Le mépris numérique : Arguments en faveur d’une modification de la législation du Québec sur la publicité destinée aux enfants

[Accepté pour présentation à la Conférence annuelle de l’Association canadienne de communication de 2023, à l’Université de York].

Sydney L. Forde
Erika Solis
Yasemin Beykont

RÉSUMÉ : En 1978, le Québec a introduit la première interdiction de publicité de grande envergure dans la Loi sur la protection du consommateur (LPC), qui interdisait la publicité destinée aux enfants de moins de 13 ans. Au moyen d’une étude de cas qui contextualise le message persuasif des microtransactions de la boîte à surprises en tant que forme de publicité dans le jeu vidéo de la série FIFA, cet article cherche à établir la nécessité d’apporter des modifications à la LPC du Québec au moyen des mesures suivantes : 1) en soulignant comment l’industrie des jeux vidéo a ignoré les réglementations du Québec en matière de publicité pour les enfants; 2) en présentant comment d’autres nations ont abordé les approches publicitaires utilisées dans les jeux vidéo; 3) en décomposant comment les approches d’autoréglementation d’autres entités gouvernantes peuvent être adoptées dans la législation.

Mots-clés : Réglementation de la publicité; publicités pour enfants; Québec; jeux vidéo; réglementation numérique

Le mépris numérique : Arguments en faveur d’une modification de la législation du Québec sur la publicité destinée aux enfants

Souvent vantée pour sa législation progressiste, la province de Québec, au Canada, a interdit toute publicité destinée aux enfants de moins de 13 ans en 1978, ce qui en a fait la première interdiction de publicité de grande envergure de ce type. Les articles 248 et 249 de la Loi sur la protection du consommateur (LPC) définissent trois critères permettant de déterminer si une publicité peut être estimée comme ciblant les enfants. Il s’agit notamment de l’objectif qui est visé, du mode de présentation de la publicité ainsi que du moment et du lieu où elle est diffusée (Office de la protection du consommateur, 2012).

Bien que ces normes se prêtent à la réglementation de la publicité traditionnelle dans des médias tels que la presse écrite et la radiodiffusion, il est plus difficile de les appliquer aux technologies numériques, comme les jeux vidéo qui intègrent des microtransactions, c’est-à-dire du matériel supplémentaire à acheter dans le jeu lui-même. La publicité pour les jeux vidéo se divise en deux catégories : la promotion externe du jeu au moyen de messages publicitaires et d’annonces imprimées, et la promotion interne des microtransactions qui est de plus en plus utilisée. Dans certaines situations, ces microtransactions constituent la principale source de revenus des jeux vidéo, dépassant les profits réalisés grâce au placement de produits et aux ventes de jeux (McCaffrey, 2019).

Le Québec est unique dans l’adoption progressive d’un cadre juridique pour réglementer la publicité, car les autres provinces canadiennes et la plupart des pays occidentaux s’appuient uniquement sur des normes de publicité autoréglementées. Par exemple, l’Advertising Standards Authority (ASA) du Royaume-Uni, bien qu’elle soit très appréciée pour son rôle de chef de file dans la réglementation des publicités pour les jeux vidéo numériques, fonctionne comme un organisme de réglementation tenant les organisations responsables au moyen de diverses mesures relatives à la non-conformité, plutôt que d’avoir les pouvoirs juridiquement contraignants que lui confère le pouvoir législatif de la LPC. En mettant l’accent sur le Royaume-Uni et l’Union européenne, en raison de leur rôle de premier plan dans la recherche sur les politiques en matière de publicité pour les jeux vidéo, nous explorons les règles et les pratiques d’autres pays qui ont adopa subi de nombreuses modificationsté des mesures d’autoréglementation, tout en examinant les limites de la législation du Québec existante au sujet de la publicité destinée aux enfants, en raison de son incapacité à répondre aux exigences des médias numériques. Au moyen d'une étude de cas concernant le jeu vidéo de simulation de soccer en ligne FIFA 22, nous soutenons que le Québec doit adopter des règles définies par d’autres nations (souvent sous forme d’autoréglementation) dans le cadre de l’autorité législative de la LPC afin de garantir la conformité commerciale.

La série FIFA, un produit d’Electronic Arts (EA), est tristement célèbre pour sa promotion des microtransactions au sein de sa plateforme payante en échange de caractéristiques essentiellement cosmétiques. Dans le paysage juridique canadien, EA s’est attiré des critiques pour son utilisation manipulatrice et abusive des boîtes à surprises, une forme de microtransactions aléatoires comparable aux jeux d’argent, dans le passé (Ivan, 2020). Ces attraits sont particulièrement préoccupants lorsqu’ils sont utilisés à l’endroit d’enfants, un groupe démographique inclus dans la classification « E » pour tous (qui comprend les enfants âgés de 6 ans et plus). La série FIFA, largement disponible sur le marché du Québec, expose les enfants aux méfaits potentiels de la publicité et du jeu d’argent, et va donc à l’encontre des critères établis par la LPC. Pour cette raison, nous proposons que la publicité interne de plus en plus populaire dans la série FIFA et autres jeux semblables n’est pas contrôlée par la législation du Québec actuelle.

C’est pourquoi ce document plaide en faveur d’une modification de la LPC du Québec au moyen des mesures suivantes : 1) en soulignant l’ampleur avec laquelle l’industrie des jeux vidéo a ignoré la législation du Québec en matière de publicité destinée aux enfants au moyen d’une étude de cas; 2) en présentant diverses façons dont d’autres pays ont abordé les approches publicitaires uniques et secrètes utilisées dans les jeux vidéo, comme l’ ASA du Royaume-Uni, qui établit une distinction entre la réglementation des articles dans le jeu et celle des articles faisant l’objet d’une publicité externe; et 3) en décomposant la façon dont des approches semblables, souvent autoréglementés, d’autres entités gouvernementales peuvent être appliquées au moyen de modifications à la réglementation actuelle du Québec en matière de publicité.

La réglementation de la publicité et le cas unique de la province de Québec au Canada

« Permettre l’autoréglementation, c’est comme laisser les singes garder les bananes. » [Traduction]

 – Nicole Parton, 1979 (journaliste à Vancouver) (Francis, 1979)

Le gouvernement de la province de Québec, au Canada, a mis en place la première LPC en 1971 afin de protéger les citoyens du consumérisme américain et occidental croissant pendant la montée de la déréglementation néolibérale et du pouvoir du marché qui en découle dans les années 1960 et 1970. Les articles 248 et 249 ont été introduits en 1978 à la suite de modifications importantes dans les années qui ont suivi sa création et ont interdit la publicité destinée aux enfants (Legis Québec, 2022). Ces sections sont les suivantes :

  1. Sous réserve de ce qui est prévu par règlement, nul ne peut faire de la publicité à but commercial destinée à des personnes de moins de treize ans.
  2. Pour déterminer si un message publicitaire est ou non destiné à des personnes de moins de treize ans, on doit tenir compte du contexte de sa présentation et notamment :
    1. de la nature et de la destination du bien annoncé;
    2. de la manière de présenter ce message publicitaire;
    3. du moment ou de l’endroit où il apparaît.

Une telle loi témoigne de la nature progressiste du gouvernement du Québec à une époque où la législation en matière de publicité était (et reste encore aujourd’hui) largement autoréglementée dans les États démocratiques occidentaux. L’autoréglementation peut être définie au sens large comme « le contrôle de la conduite et du rendement des entreprises par les entreprises elles-mêmes plutôt que par le gouvernement ou le libre jeu du marché » (Pickering et Cousins, 1980, cités dans Boddewyn, 1985). Contrairement à l’implication réglementaire explicite du gouvernement provincial du Québec, le reste du Canada a adopté une approche d’autoréglementation pour la gestion des normes publicitaires (voir Bate, 2009). Il s’agit notamment de s’appuyer sur la coopération et l’autogestion de l’industrie dans le cadre du Code canadien des normes de la publicité (créé par l’industrie), administré par les Normes de la publicité, l’organisme d’autoréglementation de l’industrie. La publicité destinée aux enfants est l’une des deux formes de publicité (en plus de la publicité pour l’alcool) qui sont décrites comme « réglementées » par l’organisme de réglementation national, le Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes (CRTC) [2020]. Supervisées par le Comité d’approbation des publicités destinées aux enfants, les publicités doivent être estimées conformes au Code de la publicité radiotélévisée destinée aux enfants (Code destiné aux enfants) (Normes de la publicité – Canada, s.d.).

L’ensemble de la participation « réglementaire » du CRTC comprend donc l’approbation initiale du Code de la publicité destinée aux enfants et l’exigence selon laquelle toutes les publicités ciblant les enfants doivent être approuvées par les Normes de la publicité du Canada avant d’être rendues publiques (une exigence qui, curieusement, n’est pas obligatoire, mais seulement « recommandée » pour les autres publicités ne ciblant pas les enfants) (CRTC, 2020). L’approbation ou la désapprobation des publicités ciblant les enfants est donc réglementée par des organismes industriels plutôt que par des acteurs gouvernementaux. Une telle approche du contrôle de la persuasion publicitaire par l’autoréglementation, en particulier en ce qui concerne la protection des enfants contre la publicité persuasive et l’exploitation, a été examinée de près par le passé, car elle ne permettait pas de contrôler efficacement les tentatives des entreprises d’atteindre les enfants (Goltz et Neufeld, 2013; Kent et Pauzé, 2018). En ne s’appuyant pas sur l’industrie elle-même pour faire respecter les conditions de publicité approuvées par le gouvernement, la législation du Québec décrite dans la LPC est donc mieux équipée pour de protéger les enfants des influences commerciales (Pepall et Reiff, 2017).

La LPC a subi de nombreuses modifications depuis sa création en 1971. Par exemple, en 2019, le projet de loi 197 – intitulé : Loi modifiant la Loi sur la protection du consommateur afin de lutter contre l’obsolescence programmée et de faire valoir le droit à la réparation des biens proposait une modification de la LPC portant sous la garantie des biens achetés et prônant le « droit à la réparation » (Assemblée nationale du Québec, s.d.). Ce document propose que les articles 248 et 249 de la LPC soient mis à jour de la même manière afin de protéger au mieux les citoyens du Québec. Pascale Valois, dans sa thèse de maîtrise, a également recommandé le renforcement de ces articles dans la LPC, en particulier par « l’extension du concept de publicité à tous les modes de communication commerciale » (Valois, Painchaud et Mongeau, 2008; cité dans Bourgoignie et Lafond, 2007). Dans le dernier guide d’application mis à jour en 2012, créé par le gouvernement du Québec à l’intention des industries pour leur permettre de naviguer efficacement entre les articles 248 et 249 de la LPC, ciblé par la législation et décrites de manière générale comme « Tous les supports et tous les médias sont visés, quand ils sont employés pour diffuser un message publicitaire à but commercial. » (Office de la protection du consommateur, 2012). Bien que « l’interprétation de la loi étant évolutive, les nouveaux supports et médias qui voient le jour, selon les changements apportés au fil du temps aux supports technologiques », les exemples fournis se limitent à des supports et à des conceptions largement traditionnelles de la publicité, comme la radio, la télévision, le Web et les articles promotionnels. Ces formats, que nous proposons ici, ne couvrent pas le paysage numérique de plus en plus complexe de ce qui doit être estimé comme une « publicité ».

Bien que de nombreuses études aient examiné, loué et évalué l’interdiction générale de la publicité destinée aux enfants au Québec depuis son entrée en vigueur, une proportion importante d’entre elles se concentrent sur les répercussions de l’élimination de la commercialisation de la malbouffe auprès des enfants (Dhar et Baylis, 2011; Galbraith-Emami et Lobstein, 2013; Pauzé, Remedios et Kent, 2021). Cette étude examine le rôle de la publicité destinée aux enfants et situe cette pratique dans le cadre de la littérature scientifique existante afin d’élargir le champ d’application de la LPC pour y intégrer les expériences de plus en plus numériques des enfants au cours de la troisième décennie du XXIe siècle. En outre, cet article explore la manière dont les avancées technologiques, en particulier celles de l’industrie des jeux vidéo - ont permis de tirer profit des consommateurs (y compris des enfants) dans des espaces numériques qui s’écartent des conceptions traditionnelles des formats et des médias, comme elles sont décrites dans la dernière mise à jour du Guide d’application du Québec (Office de la protection du consommateur, 2012). Cette question est examinée dans le cadre de l’analyse d’une étude de cas portant sur l’une des franchises de jeux vidéo les plus vendues au monde, la série FIFA d’EA Sports, et sur la manière dont ce jeu (et les nombreux autres qui utilisent des tactiques semblables) a intégré des techniques publicitaires et promotionnelles problématiques qui contredisent directement la LPC du Québec (Batchelor, 2020).

Publicité pour les enfants

Au fur et à mesure que de nouveaux formats apparaissent dans le domaine de la publicité, la définition conceptuelle est modifiée, et cela à plusieurs reprises. L’évolution croissante de l’environnement numérique a compliqué la manière dont les universitaires, les praticiens, les régulateurs et les consommateurs définissent le terme « publicité ». À l’ère préalable au numérique, Richards et Curran (2002) proposaient une description qui affirmait que la publicité était « une forme payante et médiatisée de communication émanant d’une source identifiable, conçue pour persuader le destinataire d’entreprendre une action, aujourd’hui ou à l’avenir ». Même si certaines spécificités de cette définition peuvent être estimées comme exactes aujourd’hui, à l’ère du numérique, des universitaires comme Kerr et Richards (2020) conviennent qu’il est nécessaire d’actualiser le concept dans le cadre d’un marché de plus en plus complexe. Selon eux, « la publicité est une communication médiatisée, payée, possédée et gagnée, activée par une marque identifiable et en vue de persuader le consommateur de faire un changement cognitif, affectif ou comportemental, maintenant ou à l’avenir » (Kerr et Richards, 2020, p. 16). En élaborant cette définition, les universitaires avaient pour objectif d’élargir les limites des types de médias concernés par les pratiques publicitaires, de s’adapter à la définition de la publicité des organismes d’autoréglementation et de maintenir la cohérence de la définition à l’échelle mondiale (Kerr et Richards, 2020). L’ASA, au Royaume-Uni, est un exemple d’organisme d’autoréglementation qui adhère à une définition semblable. Voici la définition de l’ASA :

La publicité ou les publicités « sont des messages dont le contenu est contrôlé directement ou indirectement par l’annonceur, exprimés dans n’importe quelle langue et communiqués sur n’importe quel support médiatique dans le but d’influencer le choix, l’opinion ou le comportement de ceux à qui ils s’adressent ». (Advertising Standards Authority, s.d.)

De son côté, la LPC du Québec donne une définition relativement brève de ce qu’est une publicité, en la définissant comme « un message destiné à promouvoir un bien, un service ou un organisme au Québec » (Legis Québec, 2022). Bien qu’elle puisse être estimée comme restrictive en raison de la nature non particulière de la définition, cette description générale dans la LPC du Québec permet une interprétation plus large des publicités à mesure que les technologies et les techniques promotionnelles évoluent en fonction du temps. Une telle approche politique est bénéfique sur des marchés en constante évolution, car une précision excessive peut limiter l’applicabilité d’une loi à la formulation exacte des dispositions (Baldwin, Cave, et Lodge, 2011). Pour cette raison, et parce que le contexte de cette analyse est basé sur la législation du Québec, nous adoptons la définition de la publicité de la LPC dans ce document.

La publicité destinée aux enfants est une question complexe en pratique dans la réglementation. Les enfants n’ont pas les capacités cognitives nécessaires pour comprendre l’intention persuasive des publicités ainsi que pour différencier les publicités du contenu éditorial. Ils sont donc estimés comme plus vulnérables aux textes manipulateurs ou persuasifs (Sandra L. Calvert, 2008; Laczniak et Carlson, 2009). Compte tenu de tous ces effets néfastes, les universitaires ont mis en garde les parents et les professionnels contre les effets de la publicité et ont proposé des solutions politiques pour l’amélioration du jeune public. Par exemple, Radesky et coll. (2020) recommandent d’interdire la vente et l’achat d’hôtes dans l’application, y compris les boîtes à surprises (décrites ci-dessous), et d’exiger une clarification entre la publicité et le contenu, deux moyens très importants de réduire le risque de préjudice pour les enfants. De manière importante, l’ère numérique a modifié les perceptions traditionnelles des formes et des supports de la publicité, compliquées par les possibilités toujours plus nombreuses de gagner de l’argent grâce à l’audience. L’industrie du jeu vidéo en est un exemple : au cours des deux dernières décennies, elle a réinventé ses principales sources de revenus en se diversifiant en dehors de la vente de produits purs, et s’est plutôt orientée vers l’encouragement des microtransactions dans le jeu, un processus qui a été décrit comme la « marchandisation perpétuelle du jeu vidéo » (Lizardi, 2012, p. 3).

Jeux vidéo

Comme de nombreuses industries qui se sont adaptées à l’environnement numérique de ces dernières années, les jeux vidéo ont modifié leur modèle de revenus en ne comptant plus uniquement sur les ventes de jeux. À partir des années 2000, le secteur a cessé de tirer profit uniquement des ventes pour inclure davantage de contenu à acheter par les joueurs, ce qui a donné naissance au concept de microtransactions. Définies comme du contenu premium que les joueurs peuvent télécharger en plus du jeu habituel, les microtransactions permettent d’étendre l’univers d’un jeu. Les utilisateurs peuvent acheter ce contenu supplémentaire en utilisant soit de l’argent réel, soit de la monnaie du jeu (obtenue soit en achetant la monnaie avec de l’argent réel, soit en la gagnant en jouant) (McCaffrey, 2019). L’une des formes de microtransactions – les boîtes à surprises – est particulièrement problématique en raison de l’intégration de jeux d’argent.

Zendle et coll. (2020) définissent les boîtes à surprises comme des « objets dans les jeux vidéo qui peuvent être achetés pour de l’argent réel, mais qui offrent aux joueurs une récompense aléatoire de valeur incertaine » (p. 3). Ces objets permettent la possibilité d’obtenir des caractéristiques qui changent le jeu ou de modifier la façon dont les joueurs habillent leurs personnages. Dans un cas comme dans l’autre, il n’y a aucune garantie qu’un joueur gagnera l’objet qu’il recherche dans une boîte à surprises. Les boîtes à surprises ont été décrites comme étant de nature prédatrice (Harvey, 2021; King et Delfabbro, 2018; Uddin, 2021), et ont souvent été comparées à des jeux d’argent et accusées d’encourager les dépenses compulsives, en particulier chez les enfants (Mann, 2020).

Il est important de noter que les boîtes à surprises sont extrêmement rentables. En 2018, on a estimé que les joueurs ont dépensé collectivement 30 milliards de dollars en boîtes à surprises, ce qui démontre les mesures incitatives économiques des organisations à s’orienter vers les microtransactions – une évolution qui est venue perturber la culture du jeu (Mann, 2020). EA, un développeur et éditeur américain de jeux vidéo, est souvent associé aux microtransactions, car plusieurs de ses jeux intègrent ce mécanisme de jeu, notamment des succès massifs tels que Apex Legends, The Sims, et Titanfall. Plus de 60 % des revenus d’EA proviennent des services, ce qui inclut les microtransactions et plus particulièrement les boîtes à surprises (Warren, 2017). Malgré que si la plupart des jeux d’EA contiennent une forme ou une autre de microtransaction, la série FIFA est l’un des jeux les plus importants et les plus connus à le faire (EA, 2022a).

La série FIFA

La série FIFA est une série de jeux vidéo de soccer basés sur la Fédération internationale de football association, une instance dirigeante associée à l’organisation de compétitions mondiales de soccer. La liste des joueurs est mise à jour chaque année, en remplaçant les joueurs à la retraite et en ajoutant de nouveaux joueurs afin de refléter les changements annuels des joueurs au sein des équipes de soccer réelles. Les utilisateurs peuvent créer différentes équipes en fonction de leurs préférences et affronter le jeu lui-même ou d’autres utilisateurs réels. Le jeu est disponible sur plusieurs plateformes, permettant aux utilisateurs de jouer sur console ou sur ordinateur (EA, 2022b), et est facilement accessible dans tout le Canada, y compris au Québec.

Depuis la sortie de l’édition 2009, la série FIFA a intégré des boîtes à surprises, appelées « packs » dans le jeu. Ces packs peuvent contenir de nouveaux joueurs, des produits de beauté et des renforcements temporaires pour l’équipe (Thomas, 2009). Avec trois niveaux de packs (bronze, argent et or), cela modifie radicalement le pourcentage de joueurs et d’objets pouvant être collectés (EA, 2022 c). Malgré sa popularité, la série a fait l’objet d’un examen minutieux au fil des ans. En 2020, EA a été critiquée pour avoir fait paraître une publicité de boîtes à surprises dans un magazine de jouets pour enfants. La publicité faisant la promotion de la monnaie de jeu de la série FIFA comme moyen d’acheter des packs et, à son tour, de « construire [ses] équipes de rêve » (Robinson, 2020). La publicité a été très rapidement retirée et EA a promis de procéder à un « examen immédiat de tous les placements médiatiques futurs » afin de s’assurer qu’elle est responsable vis-à-vis de son jeune public (Robinson, 2020). Cependant, depuis la controverse, la série FIFA a pris d’autres mesures pour persuader ses joueurs d’acheter des packs de la série FIFA.

En 2021, un rapport de la Société Radio-Canada (SRC) citant des documents internes d’EA a révélé que l’entreprise incitait les consommateurs à acheter des packs de la série FIFA pour collectionner des joueurs de soccer qui sont populaires en dehors du jeu, mais qui ont notoirement peu de chances d’être gagnés au moyen de seul les packs de la série FIFA. Une fois de plus, l’entreprise a réagi en indiquant qu’elle ne forçait pas les gens à dépenser de l’argent pour ses jeux, mais qu’elle leur donnait seulement le choix de le faire. D’une manière générale, EA a fait l’objet de nombreux recours collectifs, allant de l’entreprise qui ajuste la difficulté pour encourager les consommateurs à acheter plus de packs (qui a depuis été réglé en faveur d’EA) (Robinsin, 2021), à la violation par EA de la législation canadienne sur les jeux d’argent pour la vente de boîtes à surprises dans ses jeux (Ivan, 2020). Dans les deux cas, c’est la série FIFA qui est au premier plan. En 2023, la série FIFA a continué à se porter garant de ses packs de la série FIFA et continuera à les inclure dans son prochain volet (Robertson, 2022; Yin-Poole, 2022) malgré les controverses évoquées précédemment.

L’insistance de l’entreprise sur le fait qu’elle ne pousse pas ou ne promeut pas ses produits est un thème préoccupant dans le schéma modèle cyclique d’abus et de tape sur la main d’EA. Cela est possible, car à part la publicité du magazine de jouets mentionnée plus haut, il n’y a pas eu de publicités « directes » ou conçues de manière traditionnelle. L’absence d’un tel matériel promotionnel explicite ne signifie pas qu’EA n’a pas déployé d’efforts de persuasion pour proposer à ses consommateurs les packs de la série FIFA. Au lieu, l’entreprise choisit de promouvoir subtilement les boîtes à surprises dans le jeu au moyen de « coups de pouce psychologiques » ou en d’autres termes, en donnant aux consommateurs l’impression qu’il leur manque quelque chose ou qu’ils sont inférieur parce qu’ils n’ont pas d’objets dans le jeu, que l’on ne trouve que dans les boîtes à surprises (Yin-Poole, 2021).

Outre la publicité, les boîtes à surprises encouragent un problème complexe : les jeux d’argent chez les enfants. Comme nous l’avons vu plus haut, la diversité des packs de la série FIFA modifie constamment les chances de gagner des objets en jeu, ce qui complique le suivi des probabilités à travers les différents packs (Electronic Arts, 2021). En examinant les implications de ce type, Zendle et Cairns (2018) ont trouvé des relations importantes entre les boîtes à surprises des jeux vidéo et le jeu d’argent problématique, soulignant que le jeu chez les joueurs était clairement associé aux boîtes à surprises.

La classification E de la série FIFA (pour tout le monde au Canada) fait qu’il est difficile de savoir quand les enfants jouent à ce jeu, et donc difficile de mesurer et de suivre les répercussions de l’exposition aux boîtes à surprises. Au lieu de suivre ces implications, nous nous concentrons sur la manière dont les boîtes à surprises attirent tous les consommateurs investis dans le jeu, et nous les amplifions pour démontrer les répercussions accrues de l’exposition à la publicité chez les enfants. Ce faisant, nous visons à critiquer l’absence de réglementation existante concernant la publicité à l’ère numérique et plus particulièrement les ventes de boîtes à surprises et les microtransactions, et nous discutons des solutions politiques possibles que le Québec pourrait mettre en œuvre afin de remédier à de telles divergences, en améliorant la réglementation existante.

La législation du Québec à l’ère numérique : Une étude de cas des boîtes à surprises de la série FIFA

En tirant parti de la littérature scientifique évoquée ci-dessus, nous examinons la manière dont l’industrie des boîtes à surprises des jeux vidéo a ignoré la législation québécoise sur la publicité destinée aux enfants, en examinant le jeu vidéo de la série FIFA d’EA en tant qu’étude de cas. En outre, à travers l’examen des réglementations nationales existantes et introduites dans d’autres pays, nous proposons des changements à la LPC du Québec existante par l’adoption d’une réglementation numérique ciblée en vue de limiter davantage l’exploitation des enfants de moins de 13 ans.

En examinant la législation québécoise concernant la publicité destinée aux enfants en vertu des articles 248 et 249 de la LPC (Legis Québec, 2022), ainsi que le plus récent Guide d’application (Office de la protection du consommateur, 2012), nous proposons que l’utilisation par la série FIFA de microtransactions dans un jeu vidéo classé E, c’est-à-dire pour tous, sur le marché du Québec contrevient à la LPC.

Décortiquer l’interdiction

En vertu de l’article 248, la LPC affirme que « nul ne peut faire de la publicité à but commercial destinée à des personnes de moins de treize ans » (Office de la protection du consommateur, 2012). Le Guide d’application précise qui est concerné par l’interdiction de la publicité destinée aux enfants :

L’interdiction s’applique à tous les commerçants : ceux qui demandent la promotion de biens ou de services ainsi que ceux qui sont impliqués dans le processus de publicité. L’interdiction vise aussi la personne qui conçoit le message, le distribue, le publie ou le diffuse [non mis en évidence dans l’original] et celle qui demande la conception, la distribution, la publication ou la diffusion de celui-ci. La LPC définit ces personnes comme des « publicitaires ». (Office de la protection du consommateur, 2012, p. 2)

Cette description des publicitaires, et plus particulièrement la deuxième section qui traite des créateurs de publicités, évoque l’autopromotion inhérente à la vente de microtransactions intégrées dans le domaine de la publicité des jeux vidéo, de plus en plus marchandisée et autonome. Par ailleurs, en décrivant la publicité commerciale, le guide affirme que celle-ci a pour but de promouvoir :

Pour en revenir à l’exemple de la série FIFA, le cas flagrant d’EA qui tente de vendre des boîtes à surprises dans des catalogues de jouets pour enfants démontre les intentions plus larges des entreprises dans leur message concernant les microtransactions (Batchelor, 2020). En outre, les récits entourant les boîtes à surprises, qui mettent l’accent sur une meilleure expérience de jeu ou encore une meilleure expérience sociale, peuvent être compris comme la promotion d’un bien à acheter.

Les formats et les médias ciblés par la législation, tels que décrits ci-dessus, ne tiennent pas compte des stratégies publicitaires et promotionnelles de l’ère numérique, ils décrivent des médias comme la radio, la télévision, le Web, les téléphones mobiles, les imprimés, la signalisation et le matériel promotionnel (Office de la protection du consommateur, 2012, p. 3). Ceci étant dit, le Guide d’application indique également ce qui suit :

« Tous les supports et tous les médias sont visés, quand ils sont employés pour diffuser un message publicitaire à but commercial […] L’interprétation de la loi étant en constante évolution, les nouveaux supports et médias qui voient le jour, selon les changements apportés aux pratiques publicitaires et aux technologies, sont aussi touchés. » (Office de la protection du consommateur, 2012, p. 3)

Ainsi, bien que les particularités technologiques et médiatiques de la série FIFA ne soient pas directement décrites dans la législation actuelle, le large champ d’application (notamment en faisant référence à « Tous les supports et tous les médias sont visés ») démontre la souplesse de l’application de la LPC à l’égard des formats changeants.

Détermination du champ d’application

En outre, l’article 249 de la LPC affirme que le contexte de la présentation doit être pris en considération pour déterminer si la publicité commerciale s’adresse aux enfants. Cela comprend :

  1. la nature et l’objectif du bien annoncé;
  2. la manière de présenter ce message publicitaire;
  3. le moment ou l’endroit où il apparaît. (Office de la protection du consommateur, 2012, p.4)

La promotion par la série FIFA de boîtes à surprises dans le jeu comme élément apportant un avantage supplémentaire au jeu, la manière dont ces produits donnent la priorité à des prix bien connus et populaires au moyen d’un système de récompense de type loterie, et le placement de ces produits dans un jeu vidéo classé E , c’est-à-dire pour tous, démontrent clairement la qualification du jeu dans le champ de la compétence de la LPC comme ciblant les enfants.

La LPC pose également les trois questions suivantes, assorties de critères de répartition des gouvernements :

  1. À qui le bien ou le service annoncé est-il destiné? Est-il attrayant pour les enfants?

En vue de comprendre la qualification d’un article promotionnel en vertu de la législation décrite à l’article 249 de la LPC, l’application fournit une échelle allant de « être essentiellement destiné aux enfants » à « présenter un attrait marqué pour les enfants, sans leur être exclusivement destiné », en passant par « ne pas présenter d’attrait particulier pour les enfants ». La faible classification de la série FIFA en fonction de l’âge peut être interprétée comme un attrait pour les enfants, même si l’on ne peut pas estimer que le jeu leur soit exclusivement destiné en raison de l’étendue du public auquel il s’adresse. Quoi qu’il en soit, les enfants ont accès à ce jeu vidéo et sont encouragés à y jouer, la faible classification attribuée au produit le rendant accessible à tous.

  1. Le message publicitaire est-il conçu pour attirer l’attention des enfants?

Le guide d’application énumère une série de caractéristiques qui permettraient d’établir qu’un produit est « conçu pour attirer l’attention des enfants » (Office de la protection du consommateur, 2012, p. 6). Ceux qui s’appliquent à la série FIFA sont les suivants :

On peut dire que de nombreux jeux vidéo répondent à ces critères. S’adresser à un large public signifie souvent faire appel à un langage simple, facilement compréhensible par la majorité de la population. En outre, la nature manipulatrice des boîtes à surprises (comparables aux jeux d’argent à bien des égards, comme décrit ci-dessus et ci-dessous) souligne qu’il vise des publics vulnérables susceptibles d’adhérer à de telles techniques. En d’autres termes, de même qu’un enfant dans une fête foraine est moins susceptible de comprendre le modèle économique des jeux de fête foraine qui repose sur des pertes continues et courantes, de même il sera moins susceptible de comprendre le caractère exploiteur des boîtes à surprises dans la série FIFA.

La restructuration annuelle de la série FIFA pour intégrer de nouveaux joueurs et des joueurs échangés année après année témoigne de l’univers fantastique et virtuel que le jeu offre aux utilisateurs de tous âges, mais il s’est avéré particulièrement important pour les enfants, qui se sont révélés moins aptes à différencier les mondes construits et les vérités de la réalité (Calvert, 2008; Laczniak et Carlson, 2012). À cet égard, les sons, les couleurs et les effets spéciaux stimulants du jeu favorisent l’attention prolongée des utilisateurs. Bien qu’ils ne concernent pas exclusivement les enfants, ces effets témoignent de la capacité à attirer les jeunes par l’attrait de l’excitation numérique.

  1. Les enfants sont-ils visés par le message ou exposés à celui-ci? Sont-ils présents au moment de sa parution ou de sa diffusion?

Les critères décrits pour évaluer la qualification de cette troisième question comprennent une réflexion sur la proportion d’enfants qui composent l’audience ou qui pourraient être visés par une publicité, si les enfants sont présents à la fois au moment de la diffusion et sur le lieu de la diffusion. Le public de la série FIFA, bien qu’il soit difficile d’évaluer des données démographiques particulières en raison de la complexité des produits achetés et mutualisés entre les membres de la famille, peut être estimé comme attirant les enfants en raison du fait qu’il soit classé E, c’est-à-dire pour tous. Bien que le nombre exact d’enfants participant au jeu n’ait pas été précisé, EA a démontré son intérêt pour les jeunes publics par des appels directs, en annonçant des boîtes à surprises dans des catalogues de jouets (Batchelor, 2020). De plus, la relation entre le jeu et l’espace temporel et physique pose des questions difficiles dans un format médiatique qui ne connaît pas de telles restrictions et qui utilise Internet comme place de marché pour les transactions promotionnelles.

Critère A Critères B et C

Biens ou services essentiellement destinés aux enfants et qui, de ce fait, les attirent.

Ex : certains jeux vidéo, jouets ou bonbons principalement consommés par les enfants.

La publicité ne doit pas :

  • être conçue de manière à attirer les enfants;
  • être diffusée ou distribuée dans un lieu ou à un moment où les enfants sont normalement atteints.

Les biens ou services qui sont particulièrement attrayants pour les enfants sans leur être exclusivement destinés.

Ex : certains desserts, la restauration rapide, les parcs d'attractions, les consoles de jeux vidéo.

La publicité est autorisée si :

  • elle n'est pas conçue pour attirer les enfants;
  • elle n’est pas diffusée ou distribuée dans un lieu ou à un moment où les enfants en particulier sont normalement atteints.

Biens ou services qui ne sont pas particulièrement attrayants pour les enfants.

Ex : produits de nettoyage, boissons alcoolisées, certains types de vêtements.

La publicité est autorisée. Toutefois, si l'entreprise vend des produits pour enfants, il faut faire attention à la conception de l'annonce. La conception ne doit pas être attrayante pour les enfants s'ils constituent essentiellement le public où et quand la publicité est diffusée ou distribuée.

Figure 1 – Trois critères afin de déterminer si une publicité est interdite en vertu de la Loi sur la protection des consommateurs (LPC)

Les trois critères décrits ci-dessus constituent les principes de base à prendre en compte lors de l’évaluation de l’attrait des publicités pour les enfants. Le Guide d’application précise ce qui suit :

« La relation entre les trois critères permet de déterminer si un message publicitaire s’adresse aux enfants. […] Selon l’attrait que représente le bien ou le service annoncé pour les enfants, une publicité peut être interdite. Pour tirer une conclusion, il faut préciser si la conception de la publicité peut intéresser les enfants et si le moment et l’endroit où cette publicité paraît permettent de les rejoindre. » (Office de la protection du consommateur, 2012, p. 8)

Cela signifie que le public visé, l’attrait pour les enfants, ainsi que le lieu et le moment où la publicité est diffusée sont des critères tout aussi importants pour déterminer si une publicité est destinée aux enfants (voir Figure 1 pour davantage de renseignements à l’égard de ces trois critères). Un tel équilibre des critères prend en considération (avec un poids presque égal) les composantes temporelles et spatiales des publicités. Cela pose le problème de mesures législatives du matériel promotionnel numérique en ligne, comme celui de la série FIFA. Nous démontrons ici qu’en dehors de ces précisions temporelles et spatiales écrites pour une époque dominée par les médias de diffusion qui sont appliqués dans le monde numérique, l’incitation de la série FIFA à proposer des boîtes à surprises et des microtransactions à ses utilisateurs, y compris (et parfois directement) les enfants, répond aux qualifications de la publicité interdite par la LPC en vertu des articles 248 et 249.

Autres approches politiques

Alors que d’autres pays comme les États-Unis (Hawley, 2019) ont cherché à réglementer les microtransactions, et plus particulièrement les boîtes à surprises, l’Union européenne et le Royaume-Uni ont été les premiers à créer un langage réglementaire pour limiter les répercussions de ce mécanisme de jeu. Nous avons donc choisi de nous concentrer sur ces deux régions afin d’analyser les réglementations existantes et de comprendre leurs approches, tout en sélectionnant des politiques introduites par d’autres pays.

Le Département des politiques économiques, scientifiques et de la qualité de la vie a réalisé une étude portant sur les effets problématiques des boîtes à surprises et examinant le cadre réglementaire à l’Échelle européenne et nationale (Cerulli-Harms, Munsch, Thorun, Michaelsen, et Hausemer, 2020). Cela a montré que l’UE ne s’est pas attaquée séparément aux boîtes à surprises, mais qu’elle a plutôt apporté des modifications aux règles générales de protection des consommateurs qui s’appliquent aux boîtes à surprises (Cerulli-Harms et coll., 2020). En raison des caractéristiques des boîtes à surprises s’apparentant à des jeux d’argent, des débats ont eu lieu sur la manière dont elles peuvent être réglementées dans le cadre des jeux d’argent en ligne. La Commission européenne a adopté des recommandations en vue d’empêcher les mineurs d’y participer. Même si les boîtes à surprises sont semblables aux jeux d’argent, elles ne sont pas estimées légalement comme des jeux d’argent dans la plupart des États membres de l’UE, ce qui rend problématique la protection contre les boîtes à surprises, à l’exception de la Belgique (Cerulli-Harms et coll., 2020). En ce qui concerne la publicité pour les boites à surprises, les interdictions sont plus strictes, en Allemagne par exemple, il est interdit de faire de la publicité pour l’achat de boîtes à surprises et les jeux ne peuvent offrir aux joueurs la possibilité d’ouvrir les boîtes à surprises en échange, d’abord, de la diffusion de publicités (Cerulli-Harms et coll., 2020). En outre, le Bundestag de l’Allemagne (Parlement fédéral) a également adopté une réforme de la Loi sur la protection de la jeunesse qui limite l’ajout de boîtes à surprises aux jeux réservés aux personnes âgées de 18 ans et plus, bien que cette mesure doive encore être approuvée par le Bundesrat (organe législatif) (Fingas, 2021).

Une autre pratique en vue de rendre les boîtes à surprises moins trompeuses et plus transparentes est un concept appelé réglementation de la divulgation, qui exige que les développeurs de jeux divulguent la probabilité de gagner différents articles et récompenses à partir des boîtes à surprises que les joueurs ouvrent. Par exemple, la République populaire de Chine a introduit en 2016 une législation exigeant que les joueurs soient informés de ces probabilités (Fingas, 2021; Straub, 2020). Entre-temps, l’Association coréenne de l’industrie du jeu a adopté une approche semblable en mettant en place une mesure d’autoréglementation plutôt qu’une législation (Cerulli-Harms et coll., 2020). En raison des contradictions de pouvoir inhérentes à l’autoréglementation des normes publicitaires, comme nous l’avons vu plus haut, nous proposons que les divulgations en matière de probabilité soient adoptées dans la LPC comme une exigence plutôt que comme une mesure volontaire. Dans l’ensemble, l’interdiction des boîtes à surprises dans le cadre de la réglementation des jeux d’argent, comme en Belgique, ou la reconnaissance des problèmes relatifs aux boîtes à surprises au-delà des jeux d’argent, comme dans l’UE, sont deux options viables à prendre en considération lors de l’extension du champ d’application de la LPC au domaine numérique.

Alors que la réglementation l’UE contient un certain nombre de mesures en vue de protéger les enfants, le Royaume-Uni a joué un rôle de premier plan dans la réglementation de la publicité pour les achats dans les jeux, par l’intermédiaire de l’ASA. L’ASA est un organisme indépendant d’autoréglementation de la publicité, chargé de veiller à ce que les publicités diffusées au Royaume-Uni respectent un ensemble de directives strictes. L’ASA a élaboré un rapport en 2021 concernant les publicités à l’endroit des jeux vidéo, et plus particulièrement les publicités au sein des jeux vidéo. L’organisation a cherché à empêcher que des pressions soient exercées sur les joueurs pour qu’ils achètent des produits ou qu’ils étaient induits en erreur sur le prix ou l’utilité d’un produit. Dans ce rapport, un certain nombre de termes ont été décomposés de manière que les entreprises puissent les comprendre lorsqu’elles envisagent de promouvoir les produits concernés (CAPBCAP, 2021). Par exemple, pour les jeux vidéo, la description des « prix étranges » (une tactique de manipulation où les deux monnaies d’un jeu et la monnaie du monde réel utilisée pour l’acheter ne sont pas harmonisées) a été décrite (CAPBCAP, 2021). En outre, elle établit que « les vitrines de jeux sont estimées comme de la publicité lorsque les articles sont achetés avec de la monnaie virtuelle qui ne peut être obtenue qu’avec de l’argent réel » (CAPBCAP, 2021). La série FIFA fait fi de ces deux directives, en adoptant des prix étranges et en hébergeant des vitrines de jeu qui encouragent l’achat de monnaie de jeu avec de l’argent réel.

Recommandations

En gardant à l’esprit ces différentes approches politiques, nous proposons que le Québec ait intérêt à adopter un ensemble de stratégies employées ailleurs afin de créer une réglementation plus stricte de la publicité destinée aux enfants. Plus particulièrement en ce qui concerne les nouvelles formes de médias numériques comme la promotion des jeux vidéo. Par conséquent, nous proposons les quatre recommandations suivantes, établies à partir de la littérature scientifique et de l’étude de cas ci-dessus, que le gouvernement du Québec devrait envisager d’incorporer dans la LPC existante, en vertu des articles 248 et 249 :

  1. Clarifier la définition de la publicité et l’adapter au paysage des médias numériques

En examinant les rapports et la législation des États membres de l’UE et du Royaume-Uni, nous proposons que la définition de la publicité du Québec, bien que stratégiquement large (comme décrit ci-dessus), manque cruellement de clarté à l’ère numérique. Cette clarté devrait comprendre les objectifs directs et indirects, ainsi que les lieux et moyens de communication numérique, afin de mieux restreindre l’action des publicitaires à l’ère du numérique. Bien que cela ne signifie pas que la définition doive être si précise qu’elle perde son applicabilité générale, l’adoption d’une formulation en vue de restreindre la publicité pour les boîtes à surprises et les procédés d’exploitation semblables est une étape nécessaire. À l’instar de l’approche adoptée par l’Allemagne à l’égard des publicités pour les boîtes à surprises, l’élargissement de la définition des publicités dans la LPC et la restriction des publicités pour l’achat de boîtes à surprises et de celles qui présentent le processus de déverrouillage des boîtes à surprises permettraient de mieux protéger les mineurs. Par ailleurs, le Royaume-Uni a proposé que les développeurs de jeux vidéo indiquent clairement au joueur le type d’achat et qu’ils apposent une étiquette claire au sujet des publicités. Cela signifie que si la monnaie du jeu utilisée pour acheter les boîtes à surprises est obtenue par des transactions réelles, plutôt que par des éléments du jeu, tous renseignements (vitrine de magasin et mesures incitatives) fournis à l’égard de l’achat sont estimés comme de la publicité et doit être réglementé en conséquence. Un tel élargissement des considérations sur ce qui constitue une publicité, ainsi que sur ce qui est estimé comme acceptable (ou non) pour les jeunes consommateurs, protégera à son tour le jeune public au Québec.

  1. La publicité pour les boîtes à surprises devrait être estimée comme une forme de jeu d’argent et être nuisible aux mineurs.

La conception des boîtes à surprises en tant que forme acceptable de microtransaction dans les jeux vidéo devrait être réexaminée. Le rapport de l’ASA du Royaume-Uni s’est concentré sur l’aspect jeu d’argent des boîtes à surprises, établissant que les boîtes à surprises et les achats relatifs au hasard dans le jeu peuvent être estimés comme une forme de jeu d’argent. Alors qu’au Royaume-Uni, on hésite encore à dire si cet argument est suffisamment fort pour justifier des efforts de réglementation directs, des pays de l’UE comme la Belgique ont quant à eux résolument pris cette mesure. Cette interdiction nationale des boîtes à surprises est assortie de la menace de poursuites pénales pour les entreprises non conformes qui mettent en place des jeux d’argent sans disposer d’une licence à cet effet. Même si l’ensemble de l’UE ne dispose pas d’une réglementation à l’échelle des pays membres en vue d’appliquer de telles restrictions, comme c’est le cas en Belgique, le rapport de l’UE va jusqu’à dire que les mesures volontaires sont insuffisantes pour protéger les joueurs des effets potentiellement néfastes des boîtes à surprises. La Loi sur la protection de la jeunesse (Loi) modifiée de l’Allemagne, qui vise à limiter les boîtes à surprises aux jeux réservés aux 18 ans et plus, est un autre exemple d’action possible lorsqu’on s’adresse spécifiquement aux jeunes consommateurs. Cette Loi fédérale est entrée en vigueur en janvier 2023 et est appliquée par le Conseil d'évaluation des logiciels récréatifs (USK) , un comité d’autoréglementation indépendant, qui vérifie au cas par cas si certaines fonctions présentent un risque négatif plus élevé pour les enfants (Unterhaltungssoftware Selbstkontrolle, 2022). Le Québec devrait envisager des limites semblables en adoptant le langage utilisé dans la modification de la Loi sur la protection de la jeunesse de l’Allemagne dans la LPC afin d’interdire les jeux d’argent chez les enfants, quelque chose d’intrinsèquement impliqué dans la promotion et la vente de boîtes à surprises.

  1. La réglementation du langage des jeux vidéo est semblable à celle du langage publicitaire concernant les prix et les probabilités d’achat.

Le Royaume-Uni recommande l’inclusion transparente de probabilités pour les objets plus rares et plus convoités dans les boîtes à surprises. De plus, il recommande de modifier le langage du jeu pour empêcher les mesures incitatives directes concernant l’achat de produits, ainsi qu’une clause de non-responsabilité concernant les jeux d’argent (CAPBCAP, 2021). En outre, le Royaume-Uni exige que les spécialistes du marketing et les promoteurs n’induisent pas les consommateurs en erreur en décourageant toute formulation vague. Dans l’UE, il est suggéré que les jeux vidéo divulguent les probabilités d’obtention d’objets particuliers provenant de boîtes à surprises dans un format accessible au public visé. En Chine, la divulgation de renseignements concernant les boîtes à surprises est une obligation, plutôt qu’une recommandation. Nous proposons que le Québec prenne en considération ces actions et applique ses propres lignes directrices afin d’empêcher les développeurs de jeux vidéo, comme EA, de profiter des lacunes de la législation traditionnelle en matière de publicité pour les enfants de moins de 13 ans.

  1. Adopter le langage de l’ère numérique dans la LPC et le Guide d’application

En se concentrant sur la réception temporelle et physique des publicités, la LPC démontre à la fois son positionnement dans l’ère de la radiodiffusion et sa négligence simultanée de l’espace numérique. En vue de tenter d’élargir cette définition, la LPC suggère qu’« Une section d’un site Web tombe sous la catégorie de média », comparable à l’espace physique. En englobant l’ensemble du Web dans une seule catégorie de médias, la LPC démontre qu’elle est mal outillée en vue de gérer les situations complexes qui se produisent couramment dans les espaces en ligne. En outre, afin de déterminer si un contenu qui ne s’adresse pas exclusivement aux enfants, mais qui peut être particulièrement attrayant pour eux est autorisé ou non, la publicité est estimée comme autorisée principalement si « elle n’est pas diffusée ou distribuée à un endroit ou à un moment où l’on joint particulièrement les enfants ». Une telle restriction basée sur la localisation et la temporalité des publicités, comme elle s’applique à la diffusion de contenu, ne prend pas en considération les médias numériques qui ne sont pas soumis à de telles restrictions. Nous recommandons donc qu’en plus des lignes directrices importantes établies pour les médias traditionnels, la manière dont les médias sont fournis et consommés à l’ère numérique doive être adoptée dans le cadre de la LPC. Il pourrait s’agir de signaler les sites Web courants qui ciblent particulièrement les enfants (comme YouTube Kids) et d’y appliquer la législation. Par ailleurs, la conception des médias comme une entité unique ne permet pas de réglementer précisément les espaces en ligne complexes comme les jeux vidéo qui utilisent Internet pour l’échange de biens microtransactionnels.

Conclusion

« Tout cela n’est que du vent. »

 – J Richard Genin, 1983

(Directeur des ventes de Tele-Metrople Inc. en protestation contre les restrictions de la LPC, dans Lippman, 1983)

Le Québec est une province pionnière en matière de sécurité et de protection des enfants dans les médias, comme en témoigne l’adoption précoce d’une législation extrêmement progressiste à l’égard de la publicité. Cependant, malgré les actions de la province dans le passé, nous avons voulu démontrer tout au long de ce document que pour conserver son statut de chef de file en matière de droits des enfants, la LPC de la province doit adapter son cadre juridique afin de répondre aux exigences de l’environnement des médias numériques du XXIe siècle. Tout au long de ce document, nous avons souligné les lacunes des réglementations publicitaires existantes conçues pour l’ère préalable à Internet afin de démontrer la nécessité de restrictions et d’un langage plus forts, axés sur le numérique, afin d’empêcher les industries des médias numériques de profiter des citoyens, plus particulièrement des plus vulnérables d’entre eux.

Les microtransactions comme les boîtes à surprises sont incroyablement rentables, mais elles reposent sur des tactiques prédatrices qui ne sont actuellement pas limitées, même dans les gouvernements qui se sont battus afin de protéger les enfants à l’ère de la radiodiffusion. Lorsque l’on examine la LPC du Québec, qui est estimée comme l’une des politiques publicitaires les plus progressistes au monde, les quelques freins et contrepoids relatifs aux formes de médias numériques font peu pour empêcher les industries des médias de faire de la publicité pour les jeux d’argent auprès des consommateurs, en particulier les enfants, dans les jeux vidéo populaires. L’adoption d’une réglementation, comme celle qui a été appliquée dans d’autres pays, ne serait-ce que sur le plan de l’autoréglementation – est nécessaire afin de freiner la promotion des microtransactions des boîtes à surprises, comme cela a été décrit tout au long de ce document. En adoptant les politiques d’autoréglementation d’autres pays dans le cadre de l’autorité législative de l’APC, le Québec peut empêcher la poursuite de l’exploitation des jeunes publics et maintenir son statut de chef de file progressiste en matière de sécurité des enfants.

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