Politique réglementaire de télécom CRTC 2012-359

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Ottawa, le 3 juillet 2012

Bell Aliant Communications régionales, société en commandite et Bell Canada – Demande de révision des exigences en matière de dépôt liées aux ententes de services de gros négociées

Numéro de dossier : 8663-B54-201200501

Dans la présente décision, le Conseil modifie les exigences réglementaires en matière de dépôt liées aux ententes négociées pour les services essentiels conditionnels et les services non essentiels obligatoires et conditionnels de gros des entreprises titulaires. Les entreprises ne sont tenues que de déposer un résumé général de telles ententes auprès du Conseil en vue de leur versement au dossier public.

Introduction

1. Dans la décision de télécom 2008-17 (décision portant sur les services essentiels), le Conseil a notamment établi un cadre de réglementation révisé pour les services de gros et classé ces services en six catégories1. Les entreprises titulaires2 ont été autorisées à conclure des ententes négociées hors tarif3 avec des concurrents seulement pour les services de gros dans la catégorie des services non essentiels assujettis à l’élimination progressive.

2. Dans la politique réglementaire de télécom 2009-19, le Conseil a permis aux entreprises titulaires de négocier hors tarif des ententes de services de gros pour les services essentiels conditionnels et les services non essentiels obligatoires et conditionnels, pourvu que les entreprises titulaires déposent les ententes négociées auprès du Conseil en vue de leur versement au dossier public 4. Le Conseil a déclaré qu’étant donné les préoccupations que soulève l’application du paragraphe 27(2)5 de la Loi sur les télécommunications (la Loi) relativement aux ententes négociées hors tarif pour les services essentiels conditionnels et les services non essentiels obligatoires et conditionnels, il était nécessaire de permettre un examen public de telles ententes.

Demande

3. Le 18 janvier 2012, Bell Aliant Communications régionales, société en commandite (Bell Aliant) et Bell Canada (collectivement les compagnies Bell) ont déposé une demande dans laquelle elles ont demandé au Conseil d’éliminer l’exigence pour les entreprises titulaires de déposer de telles ententes négociées auprès du Conseil en vue de leur versement au dossier public, sinon de la remplacer par celle de les déposer auprès du Conseil, à titre confidentiel. Dans leur demande, les compagnies Bell ont indiqué que les exigences actuelles en matière de dépôt ne représentent pas un recours maximal au libre jeu du marché, comme l’exigent les Instructions6, et font directement obstacle à celui-ci.

4. Le Conseil a reçu des mémoires du Centre pour la défense de l’intérêt public (PIAC); du Consortium des Opérateurs de Réseaux Canadiens Inc. (CORC); de MTS Inc. et Allstream Inc. (MTS Allstream)7; de Primus Telecommunications Canada Inc. (Primus); de la Société TELUS Communications (STC).

5. On peut consulter le dossier public de l’instance, lequel a été fermé le 1er mars 2012, sur le site Web du Conseil à l’adresse www.crtc.gc.ca, sous l’onglet Instances publiques, ou au moyen du numéro de dossier indiqué ci-dessus.

L’exigence de déposer auprès du Conseil les ententes de services de gros négociées pour les services essentiels conditionnels et les services non essentiels obligatoires et conditionnels pour qu’elles soient versées au dossier public devrait-elle être modifiée?

6. Les compagnies Bell ont indiqué que les exigences actuelles en matière de dépôt entravaient de manière indue le fonctionnement normal du marché pour les services visés et que la mesure n’était pas proportionnelle à son but. Elles ont ajouté que l’obligation de déposer les ententes négociées en vue de leur versement au dossier public pénalise en fait les concurrents qui ont consacré beaucoup d’efforts et de ressources pour négocier une entente puisqu’elle permet aux autres concurrents de tirer profit du résultat sans avoir eu à consacrer d’efforts et de ressources semblables. Les compagnies Bell ont soutenu que ce comportement a pour effet de nuire à leur capacité de négocier des ententes conçues pour tenir compte des besoins précis d’un concurrent donné. Elles ont également soutenu que, dans leur forme actuelle, les exigences en matière de dépôt ne servaient qu’à dissuader les parties de négocier de telles ententes.

7. Pour appuyer leur position, les compagnies Bell ont fait remarquer que pendant les trois années au cours desquelles les ententes négociées pour les services essentiels conditionnels et les services non essentiels obligatoires et conditionnels étaient permises, seulement sept ententes du genre ont été conclues et déposées par des entreprises en vue de leur versement au dossier public, dont cinq par Bell Canada et aucune par Bell Aliant. Les compagnies Bell ont indiqué qu’elles avaient, au cours d’une période semblable, conclu plus de cinquante ententes relatives aux services non essentiels sujets à l’élimination progressive décrits dans la décision portant sur les services essentiels. Les compagnies Bell ont également fait remarquer que de tels dépôts n’étaient pas exigés pour les ententes négociées pour d’autres services de gros comme les services non essentiels assujettis à l’élimination progressive et les services d’interconnexion8 et ont soutenu qu’il n’y avait pas de raison de traiter les ententes liées aux services essentiels conditionnels et celles liées aux services non essentiels obligatoires et conditionnels de façon différente.

8. Les compagnies Bell ont soutenu que l’existence de tarifs pour les services visés par les ententes négociées dont il est question agissait à titre de soutien, limitant le pouvoir de négociation d’une entreprise, et que le Conseil pouvait répondre aux préoccupations en matière de préférence indue et de discrimination injuste selon une approche ex post.

9. Le CORC, MTS Allstream et le PIAC se sont opposés à la demande des compagnies Bell. De façon générale, ils ont indiqué que l’exigence actuelle de déposer auprès du Conseil et de divulguer les ententes négociées pour ces services demeurait nécessaire afin que le Conseil et les concurrents puissent évaluer si une entente donnée contrevient au paragraphe 27(2) de la Loi. De manière générale, ces parties ont convenu que la mesure actuelle est la moins intrusive possible et qu’elle permet d’atteindre le résultat visé, qui consiste à empêcher la préférence indue et la discrimination injuste, puisqu’aucune demande en ce sens n’a été déposée au Conseil pendant trois ans.

10. Le CORC et le PIAC ont soutenu que la réticence des concurrents à conclure des ententes négociées pour ces services découle du fait que ces ententes ne sont pas suffisamment attrayantes d’un point de vue commercial. Ils ont également soutenu que l’exigence de verser au dossier public les ententes négociées n’oblige pas les entreprises titulaires à signer la même entente avec chaque client de gros. Le CORC et le PIAC ont indiqué que de déposer les ententes à titre confidentiel ne constitue pas une mesure de protection suffisante, puisque les ententes risquent de ne faire l’objet d’aucune surveillance de la part de l’industrie, et que la responsabilité incomberait ainsi, de façon inappropriée, au Conseil.

11. La STC a soutenu la demande des compagnies Bell. Primus a soutenu la demande en partie, proposant que le Conseil modifie l’exigence réglementaire actuelle afin de demander uniquement que les entreprises titulaires versent un résumé général de l’entente au dossier public, lequel indiquerait ce qui suit :

a) l’existence de l’entente négociée;

b) chaque élément de service qui s’écarte du tarif;

c) les services essentiels conditionnels et les services non essentiels obligatoires et conditionnels visés par l’entente;

d) un avis qui précise si des services faisant l’objet d’une abstention ou classés comme non essentiels assujettis à l’élimination progressive sont aussi visés par l’entente, sans toutefois préciser lesquels;

e) les raisons pour lesquelles l’entente négociée s’écarte du tarif.

12. Primus a indiqué que, selon sa proposition, la mesure serait plus proportionnelle à son but, qui est de prévenir la préférence indue ou la discrimination injuste, et permettrait au Conseil de se fier, dans la plus grande mesure du possible, au libre jeu du marché. Primus a affirmé que l’avis en question, bien qu’il soit général et ne précise pas les conditions propres à l’entente négociée, informerait tous les concurrents qu’une autre partie a conclu une entente négociée visant certains services, permettant aux concurrents de faire appel à l’entreprise titulaire afin de négocier une entente semblable. Si un concurrent a des raisons de croire qu’une entreprise titulaire a agi d’une manière qui va à l’encontre de l’interdiction de discrimination injuste/indue, il peut toujours faire appel au Conseil.

Résultats de l’analyse du Conseil

13. Les Instructions prévoient que le Conseil devrait : i) se fier, dans la plus grande mesure du possible, au libre jeu du marché comme moyen d’atteindre les objectifs de la politique et ii) lorsqu’il a recours à la réglementation, prendre des mesures qui sont efficaces et proportionnelles aux buts visés et qui ne font obstacle au libre jeu d’un marché concurrentiel que dans la mesure minimale nécessaire pour atteindre les objectifs.

14. Le Conseil fait remarquer que, dans la décision de télécom 2009-19, il a déterminé que le fait de permettre les ententes négociées faisant l’objet d’une abstention relatives aux services essentiels conditionnels et aux services non essentiels obligatoires et conditionnels pourrait soulever des préoccupations relatives aux risques de préférence indue ou de discrimination injuste. Dans cette décision, le Conseil a conclu que la divulgation de ces ententes assurerait la saine application du paragraphe 27(2) de la Loi.

15. Le Conseil estime que les préoccupations relatives aux risques de préférence indue ou de discrimination injuste demeurent. À cet égard, le Conseil convient que la présence de tarifs limite le pouvoir de négociation d’une entreprise lors de la négociation d’une entente, mais il estime, d’après le dossier de la présente instance, que de tels tarifs en soi n’enlèvent pas la possibilité d’une entreprise de favoriser un concurrent plutôt qu’un autre lors de la négociation et de la conclusion d’ententes hors tarif pour les services essentiels conditionnels et les services non essentiels obligatoires et conditionnels.

16. Le Conseil fait remarquer qu’il a toujours exercé son pouvoir en vertu du paragraphe 27(2) de la Loi, en fonction des plaintes. Cependant, le Conseil estime que sans l’obligation de verser au dossier public les ententes négociées hors tarif pour les services essentiels conditionnels et les services non essentiels obligatoires et conditionnels, il sera probablement difficile pour un concurrent d’évaluer si une entente donnée contrevient au paragraphe 27(2) de la Loi, s’il n’est pas au courant de l’existence, à tout le moins, des ententes négociées.

17. Nonobstant ce qui précède, le Conseil estime que le dossier de l’instance indique que les exigences actuelles en matière de dépôt et de divulgation des ententes négociées hors tarif pour les services essentiels conditionnels et les services non essentiels obligatoires et conditionnels font probablement obstacle au libre jeu du marché, étant donné le nombre restreint d’ententes négociées pour ces services.

18. Le Conseil estime que d’adopter la proposition présentée par Primus fournirait aux intéressés une partie des renseignements nécessaires à l’application du paragraphe 27(2) de la Loi tout en réduisant les obstacles au libre jeu du marché.

19. À la lumière de ce qui précède, le Conseil modifie l’exigence actuelle afin de demander uniquement que les entreprises titulaires versent un résumé général des ententes négociées hors tarif pour les services essentiels conditionnels et les services non essentiels obligatoires et conditionnels au dossier public. Le résumé général doit contenir les éléments énoncés au paragraphe 11 de la présente décision.

20. Le Conseil estime que l’exigence de déposer un résumé général des ententes négociées contenant les éléments énoncés au paragraphe 11 de la présente décision permet de favoriser un environnement concurrentiel pour la prestation des services en question, favorisant la réalisation des objectifs de la politique, y compris l’objectif énoncé à l’alinéa 7c) de la Loi. Il estime également qu’en réduisant le nombre d’obstacles au libre jeu du marché découlant de la précédente exigence, l’adoption de la nouvelle exigence favorise également la réalisation de l’objectif de la politique énoncé au paragraphe 7f)9 de la Loi. À la lumière de ce qui précède, le Conseil estime que la présente décision est conforme aux Instructions.

21. Le Conseil fait remarquer qu’il a indiqué dans la décision portant sur les services essentiels qu’il révisera, en 2014, les exigences réglementaires liées aux services de gros obligatoires. Le Conseil estime qu’un examen des exigences de dépôt des ententes négociées hors tarif pour l’ensemble des services de gros pourrait être effectué à ce moment-là.

Secrétaire général

Documents connexes



Notes de bas de page :

[1]   Les six catégories de services de gros sont les suivantes : services essentiels; services essentiels conditionnels; services non essentiels obligatoires et conditionnels; biens publics; services d’interconnexion; services non essentiels assujettis à l’élimination progressive.

   Le terme « entreprises titulaires » désigne les entreprises de services locaux titulaires (ESLT) et les entreprises de câblodistribution assujetties à la décision portant sur les services essentiels.

[3]   Les parties peuvent conclure des ententes dont les taux et les modalités diffèrent des tarifs approuvés par le Conseil, quoique les services sous-jacents demeurent réglementés. Ces ententes seront avantageuses à la fois pour les concurrents et pour les consommateurs.

[4]   Tout renseignement permettant d’identifier la clientèle du service de gros de l’entreprise titulaire, ou tout client de cette dernière clientèle ne serait pas versé au dossier public.

[5]   Il est interdit à l’entreprise canadienne, en ce qui concerne soit la fourniture de services de télécommunication, soit l’imposition ou la perception des tarifs y afférents, d’établir une discrimination injuste, ou d’accorder – y compris envers elle-même – une préférence indue ou déraisonnable, ou encore de faire subir un désavantage de même nature.

[6]   Décret donnant au CRTC des instructions relativement à la mise en œuvre de la politique canadienne de télécommunication, C.P. 2006-1534, 14 décembre 2006

[7]   Depuis le début de l’année 2012, MTS Allstream Inc. est divisée en deux entités distinctes : MTS Inc. et Allstream Inc.

[8]   Dans la politique réglementaire de télécom 2012-24, les ententes négociées hors tarif pour les services de gros inclus dans la catégorie interconnexion étaient permises.

[9]   Tel qu’il est énoncé à l’article 7 de la Loi, les objectifs de la politique canadienne de télécommunication consistent notamment à : 7c) accroître l’efficacité et la compétitivité, sur les plans national et international, des télécommunications canadiennes; 7f) favoriser le libre jeu du marché en ce qui concerne la fourniture de services de télécommunication et assurer l’efficacité de la réglementation, dans le cas où celle-ci est nécessaire.

 

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