Décision de télécom CRTC 2023-217

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Ottawa, le 24 juillet 2023

Dossier public : 8622-V3-202302040

Arbitrage de l’offre finale entre Québecor Média inc. et
Rogers Communications Canada Inc. concernant des tarifs d’accès de gros pour les exploitants de réseaux mobiles virtuels

Sommaire

Le Conseil énonce sa décision provenant de l’instance d’arbitrage de l’offre finale amorcée par Québecor Média inc. (QMI), au nom de Freedom Mobile Inc. et de Vidéotron ltée, et par Rogers Communications Canada Inc. (RCCI) portant sur l’établissement de tarifs d’accès de gros pour les exploitants de réseaux mobiles virtuels (ERMV) entre QMI et RCCI.

Le Conseil choisit l’offre de QMI et ordonne aux parties de conclure une entente d’accès pour les ERMV conforme à l’offre de QMI afin qu’elle puisse élargir le plus rapidement possible l’offre de services sans fil mobiles concurrentiels à la population canadienne. Les offres ont été évaluées en fonction de leur caractère juste et raisonnable et d’un nombre de facteurs stratégiques en matière de bien public. En fonction de ces facteurs, le Conseil a choisi l’offre proposée par QMI, puisqu’elle répond le mieux aux critères d’évaluation.

La décision du Conseil contribue à garantir à la population canadienne l’accès à des services de télécommunication abordables. Pour parvenir à sa décision, le Conseil a évalué si les tarifs approuvés promouvront la concurrence, l’abordabilité et l’investissement dans les réseaux, conformément à la Loi sur les télécommunications et aux Instructions de 2023.

Après avoir apportés les ajustements appropriés aux intrants de coûts déposés par RCCI, le Conseil a constaté que la méthode proposée par RCCI aboutissait à un coût par gigaoctet similaire à l’offre de QMI. Le Conseil conclut que les tarifs de QMI promouvront la concurrence, l’abordabilité et l’investissement continu des deux entreprises dans leurs réseaux. Le Conseil s’est engagé à fournir autant de transparence que possible sur les processus d’arbitrage de l’offre finale afin de fournir des directives à l’industrie, tout en maintenant la confidentialité des renseignements jugés comme tels par le Conseil.

Contexte

  1. Le 6 avril 2023, le Conseil a reçu une demande conjointe de Québecor Média inc. (QMI), au nom de Freedom Mobile Inc. (Freedom) et de Vidéotron ltée (Vidéotron), et de Rogers Communications Canada Inc. (RCCI), en vue d’obtenir l’arbitrage de l’offre finale visant à établir des tarifs d’accès de gros pour les exploitants de réseaux mobiles virtuels (ERMV) entre QMI et RCCI. Dans le cadre de la vente de
    Freedom Mobile à QMI, les parties s’étaient déjà entendues sur les modalités du service de gros pour les ERMV, ainsi que sur les tarifs de messagerie texte. Toutefois, après de nombreuses discussions, les parties n’ont pas pu se mettre d’accord sur les tarifs des services téléphoniques et de données.
  2. Le 27 avril 2023, le Conseil a publié une lettre acceptant la demande d’arbitrage de l’offre finale des parties et définissant la portée et les procédures du processus d’arbitrage de l’offre finale, ainsi que les conditions suivantes :
    • les modalités sont celles négociées par les parties;
    • les tarifs proposés doivent tenir compte du transfert ininterrompu d’une certaine capacité, à la demande des parties.
  3. En réponse à cette lettre, QMI et RCCI ont indiqué qu’elles étaient parvenues à une entente sur les tarifs des services téléphoniques, de sorte que seuls les tarifs des services de données devaient être établis dans le cadre de l’arbitrage de l’offre finale.

Cadre réglementaire

  1. L’arbitrage de l’offre finale est une méthode de règlement des différends utilisée pour les différends i) qui sont exclusivement de nature financière, ii) qui n’impliquent que deux parties et iii) qui répondent par ailleurs aux critères énoncés dans le bulletin d’information de radiodiffusion et de télécommunication 2019-184 et au processus précisé dans le bulletin d’information de télécom 2022-337 pour l’établissement des tarifs du service d’accès pour les ERMV rendu obligatoire par la politique réglementaire de télécom 2021-130.
  2. Le Conseil évalue les propositions tarifaires en vue d’atteindre les objectifs stratégiques de la politique réglementaire de télécom 2021-130, notamment d’offrir un nouveau choix concurrentiel sur le marché des services sans fil mobiles de détail, tout en encourageant l’expansion du réseau et une concurrence durable à long terme. Ces objectifs stratégiques sont éclairés par les objectifs énoncés à l’article 7 de la Loi sur les télécommunications (Loi).
  3. Le Conseil, en tant qu’arbitre, évalue les offres finales déposées par les parties dans le but de sélectionner une offre qui aboutit le mieux à des tarifs justes et raisonnables, comme l’exige le paragraphe 27(1) de la Loi. Le Conseil ne peut pas accepter une offre qu’il ne considère pas juste et raisonnable.
  4. Bien que le paragraphe 27(1) de la Loi exige que toutes les entreprises canadiennes facturent des tarifs justes et raisonnables pour les services de télécommunication, les articles 25, 32 et 47 de la Loi accordent au Conseil un large pouvoir discrétionnaire pour établir les tarifs des services de télécommunication. La Loi autorise expressément le Conseil à utiliser toute méthode qu’il estime appropriée pour évaluer si un tarif est juste et raisonnable.
  5. En outre, l’article 47 de la Loi exige que le Conseil prenne chaque décision non seulement en vue de s’assurer que les tarifs sont justes et raisonnables, mais aussi pour s’assurer que la décision fait progresser les objectifs énoncés à l’article 7 de la Loi et est conforme aux décrets pris par le gouverneur en conseil en vertu de l’article 8 de la Loi, y compris des Instructions de 2023Note de bas de page 1. Par conséquent, le Conseil évaluera si les offres sont justes et raisonnables compte tenu de ces objectifs. Si les deux offres sont considérées justes et raisonnables, le Conseil doit déterminer laquelle est la plus à même de faire progresser les objectifs de la politique et les objectifs pertinents des Instructions de 2023.
  6. Conformément au paragraphe 27(3) de la Loi, la détermination du caractère juste et raisonnable des tarifs des services de télécommunication est une question de fait. En outre, l’article 52 de la Loi prévoit que les conclusions du Conseil sur les questions de fait sont contraignantes et concluantes.
  7. Le Conseil doit sélectionner une offre dans son intégralité et l’offre finale sélectionnée est contraignante pour les deux parties. Dans des cas exceptionnels, le Conseil peut choisir de rejeter les deux offres s’il détermine qu’aucune des deux n’est juste, ni raisonnable, ni dans l’intérêt du public.

Position de RCCI sur ce qui constitue des tarifs justes et raisonnables et sur le rendement sur l’investissement

  1. RCCI a argué que les tarifs qu’elle a proposés permettraient à QMI d’être compétitive, de créer des mesures pour inciter QMI à développer son propre réseau et de répondre à la norme d’origine législative de ce qui est juste et raisonnable. En outre, selon RCCI, un tarif juste et raisonnable est un tarif qui garantit que le fournisseur de services est en mesure de recouvrer ses coûts et d’obtenir un rendement raisonnable, mais pas plus, sur son capital investi.
  2. À cet effet, RCCI a fait référence à la décision de la Cour suprême du Canada (CSC) dans l’affaire Ontario (Commission de l’énergie) c. Ontario Power Generation Inc. [2015] CSC 44 dans laquelle la CSC a déclaré qu’à long terme, les tarifs imposés doivent permettre au fournisseur (dans le cas présent, un service public) de recouvrer ses coûts d’exploitation et d’investissement. RCCI a utilisé cette référence pour arguer que des tarifs inférieurs aux coûts ne peuvent pas être considérés « justes et raisonnables », comme l’exige l’article 27 de la Loi.

Analyse du Conseil

  1. Le Conseil estime que l’avis de RCCI selon lequel le pouvoir d’établissement des tarifs du Conseil est trop étroit, étant donné que le Conseil doit exercer ses pouvoirs conformément aux objectifs de l’article 7 de la Loi et à toute instruction donnée par le gouverneur en conseil en vertu de l’article 8 de la Loi. Cela permet au Conseil d’adopter une approche plus globale de l’établissement des tarifs que celle proposée par RCCI. Cela signifie que le Conseil ne doit pas nécessairement s’assurer que les coûts sont recouvrés à court terme pour qu’un tarif soit considéré « juste et raisonnable » au sens de la Loi.
  2. La position du Conseil sur l’établissement des tarifs est conforme à l’examen de l’établissement des tarifs en vertu de la Loi par la CSC dans l’affaire Bell Canada c. Bell Aliant Communications régionales, 2009 CSC 40. Dans cette décision, la CSC a déterminé que la Loi, lue dans son ensemble, permet et exige même au Conseil d’aller au-delà des restrictions traditionnelles de l’établissement des tarifs décrites dans la jurisprudence antérieure. La CSC a conclu que la Loi confère au Conseil « la capacité de concilier les intérêts des entreprises, des consommateurs et des concurrents dans le contexte plus large de l’industrie canadienne des télécommunications »; que le Conseil « n’a pas à prendre en considération uniquement le service en cause pour déterminer si les tarifs sont justes et raisonnables » et que le Conseil a la possibilité d’autoriser le subventionnement croisé des services.
  3. Compte tenu de la conclusion de la CSC dans la décision mentionnée ci-dessus, le Conseil estime que des tarifs « justes et raisonnables » peuvent i) inclure des tarifs qui peuvent ne pas assurer un rendement sur l’investissement immédiat ou ii) exiger à une entreprise par ailleurs rentable de subir une perte modeste ou temporaire dans un secteur d’activité alors que d’autres secteurs demeurent rentables.

Méthodes d’établissement des tarifs de RCCI

  1. RCCI a fourni deux méthodes distinctes pour calculer les tarifs qu’elle a proposés. RCCI ayant demandé la confidentialité, au début du processus, de certains renseignements contenus dans son offre conformément à l’article 39 de la Loi, la présente décision les désigne simplement comme « la première approche » et « la deuxième approche ».

Première approche de RCCI

  1. La première approche de RCCI portait sur ses coûts de fourniture du service d’accès pour les ERMV.
  2. Tel que demandé par le Conseil, RCCI a présenté une évaluation de haut niveau des coûts qu’elle encourt pour fournir un service d’accès pour les ERMV. Elle a argué que ces coûts devraient être compensés par QMI dans le cadre de l’entente d’accès pour les ERMV des parties. RCCI a utilisé cette évaluation pour établir ce qu’elle estimait être le tarif minimal qui devrait être considéré juste et raisonnable par le Conseil par gigaoctet (Go) de données.
  3. QMI a répondu qu’il convenait d’utiliser les coûts causals ou marginauxNote de bas de page 2 pour déterminer la compensation équitable plutôt que les coûts déposés par RCCI. Elle a argué que, à supposer que RCCI n’ait pas besoin de capacité supplémentaire pour répondre aux besoins de QMI, RCCI encourra beaucoup moins de coûts causals ou marginaux pour fournir le service d’accès pour les ERMV que ce qui est reflété dans les tarifs proposés par RCCI. À l’appui de cette hypothèse, QMI a fait référence à une déclaration contenue dans les mémoires de RCCI selon laquelle le coût différentiel de la fourniture de services aux utilisateurs du réseau est faible une fois qu’un réseau sans fil a été construit, et a fait référence à la déclaration du Conseil dans la politique réglementaire de télécom 2021-130, selon laquelle les entreprises de services sans fil sont incitées à vendre la capacité excédentaire ou inutilisée aux ERMV.
  4. En ce qui concerne l’argument de RCCI selon lequel le rejet de son offre aurait une incidence importante sur sa capacité à attirer le capital nécessaire pour investir dans son réseau, QMI a fait valoir que rien ne vient étayer cet argument. QMI a ajouté que l’accès au capital est largement dicté par la cote de crédit d’une entreprise. La cote de crédit de RCCI est meilleure que celle de QMI, mais cette dernière peut toujours obtenir un financement auprès de diverses sources. Enfin, QMI a argué qu’il est peu probable que l’incidence de cet arbitrage de l’offre finale affecte la cote de crédit de RCCI.
Analyse du Conseil
  1. Le Conseil a évalué les coûts fournis par RCCI et a examiné quels éléments devraient être inclus ou exclus dans le calcul des coûtsNote de bas de page 3. Le Conseil estime que RCCI a inclus des coûts dans son analyse qui n’auraient pas dû l’être. En outre, selon le Conseil, certains coûts n’étaient pas attribués correctement, et le taux de croissance projeté de l’utilisation des données était trop bas.
  2. Les ajustements apportés par le Conseil contribuent tous à réduire le coût par Go de données. Par conséquent, le Conseil est d’avis que la première approche élaborée par RCCI et l’inclusion de quelques coûts inappropriés ont entraîné une distorsion des prix.

Deuxième approche de RCCI

  1. La deuxième approche établissait des tarifs fondés sur une hypothèse relative à la rentabilité.
  2. RCCI a argué que son offre garantirait qu’un ERMV puisse proposer des offres de services de détail compétitives aux consommateurs tout en étant incité au maximum à investir dans son propre réseau fondé sur des installations et pour obtenir le rendement supplémentaire que la propriété génèrerait. Sur la base de son hypothèse, RCCI a indiqué le tarif qu’elle considérait approprié par Go de données pour l’accès pour les ERMV. RCCI a ajouté que le tarif découlant de ses calculs permettrait à QMI d’appliquer au reste du pays les tarifs qu’elle offre au Québec.
  3. QMI a répondu qu’elle n’avait pas besoin de mesures incitatives supplémentaires pour investir, puisque le cadre pour les ERMV comportait déjà une mesure incitative intégrée pour les ERMV à investir rapidement et agressivement dans leurs réseaux, c’est-à-dire le délai limité avant l’accès obligatoire. En outre, QMI a fait valoir qu’il lui sera nécessaire d’investir rapidement dans son réseau 5G [cinquième génération] afin d’accroître et de maintenir sa clientèle dans de nouveaux marchés. QMI a également argué que les tarifs proposés par RCCI ne permettent pas un accès abordable à ses installations et auraient une incidence négative sur la capacité d’investir de QMI. Par conséquent, les tarifs proposés constituent une barrière à l’entrée sur le marché.
Analyse du Conseil
  1. Le Conseil estime que, étant donné que le cadre pour les ERMV est destiné à aider les entreprises régionales de services sans fil à accélérer l’expansion de leur propre zone de couverture du réseau, et puisque cet objectif a été soutenu par la nature temporaire du service obligatoire, QMI a déjà suffisamment de mesures incitatives à investir dans son réseau et il n’est pas nécessaire d’en créer d’autres. Toutefois, cela ne signifie pas en soi que les tarifs proposés par RCCI ne sont pas justes et raisonnables.
  2. Le Conseil a évalué les arguments et les calculs de RCCI relativement à sa deuxième approche pour déterminer le tarif approprié en fonction de l’incitation de QMI à construire son réseau. Dans sa deuxième approche, RCCI a avancé une hypothèse sur le profit approprié pour QMI. Le Conseil n’est pas d’accord avec cette hypothèse, et avec d’autres éléments de la méthode de RCCI. Par conséquent, le Conseil a apporté quelques ajustements modérés des intrants de RCCI (notamment en appliquant le taux d’utilisation de Fizz, la marque complémentaire de Vidéotron). Le Conseil fait remarquer qu’avec les ajustements appropriés aux hypothèses concernant les profits et aux autres intrants, la méthode de RCCI produit un tarif à peine supérieur à celui proposé par QMI.

Méthode de QMI

  1. QMI a fait valoir que la marge sur la vente de services sans fil dans les zones d’accès pour les ERMV ne peut être déficitaire, faute de quoi la possibilité de commercialiser avec succès une offre de services basée sur l’accès pour les ERMV serait illusoire. QMI a ajouté que les tarifs qu’elle a proposés lui permettraient de recouvrer ses coûts des services de détail, de réagir aux stratégies commerciales des entreprises titulaires (Bell Mobilité Inc., RCCI et TELUS Communications Inc.) ayant un pouvoir de marché, de dégager une marge de profit modeste et de réinvestir dans l’expansion de son réseau.
  2. Pour justifier son offre, QMI a déposé une analyse de sensibilité qui montre la rentabilité de différents forfaits en fonction du tarif par Go qu’elle doit payer. L’analyse incluait les coûts que QMI encourt pour fournir le service aux clients de Fizz et ses marges attendues pour les différents forfaitsNote de bas de page 4.
  3. QMI a également fait valoir que son offre est le tarif maximal duquel elle peut indemniser RCCI tout en respectant ses engagements contraignants envers le ministre de l’Innovation, des Sciences et de l’Industrie (ministre de l’Industrie) et envers Innovation, Sciences et Développement économique Canada (ISDE) dans le cadre de l’achat de Freedom MobileNote de bas de page 5 et en absorbant tous les coûts de déploiement associés à l’entrée de Vidéotron dans de nouveaux marchés.
  4. RCCI a argué que l’analyse des tarifs des services de détail actuels de Fizz et de Freedom Mobile n’est pas un exercice significatif d’un point de vue économique et qu’elle contient plusieurs erreurs.
  5. En outre, RCCI a indiqué que les arguments de QMI à l’appui du faible tarif proposé sont justifiés par les engagements qu’elle a pris envers le ministre de l’Industrie et envers ISDE au moment de l’achat de Freedom Mobile, mais que ces arguments ne tiennent pas la route pour deux raisons. Premièrement, RCCI a argué que tout engagement que QMI a pu prendre envers ISDE n’est pas pertinent, puisque RCCI ne devrait pas être obligée d’aider QMI à respecter ses propres engagements librement consentis. Deuxièmement, même si les engagements étaient pertinents pour la décision présentée au Conseil, les tarifs proposés de RCCI permettent déjà à QMI de respecter et de dépasser ces engagements. RCCI a argué qu’il n’est tout simplement pas nécessaire que le Conseil établisse un tarif artificiellement bas, injuste et déraisonnable pour permettre à QMI de respecter ses engagements. 

Analyse du Conseil

  1. Le Conseil a examiné l’analyse de QMI compte tenu des affirmations de RCCI et confirme que QMI n’a pas commis les erreurs alléguées par RCCI.
  2. Le Conseil estime que les engagements de QMI envers le ministre de l’Industrie et envers ISDE ne sont pas des considérations pertinentes pour l’examen du tarif proposé par QMI. Il n’est ni la responsabilité de RCCI ni du Conseil de s’assurer que QMI est en mesure de respecter de tels engagements.
  3. Selon le Conseil, les coûts fournis par QMI dans son analyse de sensibilité sont généralement appropriés.

Comparaison des offres

Faire progresser les objectifs pertinents énoncés à l’article 7 de la Loi et les objectifs pertinents des Instructions de 2023

  1. Pour évaluer les offres, le Conseil doit les comparer afin de déterminer laquelle permettrait le mieux de faire progresser les objectifs pertinents énoncés à l’article 7 de la Loi et les objectifs pertinents des Instructions de 2023.
  2. En se fondant sur les pratiques et procédures décrites dans le bulletin d’information de télécom 2022-337 et sur les arguments présentés par QMI et RCCI, le Conseil estime que certains ensembles d’objectifs énoncés à l’article 7 de la Loi et d’objectifs principaux des Instructions de 2023 sont les plus pertinents pour l’évaluation des offres déposées.
  3. Le premier ensemble d’objectifs porte sur l’abordabilité des services :  
    • l’objectif énoncé à l’alinéa 7b) de la Loi : permettre l’accès aux Canadiens dans toutes les régions – rurales ou urbaines – du Canada à des services de télécommunication sûrs, abordables et de qualité;
    • l’alinéa 2b) des Instructions de 2023 qui exige que le Conseil examine dans quelle mesure sa décision favoriserait l’abordabilité et des prix plus bas, notamment lorsque les fournisseurs de services de télécommunication exercent un pouvoir de marché.
  4. La question de savoir si les tarifs proposés permettraient d’offrir des forfaits des services de détail plus abordables que ceux actuellement disponibles et, d’une manière générale, d’exercer des pressions concurrentielles accrues sur le marché des services de détail est un axe de réflexion important que le Conseil a pris en compte lors de l’évaluation des offres au regard de ces deux premiers objectifs.
  5. Le deuxième ensemble d’objectifs porte sur l’amélioration et le fait d’accroître la compétitivité dans le secteur des télécommunications :
    • l’objectif énoncé à l’alinéa 7c) de la Loi : accroître l’efficacité et la compétitivité, sur les plans national et international, des télécommunications canadiennes;
    • l’alinéa 2a) des Instructions de 2023 qui exige que le Conseil examine dans quelle mesure ses décisions encouragent toutes formes de concurrence et d’investissement.
  6. Le Conseil a examiné s’il existait une compensation équitable pour RCCI, en tant que fournisseur de services, qui maintient sa capacité et son incitation à investir dans son réseau et qui ne compromet pas sa capacité à faire concurrence. Parallèlement, le Conseil a tenu compte de l’incidence des tarifs sur la capacité de QMI à être compétitive sur le marché, à innover et à développer son propre réseau.
  7. Enfin, le troisième objectif est lié à l’efficacité de la réglementation et au fait de favoriser le libre jeu du marché: 
    • l’objectif énoncé à l’alinéa 7f) de la Loi : favoriser le libre jeu du marché en ce qui concerne la fourniture de services de télécommunication et assurer l’efficacité de la réglementation, dans le cas où celle-ci est nécessaire.
  8. Pour évaluer cet objectif, le Conseil a examiné comment les tarifs proposés peuvent être mesurés par rapport aux tarifs de services comparables.

Capacité de QMI à promouvoir l’abordabilité

  1. Les deux offres pourraient potentiellement permettre à QMI de fournir des forfaits de services sans fil à des prix inférieurs à ceux actuellement disponibles sur le marché hors Québec.
  2. Les tableaux ci-dessous comparent les tarifs des services de détail annoncés par les entreprises en juin 2023 pour les forfaits « apportez votre propre appareil ».


    Québec

    Fournisseur Prix Données Notes
    Entreprises titulaires exerçant un pouvoir de marché 45 $ 6 Go Forfait de données le moins cher
    Entreprises titulaires exerçant un pouvoir de marché 55 $ 20 Go S.O.
    Entreprises titulaires exerçant un pouvoir de marché 65 $ Illimité Ralentissement artificiel à partir de 25 Go
    Vidéotron 45 $ 6 Go Forfait de données le moins cher
    Fizz 34 $ 1 Go Forfait de données le moins cher
    Fizz 38 $ 8 Go Forfait le plus semblable à celui de RCCI
    Fizz 39 $ 20 Go Offre d’une durée limitée – Anciennement 55 $

    Reste du Canada (à l’exception de la Nouvelle-Écosse)

    Fournisseur Prix Données Notes
    Entreprises titulaires exerçant un pouvoir de marché 65 $ 50 Go Forfait de données le moins cher
    Freedom Mobile 39 $ 20 Go Forfait le moins cher, seulement 3 Go à l’échelle nationale
    Freedom Mobile 60 $ 50 Go Seulement 3 Go à l’échelle nationale
  3. RCCI a indiqué qu’elle fondait son offre sur les forfaits disponibles au Québec. Le Conseil estime que les tarifs d’accès pour les ERMV proposés par RCCI permettraient à QMI d’appliquer au reste du pays les tarifs qu’elle offre au Québec.
  4. Le Conseil estime que l’une ou l’autre des offres permettrait à QMI de fournir des forfaits à des prix inférieurs à ceux actuellement disponibles sur le marché des services de détail. Toutefois, en utilisant le tarif de RCCI, QMI devrait offrir des allocations de données inférieures à celles qui sont actuellement offertes, ce qui serait contraire aux intérêts de plusieurs consommateurs canadiens. Si elles étaient acceptées, les offres de QMI ou de RCCI contribueraient, dans une certaine mesure, à l’atteinte de l’objectif énoncé à l’alinéa 7b) de la Loi et de l’objectif principal énoncé à l’alinéa 2b) des Instructions de 2023.

Mesures incitatives à investir et à faire concurrence

  1. Le Conseil a évalué les arguments et les calculs de RCCI en fonction de ses deux approches méthodologiques. Selon l’analyse par le Conseil des calculs de RCCI, avec des ajustements prudents et en intégrant le coût par abonné dans la deuxième approche méthodologique de RCCI, le coût pour RCCI par Go est à peine plus élevé que l’offre de QMI. Les éléments de preuve figurant dans le dossier de la présente instance indiquent qu’il est probable que les tarifs offerts par QMI permettent à RCCI de recouvrer l’intégralité des coûts liés à la fourniture de son service d’accès pour les ERMV.
  2. Le Conseil fait remarquer que RCCI n’a seulement déposé d’éléments de preuve relatifs à l’établissement des coûts pour une partie de l’entente proposée. Par conséquent, la capacité du Conseil à évaluer si l’offre de QMI permettrait à RCCI de recouvrer ses coûts est limitée. Les éléments de preuve fournis par RCCI ne permettent donc pas au Conseil de conclure que les tarifs proposés par QMI ne permettraient pas à RCCI de recouvrer ses coûts de fourniture de services d’accès de données pour les ERMV.
  3. Le Conseil estime que l’incitation de RCCI à investir et sa capacité à attirer du capital pour de tels investissements restent intactes compte tenu de l’importance relative des revenus que RCCI tirerait de la fourniture à QMI d’un accès pour les ERMV pour les services de données par rapport à l’ensemble de ses revenus. Bien que le Conseil soit d’avis qu’il est probable que tout coût pouvant être recouvré par la seule application du tarif du service de données en cause dans la présente instance serait, tout au plus, minime, le Conseil estime également que RCCI conservera sa capacité à recouvrer les coûts marginaux liés à la fourniture de services d’accès pour les ERMV à QMI au moyen d’autres services de télécommunication qu’elle offre, sans compromettre sa capacité à exercer une concurrence efficace sur le marché des services de détail. 
  4. En outre, la durée relativement courte de l’entente selon laquelle cet arbitrage de l’offre finaleest réalisé atténue davantage toute préoccupation concernant la capacité de RCCI à maintenir son investissement dans le réseau et son efficacité concurrentielle sur le marché des services de détail.
  5. En ce qui concerne QMI, une comparaison des marges de profit fondée sur des renseignements déposés au Conseil à titre confidentiel montre que les deux offres permettraient à Fizz de fournir le même service de manière profitable comparativement à celui qu’elle offre présentement à ses clients. Toutefois, le marché évolue vers des allocations de données plus grandes. Cela est confirmé par les mémoires de QMI et de RCCI. Si l’utilisation des données par les clients de Fizz augmente, les tarifs proposés dans l’offre de RCCI se traduisent rapidement par une marge de profit négative pour Fizz.
  6. Le Conseil fait remarquer que bien qu’il ne puisse étudier minutieusement les coûts des services de détail pour Freedom Mobile, les coûts présentés sont supérieurs à ceux de Fizz, ce qui suggère que les pertes de Freedom Mobile seraient encore plus élevées que celles de Fizz.
  7. Ainsi le Conseil estime que bien que l’offre de RCCI permette à QMI d’offrir des forfaits à bas prix, et de faire concurrence dans une certaine mesure, elle limiterait la quantité de données et donc la gamme de forfaits, que QMI peut offrir sans subir de pertes. Par conséquent, le Conseil tire la conclusion de fait que les deux propositions sont justes et raisonnables et qu’elles contribueraient à l’atteinte de l’objectif énoncé à l’alinéa 7c) de la Loi et de l’objectif principal énoncé à l’alinéa 2a) des Instructions de 2023. Toutefois, compte tenu des tendances du marché, les tarifs proposés par QMI permettraient de mieux atteindre ces objectifs et de mieux faire face à la concurrence sur les nouveaux marchés.
  8. Finalement, le Conseil fait remarquer que bien qu’il n’existe pas d’élément de preuve précis ou direct dans le dossier à l’effet qu’un tarif d’accès de données pour les ERMV plus bas se traduirait automatiquement par des prix de services de détail moins élevés, il a conclu dans la politique réglementaire de télécom 2021-130 qu’« en créant les conditions pour une concurrence durable dans les services de détail et en créant des attentes précises pour les différents types d’offres de service, des prix plus bas devraient être plus largement disponibles. » Le Conseil estime qu’une concurrence durable dans les services de détail de la part de QMI serait plus facilement réalisée au moyen de tarifs qui sont inférieurs à ceux proposés dans l’offre de RCCI.

Ententes comparables

  1. En ce qui a trait aux ententes comparables pour les ERMV, le Conseil estime que le nombre limité d’ententes à ce jour n’a qu’une valeur probante minimale pour l’évaluation des offres de QMI et de RCCI.
  2. En ce qui concerne les ententes d’itinérance à l’échelle nationale, le Conseil estime qu’elles aident à éclairer le sujet étant donné que l’itinérance est un service similaire à l’accès pour les ERMV, mais destiné à l’utilisation temporaire. Le Conseil estime que les ententes d’itinérance à l’échelle nationale à l’étude ont été négociées et qu’elles donneraient, dans un marché fonctionnant correctement, une bonne indication de la valeur marchande du service. Toutefois, le Conseil estime que l’existence de tarifs, qui ne sont pas négociés commercialement, influencent probablement les tarifs négociés. QMI a également argué que les taux des services d’itinérance ne devraient pas être utilisés parce qu’ils comprennent des frais supplémentaires de 40 % destinés à décourager l’utilisation. En outre, aucune des parties n’a préconisé l’utilisation des taux tarifés des services d’itinérance comme valeurs comparables. Par conséquent, le Conseil est d’avis que les renseignements fournis par les ententes d’itinérance à l’échelle nationale, pris séparément, sont limités.
  3. Concernant les tarifs à l’échelle internationale, RCCI a argué qu’ils ne sont pas des facteurs comparables en raison de la nature de l’itinérance à l’étranger, et QMI n’a fourni qu’un sous-ensemble d’ententes pouvant exclure les ententes prévoyant des tarifs plus élevés.
  4. Compte tenu du manque de facteurs comparables concernant le marché à l’heure actuelle, le Conseil ne considère pas les tarifs ou les ententes comparables déterminants pour sa conclusion dans le cadre de la présente instance.

Conclusion

  1. Dans la présente décision, le Conseil détermine les tarifs des services de données pour les ERMV que RCCI fournira à QMI pendant une période relativement courte. Cette conclusion fait suite à la décision du Conseil de rendre obligatoire la fourniture du service d’accès pour les ERMV aux entreprises régionales de services sans fil par les entreprises titulaires et Saskatchewan Telecommunications en vue d’encourager le développement de la concurrence dans le secteur des services de détail. Le Conseil estime que la présente décision est conforme aux objectifs pertinents énoncés à l’article 7 de la Loi et aux Instructions de 2023.
  2. Le Conseil a évalué les offres présentées afin de déterminer laquelle favoriserait le mieux la concurrence, l’abordabilité, les intérêts des consommateurs et l’innovation. Le Conseil a examiné laquelle des offres présentées permettrait le mieux d’encourager toutes formes de concurrence et d’investissement et de favoriser l’abordabilité et des prix plus bas des services sans fil mobiles de détail. Pour les raisons susmentionnées, et après avoir apporté un nombre limité d’ajustements prudents mais raisonnables à certains coûts proposés par RCCI, le Conseil a déterminé que l’offre de QMI est celle qui contribue le mieux à l’atteinte de ces objectifs.
  3. L’une ou l’autre offre pourrait potentiellement contribuer à rendre les services de télécommunication plus abordables. Toutefois, l’offre de QMI lui permettra de faire concurrence de manière plus significative dans le marché actuel des services de détail, et lui donnera la capacité de répondre efficacement aux offres concurrentielles des principales entreprises titulaires dans le marché des services de détail en évolution au cours de la courte période de son entente avec RCCI.
  4. En outre, l’offre de QMI maintient la capacité et les incitatifs à investir pour les deux parties, tout en lui donnant la possibilité d’étendre ses services à de nouvelles zones géographiques et de bénéficier d’une plus grande flexibilité en matière de tarification afin de mieux discipliner les tarifs du marché des services de détail au profit de tous les utilisateurs finals. Entre autres, le Conseil conclut que l’adoption de l’offre de QMI ne nuirait pas à la capacité de RCCI de livrer une concurrence efficace sur le marché des services de détail, alors que l’adoption des tarifs proposés par RCCI entraverait probablement la capacité de QMI de renforcer les pressions concurrentielles exercées sur le marché des services de détail.
  5. Enfin, étant donné la courte durée de cette entente et de ce cadre, et étant donné que l’incidence financière de cette conclusion est mineure par rapport aux revenus générés par QMI et RCCI sur le marché des services sans fil, le Conseil est d’avis que cette conclusion n’aura pas d’incidence sur la capacité ou l’incitation de RCCI à investir dans son réseau sans fil.
  6. Par conséquent, le Conseil choisit l’offre de QMI et ordonne aux parties de conclure une entente d’accès pour les ERMV conforme à l’offre de QMI afin que QMI puisse élargir le plus rapidement possible l’offre de services sans fil mobiles concurrentiels à la population canadienne.

Secrétaire général

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