Décision de télécom CRTC 2017-299

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Ottawa, le 24 août 2017

Numéro de dossier : 8640-N1-201609893

Norouestel Inc. – Demande d’abstention de la réglementation des services d’exploitation et d’entretien fournis à l’appui du réseau de liaison par fibre optique dans la vallée du Mackenzie du gouvernement des Territoires du Nord-Ouest

Le Conseil rejette la demande de Norouestel Inc. visant l’abstention de la réglementation des frais de service de l’entreprise s’appliquant à l’exploitation et à l’entretien du réseau de liaison par fibre optique dans la vallée du Mackenzie. Le Conseil estime que l’abstention ne serait pas dans l’intérêt public des usagers des collectivités concernées.

Introduction

  1. En 2013, le gouvernement des Territoires du Nord-Ouest (GTNO) a lancé un processus d’appel d’offres de grande envergure pour la conception, la construction, l’exploitation et l’entretien du réseau de liaison par fibre optique dans la vallée du MacKenzie (LFOVM), un réseau par fibre optique à grande capacité qui s’étendrait sur quelque 1 200 kilomètres aux Territoires du Nord-Ouest, de McGill Lake à Inuvik. L’objectif principal du réseau de LFOVM serait de fournir des services de télécommunication haute vitesse fiables et de qualité, y compris l’accès Internet et la transmission de données, aux collectivités éloignées et peu densément peuplées des Territoires du Nord-Ouest, à des tarifs comparables à ceux offerts aux entreprises, aux organisations du secteur public et aux usagers résidentiels dans le Sud.
  2. Le 30 juillet 2014, le GTNO a annoncé que le Northern Lights General Partnership (NLGP), un partenariat établi entre Ledcor Developments Ltd. et Norouestel Inc. (Norouestel), s’est vu attribuer le contrat sur appel d’offres pour la conception, la construction, l’exploitation et l’entretien du réseau de LFOVM. Les tarifs prévus au contrat entre le NLGP et le GTNO pour l’exploitation et l’entretien du réseau de LFOVM sont gelés pour une période de 20 ans.

Demande

  1. Le 10 août 2016, le Conseil a reçu une demande de la partie 1 de la part de Norouestel, dans laquelle l’entreprise lui demandait de s’abstenir, conformément à l’article 34 de la Loi sur les télécommunications (Loi), d’exercer ses pouvoirs et fonctions aux termes des articles 25, 27, 29 et 31 de la Loi en ce qui concerne les frais exigés pour les services d’exploitation et d’entretien qu’elle fournit, au nom du NLGP, au GTNO pour le réseau de LFOVM.
  2. Norouestel a fondé sa demande sur son affirmation selon laquelle elle devra verser au dossier public les détails du contrat ou des tarifs si l’abstention ne lui était pas accordée. Comme le processus de sélection d’un fournisseur pour l’exploitation et l’entretien du réseau de LFOVM était concurrentiel, Norouestel a affirmé que cette abstention garantirait que sa capacité d’obtenir de prochains contrats du gouvernement dans le cadre d’appels d’offres concurrentiels et d’établir des partenariats avec d’autres entreprises de construction ne serait pas compromise.
  3. Le Conseil a reçu une intervention de la part de SSi Micro Ltd. (SSi), dans laquelle elle s’est opposée à la demande de Norouestel et a demandé que Norouestel soit tenue de déposer un Tarif général pour les services d’exploitation et d’entretien. Norouestel et le GTNO ont répliqué à l’intervention de SSi. Le GTNO a appuyé la demande de Norouestel et a demandé que le Conseil approuve l’abstention de la réglementation des services d’exploitation et d’entretien. On peut consulter sur le site Web du Conseil le dossier public de l’instance, lequel a été fermé le 5 janvier 2017. On peut y accéder à l’adresse www.crtc.gc.ca ou au moyen du numéro de dossier indiqué ci-dessus.

Le Conseil devrait-il s’abstenir de réglementer les frais de service de Norouestel s’appliquant à l’exploitation et à l’entretien du réseau de LFOVM?

Contexte

  1. En vertu de l’article 34 de la Loi, le Conseil peut s’abstenir de réglementer un service s’il conclut qu’une telle abstention est conforme aux objectifs de la politique canadienne de télécommunication décrits à l’article 7 de la Loi. Le Conseil doit s’abstenir de réglementer un service lorsqu’il conclut que la concurrence est suffisante pour protéger les intérêts des usagers. Par ailleurs, il ne doit pas s’abstenir de réglementer un service lorsqu’il conclut que cela aurait vraisemblablement pour effet de compromettre indûment la création ou le maintien d’un marché concurrentiel pour la fourniture de ce service.
  2. Pour déterminer si la concurrence est suffisante pour protéger les intérêts des usagers, le Conseil applique habituellement les critères énoncés dans la décision Examen du cadre de réglementation, Décision de télécom CRTC 94-19, 16 septembre 1994 (décision de télécom 94-19). Dans cette décision, le Conseil a déclaré que la première étape de l’évaluation de la concurrence consiste généralement à définir le marché pertinent, qui constitue la base de l’exercice d’abstention. Le marché pertinent se définit essentiellement comme le plus petit groupe de produits et la plus petite région géographique pour lesquels une entreprise possédant un pouvoir de marché peut imposer de façon rentable une majoration des prix durable.
  3. Une fois le marché pertinent établi, l’étape suivante est de déterminer s’il existe un pouvoir de marché. Dans la décision de télécom 94-19, le Conseil a défini le pouvoir de marché en tant que capacité d’un fournisseur de hausser ou de maintenir les prix au-dessus de ceux qui auraient cours dans un marché concurrentiel. Un faible pouvoir de marché suppose que le marché est, ou est susceptible de devenir, suffisamment concurrentiel pour protéger les intérêts des usagers, ce qui permet au Conseil de s’abstenir de réglementer un service en particulier.
  4. Le Conseil a déterminé trois facteurs qu’il faut évaluer pour établir le pouvoir de marché : la part de marché détenue par l’entreprise dominante; les conditions de la demande qui influent sur les réactions des clients à un changement de prix; les conditions de l’offre qui influent sur la capacité des autres entreprises présentes dans le marché de réagir à un changement du prix du produit ou du service. De plus, le Conseil a précisé que, bien qu’une forte part de marché soit une condition nécessaire pour qu’il y ait un pouvoir de marché, cela ne suffit pas en soi; d’autres facteurs, tels que les obstacles à l’entrée, les services contribuant à un engorgement, ou l’absence de rivalité, permettent à une entreprise dominante d’être anticoncurrentielle.
  5. À l’appui de sa demande, Norouestel a présenté son évaluation de la compétitivité au sein du marché des services d’exploitation et d’entretien du réseau de LFOVM à l’aide du cadre établi dans la décision de télécom 94-19. L’évaluation du Conseil fondée sur ce cadre est décrite ci-après.

Marché pertinent

Positions des parties
  1. Norouestel a proposé de définir le marché de produits pertinent comme les services d’exploitation et d’entretien du réseau de LFOVM, et le marché géographique pertinent comme la région où est situé le réseau de LFOVM, soit les Territoires du Nord-Ouest.
  2. SSi a fait remarquer que l’objectif du réseau de LFOVM, tel qu’a déclaré le GTNO, consiste à servir les organismes gouvernementaux et les entreprises; SSi a particulièrement fait référence aux secteurs du commerce électronique et de la haute technologie, et à la station-relais pour satellites d’Inuvik. Dans ce contexte, SSi a établi que le marché pertinent était l’offre de services de gros et de détail aux clients les plus importants des Territoires du Nord-Ouest, ces services étant offerts parmi des services clés détenant le monopole de la fibre optique terrestre dans les régions desservies.
Résultats de l’analyse du Conseil
  1. Même si les services d’exploitation et d’entretien du réseau de LFOVM fournis au nom du NLGP et du GTNO pourraient être considérés comme faisant partie d’une catégorie plus vaste de services pour ce qui est de l’exploitation d’une installation de fibre appartenant à un client, le réseau de LFOVM est doté de caractéristiques distinctes (p. ex. grande capacité de bande passante, ampleur des volumes de trafic, pannes de fonctionnement, restrictions liées aux pannes) qui le rendent unique. Par conséquent, le marché de produits pertinent correspond aux services d’exploitation et d’entretien des installations du réseau de LFOVM.
  2. Les parties n’ont pas réfuté la proposition de Norouestel visant à définir le marché géographique comme un marché constitué des collectivités des Territoires du Nord‑Ouest où se trouve le réseau de LFOVM (collectivités du réseau de LFOVM)Note de bas de page 1. Le Conseil estime que cette définition est appropriée étant donné que les services en question seront fournis dans la région où le réseau de LFOVM est situé. Par conséquent, le marché géographique pertinent est constitué des collectivités du réseau de LFOVM.
  3. Le marché pertinent correspond donc aux services d’exploitation et d’entretien des installations du réseau de LFOVM dans les collectivités de celui-ci.

Pouvoir de marché

Positions des parties
  1. En ce qui concerne la part de marché, Norouestel a indiqué que, dans le cas du réseau de LFOVM, le GTNO a entrepris un processus contractuel de grande envergure, et que le fort taux de participation au processus d’appel d’offres (huit soumissionnaires, dont trois se sont qualifiés pour la dernière phase) a démontré la capacité des autres entreprises d’accéder au marché en raison de sa compétitivité. De plus, Norouestel a soutenu que le processus d’appel d’offres avait donné aux fournisseurs de services l’occasion d’établir leur présence dans la région.
  2. Norouestel a déclaré qu’en résumé, les autres soumissionnaires (y compris SSi) ou les autres fournisseurs de services qui ne sont pas présents dans le Nord pourraient simplement accéder au marché, par divers moyens, à la fin du contrat d’exploitation et d’entretien du réseau de LFOVM.
  3. SSi a indiqué que le fait qu’un certain nombre de soumissionnaires qualifiés ont manifesté de l’intérêt à l’égard du contrat ne prouve pas que ceux-ci seront nécessairement présents sur le marché des services de télécommunication une fois l’installation construite. SSi a ajouté que, puisque Norouestel a établi que le marché pertinent correspond aux services d’exploitation et d’entretien du réseau de LFOVM, une entité obtenant le contrat dans le cadre d’un appel d’offres détiendrait ainsi la totalité des parts de marché.
  4. En réplique, Norouestel a soutenu que l’élément pertinent ne serait pas la part de marché actuelle du produit, mais plutôt la capacité du GTNO de recevoir des soumissions concurrentielles.
  5. En ce qui concerne les conditions de la demande, Norouestel a indiqué que le seul client en l’espèce est le GTNO, lequel a présenté comme il se doit une demande de propositions et réduit la liste des soumissionnaires qualifiés en conservant trois de ceux-ci, ce qui prouve qu’il existait des solutions de rechange pratiques et réalisables sur le plan économique. À la fin de son contrat de 20 ans avec Norouestel, le GTNO devrait pouvoir changer de fournisseur en fonction du résultat d’une autre demande de propositions.
  6. SSi a indiqué que les conditions de la demande dans les collectivités desservies par le réseau de LFOVM seront compromises par la disponibilité des services de LFOVM, car ceux-ci sont le prolongement des services de transport monopolistiques de Norouestel. De plus, SSi a demandé que le Conseil considère l’appel d’offres comme un événement passé, en l’absence d’éléments de preuve fiables quant aux conditions de concurrence futures qui permettraient la substituabilité de la demande.
  7. En ce qui concerne les conditions de l’offre, Norouestel a fait valoir que l’existence d’un processus d’appel d’offres prouve manifestement que les services peuvent provenir d’autres sources. Norouestel a ajouté que la capacité des autres entreprises de satisfaire aux conditions de l’offre pour la durée de son contrat avec le GTNO ne constitue pas une préoccupation. Norouestel estime également que le marché est exempt d’installations contribuant à un engorgement et d’autres obstacles susceptibles d’empêcher un concurrent d’obtenir le contrat. Enfin, Norouestel a fait valoir que le processus d’évaluation, auquel huit soumissionnaires ont participé (dont trois se sont qualifiés pour la dernière phase), démontre qu’il existe une rivalité sur le marché; la même situation devrait être constatée au moment du renouvellement du contrat.
  8. SSi a reconnu que le nombre de soumissionnaires souhaitant collaborer avec le GTNO à l’établissement du réseau de LFOVM fournit un élément de preuve illustrant que d’autres entreprises que Norouestel ont envisagé d’accéder au marché. Toutefois, SSi a indiqué que les obstacles à l’entrée sur le marché n’ont pas été réduits à la suite de la réussite du NLGP dans le cadre du processus, mais qu’ils se sont en réalité intensifiés.
Résultats de l’analyse du Conseil
  1. Dans la présente situation, une évaluation approfondie de la compétitivité du marché pertinent ne peut s’appuyer uniquement sur le processus d’appel d’offres pour l’exploitation et l’entretien du réseau de LFOVM, mais doit aussi inclure une analyse de la situation actuelle du marché. Lors de cette analyse, on doit déterminer si d’autres fournisseurs peuvent accéder au marché pertinent, et comment ces fournisseurs pourraient avoir une incidence sur les conditions du marché par l’intermédiaire de la demande, de l’exploitation et de l’offre.
  2. Pour ce qui est du processus d’appel d’offres, bien que le nombre de soumissionnaires qualifiés pour les services d’exploitation et d’entretien démontre qu’il existait une certaine concurrence quant à l’attribution du contrat, il n’est pas clair dans quelle mesure les futurs soumissionnaires se trouveraient dans une position comparable pour agir en tant que substitut de Norouestel, compte tenu de l’envergure et de la portée des services d’exploitation et d’entretien.
  3. En ce qui touche la situation actuelle du marché concurrentiel, puisque Norouestel détiendra la totalité des parts de marché pour la période de 20 ans du contrat, les autres fournisseurs pourront soumissionner pour les services d’exploitation et d’entretien seulement à la fin du contrat ou si le GTNO y met fin avant la date prévue. Ainsi, il est impossible d’évaluer les conditions actuelles de l’offre et de la demande parce qu’aucune solution de rechange pratique et réalisable sur le plan économique ne s’offre au client (c.-à-d. le GTNO) durant la période du contrat.
  4. En ce qui concerne le fait que Norouestel craint que la divulgation publique de ses tarifs d’exploitation et d’entretien du réseau de LFOVM ne limite sa capacité d’établir des partenariats avec des entreprises de construction et d’obtenir de prochains contrats du gouvernement, et le fait qu’elle croit que l’abstention préviendrait tout préjudice en garantissant que les tarifs demeurent confidentiels, la confidentialité de l’information relative aux prix n’est pas un facteur pertinent pour déterminer si l’abstention est appropriée.
  5. Compte tenu de ce qui précède, le Conseil conclut, conformément au paragraphe 34(2) de la Loi et comme question de fait, que le dossier de la présente instance ne contient pas suffisamment d’éléments de preuve pour démontrer que le niveau de concurrence en matière de fourniture de services d’exploitation et d’entretien du réseau de LFOVM protégera les intérêts des usagers de ces services dans les collectivités du réseau de LFOVM. Le Conseil conclut également, en vertu du paragraphe 34(1) de la Loi, que l’abstention de la réglementation de ces services ne serait pas conforme aux objectifs de la politique établis dans la Loi, et qu’elle ne serait donc pas dans l’intérêt public. Par conséquent, le Conseil rejette la demande de Norouestel visant l’abstention de la réglementation de ses frais de service applicables à l’exploitation et à l’entretien du réseau de LFOVM.

Autre question soulevée par SSi

  1. Pour ce qui est de la demande de SSi, que Norouestel soit tenue de déposer un Tarif général pour les services d’exploitation et d’entretien à l’appui du réseau de LFOVM, les modalités de ces services sont tout à fait propres à ce réseau. Dans la décision de télécom 94-19, le Conseil a déclaré qu’un service qui est destiné à répondre aux besoins d’un client en particulier et qui comprend des composantes d’un Tarif général, lorsque l’objectif consiste à personnaliser l’offre, doit faire l’objet d’un Tarif des montages spéciaux. Compte tenu du caractère unique du réseau de LFOVM et des besoins particuliers en exploitation et en entretien d’un client aussi important et averti que le GTNO, il est approprié pour Norouestel de déposer un Tarif des montages spéciaux plutôt qu’un Tarif général pour les services d’exploitation et d’entretien.

Instructions

  1. Le Conseil est tenu, dans l’exercice de ses pouvoirs et fonctions aux termes de la Loi, de mettre en œuvre les objectifs de la politique établis à l’article 7 de la Loi, conformément aux InstructionsNote de bas de page 2. Conformément au sous-alinéa 1b)(i) des Instructions, le Conseil estime que les mesures réglementaires établies dans la présente décision contribuent à l’atteinte des objectifs de la politique énoncés aux alinéas 7a), 7b), 7c), 7f) et 7h) de la LoiNote de bas de page 3.
  2. Conformément aux sous-alinéas 1a)(ii) et 1b)(ii) des Instructions, le Conseil estime que les mesures réglementaires approuvées dans la présente décision i) sont efficaces et proportionnelles aux buts visés et ne font obstacle au libre jeu d’un marché concurrentiel que dans une mesure minimale et ii) ne découragent pas un accès au marché qui est propice à la concurrence et qui est efficace économiquement, ni n’encouragent un accès au marché qui est non efficace économiquement.

Secrétaire général

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