Décision de télécom CRTC 2018-84

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Ottawa, le 7 mars 2018

Dossier public : 8640-T66-201608408

TELUS Communications Inc. – Demande d’abstention de la réglementation du service de facturation et de perception

Le Conseil rejette la demande de TELUS Communications Inc. (TCI) de ne plus imposer la prestation du service de facturation et de perception (SFP), qui sert principalement à soutenir les services interurbains occasionnels. Le Conseil estime que, selon le dossier de l’instance, il est impossible d’évaluer les répercussions qu’aurait la décision de ne plus imposer le SFP sur la concurrence quant aux services interurbains de détail de manière plus générale. De plus, des considérations stratégiques appuient l’imposition continue du SFP, car cela contribue au bien-être des clients vulnérables et facilite le déploiement efficace de réseaux par les fournisseurs de services interurbains.

Compte tenu de la conclusion selon laquelle le SFP devrait rester obligatoire, le Conseil estime qu’il est inapproprié de traiter la demande d’abstention de la réglementation de ce service présentée par TCI.

Contexte

  1. Le Conseil a établi diverses politiques et règles, ainsi que divers règlements pour régir la prestation de services de télécommunication de gros (services de gros), soit les services que les entreprises de télécommunication se fournissent entre elles. La prestation de services de gros soutient principalement la concurrence dans divers marchés des services de détail, y compris les services interurbains.
  2. Lorsque le Conseil a instauré son cadre sur la concurrence des services interurbains dans la décision de télécom 92-12, il a établi une politique réglementaire sur l’égalité d’accès, qui fait référence à la capacité d’un client d’accéder directement à un réseau interurbain concurrent de son choix. Dans le cadre de cette politique réglementaire, les entreprises de services locaux titulaires (ESLT) sont tenues d’effectuer la facturation et la perception au nom de certains fournisseurs de services interurbains (c.-à-d. autres fournisseurs de services). Pour mettre en œuvre cette politique réglementaire, plusieurs services de gros ont été définis, notamment le service de facturation et de perception (SFP)Note de bas de page 1.
  3. Le SFP est un service de gros obligatoire qui exige que toutes les entreprises de services locaux (ESL) se chargent de la facturation et de la perception au nom des autres fournisseurs de services pour ce qui est de certains services admissibles. Ces services admissibles sont les services interurbains occasionnels (également appelés services 10-10), les services 900, les services d’appel à frais virés et les services de facturation à un tiers (appelés collectivement services de facturation et de perception admissibles [services admissibles] dans la présente décision)Note de bas de page 2. Le SFP permet à un autre fournisseur de services de fournir des services à un client de services locaux sans avoir une relation de facturation préexistante (ou sans en établir une nouvelle) avec ce client.
  4. Dans la décision de télécom 2008-17, le Conseil a classé le SFP comme un service d’interconnexion obligatoire. De plus, le Conseil a indiqué qu’il continuait à estimer que, sans le SFP, les ESLT s’accorderaient une préférence indue et que, de ce fait, elles doivent offrir ces services à leurs concurrents.
  5. Dans la décision de télécom 2008-119, le Conseil a rejeté la demande de Bell Canada et autresNote de bas de page 3 visant à faire réviser et modifier la décision de télécom 2008-17, et il a confirmé que le SFP devrait être classé comme un service obligatoire. Le Conseil a indiqué, entre autres choses, que le recours à d’autres solutions que le SFP en matière de facturation et de perception, notamment l’abonnement préalable des clients et les cartes de crédit, modifierait substantiellement la nature des services 10-10. Il a également indiqué que le SFP faisait partie intégrante de la fourniture des services 10-10 et était donc nécessaire à ces services.
  6. Dans la politique réglementaire de télécom 2015-326, le Conseil a établi le cadre actuel concernant la prescription des services de gros, lequel cadre requiert l’application d’une « évaluation du caractère essentiel » et d’une évaluation des considérations stratégiques pour déterminer si le Conseil devrait prescrire la fourniture d’un service de gros. Ayant appliqué l’évaluation du caractère essentielNote de bas de page 4 à plusieurs services de gros dans cette décision, le Conseil a indiqué que les parties n’avaient pas fourni suffisamment de preuves pour permettre une application utile de l’évaluation du caractère essentiel à certains services de gros, y compris le SFP. Par conséquent, une modification de leur statut réglementaire existant n’était pas justifiée. Ainsi, le statut réglementaire du SFP n’a pas été modifié, et le service est demeuré obligatoire.

Demande

  1. TELUS Communications Inc. (TCI)Note de bas de page 5 a présenté une demande, datée du 11 août 2016, dans laquelle elle demandait au Conseil de s’abstenir de réglementer le SFP fourni par toutes les ESL dans leurs territoires respectifs.
  2. Les parties suivantes ont participé à l’instance : Bell Canada; Caztel Communications inc.; le Centre pour la défense de l’intérêt public (CDIP); le Consortium des Opérateurs de Réseaux Canadiens Inc. (CORC); Distributel Communications Limitée (Distributel); Fastrack Global Billing Networks Inc. et Triton Global Business Services Inc. (Fastrack et Triton); Telehop Communications Inc.; et Yak Communications (Canada) Corp. (Yak).
  3. Bien que TCI ait demandé une abstention de réglementation pour toutes les ESL, la demande en elle-même ainsi que les preuves déposées au dossier concernent le SFP de TCI dans son territoire d’exploitation. Par conséquent, le Conseil traite la présente demande pour le territoire d’exploitation du TCI seulement.
  4. Les conclusions du Conseil dans la présente décision tiennent compte des objectifs de la politique énoncés à l’article 7 de la Loi sur les télécommunications (Loi) ainsi que des InstructionsNote de bas de page 6.

Questions

  1. Le Conseil a déterminé que les questions ci-après devraient être examinées dans la présente décision :
    • Le Conseil devrait-il garder le SFP obligatoire?
    • Le Conseil devrait-il s’abstenir de réglementer le SFP?

Le Conseil devrait-il garder le SFP obligatoire?

Contexte – Évaluation du caractère essentiel

  1. La première étape pour l’application de l’évaluation du caractère essentiel est de définir les marchés pertinents pour le service de gros en question, ce qui comprend les composantes liées au produit et à la géographie. Ces marchés sont généralement délimités en fonction du plus petit groupe de services et de la plus petite zone géographique pour lesquels une entreprise peut imposer une hausse de tarifs importante et durable sans perte de profits.
  2. Une fois que les marchés ont été définis (produit et géographie), le Conseil évalue le service de gros en question en fonction des trois conditions de son évaluation du caractère essentiel, décrites ci-dessousNote de bas de page 7 :
    • Condition relative à l’intrant : Le Conseil détermine si l’installationNote de bas de page 8 associée au service de gros en question est un intrant nécessaire pour permettre à une autre entreprise de fournir un service de détail en aval.
    • Condition relative à la concurrence : Le Conseil examine deux éléments : i) les conditions du marché en amont (plus particulièrement, il s’emploie à déterminer si une entreprise ou un groupe d’entreprises possède un pouvoir de marché) et ii) l’incidence de tout pouvoir de marché en amont sur la concurrence dans le marché en aval connexe.
    • Condition relative à la reproductibilité : Le Conseil détermine s’il est pratique ou faisable pour les concurrents de reproduire la fonctionnalité d’une installation, par leurs propres moyens ou en recourant à ceux de tiers.
  3. En plus de l’évaluation du caractère essentiel, le Conseil applique des considérations stratégiques précises pour éclairer, soutenir ou, le cas échéant, infirmer une décision de prescrire la fourniture d’un service de gros. Ces considérations stratégiques sont les suivantes :
    • Bien public : Il faut prescrire le service pour des raisons de bien-être social, de bien-être des consommateurs, de sécurité publique ou de commodité pour le public.
    • Interconnexion : Le service favoriserait le déploiement efficace de réseaux et faciliterait les arrangements sur l’interconnexion des réseaux.
    • Innovation et investissement : La prescription ou la non-prescription de l’installation ou du service de gros pourrait influer i) sur le niveau d’innovation et d’investissement dans les réseaux ou services avancés ou émergents pour les entreprises titulaires, les concurrents ou les deux, et ii) sur le niveau d’adoption des services avancés ou émergents par les utilisateurs de services de télécommunication.

Positions des parties

Marchés pertinents
  1. TCI a indiqué que le statut réglementaire du SFP doit dépendre du service admissible que chaque transaction du SFP appuie. Elle a soutenu que le SFP ne devrait plus être obligatoire pour les services interurbains occasionnels et les services 900 étant donné que des solutions de rechange concurrentielles en matière de facturation sont disponibles au Canada pour ces services. Elle a toutefois ajouté que les services d’appel à frais virés et les services de facturation à un tiers sont le dernier recours pour les personnes n’ayant pas de carte de crédit, de téléphone cellulaire ou même d’adresse de facturation fixe, et qu’il n’y a pas suffisamment d’éléments de preuve au dossier concernant des solutions de rechange en matière de facturation pour ces services. De ce fait, TCI a précisé que le SFP devrait demeurer obligatoire pour les services d’appel à frais virés et les services de facturation à un tiers afin de respecter l’objectif de la politique énoncé à l’alinéa 7h) de la LoiNote de bas de page 9.
  2. En règle générale, le CORC, Distributel et Yak ont fait valoir que le SFP permet de consommer des services de télécommunication de façon occasionnelle ou spontanée (c.-à-d. sans avoir à s’abonner, à s’inscrire, à payer d’avance ou à prendre des mesures avant d’utiliser le service), et que les autres méthodes de facturation et de perception ne sont pas appropriées pour les services admissibles, car elles ne sont pas aussi pratiques pour les utilisateurs finals. Ils ont également soutenu que très peu de clients sont prêts à accepter d’autres méthodes de facturation.
  3. Bien que Distributel et le CDIP se soient dits d’accord avec TCI sur le fait que le statut réglementaire du SFP doit dépendre du service admissible que chaque transaction du SFP appuie, le CORC et Distributel se sont dits en désaccord avec le fait que le marché en amont pertinent comprend le SFP ainsi que d’autres méthodes de facturation et de perception. Le CORC et Yak ont précisé que le marché des services de gros en amont pertinent comprend le SFP de chaque ESL dans son territoire de desserte. Le CORC et Yak ont également soutenu que les fournisseurs de services interurbains occasionnels doivent se fier aux ESL pour effectuer la facturation et la perception auprès des clients, car les ESL sont la seule partie qui possède les renseignements nécessaires pour cibler le bon utilisateur final et lui facturer les services.
  4. TCI a répliqué que même si l’aspect « sans abonnement » peut être une caractéristique des services interurbains occasionnels, il ne s’agit pas d’une exigence pour ces services, puisque la préinscription pour l’utilisation d’un service ne constitue pas une obligation très lourde et qu’elle n’aurait pas d’incidence importante sur le choix qu’offrent les services interurbains occasionnels.
Condition relative à l’intrant
  1. TCI a indiqué que le SFP ne satisfait pas à la condition relative à l’intrant de l’évaluation du caractère essentiel pour les services interurbains occasionnels et les services 900. TCI a soutenu que plutôt que d’utiliser un SFP fourni par une ESL, les autres fournisseurs de services pourraient tout simplement facturer les services directement à leurs utilisateurs finals. TCI et Bell Canada ont aussi soutenu que les recettes de leur SFP ont diminué considérablement au cours des dernières années.
  2. Le CORC et Distributel ont fait valoir que le SFP satisfait à la condition relative à l’intrant de l’évaluation du caractère essentiel. Le CORC a soutenu qu’étant donné que la fourniture des services admissibles n’est possible que par l’intermédiaire du SFP, ce dernier constitue un intrant requis pour la fourniture de ces services dans le marché en aval. Distributel et Yak ont généralement indiqué que la baisse du revenu du SFP de gros peut indiquer que moins de consommateurs utilisent les services de détail en aval, ou qu’ils les utilisent moins souvent ou paient moins cher pour ces services, mais que cela ne prouve pas que des solutions de rechange sont disponibles.
  3. TCI a répliqué que même si le SFP n’était plus disponible, cela n’aurait aucune incidence sur les services interurbains occasionnels, puisque les utilisateurs finals seraient toujours en mesure de composer le code 10-10 et de faire acheminer leurs appels à l’autre fournisseur de services sélectionné. Ainsi, l’autre fournisseur recevrait tout de même l’appel et le numéro de l’appelant.
Condition relative à la concurrence
  1. TCI a fait valoir que le SFP ne satisfait pas à la condition relative à la concurrence de l’évaluation du caractère essentiel. TCI et Bell Canada ont argué que, compte tenu des nombreuses solutions de rechange aux SFP offertes aux fournisseurs de services 900 et interurbains occasionnels de détail, le retrait du SFP n’aurait pas d’incidence importante sur le marché des services 900 et interurbains, car il est improbable qu’un client de détail soit tenu de changer de fournisseur ou de cesser d’utiliser les services de détail. TCI a également soutenu que i) les clients sont habitués à recevoir directement des factures de la part des fournisseurs qui fournissent des services par téléphone ou par Internet; ii) la facturation à une carte de crédit, à un compte bancaire ou autre est monnaie courante; et iii) une hausse de prix importante et non transitoire pour le SFP par n’importe quelle ESL n’aurait pour effet que de précipiter la transition des autres fournisseurs de services vers ces solutions de rechange en matière de facturation et de perception.
  2. Le CORC, Distributel et Yak ont indiqué que les ESL ont un pouvoir de marché dans le marché en amont du SFP, car chaque ESL est la seule partie à entretenir une relation de facturation avec ses utilisateurs finals respectifs et à détenir les renseignements nécessaires pour cibler l’utilisateur final approprié et lui facturer les services. Le CORC et Yak ont indiqué que, en l’absence d’un accès réglementé au SFP, les ESL seraient fortement incitées à ne pas rendre ce service disponible ou à offrir ce dernier dans des conditions déraisonnables.
  3. Le CDIP a indiqué que les services admissibles sont toujours importants pour les clients qui n’effectuent qu’un faible volume d’appels interurbains et ceux qui ne peuvent se payer d’autres technologies de communication (p. ex. services en ligne et sans fil) ou accéder à celles-ci. Le CDIP a également indiqué que la plupart des Canadiens n’ont jamais fait un paiement en ligne au moyen d’une carte de crédit, et que les personnes vulnérables sont plus susceptibles de ne pas avoir de carte de crédit, notamment i) les jeunes Canadiens de 18 à 34 ans, ii) les Canadiens qui touchent un revenu inférieur à 45 000 $, iii) les Canadiens qui ne sont titulaires que d’un diplôme d’études secondaires et iv) les Canadiens qui louent ou se logent sans frais. Le CDIP a soutenu que l’inconvénient de devoir acheter des minutes en ligne ou, pour les personnes ne possédant pas de carte de crédit, de devoir acheter une carte d’appel dans un magasin constituerait un obstacle considérable, renforçant ainsi le pouvoir de marché de TCI au chapitre des services interurbains.
Condition relative à la reproductibilité
  1. TCI a fait valoir que le SFP ne satisfait pas à la condition relative à la reproductibilité de l’évaluation du caractère essentiel. Elle a soutenu que les preuves démontrant que certains fournisseurs de services utilisent leurs propres moyens ou font appel à des tiers autres que les ESL pour la facturation et la perception relativement aux services 900 et aux services interurbains occasionnels constituaient une preuve de la reproductibilité.
  2. Le CORC, Distributel et Yak ont indiqué qu’il n’est ni pratique ni faisable pour les autres fournisseurs de services de reproduire la fonctionnalité du SFP des ESL, car ils ne peuvent pas obtenir les renseignements de facturation de chaque client des services téléphoniques des ESL. Distributel a fait valoir qu’en raison de la nature occasionnelle de l’utilisation des services admissibles, il serait coûteux et peu pratique pour le fournisseur de services d’établir un compte, d’effectuer une vérification de solvabilité et d’effectuer toutes les autres étapes requises pour établir une relation de facturation avec les utilisateurs occasionnels. Yak a indiqué que le service interurbain occasionnel ne peut exister sans le SFP, puisque le SFP constitue un arrangement unique ne pouvant pas être reproduit.
  3. TCI a répliqué qu’il n’existe aucun obstacle technique empêchant les autres fournisseurs de mettre en œuvre d’autres arrangements en matière de facturation, et que Fastrack et Triton offrent la facturation par carte de crédit.
Considérations stratégiques
  1. TCI a indiqué que le SFP ne satisfait à aucune considération stratégique citée précédemment dans la présente décision. La société a soutenu que le SFP n’est pas lié aux réseaux ou à l’interconnexion, et que son absence n’a donc pas d’incidence sur le déploiement efficace des réseaux ou ne nuit pas aux interconnexions des réseaux.
  2. TCI a également soutenu que la dépendance continue au SFP obligatoire ne favorisera pas l’innovation et l’investissement, et que la facturation des services 900 ou des services interurbains occasionnels ne peut pas être considérée comme une exigence pour le bien collectif, car l’absence d’un SFP obligatoire pour ces services ne serait préjudiciable ni pour le bien-être collectif ni pour le bien-être des consommateurs.
  3. Yak a fait valoir que le SFP facilite les ententes d’interconnexion de réseaux, car il est compris dans le cadre de réglementation visant l’égalité d’accès, et qu’il aide les autres fournisseurs de services à acheminer des appels interurbains aux ESL. Elle a également indiqué que les services interurbains occasionnels répondent aux besoins économiques et sociaux des utilisateurs de services de télécommunication, car les clients à faible revenu abonnés à un service téléphonique local peuvent utiliser ce service sans carte de crédit ou vérification de solvabilité, et ils constituent une option à faible coût pour les Néo-Canadiens ou les nouveaux immigrants qui doivent effectuer des appels dans d’autres pays.

Résultats de l’analyse du Conseil

Marchés de produits pertinents
  1. La détermination des marchés de produits pertinents du SFP consiste à réaliser une évaluation du groupe de produits que les consommateurs considéreraient comme des solutions de rechange au service si les autres fournisseurs de services devaient faire face à une augmentation durable et importante des prix du SFP.
  2. Pour ce qui est du marché de produits en amont pertinent, les solutions de rechange au SFP proposées ne conviennent pas pour les services utilisés de façon spontanée et occasionnelle. Selon ces méthodes de facturation et de perception de rechange, les clients seraient tenus de prendre des mesures supplémentaires (p. ex. achat, inscription, fourniture de renseignements de carte de crédit) avant de pouvoir utiliser un service admissible fourni par un autre fournisseur de services, ce qui aurait probablement une incidence sur l’utilisation de ces services. De plus, selon le dossier de la présente instance, ces solutions de rechange ne sont généralement pas utilisées pour les services admissibles, contrairement à l’affirmation de TCI et malgré un certain niveau de disponibilité.
  3. Étant donné que les solutions de rechange proposées ne constituent pas des options appropriées pour le SFP et que peu d’éléments de preuve démontrent que les utilisateurs finals seraient généralement prêts et disposés à utiliser les méthodes de facturation et de perception de rechange proposées pour les services admissibles, le Conseil conclut que le SFP représente un marché de produits en amont pertinent distinct.
  4. En ce qui a trait au marché de produits en aval pertinent, le SFP a été introduit afin d’encourager la concurrence dans le marché des services interurbains filaires et il est principalement utilisé par les autres fournisseurs de services pour fournir des services interurbains filaires. Bien que l’on puisse soutenir que chaque service admissible représente un marché des services de détail en aval distinct, la réalisation d’une évaluation séparée pour chacun de ces marchés distincts ne serait pas efficace du point de vue réglementaire étant donné que la grande majorité des appels admissibles du SFP sont liés à des services interurbains occasionnels. À ce titre, le statut réglementaire du SFP devrait être déterminé à partir d’une évaluation de son principal marché en aval pertinent. Par conséquent, aux fins de la présente évaluation, le Conseil conclut que le principal marché de produits en aval pertinent est le marché des services interurbains filaires.
Marchés géographiques pertinents
  1. Pour cibler le marché géographique pertinent d’un produit ou d’un service, il faut généralement déterminer si un client est disposé à passer d’un fournisseur dans une région à un fournisseur dans une autre région.
  2. Étant donné que les renseignements de facturation d’un utilisateur final utilisant les services admissibles ne sont disponibles qu’auprès de l’ESL desservant l’utilisateur, une hausse des prix d’une ESL pour son SFP ne peut pas être limitée par la disponibilité du SFP auprès d’une autre ESL. À ce titre, le Conseil conclut que le marché géographique pertinent pour le SFP correspond au territoire de chaque ESL et que, dans le présent cas, il s’agit du territoire de TCI.
  3. De plus, comme il est indiqué ci-dessus, les autres fournisseurs de services ont recours au SFP principalement pour fournir des services interurbains filaires aux clients des ESL. Étant donné que les fournisseurs de services interurbains peuvent offrir leurs services de partout au Canada aux clients des ESL situés au Canada, le Conseil estime qu’il serait pertinent de tenir compte du marché des services interurbains filaires à l’échelle nationale lors de l’évaluation de l’incidence du SFP sur le marché des services de détail en aval.
Application de l’évaluation du caractère essentiel – Condition relative à l’intrant
  1. Bien que l’on observe une diminution de la demande des concurrents pour le SFP dans le territoire d’exploitation de TCI et qu’on s’attende à ce que cette diminution se poursuive, les autres fournisseurs de services utilisent toujours le SFP dans ce territoire. De plus, selon les données recueillies auprès des autres fournisseurs de services qui ont participé à la présente instance, un grand nombre d’utilisateurs finals des services interurbains occasionnels ont utilisé le service au cours des dernières années.
  2. Bien que TCI ait soutenu que les services interurbains occasionnels ne seraient pas touchés si le SFP ne devait plus être disponible, les méthodes de facturation et de perception de rechange nécessiteraient qu’un utilisateur final prenne des mesures supplémentaires avant de pouvoir utiliser un service admissible fourni par un autre fournisseur. Étant donné que l’utilisation des services admissibles, à l’exception des services 900, nécessite déjà la prise d’une mesure préliminaire (p. ex. composer le code 10-10 avant de faire un appel interurbain occasionnel), la nécessité de prendre d’autres mesures supplémentaires avant de pouvoir utiliser un service fourni par un autre fournisseur peut être considérée comme un inconvénient par les clients, ce qui pourrait avoir une incidence sur l’utilisation de ces services. Cela est particulièrement vrai lorsqu’un service semblable est offert par l’ESL du client et que ce dernier n’a aucune mesure préalable à prendre avant d’utiliser le serviceNote de bas de page 10.
  3. Le SFP est un intrant dont les concurrents ont besoin pour fournir des services interurbains occasionnels. Par conséquent, le Conseil conclut que le SFP satisfait à la condition relative à l’intrant de l’évaluation du caractère essentiel.
Application de l’évaluation du caractère essentiel – Condition relative à la concurrence
  1. En ce qui a trait au marché en amont, les ESL entretiennent une relation de facturation avec leurs utilisateurs finals respectifs et détiennent les renseignements nécessaires pour cibler l’utilisateur final approprié et lui facturer les services. Bien que TCI ait proposé d’autres méthodes de facturation et de perception, comme il est indiqué ci-dessus, ces méthodes n’offrent pas de solutions de rechange appropriées, car elles ne conviennent pas aux services utilisés de façon spontanée ou occasionnelle. Comme les autres fournisseurs de services dépendent des ESL qui desservent les clients pour pouvoir facturer leurs services, le Conseil estime que les ESL, et TCI dans le présent cas, possèdent un pouvoir de marché en amont en ce qui a trait à la fourniture du SFP.
  2. Cependant, la présence d’un pouvoir de marché en amont n’est, en elle-même, pas suffisante pour satisfaire à la composante relative à la concurrence de l’évaluation du caractère essentiel. Il doit également y avoir une possibilité de réduire ou d’empêcher considérablement la concurrence dans un marché des services de détail en aval correspondant dans l’éventualité où l’accès à l’intrant en aval serait refusé.
  3. Bien que l’industrie des télécommunications et le marché des services interurbains plus particulièrement aient évolué de façon considérable depuis que le SFP est devenu obligatoire, les éléments de preuve au dossier de la présente instance sont insuffisants pour évaluer de façon adéquate si l’absence du SFP entraînerait une réduction importante de la concurrence dans le marché des services interurbains filaires ou si la disponibilité d’autres services de détail (p. ex. forfaits d’appels interurbains, services sans fil et outils en ligne) est suffisante pour atténuer cette répercussion.
  4. De plus, le SFP est une composante intégrante et importante d’une politique réglementaire générale (c.-à-d. égalité d’accès) qui a été établie pour permettre la concurrence dans le marché des services interurbains et qui s’applique toujours aujourd’hui. Tout changement au statut réglementaire du SFP aurait une incidence sur la politique réglementaire sur l’égalité d’accès et le cadre sur la concurrence des services interurbains.
  5. À ce titre, l’évaluation de la condition relative à la concurrence du SFP comprend non seulement une évaluation du caractère concurrentiel de l’ensemble du marché des services interurbains, mais également, par extension, une évaluation de la pertinence continue de la politique réglementaire sur l’égalité d’accès et du cadre réglementaire des services interurbains actuel. La portée étroite de la présente instance ne se prête pas à un examen général et ne constitue pas la façon appropriée d’aborder tous les changements survenus dans le marché des services interurbains depuis l’introduction de la concurrence.
  6. Compte tenu de ce qui précède, bien que les ESL, et TCI dans le présent cas, aient un pouvoir de marché en amont relativement au SFP, le Conseil conclut qu’il est impossible d’évaluer correctement l’incidence du SFP sur le marché des services interurbains filaires de détail en aval dans le cadre de la présente instance.
Application de l’évaluation du caractère essentiel – Condition relative à la reproductibilité
  1. Bien que pour les autres fournisseurs de services, il puisse être faisable sur le plan technique de reproduire les fonctions du SFP et de mettre en œuvre d’autres arrangements en matière de facturation, cela ne démontre pas automatiquement qu’il serait pratique de le faire pour les autres fournisseurs de services. Afin de reproduire les fonctions du SFP, les autres fournisseurs de services devraient élaborer leurs propres systèmes de facturation et de perception, ce qui pourrait ne pas être une solution efficace pour effectuer la perception auprès de clients occasionnels ou percevoir de faibles frais compte tenu des coûts associés à la production de factures et à la gestion des paiements. De plus, cette solution exigerait probablement d’importants investissements des autres fournisseurs de services pour modifier leurs systèmes de facturation actuels – ou en concevoir un – afin de leur permettre de facturer directement les services à leurs clients, ce qui pourrait constituer une utilisation inefficace des ressources.
  2. Comme il est indiqué dans la politique réglementaire de télécom 2015-326 relativement à la condition relative à la reproductibilité, la capacité des concurrents à reproduire les fonctions de manière isolée ou limitée n’indique pas nécessairement que ceux-ci sont en mesure de déployer des installations à grande échelle, d’une manière qui permette de limiter suffisamment le pouvoir de marché en amont des entreprises titulaires sur les marchés en aval pertinents. Bien que certains autres fournisseurs de services aient tenté de reproduire les fonctions du SFP, le dossier de la présente instance ne démontre pas qu’ils ont réussi à le faire à une échelle suffisante pour que cela ait une incidence importante sur la prestation des services admissibles.
  3. Bien que Fastrack et Triton offrent la facturation par carte de crédit pour leurs services interurbains occasionnels, leurs autres services comprennent des services de solutions de paiement destinés aux autres fournisseurs de services. Rien n’indique, dans le dossier de la présente instance, que ces services de solutions de paiement ont été instaurés à l’origine à des fins de facturation et de perception pour leurs services interurbains occasionnels. De plus, comme il est mentionné plus haut, ces solutions de paiement ne sont généralement pas utilisées à des fins de facturation et de perception pour les services interurbains occasionnels et ne représentent pas des solutions de rechange adaptées à ces services.
  4. À ce titre, le Conseil conclut que le SFP satisfait à la condition relative à la reproductibilité de l’évaluation du caractère essentiel, car il n’est pas pratique pour les autres fournisseurs de services de reproduire les fonctions du SFP.

Considérations stratégiques

  1. La technologie relative à l’égalité d’accès permet aux clients desservis par des commutateurs offrant une telle fonction d’avoir directement accès au réseau interurbain concurrent de leur choix, y compris aux services interurbains offerts par les fournisseurs de services interurbains occasionnels comme les autres fournisseurs de services. Dans la décision de télécom 92-12, le Conseil a imposé les services d’égalité d’accès afin de favoriser la concurrence des services interurbains et a conclu que l’égalité d’accès inclut des services auxiliaires comme le SFP. Dans la décision de télécom 2008-119, le Conseil a exposé de nouveau son point de vue selon lequel le SFP était compris dans l’égalité d’accès. Le dossier de la présente instance contient peu d’éléments de preuve indiquant que cela n’est plus le cas. Le Conseil estime que le SFP permet une interconnexion efficace des réseaux, car il s’agit d’une partie intégrante de l’égalité d’accès, qui constitue une politique visant notamment à faciliter le déploiement efficace de réseaux des fournisseurs de services interurbains.
  2. De plus, comme il est mentionné ci-dessus, les autres fournisseurs de services ne disposent pas des renseignements de facturation dont ils ont besoin pour envoyer des factures directement à leurs utilisateurs finals, et il n’existe pas de solutions de rechange appropriées au SFP. Si le SFP n’est plus disponible ou qu’il est fourni dans des conditions déraisonnables, une partie considérable des clients du marché devraient probablement changer de fournisseurs de services interurbains ou cesser de recourir aux services interurbains occasionnels.
  3. Bien que d’autres types de services interurbains soient disponibles dans le marché des services interurbains filaires, comme les forfaits d’appels interurbains, et que d’autres options disponibles à partir de services en ligne et sans fil, le dossier de la présente instance ne permet pas au Conseil d’évaluer correctement les répercussions du SFP sur le marché des services interurbains filaires de détail en aval. Cependant, le dossier de la présente instance laisse entendre qu’une partie importante des utilisateurs finals des services interurbains occasionnels sont des clients qui effectuent de faibles volumes d’appels interurbains ou qui ne peuvent se payer d’autres technologies de communication (p. ex. services en ligne et sans fil) ou accéder à celles-ci. Ces clients seraient probablement plus touchés si le SFP n’est plus obligatoire. Dans bon nombre des cas, les services interurbains occasionnels fournis par l’intermédiaire du SFP peuvent constituer un moyen très efficace et abordable qui permet à certains segments de clients vulnérables de répondre à leurs besoins en matière de télécommunication, et le maintien du statut obligatoire du SFP contribuerait au bien-être de ces clients.
  4. Compte tenu de ce qui précède, le Conseil conclut que les considérations stratégiques examinées ci-dessus appuient le maintien du statut obligatoire du SFP.

Conclusion concernant la question de savoir si le SFP devrait demeurer obligatoire

  1. Bien que le Conseil estime que le SFP satisfait aux conditions relatives à l’intrant et à la reproductibilité de l’évaluation du caractère essentiel, il est impossible de déterminer que le SFP est un service essentiel dans le cadre de la présente instance étant donné que l’évaluation de la condition relative à la concurrence n’est pas concluante (c.-à-d. il est impossible d’évaluer correctement les répercussions du SFP sur le marché des services interurbains filaires de détail en aval).
  2. Cependant, les considérations stratégiques abordées précédemment dans la présente décision appuient l’imposition continue du SFP, car cela contribue au bien-être des clients vulnérables et facilite le déploiement efficace de réseaux par les fournisseurs de services interurbains. Par conséquent, le Conseil conclut que le SFP devrait demeurer obligatoire.

Le Conseil devrait-il s’abstenir de réglementer le SFP?

  1. Compte tenu de sa conclusion selon laquelle le SFP doit demeurer obligatoire, le Conseil estime qu’il n’est pas pertinent de traiter la demande d’abstention de TCI.

Conclusion

  1. Compte tenu de tout ce qui précède, le Conseil rejette la demande de TCI.

Instructions

  1. Les conclusions figurant dans la présente décision sont conformes aux Instructions pour les raisons énoncées ci-dessous.
  2. Les Instructions prévoient que dans l’exercice des pouvoirs et fonctions que lui confère la Loi, le Conseil doit mettre en œuvre les objectifs de la politique énoncés à l’article 7 de la Loi, conformément aux alinéas 1a), 1b) et 1c) des Instructions.
  3. Les questions à l’examen dans le cadre de la présente instance concernent la prestation du SFP et sa répercussion connexe sur la concurrence dans le marché des interurbains filaires de détail en aval, notamment la question de savoir si le SFP ne devrait plus être obligatoire. La conclusion rendue dans la présente décision à l’effet que le SFP devrait rester obligatoire favorise la concurrence dans le marché des services interurbains filaires de détail en assurant un accès de gros au SFP aux fournisseurs de services interurbains. Par conséquent, le sous-alinéa 1a)(ii)Note de bas de page 11 et les sous-alinéas 1b)(i), 1b)(ii) et 1b)(iv)Note de bas de page 12 des Instructions s’appliquent aux conclusions du Conseil dans la présente instance.
  4. En vertu du sous-alinéa 1b)(i) des Instructions, les conclusions tirées dans la présente décision favorisent l’atteinte des objectifs de la politique énoncés aux alinéas 7a), 7b), 7c), 7f) et 7h) de la LoiNote de bas de page 13.
  5. Conformément aux sous-alinéas 1a)(ii) et 1b)(ii) des Instructions, le Conseil estime que les mesures réglementaires approuvées dans la présente décision i) sont efficaces et proportionnelles aux buts visés et ne font obstacle au libre jeu d’un marché concurrentiel que dans une mesure minimale, et ii) ne découragent pas un accès au marché qui est propice à la concurrence et qui est efficace économiquement, ni n’encouragent un accès au marché qui est non efficace économiquement. Plus précisément, la conclusion selon laquelle le SFP devrait rester obligatoire est efficace et proportionnelle au but visé qu’est l’objectif de soutenir la concurrence dans le marché des services interurbains de détail.
  6. Conformément, au sous-alinéa 1b)(iv) des Instructions, le Conseil estime que les conclusions rendues dans la présente décision, en ce qui a trait aux ententes d’interconnexion de réseaux ou aux régimes d’accès aux réseaux, sont neutres sur les plans de la technologie ou de la concurrence et ne favorisent pas artificiellement les entreprises canadiennes ou les revendeurs.

Secrétaire général

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