ARCHIVÉ -Décision de radiodiffusion CRTC 2010-534

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Ottawa, le 30 juillet 2010

Cogeco Diffusion inc.
Québec (Québec)

Plainte relative à la diffusion de l’émission Bouchard en parle, sur les ondes de CJMF-FM Québec

Le Conseil juge que les propos diffusés lors de l’émission Bouchard en parle le 26 janvier 2009, quoique déplaisants, ne vont pas à l’encontre des objectifs de la Loi sur la radiodiffusion ou du Règlement de 1986 sur la radio.

Historique

1.      Le 18 février 2009, le Conseil a reçu une plainte de Mme Françoise David, au sujet de l’émission Bouchard en parle diffusée le 26 janvier 2009 (l’émission) sur les ondes de CJMF-FM Québec, une station détenue par Cogeco Diffusion inc.

2.      Puisque la titulaire est membre du Conseil canadien des normes de la radiotélévision (CCNR), le Conseil a transmis la plainte à cet organisme afin qu’il rende une décision. Le Conseil a également transmis au CCNR dix-neuf autres plaintes qu’il avait reçues relativement à la même émission.

3.      Le 3 mars 2009, le CCNR a informé la plaignante qu’il ne traiterait pas sa plainte compte tenu de la possibilité d’action en justice et du fait qu’un recours judiciaire est incompatible avec le processus établi au CCNR. Par contre, le CCNR est demeuré saisi des dix-neuf autres plaintes.

4.      Suivant cette décision du CCNR, le Conseil a, le 3 avril 2009, informé la plaignante qu’il conserverait et traiterait sa plainte. Le Conseil a toutefois informé la plaignante qu’il ne rendrait pas sa décision quant au mérite de la plainte tant que le CCNR n’aurait pas rendu sa décision relativement aux autres plaintes, le tout, afin de ne pas influencer le processus d’autoréglementation de l’industrie.

5.      Au mois d’octobre 2009, le Secrétariat du CCNR a rendu une décision rejetant les 19 autres plaintes qu’il avait étudiées. Le Conseil a par la suite jugé opportun de demander à la plaignante de lui faire part de ses observations relativement à la décision rendue par le CCNR. Dans sa lettre datée du 16 décembre 2009, Mme David réitérait les éléments de sa plainte, tels qu’énumérés ci-dessous.

6.      Le 28 janvier 2010, la plaignante confirmait au Conseil qu’elle n’avait déposé aucune procédure judiciaire à l’encontre de CJMF-FM ou de l’animateur pour les propos diffusés au cours de l’émission.

L’émission

7.      L’émission Bouchard en parle est diffusée le matin entre 6 h et 10 h sur les ondes de CJMF-FM et est animée par le journaliste Sylvain Bouchard. CJMF-FM est une radio d’opinion, et Bouchard en parle est une émission au cours de laquelle l’animateur se prononce sur divers sujets d’intérêt public, parfois de manière critique ou exagérée. L’émission comporte aussi une tribune téléphonique qui permet aux auditeurs de partager leur opinion au sujet des sujets discutés en ondes, que cette opinion soit favorable ou défavorable à celle de l’animateur.

8.      Le 26 janvier 2009, au cours de l’émission Bouchard en parle, l’animateur traite du sujet d’un manuel scolaire utilisé dans le cadre de l’enseignement du cours Éthique et culture religieuse. On retrouve, à la page 198 de ce manuel, un texte au sujet de Françoise David ainsi que sa photographie sous la rubrique « Présentation d’une militante pour la justice sociale ».

9.      L’animateur s’insurge devant le fait que Françoise David, une politicienne reconnue et chef du parti Québec solidaire, figure dans ce manuel scolaire. Il qualifie sa présence de « propagande politique communiste » ou de « brainwashage socialiste » et décrit Mme David comme une « chef soviétique » et une « communiste ».

10.  L’animateur mentionne que sa réaction aurait été la même pour tout autre politicien qui aurait figuré dans le manuel scolaire. Il précise qu’il faudrait apprendre aux jeunes comment penser et non quoi penser.

11.  L’animateur invite les étudiants à déchirer la page de leur manuel scolaire sur laquelle figure Mme David, en échange de quoi, ils auront la possibilité de gagner un jeu Guitar Hero. Il suggère de « faire un beau gros tas avec la face de Françoise David et […] garrocher ça dans sa place, les poubelles, les vidanges ».

12.  Le concours, qui était censé durer une semaine, a finalement pris fin le 30 janvier 2009, suivant la réception par CJMF-FM d’une lettre de Mme David.

Les plaintes formulées par la plaignante

13.  Mme David se plaint plus particulièrement des aspects suivants de l’émission :

La réponse de CJMF-FM

14.  Le 23 avril 2009, CJMF-FM, en réponse à la plainte de Mme David, s’oppose en premier lieu aux sections de la plainte qui font référence à une contravention aux articles du Code criminel et du Code civil du Québec, alléguant que ces énoncés de faits et de droit sont hors de la juridiction du Conseil.

15.  CJMF-FM indique que la station et ses animateurs, y compris M. Bouchard, sont clairement reconnus dans le marché radiophonique de Québec comme une radio d’opinion, et qu’ils exposent des points de vue sur des sujets d’intérêt public. La titulaire estime qu’il est légitime de critiquer Mme David puisqu’il s’agit d’une personnalité politique active reconnue comme telle. CJMF-FM fait également valoir que l’opinion exprimée par M. Bouchard, bien que discutable ou exagérée, n’est pas déraisonnable ou injurieuse envers Mme David et se rattache strictement à sa vie politique.

16.  De plus, toujours selon CJMF-FM, le fait d’utiliser des qualificatifs tels que « marxiste », « communiste », « socialiste » et « Soviétique » est justifié dans les circonstances considérant que le parti dans lequel œuvre Mme David, Québec solidaire, a reconnu officiellement le Parti communiste du Québec comme étant lié ou représenté au sein de Québec solidaire, ce qui a d’ailleurs été précisé par l’animateur au cours de l’émission.

17.  Selon la titulaire, la station n’a contrevenu à aucune réglementation applicable. Finalement, la titulaire indique que le 4 février 2009, elle a émis le communiqué de presse suivant par lequel elle exprimait ses regrets :

Le 93,3 constate que ce concours a pu être considéré de mauvais goût et a pu également heurter certaines personnes, dont Mme Françoise David, ce que la station regrette.

Analyse et décision du Conseil

18.  Lors de son examen, le Conseil a tenu compte des préoccupations de la plaignante, de la réponse de CJMF-FM, ainsi que de sa propre analyse de l’émission. Cet examen a été fait à la lumière de l’interdiction faite aux radiodiffuseurs de diffuser des propos offensants prévue à l’article 3b) du Règlement, des principes établis dans le Code, ainsi que des objectifs de la politique canadienne de radiodiffusion énoncés dans la Loi, notamment le critère de haute qualité prévu à l’article 3(1)g) de la Loi.

Propos à l’égard de Mme David

19.  Comme mentionné plus haut, Mme David se plaint d’avoir été traitée de « chef soviétique », de « marxiste » et de « communiste ». Mme David se plaint également de l’utilisation des expressions « propagande communiste » et « brainwashage socialiste » pour qualifier sa présence dans le manuel scolaire.

20.  Dans l’avis public 1988-213, le Conseil a précisé que, selon lui, « les attaques personnelles injustifiées contre des particuliers ou des groupes […] sont des exemples d’incapacité de satisfaire à la programmation de haute qualité exigée de chaque titulaire ». Plus récemment, le Conseil a indiqué, dans la décision de radiodiffusion  2002-189, que le droit de critiquer n’est pas absolu et qu’il ne comprend pas le droit de faire des attaques personnelles.

21.  Lorsque le Conseil analyse une plainte sur la base d’une violation à la norme de haute qualité, telle une allégation d’attaques personnelles, le contexte au cours duquel ont été diffusés les propos est d’une grande importance et doit être pris en considération.

22.  Bien que la plaignante et certains auditeurs aient pu être choqués par les propos de l’animateur et que le Conseil convienne avec la station que le concours pouvait être considéré comme de mauvais goût, il ne relève pas du Conseil de prendre des mesures réglementaires en ce qui concerne des propos de mauvais goût. Le droit à la liberté d’expression prévu notamment à l’article 2(3) de la Loi englobe le droit à la critique et à la diffusion d’opinions contestataires ou impopulaires[1].

23.  Dans les circonstances de l’espèce, le Conseil estime que les propos de l’animateur ne constituent pas des attaques personnelles injustifiées. Les qualificatifs utilisés pour décrire Mme David peuvent être exagérés, impopulaires ou de mauvais goût, mais ils demeurent reliés aux fonctions publiques et politiques de la plaignante et non à des attributs ou des motifs personnels. Mme David n’était pas non plus visée en tant que femme. La présence de Mme David dans le manuel scolaire était critiquée par l’animateur pour le simple fait qu’une politicienne, chef d’un parti politique, ne devrait pas y figurer. Selon lui, on ne devrait pas dire aux jeunes quoi penser, mais plutôt leur enseigner comment penser. L’animateur précise également qu’il aurait eu la même réaction si quelconque autre chef politique avait figuré dans le manuel scolaire. De plus, l’animateur a justifié la comparaison de Mme David à un chef soviétique ou un communiste par le fait que le parti Québec solidaire reconnait certains de ses membres comme faisant partie du Parti communiste du Québec.

24.  Par ailleurs, le Conseil note que l’émission comporte une tribune téléphonique contenant des opinions et qu’en conséquence, les propos ont été clairement présentés comme les opinions de l’animateur et non comme des faits objectifs. Dans ce contexte, le Conseil est satisfait de la réponse de CJMF-FM. L’animateur était en droit d’émettre son opinion ou une critique, bien qu’exagérée ou inappropriée, sur un sujet d’intérêt public.

25.  Conséquemment, le Conseil conclut que la titulaire n’a pas agi à l’encontre de la norme de haute qualité prévue dans la Loi.

Propos à l’égard des professeurs

26.  Le Conseil en vient à la même conclusion relativement à la critique de l’animateur à l’égard des professeurs. En les désignant de « profs gauchistes socialistes », l’animateur exprimait son point de vue sur un sujet d’intérêt public, soit l’enseignement aux élèves. Les propos de l’animateur ne peuvent être associés à des attaques personnelles, puisqu’ils ne visent pas les professeurs de manière personnelle, mais sont plutôt une critique sur la façon utilisée pour enseigner aux jeunes (quoi penser et non comment penser.)

27.  Dans ce contexte, le Conseil conclut que la titulaire n’a pas agi à l’encontre de la norme de haute qualité.

Allégation de propos à l’égard des femmes

28.  Quant à l’allégation de la plaignante selon laquelle les femmes sont également visées par les propos de l’animateur, le Conseil estime que l’animateur n’a, à aucun moment pendant l’émission, exprimé des commentaires à l’égard des femmes, encore moins des commentaires négatifs, méprisants ou abusifs. Bien que les critiques de l’animateur visaient la présence de Mme David, une femme, dans le manuel scolaire et que celle-ci a effectivement œuvré dans le domaine de la promotion des droits des femmes, ces critiques se rapportaient à ses opinions et gestes politiques et non à son identité en tant que femme. Un auditeur raisonnable pouvait rapidement comprendre que M. Bouchard ne s’en prenait pas aux femmes en tant que groupe.

29.  Le Conseil conclut donc à l’absence d’une quelconque violation réglementaire sur ce point.

Incitation à la violence

30.  En incitant les jeunes à déchirer la page 198 du manuel scolaire, la plaignante fait valoir que l’animateur a incité les jeunes à commettre un méfait au sens du Code criminel et qu’en proposant de « faire un beau gros tas avec la face de Françoise David », il incitait à la violence contre elle et contre les femmes.

31.  En ce qui concerne les références au Code criminel, il n’est pas du ressort du Conseil de se prononcer sur des allégations d’acte criminel en vertu du Code criminel. Le Conseil estime qu’un auditeur raisonnable pouvait comprendre le message de l’animateur comme se limitant au simple geste physique de déchirer la page du manuel scolaire sans s’en prendre physiquement à Mme David ou aux femmes.

32.  Par conséquent, le Conseil conclut que les propos de M. Bouchard à cet égard ne vont pas à l’encontre de la norme de haute qualité.

Allégation générale de propos offensants en vertu de l’article 3b) du Règlement

33.  La plainte de Mme David allègue une violation de l’article 3b) du Règlement, sans toutefois mentionner à quels propos elle réfère. Le Conseil a donc examiné les propos diffusés dans leur ensemble afin de déterminer s’ils contreviennent à l’article 3b) du Règlement.

34.  Le Conseil partage l’avis de CJMF-FM selon lequel les propos de l’animateur, et plus particulièrement ceux dirigés contre Mme David, ne se fondent sur aucun des motifs énumérés à l’article 3b) du Règlement[2]. En effet, tel que mentionné précédemment, le Conseil estime que les critiques de M. Bouchard ne visaient pas Mme David en tant que femme mais plutôt en tant que politicienne. De plus, le Conseil est convaincu que les propos de l’animateur ne risquaient pas d’exposer une personne ou un groupe à la haine ou au mépris.

35.  Par conséquent, le Conseil conclut que les propos émis par l’animateur et diffusés par CJMF-FM ne contreviennent pas à l’article 3b) du Règlement.

Violation des articles 2, 7, et 17 du Code de déontologie de l’ACR

36.  La plaignante a également invoqué la violation de certains articles du Code. Le Conseil note que le CCNR n’a conclu à aucune violation du Code dans sa décision du mois d’octobre 2009. Bien que ce Code ne soit pas imposé comme condition de licence aux titulaires de licence de radio, il représente ce que l’industrie de radiodiffusion considère représenter la norme de haute qualité prévue dans la Loi. Compte tenu des conclusions énoncées plus haut, le Conseil estime que la titulaire n’a pas contrevenu au Code.

Conclusion

37.  Après avoir examiné l’émission Bouchard en parle diffusée le 26 janvier 2009 et après avoir aussi tenu compte de tous les documents envoyés par la plaignante et par la titulaire, le Conseil conclut que les propos diffusés lors de l’émission Bouchard en parle, quoique déplaisants, ne vont pas à l’encontre des objectifs de la Loi ou du Règlement.

Secrétaire général

Documents connexes

Notes de bas de page

[1] Ce principe a d’ailleurs été réitéré par le Conseil dans la décision de radiodiffusion 2006-293 (Voir les paragraphes 26 et 27).

[2] Ces propos offensants se fondent sur la race, l’origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, le sexe, l’orientation sexuelle, l’âge ou la déficience physique ou mentale d’une personne ou d’un groupe.

 

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