusions tirées par le Conseil à l’égard de M. Lawford, le dossier de l’instance démontrait clairement que les stagiaires en droit du CDIP étaient des employés internes.
  2. Bell Canada a soutenu que le Conseil n’avait pas tenu compte de la relation entre les stagiaires en droit et le CDIP dans ses conclusions, en dépit du fait qu’il a noté les arguments formulés par Bell Canada et la Société TELUS Communications (STC)Note de bas de page 1 à cet égard. Bell Canada a fait remarquer que durant l’instance, le CDIP avait fourni des copies des contrats de stage des stagiaires en droit, lesquels confirmaient que les postes étaient offerts à l’interne. Bell Canada a indiqué que pour cette raison, le Conseil avait commis une erreur de fait lorsqu’il avait accepté l’affirmation de l’AAC selon laquelle ces personnes devaient être rémunérées selon le taux horaire applicable aux stagiaires en droit externes.
  3. L’AAC a signalé que le statut des stagiaires en droit ne dépend pas uniquement du statut déclaré par M. Lawford et que plusieurs facteurs devraient être examinés avant de déterminer si un stagiaire en droit est un employé interne ou externe. L’AAC a indiqué que le Conseil avait manifestement examiné le statut des stagiaires en droit puisqu’il avait noté les arguments formulés par Bell Canada et la STC sur la question. Cependant, le Conseil n’était tout simplement pas d’accord avec Bell Canada et la STC. L’AAC a soutenu que, dans l’ordonnance de télécom 2017-95, il était implicite que le Conseil avait accepté les stagiaires en droit comme ressources externes. L’AAC a ajouté que les conclusions du Conseil n’étaient pas déraisonnables et qu’elles devraient être maintenues.
  4. Enfin, l’AAC a fait référence aux difficultés financières qu’elle et d’autres intervenants défendant l’intérêt public éprouvent, et à l’effet négatif possible sur la participation des intervenants aux instances du Conseil, si celui-ci ordonnait un remboursement.
  5. Dans sa réponse, Bell Canada a fait remarquer que depuis la publication de l’ordonnance de télécom 2017-95, le personnel du Conseil a demandé au CDIP des renseignements supplémentaires relativement à l’application d’autres frais afin de déterminer si les stagiaires en droit du CDIP devaient être considérés comme des ressources internes ou externes. Bell Canada a fait valoir que toute conclusion concernant le statut des stagiaires en droit du CDIP tirée dans ces instances devrait être appliquée à l’ordonnance de télécom 2017-95.
  6. Bell Canada a soutenu qu’un remboursement ne causerait pas de difficultés financières à l’AAC, car le coût total des salaires des stagiaires en droit était déjà payé par le programme des bourses d’études sur les questions d’intérêt public de la Fondation du droit de l’Ontario. Bell Canada a précisé que, par conséquent, tous les fonds attribués à l’AAC pour les stagiaires en droit du CDIP dans l’ordonnance de télécom 2017-95 constituaient un revenu supplémentaire.

Résultats de l’analyse du Conseil

  1. Les Lignes directrices exigent qu’un avocat déclare sa situation d’emploi au Conseil telle qu’inscrite auprès du barreau dont il est membre. Dans l’ordonnance de télécom 2017-95, le Conseil a conclu en fait que M. Lawford a déclaré au Barreau du Haut-Canada qu’il était « employé et pratiquant le droit ». Toutefois, le Conseil a estimé que les circonstances particulières de l’instance ayant mené à la politique réglementaire de télécom 2016-496 justifiaient une exception à l’échelle tarifaire normale qui s’applique en vertu des Lignes directrices. Plus précisément, le Conseil a estimé qu’il était approprié d’exercer son pouvoir discrétionnaire de ne pas appliquer les Lignes directrices et d’attribuer les frais réclamés au taux horaire externe pour M. Lawford et les deux stagiaires.
  2. Le Conseil a déclaré que l’instance ayant mené à la politique réglementaire de télécom 2016-496 a été longue et complexe, une grande importance ayant été accordée aux groupes de consommateurs et à l’intérêt public. Le Conseil a estimé que la contribution de l’AAC à l’instance était détaillée, recherchée et, surtout, a permis d’établir une base de référence pour le débat sur les modèles de financement qui peuvent être adoptés. Bien que dans l’ordonnance de télécom 2017-95, le Conseil n’ait pas effectué de constatation de fait explicite concernant le statut des stagiaires en droit, cette constatation était implicite de par sa justification, compte tenu de la décision du Conseil de ne pas appliquer les Lignes directrices et d’attribuer les frais applicables aux stagiaires en droit réclamés au taux externe.
  3. Dans l’ordonnance de télécom 2017-95, le Conseil a expliqué les raisons pour lesquelles il avait décidé de ne pas suivre les Lignes directrices, et Bell Canada n’a pas soutenu que l’exercice du pouvoir discrétionnaire du Conseil de ne pas appliquer les Lignes directrices était déraisonnable.
  4. Par conséquent, le Conseil conclut qu’il n’a pas commis d’erreur de fait dans l’ordonnance de télécom 2017-95 en appliquant le taux externe pour les stagiaires en droit.

Le Conseil a-t-il commis une erreur de droit dans l’ordonnance de télécom 2017-95 en négligeant d’appliquer le paragraphe 70(2) des Règles de procédure à l’égard du témoin expert?

Positions des parties

  1. Bell Canada a soutenu qu’en attribuant le montant total demandé par l’AAC pour son témoin expert, le Conseil avait négligé d’appliquer le paragraphe 70(2) des Règles de procédure, qui prévoit que « le montant total des frais ne peut dépasser le montant total des frais nécessaires et raisonnables engagés par le demandeur ni les frais prévus dans le barème établi par le Conseil en vertu du paragraphe 56(2) de la Loi sur les télécommunications. »
  2. Bell Canada a réaffirmé les arguments qu’elle avait formulés dans l’instance ayant mené à l’ordonnance de télécom 2017-95, en particulier que le temps consacré par le témoin expert à rédiger les demandes de renseignements et à y répondre, à préparer un rapport et à réviser son propre travail était excessif. Bell Canada a soutenu que le montant demandé par l’AAC pour ce travail représentait environ le double du montant le plus important demandé par une partie pour le travail effectué par un témoin expert au cours des onze dernières années et qu’une grande partie du travail aurait pu être réalisé par des ressources internes ou plus économiques.
  3. Bell Canada a déclaré que l’AAC avait fait un certain nombre d’aveux en réponse à ses arguments, par exemple que 18 des heures consacrées par le témoin expert auraient pu être facturées à une ressource plus économique à un moindre taux. Néanmoins, le Conseil a accordé à l’AAC le montant total des frais réclamés pour le témoin expert. Selon Bell Canada, le Conseil a statué dans l’ordonnance de télécom 2017-95 que la décision de l’AAC de faire appel au témoin expert et de lui confier la tâche de répondre aux demandes de renseignements était raisonnable, mais il n’a pas examiné si le temps consacré à cette tâche était raisonnable. Bell Canada a fait valoir que le défaut par le Conseil d’appliquer le paragraphe 70(2) des Règles de procédure dans cette affaire donnait lieu à une erreur de droit.
  4. L’AAC a indiqué que Bell Canada avait mal interprété ses explications en estimant qu’il s’agit de concessions ou d’aveux en réponse aux arguments de l’entreprise. L’AAC a précisé que ses explications en réponse aux arguments de Bell Canada visaient à fournir une solution de rechange, c.-à-d. si le Conseil n’acceptait pas son principal argument concernant l’attribution des frais totaux, il demanderait au Conseil d’exclure les montants réduits mentionnés par Bell Canada. L’AAC a ajouté que Bell Canada cherchait essentiellement à ce que la question soit entendue de nouveau, et ce, de façon abusive.
  5. L’AAC a indiqué que, dans l’ordonnance de télécom 2017-95, le Conseil avait tenu compte des arguments formulés par les parties et avait exercé son pouvoir discrétionnaire dans l’attribution de frais fondée sur le temps total consacré par le témoin expert. En ce qui a trait à l’observation de Bell Canada selon laquelle le temps consacré par le témoin expert était excessif, l’AAC a soutenu qu’il n’était pas déraisonnable que le témoin expert réponde aux demandes de renseignements et présente un rapport à jour, utile et exact.
  6. L’AAC a soutenu qu’elle n’était pas tenue de répartir parfaitement le travail pour satisfaire aux exigences du paragraphe 70(2) des Règles de procédure et qu’une telle obligation aurait sérieusement nui à la défense de l’intérêt public devant le Conseil.
  7. L’AAC a précisé qu’elle avait déjà avancé le montant total dû au témoin expert et qu’elle se retrouverait donc dans une situation difficile si les frais attribués devaient être remboursés. Elle a fait valoir que tout remboursement devrait être effectué à partir de ses propres fonds, en particulier ceux du CDIP.
  8. Enfin, l’AAC a suggéré que le Conseil modifie ses Règles de procédure de manière à exiger que les intimés déposent des demandes de révision et de modification semblables à la présente demande dans les deux semaines suivant l’approbation d’une demande d’attribution de frais. Cela permettrait d’atteindre un équilibre entre la capacité de contester une attribution de frais et les difficultés financières auxquelles font face les intervenants qui défendent l’intérêt public.
  9. Dans sa réponse, Bell Canada a fait valoir qu’elle-même et la STC avaient invoqué des preuves claires démontrant que les frais demandés par l’AAC pour son témoin expert dépassaient les frais nécessaires et raisonnables engagés. Bell Canada a ajouté que, par conséquent, en attribuant les frais totaux, le Conseil avait négligé de respecter le paragraphe 70(2) des Règles de procédure, ce qui avait donné lieu à une erreur de droit.

Résultats de l’analyse du Conseil

  1. Dans cette instance de révision et de modification, Bell Canada a essentiellement réaffirmé les arguments qu’elle avait soulevés durant l’instance ayant mené à l’ordonnance de télécom 2017-95.
  2. Dans l’ordonnance de télécom 2017-95, le Conseil a explicitement déclaré que la répartition des travaux au témoin expert par l’AAC était raisonnable, et que les frais connexes ont été engagés dans la mesure où ils étaient nécessaires et raisonnables. Le Conseil a expliqué que l’instance ayant mené à la politique réglementaire de télécom 2016-496 était d’une envergure et d’une complexité inhabituelles. Le fait d’avoir retenu les services d’un témoin expert a donné lieu à des propositions concrètes qui ont fait l’objet d’un débat important et qui n’auraient clairement pas pu être réalisées par des ressources internes. Bien que le Conseil ait reconnu que le montant global des frais réclamés était important, il a conclu qu’il n’était pas différent des montants réclamés dans des instances antérieures de portée ou d’envergure semblable. Le montant reflétait également la décision particulière de l’AAC de proposer deux modèles de financement, lesquels ont été utiles pour le Conseil.
  3. Le Conseil estime que, dans l’ordonnance de télécom 2017-95, il avait bien respecté le paragraphe 70(2) des Règles de procédure étant donné qu’il avait examiné le total des frais demandés par l’AAC pour le témoin expert et qu’il avait conclu, en se fondant sur le dossier de cette instance, que des frais nécessaires et raisonnables avaient été engagés. Bien que Bell Canada puisse ne pas être d’accord avec l’évaluation du Conseil, aucune erreur de droit soulevant un doute réel quant au bien-fondé de la décision du Conseil n’a été commise.
  4. En ce qui concerne la proposition de l’AAC, à savoir que le Conseil modifie ses Règles de procédure de manière à exiger que les intimés déposent des demandes de révision et de modification semblables à la présente demande dans les deux semaines suivant l’approbation d’une demande d’attribution de frais, le Conseil estime que cette proposition n’est pas comprise dans la portée de la présente demande et elle ne sera donc pas examinée dans cette décision.

Conclusion

  1. Compte tenu de tout ce qui précède, le Conseil conclut que Bell Canada n’a pas démontré qu’il existait un doute réel quant au bien-fondé de l’ordonnance de télécom 2017-95. Par conséquent, il rejette la demande de révision et de modification déposée par la compagnie. Le montant des frais attribués dans cette ordonnance est donc maintenu.

Secrétaire général

Documents connexes

Date de modification :