Décision de télécom CRTC 2016-245

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Ottawa, le 29 juin 2016

Numéro de dossier : 8662-B2-201512161

Bell Canada - Demande de révision et de modification de certaines conclusions énoncées dans la politique réglementaire de télécom 2015-326 concernant les services d’accès haute vitesse de gros dégroupés

Le Conseil rejette une demande de Bell Canada pour une révision et une modification de certaines conclusions énoncées dans la politique réglementaire de télécom 2015-326. Dans cette décision, le Conseil a déterminé, entre autres choses, que les grandes entreprises de services locaux titulaires et les câblodistributeurs en Ontario et au Québec seraient tenus de migrer de l’actuel modèle de services d’accès haute vitesse de gros groupés vers le modèle de services d’accès haute vitesse de gros dégroupés.

Contexte

  1. Dans l’avis de consultation de télécom 2013-551, le Conseil a amorcé une instance afin d’examiner les questions liées aux services de gros et aux politiques connexes. Dans le cadre de cette instance, le Conseil a notamment examiné le bien-fondé des catégories de services de gros établies précédemment et la possibilité de rendre obligatoire tout service nouveau ou faisant l’objet d’une abstention de réglementation, ainsi que la question de savoir si ses politiques existantes concernant les services de gros établissent un équilibre approprié entre l’encouragement de l’innovation et l’investissement dans la construction de nouvelles installations de réseaux de télécommunication.

  2. Au moment de cette instance, les concurrents avaient accès à des services d’accès haute vitesse (AHV) de gros groupés obligatoires. Ces services ont permis aux concurrents de louer un ensemble composé d’installations d’accès dont ils ont besoin pour le branchement de clients et d’installations de transport, qui permettent d’envoyer et de recevoir de gros volumes de trafic, sans avoir à investir des sommes importantes dans leurs réseaux.

  3. Dans la politique réglementaire de télécom 2015-326, le Conseil a déterminé, entre autres choses, que le modèle selon lequel les entreprises de services locaux titulaires (ESLT)Retour à la référence de la note de bas de page 1 et les câblodistributeursRetour à la référence de la note de bas de page 2 sont tenus de fournir des services AHV de gros passerait d’un modèle de services AHV de gros groupés à un modèle de services AHV de gros dégroupés, et que la transition commencerait en Ontario et au Québec, là où la demande est la plus forte. En ce qui concerne les services AHV de gros dégroupésRetour à la référence de la note de bas de page 3, les titulaires fournissent l’accès de dernier kilomètre aux utilisateurs finals, mais les concurrents doivent soit s’autoapprovisionner (c.-à-d. construire leurs propres installations), soit louer une capacité de transport auprès d’autres entreprises afin d’acheminer le trafic des utilisateurs finals sur leurs réseaux.

Demande

  1. Le Conseil a reçu une demande de Bell Canada, datée du 20 octobre 2015, dans laquelle l’entreprise demandait au Conseil de réviser et de modifier certains aspects de la politique réglementaire de télécom 2015-326. Bell Canada a allégué que le Conseil avait commis des erreurs de fait et de droit dans ses conclusions relatives à la mise en place de services AHV de gros dégroupés (que l’entreprise appelle dans sa demande les « services à large bande dégroupés » [Traduction]). Plus précisément, Bell Canada a fait valoir que le Conseil avait commis une erreur de fait en reliant l’introduction des services AHV de gros dégroupés à un investissement supplémentaire dans d’autres installations de transport, et a commis une erreur de droit parce que le fait d’obliger les titulaires à fournir des services AHV de gros dégroupés à l’ensemble des concurrents n’est pas conforme aux InstructionsRetour à la référence de la note de bas de page 4.

  2. En ce qui a trait à l’allégation d’erreur de fait, Bell Canada a demandé que le Conseil modifie la politique réglementaire de télécom 2015-326 de manière à ce que i) les services AHV de gros dégroupés ne soient accessibles qu’au concurrent qui déploie ses propres installations de transport au point d’interconnexion (PI) désigné du central d’une ESLT ou à la tête du réseau d’un câblodistributeur (ce que l’on appelle dans la présente décision la « condition d’autoapprovisionnement »); et que ii) le concurrent qui s’abonne à un service AHV de gros dégroupé soit le fournisseur des services haute vitesse aux utilisateurs finals, l’accès se faisant au moyen du service (ce que l’on désigne dans la présente décision comme la « condition visant l’interdiction de revente »).

  3. Quant à la deuxième question soulevée par l’entreprise, Bell Canada a fait valoir que le Conseil a commis une erreur de droit, puisque l’introduction des services AHV de gros dégroupés obligatoires constitue une mesure réglementaire trop large qui va à l’encontre des Instructions. Plus précisément, la mesure i) ne se fie pas, dans la plus grande mesure du possible, au libre jeu du marché ou encore elle fait obstacle au libre jeu d’un marché concurrentiel plus que dans la mesure minimale nécessaire et ii) décourage un accès au marché qui est propice à la concurrence. Ainsi, Bell Canada a demandé que le Conseil modifie la politique réglementaire de télécom 2015-326 de sorte que les services AHV de gros dégroupés ne soient pas accessibles aux entités dont les revenus annuels dépassent les 500 millions de dollars au Canada ou à l’étranger (que l’on désigne dans la présente décision comme la « condition relative aux revenus »).

  4. Le Conseil a reçu des interventions concernant la demande de Bell Canada de la part d’Allstream Inc. (Allstream); de Bragg Communications Incorporated, exerçant ses activités sous le nom d’Eastlink (Eastlink); de la British Columbia Broadband Association (BCBA); de la ville de Calgary; du Centre pour la défense de l’intérêt public et de l’Association des consommateurs du Canada (collectivement CDIP/ACC); du Consortium des Opérateurs de Réseaux Canadiens Inc. (CORC); d’OpenMedia.ca (OpenMedia); de Primus Telecommunications Canada Inc. (Primus); de Québecor Média inc., pour le compte de Vidéotron s.e.n.c. (Vidéotron); de Rogers Communications Canada Inc. (RCCI)Retour à la référence de la note de bas de page 5; de Shaw Cablesystems G.P. (Shaw); de la Société TELUS Communications (STC); et de Vaxination Informatique (Vaxination).

  5. On peut consulter sur le site Web du Conseil le dossier public de cette instance, lequel a été fermé le 14 décembre 2015. On peut y accéder à l’adresse www.crtc.gc.ca ou au moyen du numéro du dossier indiqué ci-dessus.

Questions

  1. Dans le bulletin d’information de télécom 2011-214, le Conseil a énoncé les critères qu’il utiliserait pour évaluer les demandes de révision et de modification déposées conformément à l’article 62 de la Loi sur les télécommunications (Loi). En particulier, le Conseil a déclaré que les demandeurs doivent démontrer qu’il existe un doute réel quant au bien-fondé de la décision initiale, résultant, par exemple, i) d’une erreur de droit ou de fait; ii) d’un changement fondamental survenu dans les circonstances ou les faits depuis la décision; iii) d’un défaut de tenir compte d’un principe fondamental soulevé lors de l’instance initiale ou iv) de l’existence d’un nouveau principe ayant découlé de la décision.

  2. Le Conseil a établi qu’il devait se prononcer sur les questions suivantes dans la présente décision :

    • Le Conseil a-t-il commis une erreur de fait en établissant un lien entre l’introduction de services AHV de gros dégroupés obligatoires et l’investissement supplémentaire dans les installations de transport?

    • Le Conseil devrait-il adopter les conditions liées à l’autoapprovisionnement et à l’interdiction de revente proposées par Bell Canada?

    • Le Conseil a-t-il commis une erreur de droit, en introduisant une mesure réglementaire si large qu’elle va à l’encontre des Instructions?

    • Le Conseil devrait-il adopter la condition liée au revenu proposée par Bell Canada?

Le Conseil a-t-il commis une erreur de fait en établissant un lien entre l’introduction de services AHV de gros dégroupés obligatoires et l’investissement supplémentaire dans les installations de transport?

Positions des parties
  1. Bell Canada a fait valoir que la décision du Conseil de rendre obligatoire les services AHV de gros dégroupés est en partie fondée sur le fait que cela pourrait favoriser l’investissement des concurrents dans d’autres installations de transport. Bell Canada a soutenu que cette conclusion est incorrecte; à son avis, l’introduction obligatoire des services AHV de gros dégroupés ne stimulerait pratiquement pas d’investissements dans d’autres installations de transport. À ce titre, Bell Canada a fait valoir que le Conseil a commis une erreur de fait en établissant à tort un lien entre l’introduction de services AHV de gros dégroupés obligatoires et l’investissement supplémentaire dans les installations de transport.

  2. Pour appuyer sa position, Bell Canada a indiqué que les services de transport sont très accessibles, étant donné le nombre de concurrents qui s’autoapprovisionnent, ajoutant que le Conseil a déterminé dans la politique réglementaire de télécom 2015-326 que les installations de transport étaient reproductibles. Bell Canada a donc soutenu que les concurrents n’auraient pratiquement pas besoin d’investir dans de nouvelles installations de transport pour utiliser ses services AHV de gros dégroupés. Bell Canada a aussi précisé qu’au moins une autre solution de transport concurrente est accessible auprès des grands centraux, sur qui elle s’attend à ce que la demande de services AHV dégroupés soit centrée.

  3. De façon générale, la BCBA, le CORC, EastlinkRetour à la référence de la note de bas de page 6, le CDIP/ACC, Primus et Shaw n’étaient pas d’accord avec Bell Canada au sujet de l’erreur de fait alléguée, aux motifs que i) les mesures incitatives visant à encourager les concurrents à investir dans les installations de transport ont été dûment prises en compte dans la décision et ii) Bell Canada a mal interprété ou exagéré le rôle que l’investissement dans le transport a joué dans la décision prise par le Conseil de rendre obligatoire l’accès à des services AHV de gros dégroupés.

  4. Le CORC a fait valoir que le marché du transport avait été dûment pris en compte dans l’analyse du Conseil, soulignant que de nombreuses mesures incitatives pour encourager les concurrents à investir dans les installations de transport ont déjà été créées ou renforcées à la suite des conclusions énoncées dans la politique réglementaire de télécom 2015-326. La BCBA a indiqué que les mesures incitatives pour encourager l’investissement dans ces installations seront dictées par une comparaison des prix entre les options de transport appartenant aux ESLT ou à des tiers et le coût de la nouvelle infrastructure.

  5. Le CORC et Shaw ont noté que, bien que le Conseil reconnaisse que les services AHV de gros dégroupés pourraient favoriser l’investissement dans les installations de transport, le premier objectif demeure le maintien d’une concurrence durable. Le CDIP/ACC ont précisé que Bell Canada avait surestimé le rôle que la promotion de l’investissement dans le transport a joué dans le raisonnement du Conseil. En outre, certaines parties à l’instance ont indiqué que la politique réglementaire de télécom 2015-326 était ancrée dans un critère juridique bien établi et largement accepté, p. ex. l’évaluation du caractère essentielRetour à la référence de la note de bas de page 7, et que le Conseil n’a commis aucune erreur de fait ou de droit en appliquant ce critère conformément aux objectifs clés et aux considérations stratégiques pertinentes.

  6. OpenMedia a indiqué qu’il était en partie d’accord avec Bell Canada pour dire que le Conseil avait commis une erreur de fait en établissant un lien entre l’introduction de services AHV de gros dégroupés et l’investissement supplémentaire dans le transport, mais il a fait valoir qu’il était trop tôt pour examiner cette question, puisque les niveaux de majoration concernant les services font actuellement l’objet d’un examen dans le cadre de l’instance de suivi portant sur la mise en œuvre, laquelle découle de la politique réglementaire de télécom 2015-326.

  7. Dans sa réplique, Bell Canada a précisé que les affirmations du CORC comportaient plusieurs incohérences relativement aux mesures incitatives pour encourager les concurrents à construire des installations de transport. À titre d’exemple, Bell Canada a indiqué que les concurrents ne profiteront pas d’un contrôle accru sur les offres de service s’ils achètent un transport auprès d’un autre fournisseur. En outre, l’entreprise a soutenu qu’il existe déjà de nombreuses installations de transport dans les centraux clés où le CORC a indiqué qu’il serait logique de s’autoapprovisionner.

Résultats de l’analyse du Conseil
  1. Les conclusions du Conseil dans la politique réglementaire de télécom 2015-326 étaient en partie fondées sur l’application de l’évaluation du caractère essentiel. Toutefois, le résultat de cette évaluation n’était pas le seul facteur éclairant les décisions du Conseil, puisqu’il était également fondé sur un ensemble de considérations stratégiquesRetour à la référence de la note de bas de page 8 qui ont servi au Conseil au moment de rendre ses décisions, lui permettant ainsi de tenir compte de facteurs supplémentaires allant au-delà de l’évaluation du caractère essentiel pour justifier si l’on doit rendre obligatoire un service, une fonction ou une installation. L’objectif primordial du Conseil dans cette décision était d’élargir les objectifs énoncés au paragraphe 14 de la politique réglementaire de télécom 2015-326Retour à la référence de la note de bas de page 9, en tenant compte des InstructionsRetour à la référence de la note de bas de page 10 et des objectifs de la politique énoncés à l’article 7 de la Loi.

  2. Contrairement à l’affirmation de Bell Canada, le Conseil, en appliquant la considération stratégique liée à l’innovation et à l’investissement dans le cadre de son critère de prescription, a simplement fait remarquer que les services AHV de gros dégroupés pourraient encourager les concurrents à investir dans d’autres installations de transport. Fait encore plus important, le Conseil a déclaré que cela permettrait aux concurrents de devenir plus innovants, puisqu’ils auraient un plus grand degré de contrôle sur leurs offres de services. Par conséquent, l’allégation selon laquelle l’investissement dans le transport constituait le fondement des décisions rendues par le Conseil dans la politique réglementaire de télécom 2015-326 est incorrecte; le fait est plutôt que le Conseil a simplement observé que l’introduction de services AVH de gros dégroupés pourrait constituer un avantage. En outre, comme l’application adéquate de l’évaluation du caractère essentiel l’a démontré, l’objectif du Conseil demeure la promotion d’une concurrence dynamique et durable sur le marché des services au détail et la facilitation d’une concurrence fondée sur les installations par l’entremise de sa décision de prescrire les services AHV de gros dégroupés.

  3. L’intervention de Bell Canada accorde peu d’importance à la complexité entourant l’analyse de rentabilité concernant le déploiement des installations de transport, particulièrement en relation avec deux des objectifs établis dans le cadre de réglementation des services de gros : favoriser la concurrence durable dans le secteur des services de détail et favoriser l’instauration efficace de la concurrence fondée sur les installations. Étant donné que les services AHV de gros dégroupés ne sont pas encore offerts, on ne sait pas dans quelle mesure les concurrents s’autoapprovi-sionneront en ce qui concerne les installations de transport. Cependant, il ne s’agit aucunement d’une façon de démontrer que le Conseil s’est trompé en notant la possibilité d’investissements supplémentaires. Une fois que les tarifs et les modalités des services AHV de gros dégroupés auront été établis et que le marché aura eu le temps de développer des économies d’échelle découlant d’une hausse de la demande de transport vers certains centraux ou certaines têtes de réseau, le Conseil s’attend à ce que des concurrents ou des tiers construisent éventuellement des installations à utiliser ou à louer à d’autres fournisseurs de services. Par conséquent, en rendant obligatoire l’élément essentiel des services AHV (accès) et en laissant le libre jeu du marché dicter l’élément reproductible (transport), le Conseil facilite un environnement concurrentiel durable pour les services de détail et encourage la concurrence fondée sur les installations.

  4. En bref, bien que le Conseil ait noté que l’introduction des services AHV de gros dégroupés pourrait avoir une incidence positive sur l’investissement dans les autres installations de transport, l’allégation de Bell Canada selon laquelle la décision du Conseil de rendre obligatoires les services AHV de gros dégroupés était fondée sur  l’investissement dans d’autres installations de transport est incorrecte. Le Conseil a lancé les services AHV de gros dégroupés d’une manière conforme aux objectifs du cadre de réglementation des services de gros et, après en avoir examiné les diverses incidences possibles au chapitre de l’innovation et de l’investissement, il a établi qu’aucune raison ne justifiait que la décision de rendre le service obligatoire soit modifiée.

  5. Compte tenu de ce qui précède, le Conseil estime qu’il n’a pas commis d’erreur de fait sur la base de faits allégués par Bell Canada. Par conséquent, le Conseil conclut que Bell Canada n’a pas été en mesure de démontrer l’existence d’un doute réel quant au bien-fondé de la décision initiale qui résulterait d’une erreur de fait.

Le Conseil devrait-il adopter les conditions liées à l’autoapprovisionnement et à l’interdiction de revente proposées par Bell Canada?

  1. Étant donné la conclusion ci-dessus, il n’est pas nécessaire que le Conseil se penche sur les modifications proposées par Bell Canada à la politique réglementaire de télécom 2015-326 visant à corriger l’erreur alléguée.

Le Conseil a-t-il commis une erreur de droit, en introduisant une mesure réglementaire si large qu’elle va à l’encontre des Instructions?

Positions des parties
  1. En faisant valoir que le Conseil avait commis une erreur de droit dans la politique réglementaire de télécom 2015-326, Bell Canada a soutenu que l’introduction de services AHV de gros dégroupés contrevient aux Instructions, car elle ne se fie pas, dans la plus grande mesure du possible, au libre jeu du marché, elle fait obstacle au libre jeu d’un marché concurrentiel plus dans la mesure minimale nécessaire, et elle décourage un accès au marché qui est propice à la concurrence.

  2. Bell Canada a fait valoir que la décision du Conseil de rendre obligatoire les services AHV de gros dégroupés est en partie fondée sur le fait que d’importantes barrières à la reproductibilité des installations d’accès de dernier kilomètre demeurent. À cet égard, Bell Canada a indiqué que le Conseil a mentionné qu’il considérait le fait qu’il ne soit ni faisable ni pratique pour les concurrents de reproduire les installations AHV de dernier kilomètre sur une échelle permettant de rivaliser efficacement avec les entreprises titulaires dans leurs régions de desserte, ainsi que les avantages des titulaires liés aux clientèles, aux marques établies, aux économies d’échelle, aux accords d’accès municipaux préexistants, à un meilleur accès aux marchés de capitaux, ainsi qu’aux infrastructures existantes, y compris les réseaux fédérateurs de fibre optique. Par conséquent, Bell Canada a soutenu que le Conseil a négligé d’établir une distinction entre les fournisseurs de services qui peuvent (titulaires) et qui ne peuvent pas (concurrents) économiquement et efficacement déployer leurs propres installations d’accès dans un contexte de libre jeu du marché.

  3. La STC et Vidéotron ont appuyé la position de Bell Canada.

  4. Les autres intervenants qui ont commenté l’erreur de droit alléguée ont fait valoir que Bell Canada n’avait pas satisfait au critère établi par le Conseil relativement à la révision et à la modification de la politique réglementaire de télécom 2015-326. Ces parties ont soutenu que Bell Canada avait mal interprété la conclusion du Conseil concernant le résultat de l’évaluation du caractère essentiel, ou n’en avait pas tenu compte; ce résultat indiquait que les réseaux d’accès des titulaires n’étaient pas reproductibles dans leur territoire de desserte respectif tant pour les concurrents que pour les titulaires hors territoire, et n’a pas fourni de preuve indiquant que les titulaires canadiens hors territoire ou les grandes entités étrangères utiliseraient des services AHV de gros dégroupés dans une large mesure.

  5. Le CORC, le CDIP/ACC, Primus et RCCI ont indiqué de façon générale que Bell Canada n’avait pas démontré que le Conseil aurait dû limiter sa décision aux fournisseurs de services dont la taille est inférieure à un certain seuil établi. Le CDIP/ACC étaient d’avis que le Conseil avait fondé sa décision sur un critère juridique bien établi et largement accepté et n’avait commis aucune erreur de droit ou de fait en appliquant ce critère conformément aux objectifs clés et aux considérations stratégiques.

  6. Le CORC a précisé que le cadre de réglementation des services de gros énoncé dans la politique réglementaire de télécom 2015-326 est équilibré de manière à atteindre les objectifs de la politique énoncés à l’article 7 de la Loi et qu’il est conforme aux Instructions. En outre, il a écarté la préoccupation de Bell Canada portant que les titulaires hors territoire ou les grandes entités étrangères utiliseraient les services AHV de gros dégroupés comme plateforme pour le déploiement d’accès, faisant remarquer que même s’il n’est interdit ni aux titulaires ni aux grandes entités étrangères d’utiliser les services AHV de gros dégroupés, ces titulaires et entités n’utilisent toujours pas le service dans une mesure considérable.

  7. RCCI a indiqué que les petites et grandes entreprises étaient confrontées à des défis semblables dans la construction d’installations d’accès à l’extérieur de la zone de couverture de leurs installations existantes et qu’il n’y a aucune preuve du contraire ni aucun motif justifiant que l’on traite les entreprises différemment. Shaw a précisé que Bell Canada avait mal interprété les résultats de l’évaluation du caractère essentiel, ajoutant que le caractère obligatoire d’un service dépend de la dominance sur le marché en question et non sur l’entité qui s’abonne au service.

Résultats de l’analyse du Conseil
  1. Comme il a été noté précédemment dans la présente décision, en introduisant des services AHV de gros dégroupés dans la politique réglementaire de télécom 2015-326, le Conseil avait comme objectif primordial d’élargir les objectifs énoncés au paragraphe 14 de cette décision, en tenant compte des Instructions et des objectifs de la politique énoncés à l’article 7 de la Loi. Ainsi, la décision du Conseil de rendre obligatoires les services AHV de gros dégroupés et ses conclusions sur les services filaires de gros étaient fondées sur l’application de l’évaluation du caractère essentiel ainsi que sur un ensemble de considérations stratégiques présentées ci-dessus.

  2. Contrairement à la position de Bell Canada, l’application par le Conseil de l’évaluation du caractère essentiel, avec l’ajout de considérations stratégiques pertinentes, était entièrement conforme aux principes énoncés dans les Instructions selon lesquels les mesures réglementaires doivent se fier dans la plus grande mesure du possible au libre jeu du marché, ne faire obstacle au libre jeu d’un marché concurrentiel que dans la mesure minimale nécessaire et ne pas décourager l’accès à un marché propice à la concurrence.

  3. Lorsqu’il a appliqué l’évaluation du caractère essentiel, le Conseil a d’abord déterminé que le marché approprié était celui des services AHV de chaque région de desserte des titulaires. Il a ensuite établi qu’en plus de répondre à la condition relative à l’intrant et à la condition relative à la concurrence, les installations d’accès répondaient à la condition relative à la reproductibilité (c’est-à-dire qu’elles ne pouvaient pas être reproduites), tandis que les installations de transport ne répondaient pas aux conditions. Le plus important est qu’il n’y avait aucune preuve au dossier indiquant qu’un concurrent raisonnablement efficace (y compris les titulaires hors de leur territoire de desserte) avait déployé des installations d’accès concurrentes, ou planifiait le faire, sur une échelle suffisante pour livrer une concurrence efficace aux titulaires dans leur territoire de desserte traditionnel. En formulant sa décision, le Conseil a conclu que les concurrents et les titulaires hors de leur territoire de desserte faisaient face à des obstacles similaires à l’entrée lorsqu’elles doivent reproduire des installations d’accès. Le Conseil demeure d’avis que l’incitatif pour les titulaires à déployer des installations d’accès filaires à l’extérieur de leur territoire de desserte traditionnel est faible en raison des divers obstacles à l’entrée ainsi que de nombreux avantages qu’ont les titulaires qui sont précisés dans la politique réglementaire de télécom 2015-326.

  4. Compte tenu de ce qui précède, le Conseil estime qu’il a tenu compte de manière appropriée des Instructions lorsqu’il a rendu ses conclusions dans la politique réglementaire de télécom 2015-326 et estime qu’il n’a pas commis d’erreur de droit sur la base des faits allégués par Bell Canada. Par conséquent, le Conseil conclut que Bell Canada n’a pas pu démontrer de doute réel quant au bien-fondé de la décision initiale du Conseil qui résulterait d’une erreur de droit.

Le Conseil devrait-il adopter la condition liée au revenu proposée par Bell Canada?

  1. Comme le Conseil a conclu qu’aucune erreur de droit n’a été commise, il n’est pas nécessaire que le Conseil se penche sur la modification proposée par Bell Canada à la politique réglementaire de télécom 2015-326 visant à corriger l’erreur alléguée.

Conclusion

  1. Compte tenu de ce qui précède, le Conseil rejette la demande de Bell Canada.

Secrétaire générale

Documents connexes

Notes de bas de page

Note de bas de page 1

La politique réglementaire de télécom 2015-326 s’applique aux ESLT suivantes : Bell Canada, MTS Inc., Saskatchewan Telecommunications et la Société TELUS Communications.

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Note de bas de page 2

Dans la politique réglementaire de télécom 2015-326, Bragg Communications Incorporated, exerçant ses activités sous le nom d’Eastlink; Cogeco Câble inc.; le Rogers Communications Partnership (RCP); Shaw Cablesystems G.P.; et Vidéotron s.e.n.c. sont collectivement appelés « câblodistributeurs ».

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Note de bas de page 3

Les services AHV de gros dégroupés procurent une voie à haute vitesse entre les locaux de l’utilisateur final du concurrent et une interface sur le réseau de l’entreprise titulaire (au central de l’ESLT ou à la tête de réseau du câblodistributeur), voie à laquelle le concurrent se raccorde pour acheminer le trafic de ses utilisateurs finals à son propre réseau.

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Note de bas de page 4

Décret donnant au CRTC des instructions relativement à la mise en œuvre de la politique canadienne de télécommunication, C.P. 2006-1534, 14 décembre 2006

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Note de bas de page 5

Dans le cadre de l’instance ayant mené à la politique réglementaire de télécom 2015-326, le Rogers Communications Partnership (RCP) a déposé des observations. Le 1er janvier 2016, le RCP a cessé d’exister. L’exploitation commerciale du RCP, y compris ses éléments d’actif et de passif, est désormais entièrement gérée par RCCI.

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Note de bas de page 6

Eastlink ne convenait pas de l’erreur de fait telle qu’elle est avancée par Bell Canada, mais soutenait que le Conseil avait commis une erreur de fait distincte et différente parce qu’en omettant de donner clairement instruction que les concurrents passent du service AHV de gros groupé au service AHV dégroupé, il maintient un régime de réglementation des services de gros qui continue de réglementer le service groupé non essentiel et va à l’encontre des Instructions. Dans une lettre datée du 11 février 2016, le personnel du Conseil a informé Eastlink que i) ces observations constituent une demande de révision et de modification distincte et que ce ne sont pas toutes les parties qui ont eu l’occasion de les commenter et que, ii) par conséquent, les portions de son intervention concernant ces questions étaient hors de portée et ne seraient pas considérées comme faisant partie de la présente instance.

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Note de bas de page 7

Comme il est énoncé au paragraphe 36 de la décision de télécom 2008-17, le Conseil a déterminé que pour être jugé essentiel, une installation, une fonction ou un service doit satisfaire à l’ensemble des conditions suivantes : a) l’installation est nécessaire comme intrant pour que les concurrents puissent offrir des services de télécommunication dans un marché pertinent en aval (condition relative à l’intrant); b) l’installation est contrôlée par une entreprise qui occupe une position dominante sur le marché en amont de telle sorte que le retrait de l’accès obligatoire à l’installation serait susceptible de réduire ou d’empêcher sensiblement la concurrence dans le marché pertinent en aval (condition relative à la concurrence); et c) il n’est ni pratique ni faisable pour les concurrents de reproduire la fonctionnalité de l’installation (condition relative à la reproductibilité). Voir aussi les paragraphes 33 à 46 de la politique réglementaire de télécom 2015-326.

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Note de bas de page 8

Au paragraphe 51 de la politique réglementaire de télécom 2015-326, le Conseil a déclaré qu’il appliquera les considérations stratégiques suivantes afin d’éclairer, de soutenir ou d’infirmer une décision de prescrire la prestation d’un service de gros : i) bien public; ii) interconnexion; et iii) innovation et investissement.

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Note de bas de page 9

Les objectifs énoncés au paragraphe 14 de la politique réglementaire de télécom 2015-326 sont les suivants : i) améliorer l’efficacité du régime de services de gros pour favoriser une concurrence dynamique et durable dans les services de détail qui fait en sorte que les Canadiens bénéficient de prix raisonnables et de services novateurs de grande qualité répondant à leurs besoins économiques et sociaux changeants; ii) encourager des investissements dans un réseau efficace pour favoriser une concurrence axée sur les installations; iii) tenir compte de l’efficacité du réseau, de la neutralité de la concurrence et de la neutralité technologique dans l’établissement de règlements sur les services de gros; et iv) reconnaître les différences entre les marchés régionaux.

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Note de bas de page 10

Voir les paragraphes 256 à 262 de la politique réglementaire de télécom 2015-326.

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Date de modification :