ARCHIVÉ - Décision de télécom CRTC 2006-17

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Décision de télécom CRTC 2006-17

  Ottawa, le 6 avril 2006
 

Demande présentée en vertu de la partie VII par Quebecor Média inc. - Présumées violations de la règle de reconquête par Bell Canada

  Référence : 8622-Q15-200510710
  Dans la présente décision, le Conseil conclut que Bell Canada a tenté de reconquérir d'anciens clients de son service local en violation des restrictions relatives à la reconquête dans le marché des services locaux (la règle de reconquête), lorsqu'elle a envoyé des cartes de reconnaissance à d'anciens clients puis fait un sondage automatisé sur ces mêmes cartes. Dans les deux cas, la compagnie invitait directement ces clients à communiquer avec elle et fournissait un numéro de téléphone à cette fin. Par conséquent, le Conseil ordonne à Bell Canada de se conformer à la règle de reconquête, telle que modifiée dans la décision Abstention de la réglementation des services locaux de détail, Décision de télécom CRTC 2006-15, 6 avril 2006, et ce, dans les sept jours suivant la date de la présente décision.
 

La demande

1.

Le 12 septembre 2005, Quebecor Média inc. (QMI), au nom de ses filiales Vidéotron ltée et Vidéotron Télécom ltée (collectivement, VTL), a présenté une demande en vertu de la partie VII des Règles de procédure du CRTC en matière de télécommunications, afin que le Conseil ordonne à Bell Canada de mettre fin immédiatement aux présumées violations suivantes de la règle de reconquête dans le marché des services locaux de résidence :
 

a) envoi d'une carte de reconnaissance aux clients du service local de résidence qui avaient transféré leur numéro de téléphone de Bell Canada à VTL, les invitant à communiquer avec Bell Canada;

 

b) sondages téléphoniques réalisés auprès de clients du service local de résidence qui avaient transféré leur numéro de téléphone de Bell Canada à VTL;

 

c) appels automatisés effectués auprès des clients du service local de résidence dont le numéro de téléphone était en cours de transfert de Bell Canada à VTL, et ce, dans les jours qui ont précédé la date prévue du transfert, pour confirmer la date du débranchement du service de Bell Canada.

2.

QMI a fait valoir que les restrictions relatives à la reconquête dans le marché des services locaux étaient un élément essentiel du cadre de réglementation que le Conseil a établi pour assurer une concurrence durable dans le marché de la téléphonie locale, et que toute violation du régime du Conseil relatif à la reconquête devait donc être considérée comme une faute grave.

3.

QMI était d'avis que les cartes de reconnaissance représentaient une invitation flagrante et personnalisée à communiquer avec Bell Canada. Pour preuve, QMI a déposé un exemple de la carte que Bell Canada avait envoyée aux anciens clients de son service local de résidence. La carte contenait le message suivant :
 

Je vous écris pour vous dire que nous sommes désolés de vous voir partir. Même si vous n'utilisez plus le service téléphonique résidentiel de Bell, nous ne vous oublions pas. Vous étiez un membre important dans la famille de Bell et nous avons apprécié vous servir.

 

Si nous pouvons faire quelque chose pour vous ou si vous aimeriez discuter de quoi que ce soit, n'hésitez surtout pas à communiquer directement avec mon équipe au 1 888 603-8402.

4.

QMI a fait valoir que plusieurs clients qui ont changé de fournisseur de services ont signalé avoir reçu un appel de Bell Canada leur demandant de répondre à un sondage et d'indiquer les raisons qui les avaient poussés à quitter Bell Canada, ainsi que les facteurs qui les inciteraient à retourner chez Bell Canada. QMI a soutenu que ces appels avaient pour but d'encourager les clients à comparer les services de Bell Canada et de VTL, en vue de les inciter à retourner chez Bell Canada.

5.

QMI a également fait remarquer que la transférabilité des numéros était un service homogène qui ne nécessitait aucune communication entre l'ancien fournisseur de services de télécommunication (FST) et le client. QMI a soutenu que les appels automatisés de Bell Canada étaient inutiles et que les clients dont le numéro de téléphone était en cours de transfert pouvaient facilement interpréter ces appels comme une invitation à communiquer avec Bell Canada pour vérifier les détails concernant le débranchement de leur service.
 

Restrictions relatives à la reconquête dans le marché des services locaux

6.

Dans une lettre du 16 avril 1998 intitulée Décision du Conseil concernant le litige du Comité directeur sur l'interconnexion du CRTC portant sur les lignes directrices relatives à la reconquête du marché concurrentiel (la lettre sur la reconquête), le Conseil a établi pour la première fois les restrictions relatives à la reconquête dans le marché des services locaux. Aux termes de cette lettre, il est interdit à une entreprise de services locaux titulaire (ESLT) de tenter de reconquérir un client du service local de base (SLB), et ce, pendant une période de trois mois après que le service du client ait été transféré complètement à un autre FST.

7.

Par la suite, diverses décisions ont permis d'interpréter les restrictions relatives à la reconquête dans le marché des services locaux et d'en élargir la portée de manière à traiter de questions et de situations particulières. La version des restrictions en vigueur au moment où QMI a présenté sa demande, telle qu'énoncée dans la décision Cadre de réglementation régissant les services de communication vocale sur protocole Internet, Décision de télécom CRTC 2005-28, 12 mai 2005, et modifiée par la Décision de télécom CRTC 2005-28-1, 30 juin 2005, établissait ce qui suit :
 

. le Conseil interdit à l'ESLT de tenter de reconquérir un abonné du service d'affaires dans le cas du service local de base ou du service [de communication vocale sur protocole Internet (VoIP)] local, et dans le cas d'un client du service local de résidence (p. ex. SLB ou service VoIP local), à l'égard de tout autre service, pour une période commençant au moment de la demande de service local et se terminant (1) trois mois après que le service local de base ou service VoIP local de l'abonné a été complètement transféré à un autre fournisseur de services locaux dans le cas d'un client du service d'affaires, et (2) 12 mois après le transfert complet dans le cas d'un client du service de résidence, sous réserve d'une exception : les ESLT doivent être autorisées à reconquérir les abonnés qui appellent pour les aviser qu'ils veulent changer de fournisseur de services locaux.

  L'énoncé ci-dessus sera désigné « la règle de reconquête » dans la présente décision.

8.

Dans la décision Abstention de la réglementation des services locaux de détail, Décision de télécom CRTC 2006-15, 6 avril 2006 (la décision 2006-15), le Conseil a modifié la règle de reconquête en ce qui a trait aux clients du service de résidence, faisant passer de 12 à 3 mois la période d'application de la règle dans le cas d'un ancien abonné d'un service local. Cette modification entre en vigueur immédiatement.
 

Processus

9.

Le Conseil a reçu la réponse de Bell Canada le 16 septembre 2005, et les observations en réplique de QMI le 20 septembre 2005.

10.

Le Conseil a reçu les observations de l'Association canadienne des télécommunications par câble (l'ACTC) le 21 septembre 2005 et de TELUS Communications Inc. (TCI) le 12 octobre 2005. Le 19 octobre 2005, QMI a déposé des observations additionnelles en réponse au mémoire de TCI.
 

Positions des parties

 

Bell Canada

11.

Bell Canada a nié avoir violé la lettre ou l'esprit de la règle de reconquête.

12.

Bell Canada a reconnu avoir fait parvenir des cartes de reconnaissance à tous les clients de son service local de résidence qui sont passés à un FST concurrent. La compagnie a soutenu qu'avec ces cartes, comme en fait foi le texte qu'elles contenaient, elle confirmait au client qu'il allait passer à un autre fournisseur, qu'elle avait apprécié faire affaires avec lui et qu'il avait été un client important pour la compagnie. Bell Canada a fait valoir que dans le cadre habituel des affaires, un fournisseur qui ne communiquerait pas avec un client qui est passé à un concurrent donnerait l'impression qu'il ne se préoccupe pas des pertes d'affaires et qu'il n'accorde aucune importance à cet ancien client.

13.

Bell Canada était d'avis qu'elle n'avait pas contrevenu à la règle de reconquête puisque le texte de la carte de reconnaissance ne comportait ni offre, implicite ou explicite, ni autre incitation qui aurait eu pour but de reconquérir les anciens clients.

14.

Bell Canada a fait valoir que la règle de reconquête n'interdisait pas ce type de communication puisque son but n'était pas de reconquérir les clients. Bell Canada a également fait valoir que non seulement la carte ne comportait aucune offre, mais qu'elle n'invitait pas ses anciens clients à poser quelque geste que ce soit.

15.

Bell Canada a prétendu ne fournir un numéro de téléphone que par simple courtoisie, au cas où le client voudrait éventuellement communiquer avec elle. Bell Canada a soutenu que la règle de reconquête n'interdisait pas au client de communiquer de son propre chef avec l'ESLT et que, par conséquent, la carte de reconnaissance n'y contrevenait pas.

16.

Bell Canada a fait valoir qu'une firme indépendante de recherche commerciale avait effectué une étude de marché auprès d'un échantillon de ses anciens clients du service local, et ce, dans le but d'obtenir de l'information sur leurs comportements. Bell Canada a également fait valoir que ce type d'activité était normal dans un marché fortement concurrentiel parce que seule la collecte de renseignements commerciaux de cette nature pouvait aider les fournisseurs de services à comprendre les besoins de leur clientèle de manière à pouvoir concevoir des produits et à fournir des services qui satisfont le mieux possible à leurs besoins.

17.

Bell Canada a fait remarquer que la firme qui a effectué cette étude de marché en son nom n'avait pas tenté de reconquérir les clients, et qu'elle ne les avait pas invités à communiquer avec Bell Canada pour discuter d'un éventuel retour.

18.

En ce qui concerne les allégations de QMI selon lesquelles ses clients avaient reçu des appels automatisés dans le cadre d'un sondage effectué par Bell Canada, cette dernière a fait remarquer que ces appels avaient été effectués au cours du mois d'août 2005 auprès de tous les clients auxquels la carte avait été envoyée. Bell Canada a soutenu que, tout comme dans le cas de l'étude de marché susmentionnée, ces appels avaient pour but d'en savoir plus sur les comportements et la conduite éventuelle des clients, et d'évaluer plus précisément la réaction des clients qui avaient reçu la carte de reconnaissance. Pour les mêmes raisons que celles qui ont été susmentionnées, Bell Canada a soutenu que ce type de communication avec la clientèle ne violait pas la règle de reconquête.

19.

Bell Canada a fait valoir qu'elle s'était servie d'un système de messagerie automatisé pour rappeler aux clients qu'une demande de service allait bientôt être traitée. Bell Canada a indiqué que dans le cours normal des affaires, lorsque le personnel d'un groupe de services aux entreprises (GSE) effectuait des commandes relatives à des demandes de service local (DSL) qui entraînaient le transfert d'un client du service local de Bell Canada vers un concurrent, le système supprimait l'avis automatisé du service local à ce client.

20.

Bell Canada a fait valoir qu'une enquête sur la demande de QMI a révélé que Bell Canada avait reçu un nombre additionnel imprévu de DSL et que, pour traiter ces demandes, elle avait dû affecter du personnel supplémentaire au GSE.

21.

Bell Canada a indiqué qu'à cause des méthodes et des procédures utilisées, les employés nouvellement assignés au GSE n'ont pas obtenu le profil qui aurait permis au système de supprimer les messages automatisés quand il s'agissait de traiter des commandes de DSL.

22.

Bell Canada a fait valoir qu'elle avait mis à jour ses méthodes et procédures et que dorénavant tous les messages automatisés concernant les DSL seraient supprimés.

23.

Bell Canada a soutenu que les messages automatisés étaient inutiles et non intentionnels, et que nul ne pouvait considérer qu'ils violaient la règle de reconquête puisqu'ils ne comportaient aucune offre et que leur objectif n'était pas d'inciter les clients à retourner chez Bell Canada.

24.

Bell Canada a soutenu que tout au long de l'évolution de la règle de reconquête, l'élément clé qui ressortait chaque fois était que cette règle avait toujours visé la commercialisation de services, c'est-à-dire qu'elle interdisait les communications avec les clients dans le but de vendre les services des ESLT. Bell Canada était d'avis que si le Conseil accueillait la demande de QMI et adoptait l'interprétation de la règle de reconquête que cette dernière a préconisée, cette règle interdirait effectivement tous les types de communications entre une ESLT et ses anciens clients, y compris les communications du type de celles qui font l'objet de la présente instance et qui, selon Bell Canada, n'ont rien à voir avec la commercialisation de services.

25.

Bell Canada a soutenu que les trois activités auxquelles s'oppose QMI, à savoir l'envoi d'une carte de reconnaissance suivi d'un sondage téléphonique automatisé, les appels effectués dans le cadre de l'étude de marché et les appels automatisés pour confirmer un débranchement imminent, débordaient la portée de la règle de reconquête. Bell Canada a subsidiairement exprimé une autre affirmation selon laquelle la règle de reconquête, telle qu'énoncée au moment où ont eu lieu les activités dont QMI s'est plainte, était inconstitutionnelle et sans effet, et ce pour les raisons présentées dans la demande que Bell Canada et Saskatchewan Telecommunications (collectivement, les Compagnies) ont déposée le 25 avril 2005 (ci-dessous, la demande en vertu de la partie VII des Compagnies). Dans leur demande, les Compagnies ont contesté la constitutionnalité de la règle de reconquête aux termes de l'article 2b) de la Charte canadienne des droits et libertés (la Charte). Bell Canada a soutenu, à titre encore subsidiaire, que si la règle de reconquête était élargie de manière à interdire les activités dont QMI s'est plainte, cette règle contreviendrait également à l'article 2b) de la Charte et ne pourrait être justifiée aux termes de l'article premier de la Charte. Compte tenu de ce qui précède, Bell Canada était d'avis que la demande de QMI devrait être refusée.
 

Réplique de QMI

26.

Selon QMI, il était évident que Bell Canada tentait de reconquérir d'anciens clients lorsqu'elle leur envoyait une carte leur disant à quel point ils lui manquaient, qu'elle les invitait à lui téléphoner pour discuter de ce qu'elle pourrait faire pour eux et qu'elle leur fournissait un numéro de téléphone à cette fin.

27.

QMI a soutenu que si le Conseil tolérait ce type de communication, il ouvrirait une brèche dans la règle de reconquête, ce dont toutes les ESLT s'empresseraient de profiter. QMI a fait valoir que par la suite, tous les clients qui décideraient de quitter une ESLT pour une entreprise de services locaux concurrente (ESLC) recevraient une carte de reconnaissance, accompagnée sans doute d'une invitation à visiter le site Web de l'ESLT pour y consulter la liste complète des nouvelles offres et promotions et pour y trouver les coordonnées d'un service à la clientèle avec lequel communiquer. QMI a soutenu que l'efficacité de la règle de reconquête et le développement de la concurrence locale s'en trouveraient grandement touchés.

28.

QMI a fait valoir que dans le cadre des études de marché faites auprès d'anciens clients d'un service local, il était inévitable que la question des raisons pour lesquelles ces clients avaient changé de service soit soulevée et, par conséquent, que les services de Bell Canada et de VTL soient comparés. QMI a soutenu que l'étude de marché était une activité de reconquête puisqu'elle incitait les clients à s'interroger sur la justesse de leur décision de changer de fournisseur et, par conséquent, sur l'éventualité d'un retour à leur ancien fournisseur.

29.

QMI a également fait valoir qu'exclure les sondages téléphoniques de la portée de la règle de reconquête ouvrirait une brèche importante dans cette règle, ce dont profiteraient au maximum les ESLT. QMI a soutenu qu'il serait pratiquement impossible que le Conseil surveille toutes les études de marché afin de déterminer quels sondages téléphoniques ne sont pas des exercices de collecte de données mais des tentatives visant à convaincre les anciens clients de retourner à une ESLT.

30.

QMI a fait valoir qu'il était évident que sur le plan du fonctionnement, les appels automatisés concernant les débranchements imminents n'avaient aucune utilité. QMI a fait valoir que si Bell Canada devait continuer à loger de tels appels, elle ne le ferait que pour profiter de leur potentiel de reconquête. QMI a soutenu que lorsque des clients d'un service local passent d'une ESLT à une ESLC, les appels automatisés concernant les débranchements imminents constituent des tentatives de reconquête des clients, ce qu'interdit la règle de reconquête.

31.

Selon QMI, l'affirmation de Bell Canada que la règle de reconquête contrevient à la Charte devrait faire l'objet d'une instance distincte et ne devrait pas être traitée dans le cadre de la demande en cause. QMI a soutenu qu'aussi longtemps que la règle de reconquête ne serait pas jugée inconstitutionnelle, le Conseil devrait l'appliquer avec vigueur.
 

L'ACTC

32.

L'ACTC a fait valoir que QMI avait établi une preuve prima facie solide concernant le non-respect des règles.

33.

L'ACTC a également fait valoir qu'en ne respectant pas la règle de reconquête, Bell Canada s'était en réalité accordée une dispense provisoire. L'ACTC a soutenu que les activités de reconquête de Bell Canada pouvaient causer un tort irréparable aux intérêts publics puisqu'elles pouvaient se traduire par une diminution de la concurrence dans les services locaux de résidence, et que la prépondérance des inconvénients privilégiait l'interdiction du type d'activités que Bell Canada a mené auprès de ses anciens clients.

34.

L'ACTC a soutenu que rien n'indiquait que les clients, qu'il s'agisse des abonnés perdus ou de l'ensemble des abonnés, souffriraient de quelque manière que ce soit si Bell Canada mettait fin aux activités qu'a identifiées QMI.
 

TCI

35.

TCI a fait valoir que les mesures que Bell Canada a prises ne contrevenaient pas à la règle de reconquête du Conseil. TCI a également fait remarquer que toutes les violations présumées dont a fait état QMI étaient des pratiques d'affaires habituelles qui permettaient d'assurer la transition harmonieuse des clients de Bell Canada vers les nouveaux fournisseurs, d'améliorer l'expérience des clients actuels de Bell Canada et de faire en sorte que les clients qui changent de fournisseur gardent une impression favorable de Bell Canada.

36.

TCI a soutenu que ces mesures n'étaient pas des activités de reconquête tant qu'elles n'incitaient pas les clients à ne pas changer de FST ou à retourner au FST initial, ou qu'elles ne visaient pas d'une autre façon la vente des services de l'ESLT.
 

Réponse définitive de QMI

37.

QMI a fait valoir que TCI faisait une interprétation indûment étroite des décisions du Conseil sur la reconquête, et que son point de vue sur la portée d'éventuelles mesures incitatives était également indûment étroit. QMI était d'avis qu'aucune des décisions du Conseil en matière de reconquête avait fait en sorte que les activités de reconquête étaient illicites à la seule condition que des incitatifs spécifiques soient offerts aux clients. QMI a fait remarquer que le Conseil n'avait jamais laissé entendre, dans ses décisions, qu'il était nécessaire que les communications comportent des incitations spécifiques pour être considérées comme des activités de reconquête.

38.

QMI a fait valoir qu'à la base, la règle de reconquête interdisait les communications avec la clientèle. Selon QMI, la règle interdisant les communications demeurait valable et légitime, que les communications mènent ou non à une offre d'une incitation précise. QMI a fait remarquer que le Conseil a été très explicite à ce sujet dans sa lettre sur la reconquête, lorsqu'il a énoncé ce qui suit :
 

Le Conseil fait remarquer que des lignes directrices relatives à la reconquête du marché asymétriques n'empêcheront pas les ESLT de publiciser leurs services au grand public. Il sera plutôt interdit aux ESLT de communiquer avec des abonnés sur une base individuelle pour une certaine période suivant le transfert du service de l'abonné à un autre fournisseur de services locaux.

39.

QMI a également fait valoir que rien dans la règle de reconquête n'exigeait que la commercialisation de services ait lieu tout de suite après ou en même temps qu'une communication avec un client pour qu'il soit considéré que cette communication contrevient à la règle.

40.

QMI a maintenu que le Conseil n'avait sûrement pas l'intention d'ouvrir la porte à des stratégies de communication comme celles dont s'est servie Bell Canada et qui ont ensuite mené à une dévalorisation complète de la règle de reconquête lorsqu'il a prévu une exception à cette règle pour les cas où les clients communiquent avec l'ESLT pour l'informer de leur intention de changer de FST.
 

Analyse et conclusions du Conseil

41.

Le Conseil fait remarquer que selon Bell Canada, la règle de reconquête interdisait aux ESLT de communiquer avec d'anciens clients pour leur vendre des services et que les trois activités en question, à savoir l'envoi d'une carte de reconnaissance suivi d'un sondage téléphonique automatisé, les appels effectués dans le cadre de l'étude de marché et les appels automatisés pour confirmer un débranchement imminent, n'avaient pas été menées dans le but de vendre les services de l'ESLT et qu'ils débordaient donc la portée de la règle de reconquête et ne violaient pas cette règle.

42.

À l'appui de sa position, Bell Canada a fait référence à la lettre que le Conseil a publiée le 1er avril 1999 concernant un litige présenté par le Groupe de travail sur le câblage du Comité directeur du CRTC sur l'interconnexion (CDCI) et intitulée Litige du CDCI - Règles relatives à la communication entre le client et l'entreprise de distribution de radiodiffusion, dans laquelle le Conseil indiquait que les activités de reconquête consistent généralement de ce qui suit :
 

.offrir aux clients des rabais, des services gratuits ou d'autres incitatifs pour les convaincre de ne pas changer de fournisseur de services ou de revenir à leur premier fournisseur de services.

43.

Bell Canada a soutenu que tout au long de l'évolution du régime de reconquête, l'élément clé qui ressortait chaque fois des diverses décisions du Conseil était que ce régime avait toujours visé la commercialisation des services.

44.

Dans diverses décisions, le Conseil a fait référence aux incitations susceptibles d'être offertes lors de tentatives de reconquête, mais jamais dans le but de dresser une liste exhaustive des activités proscrites aux termes de la règle de reconquête.

45.

Aux termes de la règle de reconquête, les ESLT ne doivent pas tenter de reconquérir d'anciens clients de leur SLB et de leur service VoIP local dans certaines circonstances. Le Conseil fait remarquer que la règle de reconquête n'interdit pas toutes les communications avec les anciens clients. De même, le seul fait qu'une activité n'inclue pas une offre directe de rabais ou un autre type d'incitation ne permet pas de dire qu'une activité est visée ou non par l'interdiction de la règle de reconquête. Le Conseil est d'avis que les faits et les circonstances qui entourent une activité en particulier doivent faire l'objet d'un examen au cas par cas afin de déterminer si l'activité en question constitue une tentative de l'ESLT de reconquérir d'anciens clients de son service local, en contravention avec la règle de reconquête.

46.

Le Conseil fait remarquer que le texte de la carte de reconnaissance qui fait l'objet de la plainte de QMI dans la présente instance ne présentait aucune offre ou incitation directe. Par contre, le Conseil précise que Bell Canada avait adressé une telle carte à tous ses anciens clients, sur une base personnelle, et qu'elle les invitait à communiquer avec elle au numéro sans frais d'interurbain qu'elle avait indiqué. De plus, chaque envoi de la carte était suivi d'un appel de sondage automatisé au client, où là encore la compagnie invitait le client à communiquer avec elle au numéro de téléphone donné dans le message suivant : « Merci d'avoir pris le temps de répondre à ce sondage. Si vous avez des questions, veuillez composer le 310-BELL. »

47.

Bell Canada a soutenu qu'elle n'avait fourni un numéro de téléphone que par simple courtoisie, au cas où le client voudrait éventuellement communiquer avec elle. Selon le Conseil, l'invitation à communiquer avec la compagnie et le fait de fournir un numéro de téléphone à cette fin faisaient partie d'une tentative de reconquête de la part de Bell Canada, d'autant plus que, comme le précise la décision Bell Canada et Saskatchewan Telecommunications demandent au Conseil d'arrêter d'appliquer les restrictions relatives à la reconquête dans le marché des services locaux parce qu'elles portent atteinte de manière injustifiable au droit à la liberté d'expression garanti par l'article 2b) de la Chartecanadienne des droits et libertés, Décision de télécom CRTC 2006-16, 6 avril 2006 (la décision 2006-16), dans le cas où un client passe à un concurrent puis téléphone à l'ESLT pour obtenir des renseignement sur ses services locaux, le représentant des ventes de l'ESLT ne contrevient pas à la règle de reconquête s'il fournit les renseignements au client et s'il transfère à nouveau le client au service de l'ESLT, à la demande du client.

48.

En ce qui concerne le sondage automatisé, le Conseil souligne également que les sondages rejoignent habituellement un échantillon de clients, comme Bell Canada a indiqué qu'elle avait procédé pour faire son étude de marché. Selon le Conseil, le fait que le sondage de suivi au moyen d'appels automatisés ait été effectué auprès de tous les anciens clients indique qu'il faisait partie d'une stratégie de Bell Canada visant à reconquérir d'anciens clients.

49.

Compte tenu des circonstances et des faits particuliers traités ci-dessus, le Conseil conclut que le fait de combiner l'envoi de cartes de reconnaissance au sondage de suivi, qui contenaient tous deux une invitation directe à tous les anciens clients à communiquer avec Bell Canada et un numéro de téléphone, constituait une tentative de reconquérir des anciens clients du service local de Bell Canada, en contravention avec la règle de reconquête.

50.

Le Conseil fait remarquer que contrairement au sondage de suivi automatisé, l'étude de marché visait à sonder un échantillon d'anciens clients, sans inviter ces derniers à communiquer avec Bell Canada et sans fournir de numéro de téléphone ou d'autres coordonnées. Le Conseil fait également remarquer que l'étude de marché ne contenait aucune offre ou incitation à changer de FST. De l'avis du Conseil, l'étude de marché était tout simplement, comme l'a dit Bell Canada, une tentative de mener une recherche concernant les besoins et les préférences des clients. Par conséquent, le Conseil conclut que l'étude de marché en question ne constituait pas une tentative de reconquérir d'anciens clients du service local.

51.

En ce qui concerne les appels automatisés en vue de confirmer un débranchement imminent, le Conseil fait remarquer que dans sa réponse, Bell Canada a reconnu que cette activité était inutile et non intentionnelle, et elle a décidé, à la suite d'une enquête concernant la demande de QMI, de mettre fin à ces appels. Par conséquent, le Conseil estime qu'il n'y a pas d'autre mesure à prendre.

52.

Le Conseil note l'argument selon lequel Bell Canada a soutenu que s'il était jugé que les activités que QMI a identifiées sont visées par la règle de reconquête en vigueur au moment où QMI a présenté sa demande, cette règle serait inexécutable puisqu'elle contreviendrait à la Charte. Le Conseil fait remarquer qu'un dossier complet sur la question de savoir si la règle de reconquête contrevient à l'article 2b) de la Charte a été élaboré dans le cadre de la demande en vertu de la partie VII des Compagnies. Selon ce dossier, dans la décision 2006-16, le Conseil a conclu que la règle de reconquête ne va pas à l'encontre de la Charte. Le Conseil fait remarquer que dans la présente instance, Bell Canada s'est fondée sur les arguments qu'elle avait avancés dans la demande en vertu de la partie VII des Compagnies, tels que complétés par les mémoires qu'elle a déposés au dossier de l'instance. En se fondant sur le dossier et les présentes conclusions du Conseil concernant la question de savoir si les activités en litige sont visées par la règle de reconquête, le Conseil conclut que les décisions qu'il a prises dans la décision 2006-16 s'appliquent également dans la présente instance. Par conséquent, le Conseil conclut que la règle de reconquête dont il est question dans cette instance ne va pas à l'encontre de la Charte, et ce, pour les mêmes raisons que celles qui ont été énoncées dans la décision 2006-16.

53.

Compte tenu de ce qui précède, le Conseil ordonne à Bell Canada de se conformer à la règle de reconquête, telle que révisée dans la décision 2006-15, dans les sept jours suivant la date de la présente décision.
  Secrétaire général
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Mise à jour : 2006-04-06

Date de modification :