ARCHIVÉ - Décision de radiodiffusion CRTC 2008-81

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Décision de radiodiffusion CRTC 2008-81

  Ottawa, le 11 avril 2008
  ARTV inc.
L'ensemble du Canada
 

Plainte portant sur la diffusion du long métrage Mourir à tue‑tête par ARTV

  Dans la présente décision, le Conseil statue sur la plainte relative à la diffusion par ARTV inc., pendant les heures de grande écoute, du long-métrage intitulé Mourir à tue-tête, comportant des scènes de violence explicites réservées à un auditoire adulte. Le Conseil conclut qu'en diffusant le long-métrage avant 21 h, la titulaire a enfreint la clause de l'heure critique du Code d'application volontaire concernant la violence à la télévision de l'Association canadienne des radiodiffuseurs, auquel elle est tenue de se conformer par condition de licence.
 

Introduction

1.

Le 10 avril 2007, le Conseil a reçu une plainte alléguant qu'ARTV inc. (ARTV) avait diffusé, avant 21 h, Mourir à tue-tête, un long-métrage comportant des scènes de violence explicites s'adressant à un auditoire adulte.

2.

Mourir à tue-tête est une production de 1979 de l'Office national du film (ONF). L'ONF décrit le film comme étant un docudrame1 sur le viol. Le long-métrage montre, par le biais de reconstitutions dramatiques et autres, le récit bouleversant d'une femme ayant été victime d'agression sexuelle violente, puis la détérioration de sa santé physique et mentale menant à son suicide. Le film se penche également sur différents types d'agressions sexuelles violentes (p. ex. : des crimes de guerre), la façon dont le système judiciaire et le système de santé traitent les agressions sexuelles et leurs victimes. Finalement, le film présente une étude personnelle de la réalisatrice cherchant à savoir pourquoi les hommes commettent des agressions sexuelles violentes, quels sont les effets de celles-ci sur les femmes et quelles émotions la création du film a suscitées chez la réalisatrice.
 

La plainte

3.

Dans une lettre du 10 avril 2007, le plaignant indiquait qu'ARTV avait diffusé, avant 21 h, Mourir à tue-tête, un long-métrage comportant des scènes de viol « particulièrement dégradantes », et que n'importe quel enfant pouvait accidentellement voir ce contenu, qu'il trouvait « révoltant et inadmissible ».

4.

Dans sa réponse au plaignant du 9 mai 2007, ARTV a affirmé qu'il était clair à ses yeux que le film présentait un sujet vivement et crûment engagé. La titulaire indiquait également que le film était un long-métrage ayant marqué le cinéma québécois et qui visait à dénoncer la violence en montrant le bouleversement et la détresse que vit son personnage principal.

5.

ARTV confirme également avoir diffusé le film à 19 h 30, mais souligne avoir respecté les normes établies par le Conseil canadien des normes de radiotélévision (CCNR) à l'égard de l'heure à laquelle la diffusion de films destinés à un public de 13 ans et plus peut avoir lieu. ARTV a affirmé avoir présenté les mises en garde d'usage requises pour une telle diffusion, soit l'icône « 13 ans + » au début du film et à chaque retour de pause commerciale, ainsi que le recommande le CCNR. ARTV note aussi qu'elle diffuse une programmation qui s'adresse avant tout à un auditoire adulte.

6.

En réponse à la lettre d'ARTV, le plaignant a affirmé qu'il était inadmissible qu'un tel film soit diffusé pendant les heures de grande écoute, et ce, peu importe les avertissements communiqués à l'auditoire, puisque n'importe quel enfant pouvait regarder le film en question. Le plaignant estime que la diffusion de Mourir à tue-tête pendant ces heures est le noud du problème.
 

Analyse et décision du Conseil

7.

Le plaignant allègue qu'en diffusant à 19 h 30 le long-métrage Mourir à tue-tête, ARTV a couru le risque que des enfants soient exposés accidentellement à des scènes explicites d'agression sexuelle violente, et ce, malgré les avertissements diffusés au début du long-métrage et au retour de chaque pause commerciale.

8.

ARTV, par condition de licence, est tenue de se conformer à l'article 3.1.1 du Code d'application volontaire concernant la violence à la télévision (le Code) de l'Association canadienne des radiodiffuseurs (ACR), aussi surnommé « la clause de l'heure critique ». Cette clause précise que les émissions comportant des scènes violentes et destinées à un auditoire adulte ne doivent pas être diffusées avant le début de la plage des heures tardives de la soirée, plage comprise entre 21 h et 6 h. L'article 3.1.1 cherche à assurer que les émissions renfermant des scènes de violence et réservées aux adultes ne seraient pas diffusées à des heures où des enfants2 risquent de se trouver devant l'écran.

9.

Le Conseil fait remarquer que la valeur de ce docudrame n'est pas remise en question; le film aborde clairement le problème social sérieux qu'est le viol. Le Conseil ne conteste pas le choix de la titulaire ou son droit de diffuser ce film, mais plutôt sa conformité à la clause de l'heure critique dont le but est de limiter la diffusion de scènes de violence explicites destinées à un auditoire adulte, y compris de scènes d'agression sexuelle violente, à la plage comprise entre 21 h et 6 h.

10.

Après examen des préoccupations du plaignant, de la réponse de la titulaire ainsi que du contenu de l'émission en question, le Conseil entend se pencher sur les deux questions suivantes dans le contexte de la présente décision :
 
  • Était-il approprié, pour ARTV, de se fonder uniquement sur le système de classification de la Régie du cinéma du Québec (la Régie) pour définir la période d'écoute à laquelle la diffusion de Mourir à tue-tête pourrait avoir lieu?
  • ARTV est-elle en non-conformité avec sa condition de licence à l'égard de l'article 3.1.1 du Code en diffusant Mourir à tue-tête à 19 h 30?
 

L'utilisation du système de classification de la Régie

11.

La question à l'étude dans ce cas est celle de savoir si les radiodiffuseurs de langue française peuvent se fonder uniquement sur le classement précis octroyé par la Régie à un film quelconque lorsqu'ils déterminent l'heure à laquelle la programmation peut être diffusée, ou si le radiodiffuseur doit lui-même classer le film en utilisant le système de classification de la Régie.

12.

L'approche du Conseil en matière de violence à la télévision vise à protéger les enfants des effets néfastes de la violence à la télévision, tout en préservant la liberté d'expression des créateurs et la variété de programmation offerte aux téléspectateurs adultes. Cette approche a été élaborée en vue de garantir que les téléspectateurs et leurs familles aient à leur disposition les outils nécessaires afin d'être en mesure de faire des choix télévisuels éclairés. Ces outils incluent la classification par le biais d'icônes montrés à l'écran, la puce antiviolence (en anglais : « V-chip ») et d'autres dispositifs de blocage, ainsi que les avertissements diffusés au début d'un film ou d'une émission et au retour des pauses commerciales. Tous ces outils doivent être utilisés en conjonction avec la clause de l'heure critique de manière à ce que de jeunes enfants ne soient pas exposés à une représentation de la violence inappropriée à leur âge, y compris des scènes de sexualité explicites ou autrement inappropriée.

13.

Au Canada, il n'existe pas de système unique servant à classer les films pour le cinéma, les sorties en vidéo ou la télévision. Les services conventionnels et spécialisés de langue anglaise ont recours au système de classement du Groupe d'action sur la violence à la télévision (GAVT)3 et sa mise en application pour les radiodiffuseurs de langue anglaise. Les services payants, de télévision à la carte et de vidéo sur demande, tant de langue française que de langue anglaise, doivent respecter les classements effectués par leur bureau de révision provincial respectif. Les émissions non classées par un bureau de révision provincial le seront en utilisant les lignes directrices d'un bureau provincial ou le système du GAVT.

14.

Comme l'indique clairement la Politique sur la violence dans les émissions de télévision, avis public 1996-36, 14 mars 1996, les services conventionnels et spécialisés de langue française doivent utiliser le système de la Régie pour classer eux-mêmes leurs émissions télévisuelles. À ce titre, toute titulaire de langue française est responsable de l'évaluation de l'ensemble de la programmation qu'elle diffuse et, par conséquent, de définir et d'appliquer le classement de la Régie jugé le plus approprié pour ses téléspectateurs. Ce classement doit s'appliquer à tout type d'émission, sans se limiter aux films, ceux-ci étant le seul type de programmation classé par la Régie.

15.

Le Conseil note cependant que les classements provinciaux, y compris ceux de la Régie, sont élaborés pour un auditoire cinématographique, et non pour les téléspectateurs.

16.

Par conséquent, le Conseil est d'avis qu'ARTV avait l'obligation d'évaluer elle-même le contenu du long-métrage Mourir à tue-tête, tout en tenant compte du fait qu'il importe de distinguer entre la diffusion à la télévision et la projection d'un film au cinéma. Le Conseil fait également remarquer que son intention n'a jamais été de permettre aux radiodiffuseurs de langue française de simplement opter pour une classification précise attribuée par la Régie à un film particulier destiné à une sortie en cinéma et de l'attribuer à la diffusion de ce film à la télévision. Comme il l'a déjà clarifié par le passé4, le Conseil s'attend plutôt à ce que les titulaires classent eux-mêmes leur programmation en utilisant le système de classification de la Régie comme outil et qu'ils tiennent compte de leurs obligations en vertu de la Loi sur la radiodiffusion, du Règlement sur la distribution de radiodiffusion et du Code.
 

Conformité d'ARTV relativement à sa condition de licence à l'égard de l'article 3.1.1 du Code

17.

ARTV est tenue, par condition de licence, de respecter les lignes directrices relatives à la violence à la télévision exposées dans le Code.

18.

L'article 3.1.1 du Code, ou « clause de l'heure critique », stipule que :

Les émissions comportant des scènes violentes et destinées à un auditoire adulte ne doivent pas être diffusées avant le début de la plage des heures tardives de la soirée, plage comprise entre 21 h et 6 h.

19.

Cet article fut à l'origine adopté afin de garantir que les émissions comportant des scènes de violence destinées à des auditoires adultes ne seraient pas diffusées à des heures de grande écoute auxquelles des enfants seraient susceptibles de regarder la télévision.

20.

Dans sa réponse, ARTV emploie des mots qui décrivent Mourir à tue-tête comme un film « vivement et crûment engagé » qui « dénonce la violence en démontrant le bouleversement et la détresse qu'éprouve le personnage principal ».

21.

Après révision du long-métrage en question, le Conseil confirme que Mourir à tue-tête est un long métrage comportant des scènes de violence destinées à un auditoire adulte.

22.

En ce qui a trait à la déclaration d'ARTV à l'effet que sa programmation en général est destinée à un auditoire adulte, il est essentiel de souligner que le fait qu'une titulaire de service spécialisé cible un auditoire adulte ne relève d'aucune façon la titulaire de l'obligation de se conformer à la clause sur l'heure critique. De tels services sont en effet largement disponibles dans les foyers, ce qui augmente la probabilité d'une écoute accidentelle par de jeunes téléspectateurs.

23.

À la lumière de ce qui précède, le Conseil est d'avis qu'en diffusant avant 21 h le long-métrage Mourir à tue-tête, ARTV a enfreint l'article 3.1.1 du Code d'application volontaire concernant la violence à la télévision. Ce faisant, la titulaire se trouve en non-conformité avec sa condition de licence à l'égard de cet article du Code.
 

Conclusion

24.

Étant donné la violence, les scènes explicites d'agression sexuelle et la représentation intentionnellement dérangeante d'un viol contenues dans Mourir à tue-tête, le Conseil est d'avis qu'ARTV aurait dû être plus attentive au fait qu'en diffusant Mourir à tue-tête avant 21 heures, elle risquait d'exposer des enfants à une programmation délibérément dérangeante.

25.

Le Conseil s'attend donc à ce qu'ARTV s'assure à l'avenir que l'inscription à l'horaire d'une émission comportant des scènes de violence explicites, ou traitant d'autres sujets réservés à un auditoire adulte, se conforme à la norme de l'industrie selon laquelle ce type d'émissions doit être diffusé après 21 h, norme à laquelle ARTV est tenue de se conformer par condition de licence. Lors du renouvellement de la licence d'ARTV, le Conseil examinera la conformité de la titulaire à l'égard de cette obligation.

26.

Le Conseil rappelle aux radiodiffuseurs que ceux-ci doivent classer eux-mêmes leur programmation en utilisant, à titre de guide, le système de classification approprié à leur nature de service et à la langue de diffusion, soit la Régie, dans le cas des radiodiffuseurs francophones, ou le système du GAVT pour les radiodiffuseurs la langue principale de diffusion est l'anglais. Ils ne peuvent pas simplement se fonder sur les systèmes de classification de films pour établir qu'ils conviennent à la diffusion télévisée, mais ont plutôt la responsabilité de s'assurer que les classements qu'ils attribuent et qui proviennent de ces systèmes de classification conviennent aux téléspectateurs.
  Secrétaire général
  La présente décision devra être annexée à la licence. Elle est disponible, sur demande, en média substitut, et peut également être consultée en version PDF ou en HTML sur le site Internet suivant : http://www.crtc.gc.ca.

Notes de bas de page :
1 Un « docudrame » est défini comme étant un mélange de documentaire, de reconstitution dramatique et de compte rendu personnel.
2 Le terme « enfants » désigne des personnes âgées de moins de 12 ans.
3 Le 1er mars 2007, le CCNR a assumé la responsabilité de la gestion des activités anciennement gérées par le GAVT.
4 Voir : Lettre du Conseil à TQS, 4 août 2004: http://www.crtc.gc.ca/fra/archive/2004/lb040804.htm
 

Mise à jour : 2008-04-11
Date de modification :