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Décision de radiodiffusion CRTC 2006-293
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Ottawa, le 14 juillet 2006
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Société de télédiffusion du Québec
Montréal (Québec)
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Plaintes concernant la diffusion d'épisodes de l'émission Les Francs-tireurs sur les ondes de Télé-Québec
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Dans la présente décision, le Conseil traite des plaintes relatives à deux épisodes de l'émission de télévision Les Francs-tireurs, diffusée par la Société de télédiffusion du Québec. Après examen des segments des émissions en cause, le Conseil juge que la titulaire n'a pas enfreint la disposition du Règlement de 1987 sur la télédiffusion qui interdit la diffusion de propos offensants. Le Conseil juge également que la titulaire a respecté les objectifs de la politique canadienne de radiodiffusion établis dans la Loi sur la radiodiffusion, y compris ceux précisant que la programmation devrait être de haute qualité et contribuer au renforcement du tissu culturel et social et du caractère multiculturel et multiracial de la société canadienne.
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Historique
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1.
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Les 18 février et 31 mars 2005, le Conseil a reçu deux plaintes du Centre de recherche-action sur les relations raciales (CRARR) à propos de commentaires émis lors de deux épisodes de l'émission Les Francs-tireurs, diffusée par la Société de télédiffusion du Québec (Télé-Québec). Puisque la titulaire n'est pas membre du Conseil canadien des normes de la radiodiffusion (CCNR), le Conseil a traité les plaintes. Le personnel du Conseil a répondu au plaignant le 29 juillet 2005. Insatisfait de la réponse du personnel du Conseil, le 17 août 2005, le CRARR a demandé que le Conseil rende une décision sur ses plaintes.
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2.
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Les deux plaintes du CRARR portent sur des segments d'environ cinq minutes chacun. D'autres plaintes (environ 197) similaires à celles du CRARR ont été envoyées au Conseil concernant les mêmes épisodes.
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Les plaintes
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3.
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Le CRARR allègue que les propos de Benoit Dutrizac (l'animateur), sont discriminatoires envers la religion musulmane et ont pour effet d'exposer les musulmans au mépris, à la discrimination et à la haine.
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4.
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Dans sa plainte du 18 février 2005, le CRARR avance que les propos de l'animateur, lors de l'émission du 2 février précédent, étaient « blessants et discriminatoires envers la religion musulmane ». Le CRARR ajoute :
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Selon madame R.B., membre de l'auditoire de foi musulmane et téléspectatrice, les commentaires du journaliste Dutrizac l'ont profondément insultée et humiliée. Lors de son entrevue avec son invitée, Mme Irshad Manji, diffusée le 2 février dernier, monsieur Dutrizac a dit apparemment que l'islam est une « religion stupide ».
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5.
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Dans sa plainte du 31 mars 2005 au sujet de l'émission diffusée le 16 mars 2005, le CRARR déclare que :
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Selon plusieurs membres de l'auditoire musulman, les commentaires de monsieur Dutrizac pendant l'entrevue avec son invité, le Dr. Amir Khadir, peuvent être qualifiés de discriminatoires et ayant comme effet de les exposer au mépris, à la discrimination et à la haine.
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6.
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Dans cette plainte, le CRARR demande au CRTC, entre autres, de :
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- tenir une audience publique dans le but de déterminer si les émissions en question et les commentaires dudit animateur à l'endroit de la communauté musulmane constituent une contravention au Règlement de 1987 sur la télédiffusion (le Règlement);
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- déterminer si les comportements dudit animateur rendent l'émission Les Francs-tireurs incompatible avec la mission et les conditions de licence de la titulaire.
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Réponse de Télé-Québec
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7.
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Télé-Québec a répondu aux plaintes en s'excusant d'abord de ce que les propos ou les expressions utilisés par l'animateur aient offensé les plaignants ou d'autres membres de la communauté musulmane.
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8.
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Télé-Québec a rappelé que le mandat de l'émission Les Francs-tireurs était de traiter de divers sujets sans éviter la controverse afin de permettre la discussion des points de vue au sein du public. La titulaire est d'avis que le commentaire de l'animateur,
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[.] bien que pouvant paraître caustique et répréhensible à certains, n'en demeure pas moins une opinion qui est tout à fait légitime dans notre société libre et démocratique. Le CRTC n'a pas pour but d'empêcher les commentaires, ce qui serait une limite inacceptable à la liberté d'expression et au droit du public à l'information.
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Les propos de M. Dutrizac critiquant la pratique du jeûne par les enfants musulmans ne sont sûrement pas de nature à susciter la haine ou le mépris à l'égard des musulmans d'autant plus qu'ils ont été dits dans un contexte où son invitée musulmane explique qu'elle-même n'a pas été obligée par sa mère de le pratiquer n'en étant pas physiquement capable.
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9.
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En réponse à la plainte contre l'émission diffusée le 16 mars 2005, Télé-Québec rappelle que :
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[.] L'objectif de l'entrevue du 16 mars avec le Dr. Amir Khadir était de donner la parole à un membre respecté de la communauté musulmane montréalaise qui ne partageait pas nécessairement le point de vue de l'animateur ou de son invitée du 2 février précédent, l'auteure Irshad Manji.
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[.] Dans le cadre de l'entrevue avec monsieur Khadir, plusieurs sujets ont été abordés dont celui de la pratique religieuse dans une société laïque, notamment le ramadan, la prière et le lavement public des pieds pratiqué par certains adeptes de la religion musulmane. L'animateur Benoit Dutrizac a alors exprimé son agacement devant les revendications de certains groupes (notamment celles de certains étudiants de l'École de technologie supérieure). Nous constatons avec vous que le vocabulaire qu'il a utilisé était inapproprié et que des téléspectateurs ont pu en être blessés, mais nous réitérons que ses propos n'attaquent pas des individus mais plutôt des pratiques. Nous ne croyons pas qu'il s'agit là de propos racistes, discriminatoires ou haineux.
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L'émission Les Francs-tireurs
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10.
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Au moment de la diffusion des épisodes en question, Télé-Québec décrivait l'émission Les Francs-tireurs comme étant une émission de critique sociale et d'affaires publiques. Le site Internet de cette émission indiquait que celle-ci portait sur les phénomènes sociaux émergents, les tabous, les sujets controversés et la rectitude politique que les deux animateurs s'employaient à « traquer, à viser et à abattre ». La formule de l'émission voulait que les deux animateurs d'alors, Richard Martineau et Benoit Dutrizac, mènent des entrevues « ciblant » les événements, tendances ou personnages d'actualité. Chaque semaine, des personnalités étaient invitées à venir étayer leur point de vue sur des sujets d'actualité. Le plus souvent, le ton de l'émission était très direct (franc), parfois grossier, l'humour satirique et les jurons y étaient régulièrement utilisés par les animateurs ou leurs invités.
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11.
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L'émission est diffusée sur les ondes de Télé-Québec le mercredi soir de 20 h à 21 h, et rediffusée le samedi à 19 h et le dimanche à 0 h 30, ainsi que le mardi à 11 h.
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Émission du 2 février 2005
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12.
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Le 2 février 2005, Benoit Dutrizac recevait en entrevue Irshad Manji, écrivaine et conférencière de foi musulmane qui s'emploie à dénoncer ce qu'elle nomme les formes de tribalisme dans l'islam. Mme Manji est l'auteure du livre « Musulmane mais libre », publié en anglais sous le titre « The Trouble with Islam Today ».
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13.
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L'animateur et son invitée se sont entretenus des interprétations possibles du Coran et de la place des femmes et des enfants dans l'islam. À un moment, l'animateur s'est indigné de ce que le jeûne du ramadan était imposé aux enfants. Il a émis le commentaire « This is a stupid religion. This is a stupid religion. » en réplique à Irshad Manji qui expliquait que l'âge moyen pour qu'un enfant musulman observe le jeûne était de 9 ans.
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Émission du 16 mars 2005
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14.
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Le 16 mars 2005, Benoit Dutrizac recevait en entrevue Amir Khadir, alors candidat du parti de l'Union des forces progressistes (UFP) aux dernières élections générales du Québec. Télé-Québec a présenté l'émission comme suit sur son site Internet :
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Benoit Dutrizac discute avec Amir Khadir de certaines pratiques religieuses en réaction à l'entrevue de Benoit avec Irshad Manji il y a quelques semaines. Amir Khadir tenait à donner son point de vue. Discussion animée entre les deux hommes qui sont d'accord sur certains points mais en désaccord sur d'autres. Ils argumentent à propos du jeûne chez les enfants, du port du voile, du tribunal islamique, du droit à la prière en lieux publics, de répression religieuse, du jugement et de l'humiliation subis par la communauté musulmane, etc.
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15.
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Durant cet entretien, l'animateur a émis le commentaire « Ils nous font chier avec leurs prières pis se laver les pieds dans les toilettes! ». L'animateur s'indignait devant les récriminations des étudiants musulmans de l'École de technologie supérieure (ÉTS) de Montréal qui avaient déposé une poursuite d'un million de dollars contre cette école suivant le refus de l'ÉTS d'aménager un espace pour la prière et d'autres pratiques religieuses musulmanes.
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Analyse et décision du Conseil
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Propos offensants
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16.
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L'article 5(1)b) du Règlement interdit au titulaire de distribuer une programmation qui contient :
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des propos offensants ou des images offensantes qui, pris dans leur contexte, risquent d'exposer une personne ou un groupe ou une classe de personnes à la haine ou au mépris pour des motifs fondés sur la race, l'origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, le sexe, l'orientation sexuelle, l'âge ou la déficience physique ou mentale.
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17.
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Comme le Conseil l'a déjà déclaré dans un certain nombre de décisions, et plus récemment dans la décision CRTC 2006-191, le but du règlement interdisant les propos offensants est de prévenir les préjudices très réels que de tels propos peuvent causer, préjudices qui sont contraires aux objectifs de la politique canadienne de radiodiffusion. Les propos qui risquent d'exposer un groupe à la haine ou au mépris causent des préjudices émotionnels pouvant occasionner de graves problèmes d'ordre psychologique et social aux membres du groupe visé. La dérision, l'hostilité et la violence encouragées par ces propos peuvent avoir, pour les membres de ce groupe, un impact très négatif sur l'estime de soi, la dignité humaine et leur acceptation par la société. Ce préjudice mine l'égalité de droits de ceux qui sont visés, droits que la programmation du système canadien de radiodiffusion devrait respecter et refléter, conformément à la politique canadienne de radiodiffusion. En plus d'éviter le préjudice aux personnes visées par de tels propos, la disposition du Règlement interdisant les propos offensants vise à garantir à tous les Canadiens le reflet et le respect des attitudes et des valeurs canadiennes. La diffusion de propos incitant à la haine et au mépris mine également la structure culturelle et sociale du Canada, que le système canadien de radiodiffusion doit sauvegarder, enrichir et renforcer.
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18.
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L'article 5(1)b) du Règlement reflète un juste équilibre entre, d'une part, la liberté d'expression et, d'autre part, les valeurs d'égalité et de multiculturalisme qui sont enchâssées dans la Loi sur la radiodiffusion (la Loi) et dans la Charte canadienne des droits et libertés. Il accorde une grande sphère de protection à la liberté d'expression, sans pour autant permettre la diffusion sur les ondes des propos discriminatoires qui portent gravement atteinte aux valeurs d'égalité et de multiculturalisme.
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19.
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Les propos diffusés en ondes contreviennent à l'article 5(1)b) du Règlement lorsque les trois critères suivants sont réunis :
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1. les propos sont offensants;
2. les propos offensants, pris dans leur contexte, risquent d'exposer une personne ou un groupe ou une classe de personnes à la haine ou au mépris;
3. les propos offensants sont fondés sur la race, l'origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, le sexe, l'orientation sexuelle, l'âge ou la déficience physique ou mentale.
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3e critère : Les propos sont-ils fondés sur la race, l'origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, le sexe, l'orientation sexuelle, l'âge ou la déficience physique ou mentale?
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20.
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Dans le cadre des deux épisodes en question, il convient, en premier lieu, d'examiner le 3e critère. Il faut considérer ce critère afin de déterminer si les propos visaient un groupe en particulier, aux termes du Règlement.
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21.
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Le Conseil souligne que dans le cas du premier épisode, les propos visaient une pratique religieuse, nommément le jeûne des enfants, non pas spécifiquement des individus musulmans ou des groupes. Dans le deuxième épisode, les commentaires reprochés sont notamment : « Ils nous font chier avec leurs prières pis se laver les pieds dans les toilettes! » Le CRARR a affirmé que ces propos étaient blessants et discriminatoires envers la religion musulmane.
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22.
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Répondant à cet aspect des plaintes, Télé-Québec maintient que les propos en question n'attaquent pas des individus mais plutôt des pratiques. Cependant, dans sa lettre du 17 août 2005, le CRARR allègue que l'affirmation selon laquelle les propos de l'animateur ne visaient pas les individus mais plutôt certaines pratiques de la religion musulmane est « non seulement arbitraire et fausse, mais également contraire à la jurisprudence canadienne en matière de discrimination et d'égalité ». Selon le CRARR, les commentaires de M. Dutrizac ont porté atteinte à l'identité et aux croyances d'un groupe de musulmans au Québec.
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23.
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Le Conseil constate que, pour les fins du 3e critère de la disposition du Règlement interdisant les propos offensants, il faut mentionner un des groupes visés aux termes de ce Règlement. Même si un de ces groupes n'est pas spécifiquement mentionné, ce critère peut être rempli dans le cas d'une émission qui relève une pratique ou caractéristique qui sert à identifier, ou à viser, de façon distinctive, au moins un des groupes ciblés par le Règlement. À cet égard, le Conseil estime que les pratiques d'une religion sont parfois indissociables des individus pratiquant cette religion. Il serait erroné d'appliquer ce 3e critère du Règlement de façon à ce qu'une attaque sur la pratique religieuse (la religion) ne puisse jamais équivaloir à une attaque contre les individus pratiquant cette religion.
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24.
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Le Conseil est d'avis que la mention du jeûne dans le premier épisode est suffisamment identifiable à la religion musulmane et à ses pratiquants pour qu'on puisse conclure qu'un commentaire désobligeant concernant cette pratique puisse être considéré comme un commentaire désobligeant envers ses pratiquants. Le Conseil est également d'avis que les propos tenus durant le deuxième épisode visent aussi les musulmans. En conséquence, le Conseil considère que le 3e critère du Règlement est rempli dans le cas des deux épisodes en question.
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1er critère : Les propos sont-ils offensants?
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25.
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Lorsque le Conseil est appelé à déterminer si des propos enfreignent l'article 5(1)b) du Règlement, il examine la teneur de ceux-ci de façon objective, c'est-à-dire selon le critère du téléspectateur raisonnable.
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26.
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Le Conseil a examiné les propos afin de juger s'ils étaient offensants en soi, pris isolément de leur contexte de diffusion respectif. À cet effet, le Conseil convient avec la titulaire que le vocabulaire utilisé était inapproprié. Plusieurs jugeront qu'il était de mauvais goût et la titulaire a admis que des téléspectateurs ont pu en être blessés.
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27.
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Toutefois, le Conseil est d'avis que qualifier une religion de « stupide » ou utiliser l'expression « faire chier », sans autres qualificatifs ou invectives, au sujet d'étudiants musulmans relève du domaine de l'opinion ou de la critique plutôt que de la discrimination envers les droits des individus concernés par ces commentaires. Le Conseil estime que dans une société démocratique, les citoyens et les radiodiffuseurs doivent pouvoir se prévaloir du droit de critiquer les groupes ou les pratiques religieuses, parfois au moyen d'expressions impopulaires, déplaisantes ou contestataires, sans que leurs opinions soient automatiquement jugées comme des propos offensants allant à l'encontre des droits fondamentaux.
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28.
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Tenant compte de ce qui précède, le Conseil est d'avis que les propos contenus dans les deux épisodes en question n'étaient pas « offensants » au sens de l'article 5(1)b) du Règlement.
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2e critère : Les propos, pris dans leur contexte, risquent-ils d'exposer une personne ou un groupe ou une classe de personnes à la haine ou au mépris?
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29.
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Le contexte de la diffusion est fondamental dans l'examen du contenu de la programmation. Le plus souvent, la façon dont des propos sont exprimés en ondes a une influence-clé sur la portée de ces propos pour le téléspectateur raisonnable, et ce, notamment quand les propos, pris de façon isolée, sont inappropriés ou désobligeants.
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30.
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Pour examiner le contexte, il faut examiner tous les éléments entourant la diffusion en question. Le Conseil estime que, selon les circonstances particulières de cette affaire, les éléments-clés suivants doivent être pris en compte dans l'examen du contexte dans lequel les propos de Benoit Dutrizac ont été émis : le but, le format, la durée et le ton de l'émission, la durée des propos reprochés ainsi que l'équilibre de la programmation (c.-à.-d. la présence d'une contrepartie suffisante pour nuancer les propos de l'animateur). Le Conseil peut aussi considérer le fait que certains commentaires étaient indirects. En somme, pour prendre connaissance du contexte d'une émission, le Conseil doit soupeser plusieurs facteurs comme suit.
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Le but, le format, la durée et le ton des émissions :
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31.
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Les Francs-tireurs, une émission de critique sociale et d'affaires publiques portant sur divers phénomènes sociaux, contient des débats d'opinions et de libre-pensée durant lesquels le ton est le plus souvent très direct et irrévérencieux, parfois grossier. Tel que mentionné plus haut au sujet de l'émission, chacun des deux animateurs interviewe son invité pendant trente minutes sur des sujets chauds de l'actualité.
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32.
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Le Conseil note que les deux entrevues avec Irshad Manji et Amir Khadir avaient pour objectif de mieux faire comprendre l'islam et la réalité des musulmans du Québec et d'ailleurs aux téléspectateurs québécois. Étant donné que cette émission traite des phénomènes sociaux émergents et de sujets controversés, il n'est pas surprenant que les discussions remettaient en question certaines prémisses de cette religion.
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33.
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Les commentaires émis les 2 février et 16 mars 2005 respectivement portaient sur les perceptions et préjugés liés à la religion musulmane. Dans ces circonstances, le ton et le langage utilisés par l'animateur ont pu choqué ou insulté plusieurs auditeurs de Télé-Québec, comme la titulaire l'admet. Les remarques reprochées n'ont duré que quelques secondes à l'intérieur de ces émissions. Elles ne furent pas répétées; il ne s'agit pas d'acharnement. La controverse n'était pas évitée, au contraire, elle était recherchée; il s'agissait également d'un but de l'émission.
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34.
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Le Conseil est d'avis que le contexte et le ton des deux épisodes étaient sérieux, à l'exception de quelques grivoiseries de la part de l'animateur et d'Irshad Manji. Rien ne suggère que des attaques personnelles injustifiées furent émises durant l'entrevue. Les opinions de l'animateur sont évidentes dès le départ : il est en désaccord avec le fait que les enfants musulmans aient à jeûner toute la journée et aller à l'école durant le ramadan. Dans le contexte d'une émission portant sur la critique des phénomènes sociaux, la remise en question de l'animateur, parfois acerbe, de certaines pratiques telles que le jeûne, ne devrait pas être interprétée ou perçue comme de la haine ou du mépris à l'égard des musulmans.
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35.
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Bien que l'animateur ait utilisé des jurons à quelques reprises durant ses entrevues, les comportements de Dutrizac et de ses invités demeurent cordiaux et respectueux, somme toute professionnels. Ces comportements peuvent démontrer, de l'avis du Conseil, qu'il est possible d'être en désaccord sur certains sujets tout en maintenant un dialogue, en demeurant ouvert à la remise en question et à la conciliation.
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Présence d'équilibre et contrepartie :
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36.
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Le Conseil estime que la notion d'équilibre constitue une composante importante dans l'examen du contexte et de la qualité de la programmation, particulièrement dans les émissions visant la discussion d'affaires publiques. Le Conseil rappelle qu'il n'est pas exigé qu'une titulaire fasse preuve d'équilibre au sein même d'une émission mais dans l'ensemble de sa programmation.
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37.
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Le Conseil estime que la programmation de Télé-Québec se trouvait équilibrée à plusieurs niveaux, c'est-à-dire qu'elle permettait au téléspectateur d'être exposé à une diversité de points de vue sur des questions d'intérêt public délicates et controversées. La programmation était équilibrée:
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- au sein même des deux entrevues, par l'expression d'opinions divergentes de la part des interviewés et de l'animateur;
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- au sein de chaque épisode des Francs-tireurs (au moyen de la présentation de points de vue différents à quelques semaines d'intervalle, le point de vue d'Irshad Manji, c.-à-d. le besoin de réformer l'islam, et plus tard le point de vue d'Amir Khadir, c.-à-d. la nécessité d'être sensible à la situation des musulmans depuis le 11 septembre 2001 et le danger de ne pas faire l'effort de respecter les différences).
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38.
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Le Conseil est d'avis que la contrepartie offerte par les invités était suffisante pour nuancer les propos de l'animateur et équilibrer les opinions émises.
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39.
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À titre illustratif, le Conseil souligne que durant l'entretien avec Amir Khadir, chacune des remarques de Dutrizac était contredite ou remise en question par le point de vue de Khadir. Par exemple, alors que l'animateur maintient que les prières devraient être interdites dans les écoles, Khadir rappelle que toutes les écoles québécoises qu'il a fréquentées abritaient des pastorales et que personne ne s'en indigne. Les réponses de Khadir ont eu pour effet, selon le Conseil, d'équilibrer, et même d'affaiblir, la position et la portée des propos de Dutrizac.
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40.
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Tel qu'énoncé plus haut, le Conseil est d'avis que le fait que certains commentaires étaient indirects, en ce qui concerne la religion, et ne visaient pas directement les individus pratiquant cette religion peut former un élément du contexte de la première émission.
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41.
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À la suite de l'analyse du contenu de la programmation et des éléments du contexte de diffusion examinés ci-haut, le Conseil considère que les deux épisodes ont pu, pour le téléspectateur raisonnable, susciter une meilleure compréhension sur des sujets variés liés à la pratique de l'islam et mal connus du public québécois : le ramadan, le port de la burka et du voile, la prière, etc. Le Conseil est d'avis que les deux épisodes ont atteint leur but de mieux renseigner les téléspectateurs sur la religion musulmane.
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42.
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En conséquence, le Conseil estime que les propos de l'animateur, bien que pouvant être considérés par certains comme inappropriés, n'incitaient pas, dans leur contexte, à la violence, à la haine ou au mépris au sens du Règlement.
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Les objectifs de la politique canadienne de radiodiffusion
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43.
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L'article 5(1) de la Loi confie au Conseil la mission de réglementer et de surveiller tous les aspects du système canadien de radiodiffusion en vue de mettre en oeuvre la politique canadienne de radiodiffusion énoncée à l'article 3(1) de la Loi.
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44.
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Le Conseil se penchera ci-dessous sur la question de savoir si les émissions en question étaient conformes à l'objectif énoncé à l'article 3(1) de la Loi suivant lequel la programmation devrait être de haute qualité. Le Conseil traitera également l'allégation du CRARR selon laquelle Télé-Québec aurait diffusé de l'information inexacte. Il s'agit d'un autre aspect du critère de haute qualité prévu à l'article 3(1) de la Loi.
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Haute qualité
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45.
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Le Conseil est d'avis que le critère de haute qualité, comme dans le cas du Règlement, doit être évalué dans le contexte de la diffusion et selon l'impact que les émissions peuvent avoir sur le téléspectateur raisonnable.
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46.
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Comme Télé-Québec l'a soulevé dans sa réponse, le Conseil rappelle que l'intention sous-jacente au critère de haute qualité de la programmation n'est pas d'empêcher la controverse sur les sujets d'opinion publique. À ce sujet, l'invitée Irshad Manji a déclaré en entrevue son contentement de vivre dans un pays où le libre échange d'idées est permis.
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47.
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Le Conseil est d'avis que tous les éléments d'analyse traitant de l'article 5(1)b) du Règlement s'appliquent également dans l'analyse de ces émissions sous l'angle du critère de haute qualité. Tel qu'expliqué précédemment, les deux émissions avaient pour but de mieux faire comprendre l'islam et la situation des musulmans aux téléspectateurs québécois. En effet, le téléspectateur raisonnable, ayant vu les deux émissions en question, est mieux renseigné qu'auparavant en ce qui concerne la religion musulmane. Le Conseil conclut que les émissions en question étaient conformes à l'objectif énoncé à l'article 3(1) de la Loi suivant lequel la programmation devrait être de haute qualité.
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Objectifs sociaux
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48.
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Dans le contexte de ces deux longues conversations, le Conseil est d'avis que les discussions avec Irshad Manji et Amir Khadir ont réussi à servir les objectifs sociaux énumérés aux articles 3(1)d)(i) et (iii) de la Loi. À cet égard, le Conseil estime que par une controverse productive et un échange d'opinions divergentes sur un sujet d'affaires publiques, les émissions de Télé-Québec ont pu servir à renforcer la structure culturelle et sociale du Canada et refléter le caractère multiculturel et multiracial de la société canadienne, conformément aux articles 3(1)d)(i) et (iii), de même que les divergences de valeurs et de croyances qui découlent du pluralisme, plutôt que leur contraire.
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Information inexacte
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49.
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Le CRARR conteste l'information présentée suivant laquelle l'âge moyen pour qu'un enfant musulman observe le jeûne du ramadan est de 9 ans. Cette information serait inexacte dans les faits. Le CRARR déclare que « Selon l'islam, un enfant ayant atteint l'âge de puberté pratique le jeûne. »
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50.
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Le Conseil note que la diffusion de renseignements inexacts ou mensongers pourrait aller à l'encontre du critère de haute qualité de la programmation. Cependant, dans le cas présent, il n'a pas été démontré que les propos émis par Irshad Manji étaient inexacts ou mensongers. Le Conseil est d'avis que la notion de puberté est individuelle et sujette à interprétation et que Manji relatait son expérience personnelle. Elle a fait état du fait qu'elle avait la possibilité de refuser de participer au jeûne. Il est fort possible que dans l'entourage de l'interviewée, la règle coranique pour le commencement du jeûne ait été interprétée comme étant 9 ans. Après tout, certaines fillettes atteignent la puberté à l'âge de 9 ans. Dans les circonstances du cas présent, le Conseil ne peut pas conclure que Télé-Québec aurait diffusé des renseignements inexacts.
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Conclusion
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51.
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Le Conseil juge que Télé-Québec n'a pas enfreint l'article 5(1)b) du Règlement de 1987 sur la télédiffusion qui interdit la diffusion de propos offensants. Le Conseil juge également que Télé-Québec a respecté les objectifs et valeurs de la politique canadienne de radiodiffusion établis aux articles 3(1)d) et (g) de la Loi sur la radiodiffusion, c'est-à-dire les dispositions précisant que la programmation devrait être de haute qualité et contribuer au renforcement du tissu culturel et social et du caractère multiculturel et multiracial de la société canadienne.
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Secrétaire général
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Cette décision est disponible, sur demande, en média substitut, et peut également être consulté en version PDF ou en HTML sur le site internet suivant : www.crtc.gc.ca
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Note de bas de page: Plaintes concernant des propos relatifs aux Palestiniens, aux Iraquiens et aux Musulmans tenus au cours de l'émission Imus in the Morning sur les ondes de MSNBC Canada, décision de radiodiffusion CRTC 2006-19, 27 janvier 2006.
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Mise à jour : 2006-07-14