La politique culturelle en tant qu’articulation de l’hégémonie culturelle : Les rêves et les désirs nationalistes de la Loi sur la diffusion continue en ligne du Canada

Auteure : Christine Rose Cooling

Université d’attache : Université York

Niveau d’études : Maîtrise en communication et culture

Il y a 91 ans, le passionné Graham Spry, cofondateur de la Ligue canadienne de la radio, témoignait en faveur de la création d’un radiodiffuseur national devant le Comité spécial sur la radiodiffusion de 1932, dans une rhétorique de nationalisme canadien : « Le choix qui s’offre à ce Comité est clair : il s’agit de choisir entre les intérêts commerciaux et les intérêts du peuple. C’est un choix entre l’État et les États-Unis » (p. 46). Graham Spry a participé à la mise en place d’une politique culturelle particulière : promouvoir, protéger et préserver l’identité canadienne face à la menace imminente de l’américanisation. Dans la législation canadienne contemporaine sur la radiodiffusion, officiellement modifiée le 27 avril 2023, et ce, après 32 ans, les définitions de la « radiodiffusion » regroupent désormais les nouvelles plateformes de diffusion continue des médias, en plus de la radio et de la télévision, deux médias de masse traditionnels. Les perturbations économiques et, par la suite, culturelles causées par les géants transnationaux de la diffusion continue sur le Web, basés aux États-Unis, ont en effet constitué un défi de taille pour les rêves et les désirs nationalistes inscrits dans la Loi sur la radiodiffusion de 1991.Les responsables de la politique culturelle au Canada ont donc demandé avec succès que les services de diffusion continue en ligne soient définis comme des radiodiffuseurs et soumis aux exigences en matière de dépenses et de diffusion de contenu canadien en vertu du projet de loi C-11 (anciennement projet de loi C-10), la Loi sur la diffusion continue en ligne.

En utilisant l’analyse critique du discours, cet article appliquera la théorie de l’articulation de Stuart Hall à un échantillon critique non aléatoire de passages d’un discours des débats de la Chambre des communes (Hansard) concernant la Loi sur la diffusion continue en ligne. Cet article affirme que le ministre du Patrimoine canadien a emprunté des discours de bon sens sur la nation, la culture et l’identité pour articuler un projet historique de construction de la nation contre l’impérialisme culturel américain, attachant ainsi des signifiants glissants de nationalisme à la Loi sur la diffusion continue en ligne.

Politique de radiodiffusion historique et nationalisme canadien

La politique de radiodiffusion au Canada est le produit à la fois de débats historiques, de tensions sociopolitiques et de contextes culturels et mondiaux. Le paysage canadien de la radiodiffusion est traditionnellement modélisé comme un système hybride ou mixte, composé d’un radiodiffuseur public national, de radiodiffuseurs commerciaux et de radiodiffuseurs communautaires ou de campus (MacLennan, 2001, 2020; Raboy, 1990; Skinner, 2005; Vipond, 1994). En bref, l’histoire de la législation sur la radiodiffusion au Canada a officiellement commencé en 1905, lorsque la Loi sur la télégraphie sans fila fait du ministère de la Marine et des Pêcheries l’organisme de réglementation et de délivrance des licences, reflétant ainsi étroitement la législation britannique antérieure. Agissant à nouveau sous l’influence de la Grande-Bretagne ainsi que des nouvelles avancées et utilisations technologiques, le gouvernement canadien a été incité peu après à concevoir une législation bien plus complète que celle de 1905 (Armstrong, 2016). La Loi sur la télégraphie sans fil de 1913 a été adoptée avec l’avènement des radiotéléphones sans fil dans un contexte d’évolution technologique rapide de la télégraphie sans fil, d’adoption généralisée pour la sécurité de la navigation et d’un accord transnational (la Convention de Londres) signé par la Grande-Bretagne et les colonies en 1912 (Vipond, 1992). Près d’une décennie plus tard, en 1922, les stations de radio ont ainsi obtenu leur première licence commerciale (MacLennan, 2013). La nécessité de réglementer les ondes a inévitablement émergé avec la prolifération de la radio, étant donné que l’interférence majeure des signaux des radiodiffuseurs américains culturellement impérialistes sur les cadrans alloués aux stations canadiennes a été un enjeu tout au long des années 1920 et 1930 (MacLennan, 2010).

Un radiodiffuseur public national a été créé en 1932 : la Commission canadienne de radiodiffusion (CCR), puis connue en 1936 sous le nom de Société Radio-Canada (SRC) ou encore Canadian Broadcasting Corporation (CBC) en anglais. Jusqu’en 1968, le radiodiffuseur avait la responsabilité de réglementer le système canadien de radiodiffusion afin de renforcer les structures politiques, économiques et culturelles du Canada (MacLennan, 2001, 2016, 2018, 2020; Potvin, 1972; Raboy, 1990). Gilles Potvin (1972) souligne comment la SRC a servi de canal pour refléter la nature bilingue et biculturelle de la nation, ce qui s’est avéré vrai au XXIe siècle, plutôt qu’avec le remplacement du biculturalisme par le premier ministre Pierre Elliott Trudeau en 1971 par la politique officielle du Canada en matière de multiculturalisme dans un cadre bilingue. Cependant, Eve Haque (2012) soutient que la formulation nationale de cette politique a ancré un « ordre racial de la différence et de l’appartenance au moyen de la langue dans le projet en cours de construction de la nation par les colons blancs » (p. 4 et 5), créant ainsi le paradoxe du multiculturalisme canadien.

Le champ d’application de la législation sur la radiodiffusion a été élargi après le rapport de 1929 de la Commission royale d’enquête sur la radiodiffusion – mieux connue sous le nom de Commission Aird – autorisée par le gouvernement libéral de Mackenzie King en décembre 1928 pour précéder la Loi sur la radiodiffusion de 1932 du Canada, et la Loi modifiant la Loi sur la radiodiffusion en 1936 au Canada (MacLennan, 2018; Raboy, 1990). Présidée par Sir John Aird, président de la Banque canadienne de commerce, la Commission royale d’enquête sur la radiodiffusion cherche à obtenir la victoire des nationalistes canadiens-anglais. Pour les nationalistes du Canada anglais, les notions de « public » et de « national » étaient synonymes; en revanche, les Canadiens français ainsi que les autres Canadiens marginaux rejetaient la vision sociale dominante de l’idée de radiodiffusion publique (Raboy, 1990).

À la fin des années 1940 et au début des années 1950, l’avènement de la télévision a élargi la portée de la programmation de la SRC, renforçant ainsi sa fonction culturelle grâce à des services de télévision qui couvraient la quasi-totalité du pays. Simultanément, avec la reprise de la croissance de la radiodiffusion télévisuelle en Grande-Bretagne et aux États-Unis après la Seconde Guerre mondiale, les téléspectateurs du Canada ont commencé à avoir un meilleur accès aux chaînes de télévision de l’autre côté de la frontière (Armstrong, 2016). La Commission royale d’enquête sur le développement national dans les arts, les lettres et les sciences, présidée par le diplomate Vincent Massey de 1949 à 1951, ainsi que la Commission royale d’enquête sur la radio et la télévision, présidée par le président de l’Association canadienne des pâtes et papiers, Robert Fowler, de 1955 à 1957, ont toutes deux exprimé leur inquiétude quant à la commercialisation des ondes. Ces commissions ont fait écho aux craintes d’américanisation imprégnées d’idéologies entourant les définitions de la culture canadienne (Filion, 1996), bien qu’avec des visions nationalistes différentes du rôle réglementaire que la SRC et les télédiffuseurs privés devraient jouer dans le système de radiodiffusion canadien (Armstrong, 2016).

Cet aperçu historique est important afin d’interpréter de manière critique la relation entre les valeurs nationalistes du projet de loi C-11 et le travail politico-culturel des décideurs canadiens en matière de radiodiffusion tout au long du siècle dernier, influençant de manière hégémonique notre industrie culturelle nationale aujourd’hui. Compte tenu des débats idéologiques dominants qui entourent les politiques culturelles, Marc Raboy (1994) propose une conceptualisation théorique de la radiodiffusion « comme une activité multiforme se déroulant dans la sphère publique et contestée par des acteurs situés dans les domaines de l’État, de l’économie et de la société civile », guidée par des objectifs politiques, économiques et sociaux (p. 5). De plus, Raboy (1994) ajoute que le développement du système de radiodiffusion canadien est défini par trois séries de tensions qu’il reflète : « a) entre le capital privé et l’État, sur la base économique de la radiodiffusion; b) entre l’État et le public, sur la mission socioculturelle de la radiodiffusion; et c) entre des visions concurrentes de la relation de la radiodiffusion avec la politique de la nation canadienne » (p. 9). Bien que ces trois tensions soient inextricablement interreliées les unes aux autres et qu’elles ne s’excluent certainement pas mutuellement, cet article s’intéresse à la troisième tension : entre des visions concurrentes de la relation entre la radiodiffusion et la politique de la nation canadienne, la politique de radiodiffusion culturelle fonctionnant comme l’articulation de l’hégémonie culturelle.

Méthodologie

Le discours politique ne se produit pas dans un vide culturel; Norman Fairclough (2013) décrit l’analyse critique du discours comme mettant spécifiquement l’accent sur la relation symbiotique entre le discours et les phénomènes sociaux, y compris les relations de pouvoir, les idéologies dominantes, les structures institutionnelles et les identités (p. 9). Selon Fairclough (1993), l’analyse critique du discours est explicative à l’échelle micro et macro, et vise ce qui suit :

Explorer systématiquement les relations souvent opaques de causalité et de détermination entre : a) les pratiques, événements et textes discursifs; et b) les structures, relations et processus sociaux et culturels plus larges; étudier comment ces pratiques, événements et textes découlent des relations de pouvoir et des luttes pour le pouvoir et sont idéologiquement façonnés par elles; et explorer comment l’opacité de ces relations entre le discours et la société est elle-même un facteur de sécurisation du pouvoir et de l’hégémonie (p. 135).

L’analyse critique du discours effectuée dans cet article situe les pratiques discursives de l’ancien ministre du Patrimoine canadien, Pablo Rodriguez, à la Chambre des communes, en tenant compte des structures et processus sociaux et culturels plus larges qui ont facilité l’intervention politique protectionniste dans le cadre du paysage de la radiodiffusion au fil du temps. La politique culturelle en tant que pratique peut donc être estimée comme le résultat de relations de pouvoir politique et de luttes pour le pouvoir politique, idéologiquement façonnées par des hypothèses de bon sens sur la culture et la nation canadiennes. À l’aide d’un échantillon critique non aléatoire de passages politiques d’un discours de Pablo Rodriguez publié dans les débats de la Chambre des communes (Hansard) en 2022, cet article met en lumière le travail politico-culturel de la rhétorique nationaliste pour assurer le pouvoir et l’hégémonie culturelle dans l’ensemble de la société démocratique libérale du Canada. Les extraits de discours de Pablo Rodriguez se prêtent à une analyse critique du discours, car ils constituent des textes issus d’un événement discursif contextuel; comme ce discours provient de la Chambre des communes, sa composition a été implicitement façonnée par les attentes normatives et les pressions politiques de cette institution socialement puissante.

Le travail politico-culturel de l’articulation

Les constructions idéologiques du projet politique de construction de la nation ont été historiquement et continuent d’être entrelacées avec des normes hégémoniques selon des critères de genre, de statut de classe, de socioculture et de race, les contributions des peuples autochtones, des communautés racisées, des Canadiens français et d’autres groupes sociaux à la culture et à l’identité canadiennes étant souvent ignorées (Potvin, 1972; Raboy, 1990; Roth, 2005). Avant avril 2023, l’objectif économique et, par la suite, culturel de renforcer le tissu culturel de la nation au moyen de la politique de radiodiffusion se traduisait exclusivement par des exigences en matière de présentation de contenu canadien et de dépenses pour les radiodiffuseurs et les télédiffuseurs titulaires. Ainsi, le changement majeur du paysage médiatique au XXIe siècle soulève des défis réglementaires qui ne peuvent pas être facilement justifiés par des arguments historiques de construction de la nation, même si les plateformes de diffusion continue en ligne non réglementées menacent la capacité de la radiodiffusion traditionnelle à promouvoir la souveraineté culturelle (Raboy, 2008; Rowland, 2013; Taras, 2012; Taras et Raboy, 2004; Taylor, 2013); pourtant, ces arguments sont précisément ceux que les politiciens mettent en avant. La Loi sur la diffusion continue en ligne a donc fait l’objet de nombreuses critiques de la part de la population canadienne dans la sphère publique, et une analyse de la rhétorique nationaliste utilisée par les politiciens pour tenter d’articuler la politique culturelle avec l’hégémonie culturelle (comme ils l’ont fait au vingtième siècle) s’impose.

John Clarke (2015) affirme que Stuart Hall, dans sa compréhension de l’articulation comme élément central du travail sur l’idéologie, la domination et l’hégémonie, a théorisé dans l’espace mobile « entre une préoccupation althussérienne pour l’idéologie (notamment la question de l’interpellation) et un accent gramscien sur l’hégémonie et l’organisation du consentement (notamment dans les relations complexes avec le domaine du sens commun) » (p. 2). S’agissant précisément de la théorie de l’articulation, Stuart Hall (1985) souligne ceci :

Par le terme « articulation », j’entends ici une connexion ou un lien qui n’est pas nécessairement donné dans tous les cas, comme une loi ou un fait de la vie, mais qui nécessite des conditions d’existence particulières pour être présent, qui doit être positivement soutenu par des processus spécifiques, qui n’est pas « éternel », mais doit être constamment renouvelé, qui peut dans certaines circonstances disparaître ou être renversé, entraînant la dissolution des anciens liens et la création de nouvelles connexions – ré-articulations (p. 11).

Dans ce passage, Hall (1985) exprime un fondement important de la théorie; Clarke (2015) souligne comment Hall a perçu les connexions construites discursivement entre des éléments apparemment disparates comme devant être soutenues par des processus politico-culturels continus, et ces processus sont les produits mêmes de l’articulation. Clarke (2015) affirme que Hall a porté une attention particulière aux conditions qui permettent aux articulations d’exister, avant tout, ainsi qu’au travail politico-culturel, ou encore à la pratique, qui est nécessaire à la production et à la reproduction de certaines articulations. En outre, en reconnaissant la possibilité de « réarticulations », Hall évoque la nature fluide des articulations; une articulation n’est jamais éternelle, ce qui souligne encore l’importance et la précarité du travail politico-culturel qui consiste à forger des liens entre les parties au moyen d’un lien spécifique – un lien qui ne peut pas être concrétisé.

En outre, Clarke (2015) établit un lien puissant entre le travail de Hall dans les études culturelles ainsi que le travail d’Antonio Gramsci sur la relation entre l’hégémonie et le sens commun. Selon Gramsci (1973), « le sens commun est un nom collectif, comme la religion : il n’y a pas qu’un seul sens commun, car lui aussi est un produit de l’histoire et fait partie du processus historique » (p. 324-325). En 1987, Stuart Hall soulignait ainsi que « Gramsci est l’un des premiers marxistes modernes à reconnaître que les intérêts ne sont pas donnés, mais doivent être construits politiquement et idéologiquement » (p. 20). Clarke (2015) affirme que, pour Hall, cette pratique de l’articulation exige un travail politico-culturel, soit « un travail sélectif vis-à-vis les nombreux sens communs, impliquant à la fois la mobilisation sélective de certains aspects et l’inverse : la démobilisation sélective d’autres éléments en les rendant silencieux, ridicules, irréalistes, hors du temps ou du lieu et ainsi de suite » (italique dans l’original, p. 6). Cette pratique sert la classe hégémonique, la classe qui, selon Chantal Mouffe (2014), a réussi à articuler les intérêts nationaux-populaires des autres groupes sociaux aux siens propres au moyen de luttes idéologiques pour le pouvoir.

Projet de loi C-11, hégémonie culturelle et rêves nationalistes au XXIe siècle

Lors du dépôt du projet de loi C-11 à la Chambre des communes en 2022, l’honorable ministre du Patrimoine canadien, Pablo Rodriguez, a préparé un discours qui démontre très clairement le travail d’articulation à caractère politico-culturel. L’adoption de la Loi sur la diffusion continue en ligne modifie précisément la Loi sur la radiodiffusion de 1991 pour, entre autres, « ajouter les entreprises en ligne – entreprises de transmission ou de retransmission d’émissions par Internet – en tant que catégorie distincte d’entreprises de radiodiffusion » (résumé [a]). Avec ses dispositions relatives à la réglementation du contenu des médias sur les écrans numériques, le projet de loi C-11 a franchi une étape remarquablement controversée dans la navigation dans le nouveau paysage médiatique en soumettant les géants de la diffusion continue sur le Web au même champ d’application que les radiodiffuseurs nationaux traditionnels, dans l’intérêt de l’industrie culturelle du Canada.

Pablo Rodriguez a commencé son discours le 16 février 2022 en brossant le tableau suivant :

Monsieur le Président, imaginons une journée sans les bienfaits de l’art et de la culture : pas de musique, pas de cinémas, pas de télévision, pas de livres. La vie serait vraiment ennuyeuse. C’est pourquoi je suis très heureux de parler du projet de loi C-11, Loi sur la diffusion continue en ligne. Ces mesures législatives mettraient à jour la politique canadienne de radiodiffusion afin d’inclure les services de diffusion en continu en ligne et de veiller à ce que les entreprises de ce secteur contribuent aux ressources culturelles canadiennes de manière équitable. […]

Quand Internet est arrivé, on s’est tous dit que c’était génial et agréable, qu’on allait le laisser se développer tout seul, qu’on n’interviendrait pas du tout, que cela allait créer de nouvelles opportunités et que cela allait renforcer la démocratie et connecter les gens. […]

Nous devons nous attaquer à ces problèmes maintenant. À défaut de le faire, ils continueront de nuire aux Canadiens, d’éroder notre souveraineté culturelle et d’affaiblir notre société numérique. L’objectif est de faire en sorte qu’Internet offre une meilleure expérience à l’ensemble des Canadiens. […]

La Loi sur la diffusion continue en ligne aura pour effet de soumettre les diffuseurs en ligne à des règles et à des exigences semblables à celles qui régissent les diffuseurs traditionnels. En effet, contrairement aux diffuseurs traditionnels, les plateformes profitent de notre culture, mais ne sont pas tenues d’y contribuer. L’argent qui était autrefois dirigé vers les diffuseurs traditionnels se dirige vers les plateformes un peu plus chaque jour, une situation qui met en péril nos créateurs, notre industrie et notre culture. Il faut agir. (p. 2319-2320)

Pablo Rodriguez présente le projet de loi C-11, pour la première fois, en incitant les membres du Parlement à imaginer une journée sans les bienfaits de l’art et de la culture, puis en présentant la justification économique et, par la suite, culturelle de la réglementation des services de diffusion continue en ligne dans un Canada mondialisé : de veiller à ce que les entreprises de ce secteur contribuent aux ressources culturelles canadiennes de manière équitable. Cette justification de l’intervention protectionniste sur le marché culturel n’est certainement pas nouvelle; bien que la rareté du spectre des fréquences radio soit restée une justification contemporaine de la réglementation de la radiodiffusion (Armstrong, 2016; MacLennan, 2018), la cause du renforcement et du maintien de la souveraineté culturelle par la promotion des conceptions de l’identité nationale canadienne pour résister aux messages médiatiques américains culturellement impérialistes (Raboy, 2010) a rapidement émergé dans les débats sur l’élaboration des politiques culturelles du début du vingtième siècle.

D’emblée, Pablo Rodriguez articule la politique culturelle à la souveraineté culturelle, construisant politiquement et idéologiquement le projet de loi C-11 comme une confrontation avec le redoutable goliath qu’est l’américanisation, sans pour autant mentionner directement nos voisins du Sud. Grâce à son travail politico-culturel au Parlement, Pablo Rodriguez établit délibérément un lien entre la politique culturelle et la souveraineté culturelle dans le cyberespace. L’Internet a été un espace initial d’optimisme utopique, avec sa possibilité de globalisation pour faciliter la diversification culturelle et la démocratisation accessible de la production et de la consommation des médias; cependant, avec l’essor de l’Internet, Pablo Rodriguez reconnaît que les plateformes profitent de notre culture, mais ne sont pas tenues d’y contribuer. Selon Pablo Rodriguez, ce problème politico-économique met en péril non seulement les créateurs canadiens, l’industrie culturelle canadienne et les possibilités d’emploi dans le secteur culturel canadien, mais aussi la culture canadienne elle-même. En tant que tel, Pablo Rodriguez appelle à l’action, signalant la fin possible de la conscience canadienne en raison du pouvoir politique et culturel détenu par les géants de la diffusion continue sur le Web. L’imposition des règles de radiodiffusion du vingtième siècle, à première vue, semble aller à l’encontre des principes du cyberespace, et tout au long de son mandat de ministre du Patrimoine canadien, Pablo Rodriguez n’a cessé de reproduire ce lien en utilisant la rhétorique nationaliste dans le cadre du discours politique et public afin d’obtenir un soutien en faveur du projet de loi C-11. Les distributeurs de vidéos en ligne basés aux États-Unis ont le potentiel de renverser l’articulation de la politique de radiodiffusion canadienne en tant que souveraineté culturelle – et Pablo Rodriguez s’engage dans un travail politico-culturel pour empêcher les rêves et les désirs nationalistes de préserver l’hégémonie culturelle traditionnelle à l’ère numérique de voler en éclats. S’adressant à la Chambre des Communes, Pablo Rodriguez (2022) ajoute ceci :

Comment allons-nous procéder? [faire de l’Internet un meilleur endroit pour toute la population canadienne]? Le projet de loi dont nous sommes saisis, soit la Loi sur la diffusion continue en ligne, constitue la première étape. Dans un premier temps, nous devons nous assurer que les services de diffusion en continu contribuent à la force et à la vitalité du secteur culturel canadien. Rappelons que la vitalité culturelle canadienne n’est pas le fruit du hasard. Nous, Canadiens, avons décidé de nous démarquer et d’être différents de nos voisins du Sud. Nous avons opté pour la souveraineté culturelle. (p. 2320)

L’opérationnalisation du sens commun par Pablo Rodriguez souligne le travail politico-culturel d’articulation, qui « sélectionne des éléments ou des fragments de sens commun avec des conceptions dominantes pour créer l’apparence d’une compréhension mutualisée, unitaire et cohérente du monde » (Clarke, 2015, p. 5). Utilisant la même rhétorique que Graham Spry en 1932, Pablo Rodriguez mobilise sélectivement le « choix » du Canada, car nous avons décidé de nous démarquer et d’être différents de nos voisins du Sud, et nous avons opté pour la souveraineté culturelle au moyen de la réglementation de la radiodiffusion, comme une décision unanime et unitaire au nom du public canadien, par opposition à une décision qui servait principalement les intérêts nationaux-populaires des nationalistes canadiens-anglais du XXe siècle en lutte pour le pouvoir – ou de la classe hégémonique. Ce faisant, Pablo Rodriguez démobilise sélectivement les rêves et les désirs des autres groupes sociaux au Canada, réduisant les voix au silence en les regroupant à l’aide d’une rhétorique généralisée telle que « nous » et « tous les Canadiens ».

Pour preuve, selon Marc Raboy (1990), l’élaboration de la politique de radiodiffusion est largement évoquée dans la mémoire collective canadienne comme un conflit entre le secteur privé et le secteur public, entre les intérêts commerciaux et les intérêts gouvernementaux; cependant, Raboy (1990) affirme que cette bataille s’est aussi déroulée entre des perspectives opposées de l’identité nationale canadienne. Le récit hégémonique du nationalisme canadien dans les années 1920 « était aussi celui d’une nation émergente luttant pour trouver sa place entre un passé colonial britannique et le rêve américain de l’avenir, soucieuse de préserver les attributs du premier sans se priver des plaisirs promis par le second » (Raboy, 1990, p. 18). Les conceptions nationalistes de « canadienneté » sont nées des inégalités politiques, sociales, classistes et régionales spécifiques de l’époque, qui favorisaient l’élite urbaine et les Canadiens anglophones du centre du Canada (Raboy, 1990). Raboy (1990) s’interroge d’ailleurs sur la manière dont les rêves et les désirs des Canadiens français et ruraux, ainsi que des femmes, des agriculteurs et des ouvriers, ont été effectivement exclus de la rhétorique nationaliste. Ces groupes ont été estimés comme de simples consommateurs passifs de ses sentiments, reconnus uniquement dans le but d’obtenir un soutien pour la fabrication d’une conscience et d’une cohésion canadiennes. Les années 1920 ont donc été une période critique pour le passage du Canada du statut de colonie à celui de nation – une construction imaginaire, un rêve et un désir des nationalistes canadiens, qui se manifeste idéologiquement au moyen des moyens de communication.

Pablo Rodriguez (2022) poursuit en indiquant ceci :

Nous nous rappelons ce choix tous les jours et particulièrement hier à l’occasion du Jour du drapeau national du Canada. Lorsque nous avons choisi l’unifolié comme drapeau, nous avons choisi un symbole de notre identité nationale qui nous distingue de la superpuissance culturelle au sud du Canada. Après 57 ans, la feuille d’érable constitue le symbole canadien le plus connu au monde. Pour tous les Canadiens, c’est le symbole d’un Canada, d’un pays, que nous avons tous contribué à bâtir ensemble. […]

La culture, c’est une forme d’expression extrêmement puissante et fondamentale. Elle nous permet de vivre ensemble des moments, des sentiments et des rêves. Elle nous permet de bâtir une identité commune. Elle a une portée et une influence plus grandes que jamais. (p. 2320-2321)

L’utilisation par Pablo Rodriguez du drapeau national du Canada – l’image de la feuille d’érable – comme symbole de notre identité nationale dans l’articulation de la politique culturelle en tant qu’hégémonie culturelle est particulièrement intéressante. Les conflits politico-culturels se déroulent sur le terrain nationalisé, se jouent dans les appareils de l’État-nation et s’articulent autour d’imaginaires nationaux et nationalistes dominants – qui ne sont pas toujours véritablement « nationaux » dans leur poursuite, même s’ils sont porteurs de promesses pour des nations libérées et souveraines (Clarke, 2023). Comme l’affirme Chantal Mouffe (1994, 2005),

Ce que nous appelons communément « l’identité culturelle » représente à la fois le théâtre et l’objet de luttes politiques. L’existence sociale d’un groupe se construit toujours à travers les conflits. Il s’agit de l’un des principaux domaines d’hégémonie, car la définition de l’identité culturelle d’un groupe, par référence à un système spécifique de relations sociales contingentes et particulières, joue un rôle majeur dans la création de « points nodaux hégémoniques » (p. 107).

À cette conjoncture de l’identité culturelle, où la lutte politique est à la fois localisée et définie, le conflit construit la classe hégémonique – l’existence sociale de ce groupe, et ce, à travers des relations sociales de pouvoir et de privilège. Ainsi, le nationalisme devient un signifiant glissant ou encore un glissement : ce que Jacques Lacan considère comme le processus par lequel le sens d’un signifiant varie en fonction du signifié, formant ainsi une relation où le signifié glisse sous le signifiant (Campbell, 1999).

Dans le discours de Pablo Rodriguez à la Chambre des Communes, l’identité culturelle est à la fois le lieu et le sujet de la lutte politique. Dans le conflit qui oppose le Canada, sur le plan spatial et idéologique, la superpuissance culturelle au sud du Canada, la feuille d’érable en tant que symbole nationaliste – le signifiant glissant – est mise en avant pour résoudre le problème politico-économique contemporain des radiodiffuseurs nationaux qui sont en concurrence, sur un pied d’égalité, avec des services de diffusion continue en ligne transnationaux et perturbateurs. Le signifié, ici, représente une nostalgie nationaliste, la promesse d’une nation culturellement souveraine par la réification du contenu canadien comme pierre angulaire de l’identité nationale – la même promesse que celle faite par les décideurs culturels et les acteurs politiques influents dans les années 1900 dans l’esprit d’une forme technologique de nationalisme canadien.

Développant le cadre du nationalisme technologique en 1986, Maurice Charland met l’accent sur la production romancée par la SRC en 1974 du Rêve national sur le Chemin de fer Canadien Pacifique (CP) comme médiation du récit hégémonique selon lequel le Canada est une nation technologiquement médiatisée, rêvée et imaginée dans l’existence au moyen d’une technologie qui lie l’espace. Pour Charland (1986), la SRC est emblématique de la facilitation et de la légitimation du processus politique de construction de la nation par la technologie. La rhétorique du Chemin de fer Canadien Pacifique en tant que rêve national – « le discours chargé de pouvoir d’un État cherchant à se légitimer politiquement en constituant une nation à son image » – a construit l’idéologie de la nation canadienne, influençant ainsi la politique de diffusion (Charland, 1986, p. 197). Le travail politico-culturel consistant à articuler les médias et les technologies de communication avec l’hégémonie culturelle dans le but de construire une nation au Canada se poursuit encore aujourd’hui sous la même forme.

Dans son discours parlementaire, Pablo Rodriguez (2022) poursuit en indiquant ceci :

Notre culture, c’est nous tous. Je le dis souvent, c’est notre passé, notre présent, notre avenir. C’est comment nous nous parlons et comment nous contons nos histoires. Depuis plus de 50 ans, la Loi sur la radiodiffusion nous aide à faire connaître nos histoires. Voilà comment nous avons bâti une culture canadienne dynamique. Voilà comment nous avons forgé l’identité canadienne et comment nous avons fait connaître la voix des Canadiens dans le monde. Le gouvernement souhaite faire fond sur cette affirmation culturelle pour l’avenir. Il faut reconnaître que les temps ont changé.

La dernière fois que notre système a été mis à jour, le monde était complètement différent. C’était en 1991. On allait louer des films chez Blockbuster. Je suis certain que vous y alliez aussi, monsieur le Président. On allait tous chez Blockbuster chercher des cassettes VHS, qu’on rapportait en retard et pour lesquelles on payait des frais. On avait aussi des Walkman. C’est la façon dont on écoutait la musique.

Tellement de choses ont changé au cours de ces 30 dernières années. La diffusion de contenu en ligne a changé notre façon de créer, de découvrir et de consommer du contenu, et le système en vigueur aujourd’hui doit refléter tout cela. Depuis des décennies, les radiodiffuseurs canadiens investissent dans le système pour créer le contenu qu’on aime tant. C’est donc une simple question d’équité que de demander aux diffuseurs en ligne de contribuer. Nous ne leur demandons pas d’en faire plus, seulement de fournir leur part, ce qui est juste.

Les entreprises comme Netflix, Amazon et Disney, entre autres, investissent déjà dans l’économie canadienne. C’est génial et nous en profitons tous. Le contenu est vraiment amusant. C’est de l’argent, ce sont des investissements importants dans notre pays. Nous sommes très contents qu’ils continuent à investir chez nous, à réaliser leurs projets au Canada.

Toutefois, il faut être honnête. Il y a aussi une raison pour laquelle ils investissent au Canada. Ils le font parce qu’il y a des talents incroyables chez nous, que ce soit nos directeurs, nos acteurs ou nos techniciens. À tous points de vue, il y a des talents extraordinaires. C’est donc une bonne affaire de venir investir chez nous, au Canada.

Dans le fond, ce que fait le projet de loi C-11, c’est qu’il met à jour des règles pour que l’ensemble des plateformes de diffusion contribuent à notre culture. C’est tout. Voilà ce qu’est le projet de loi.

La Loi sur la diffusion continue en ligne aura pour effet de soumettre les diffuseurs en ligne à des règles et à des exigences semblables à celles qui régissent les diffuseurs traditionnels. En effet, contrairement aux diffuseurs traditionnels, les plateformes profitent de notre culture, mais ne sont pas tenues d’y contribuer. L’argent qui était autrefois dirigé vers les diffuseurs traditionnels se dirige vers les plateformes un peu plus chaque jour, une situation qui met en péril nos créateurs, notre industrie et notre culture. Il faut agir. […]

Nous tenons à faire le nécessaire pour que nos enfants et les générations futures puissent, comme nous, grandir en regardant les histoires de notre pays et en écoutant ses chansons. (p. 2320)

Pablo Rodriguez articule les intérêts nationaux-populaires de « nous tous » et de « nous » à la classe hégémonique – c’est-à-dire ceux qui détiennent le pouvoir politique et les privilèges dans la démocratie libérale du Canada – en décrivant la lutte idéologique de la nation pour le pouvoir économique et culturel consacré par la Loi sur la radiodiffusion de 1991.Les récits des histoires canadiennes, de la culture canadienne et de l’identité canadienne sont politiquement et idéologiquement utilisés pour construire une mémoire culturelle collective unitaire, un sens commun mutualisé et cohérent. En parlant du passé de la culture canadienne, Pablo Rodriguez omet sélectivement les rêves et les désirs des groupes non hégémoniques dans l’histoire du Canada en faveur des rêves et des désirs nationalistes, rendant ainsi silencieux un élément important et controversé de notre histoire de la radiodiffusion.

Depuis les années 1950 et jusqu’aux années 1970, les contributions des vagues d’immigration au développement du Canada en tant que « mosaïque culturelle » ont été pratiquement ignorées (Potvin, 1972). De plus, dans l’article « Cultural imperialism of the North? The expansion of CBC’s Northern service and community radio », Anne F. MacLennan (2011) soutient que les résidents marginaux du Nord du Canada dans les années 1970 n’étaient pas enthousiastes à l’idée de développer la radiodiffusion nordique au moyen de la télévision et de la radio de la SRC. L’expansion infrastructurelle du réseau a servi de vaisseau physique pour rediffuser des contenus canadiens certifiés au Sud vers le Nord, ce qui a conduit les habitants du Nord à résister à l’expansion en raison d’un désir croissant de contenu local. Selon MacLennan (2011), environ deux décennies d’activités se sont écoulées jusqu’à ce que le réseau SRC en vienne à diffuser de plus grandes quantités de programmes locaux. Ainsi, les effets de la diffusion par SRC de programmes issus du Sud ont été ressentis de manière beaucoup plus aiguë que les efforts de SRC pour diffuser des programmes locaux pertinents pour les langues et les cultures du Nord. Ainsi, Christopher Ali (2012) affirme que le concept de localisme dans la politique télévisuelle canadienne a été éclipsé par les débats sur le nationalisme canadien et la radiodiffusion commerciale contre la radiodiffusion nationale dans la politique de communication, les responsables de la politique culturelle cherchant avant tout à protéger une vision plus étroite de la culture canadienne contre l’influence écrasante des produits culturels américains.

Conclusion : Un avenir invisible pour la politique de radiodiffusion

Pour conclure sur une note plus optimiste, malgré l’histoire problématique du Canada en ce qui concerne l’inclusion des groupes non hégémoniques dans les débats sur la politique culturelle, Pablo Rodriguez (2022) mentionne ceci dans son plaidoyer en faveur de la sanction royale du projet de loi C-11 :

On doit pouvoir se reconnaître dans sa culture. Par exemple, nous, les francophones, comptons là-dessus pour notre langue, qui en dépend. Si nous voulons que nos enfants parlent notre langue, nous avons besoin d’une culture forte. Pour cela, il faut un système qui est à la fois juste et équitable.

Les peuples autochtones comptent aussi là-dessus. La diversité et l’inclusion sont des valeurs canadiennes; elles doivent occuper une place centrale dans notre politique culturelle. C’est l’un des grands piliers de la Loi sur la diffusion continue en ligne. Les Canadiens racisés, les femmes, les personnes LGBTQ2+ et les personnes handicapées méritent d’avoir un espace où raconter leurs histoires à d’autres Canadiens et au monde entier.

Ce projet de loi vise à prendre cet espace et à voir à ce que les plateformes de diffusion continue en ligne contribuent à la culture canadienne, à notre culture. (p. 2321)

Le projet de loi lui-même stipule que, sous la supervision et la réglementation du Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes (CRTC), le système canadien de radiodiffusion doit accomplir ceci :

(iii) par sa programmation et par les chances que son fonctionnement offre en matière d’emploi, répondre aux besoins et aux intérêts de l’ensemble des Canadiens – notamment des Canadiens qui sont issus des communautés noires ou d’autres communautés racisées ou qui représentent la diversité de par leurs antécédents ethnoculturels, leur statut socio-économique, leurs capacités et handicaps, leur orientation sexuelle, leur identité ou expression de genre et leur âge – et refléter leur condition et leurs aspirations, notamment l’égalité sur le plan des droits, la dualité linguistique et le caractère multiculturel et multiracial de la société canadienne ainsi que la place particulière qu’y occupent les peuples et les langues autochtones,

(iii. 1) offrir des possibilités aux Autochtones en vue de l’exploitation d’entreprises de radiodiffusion et de la production d’une programmation en langues autochtones, en français, en anglais ou toute combinaison de ces langues,

(iii. 11) offrir des possibilités aux Noirs et aux autres personnes racisées au Canada en tenant compte de leurs besoins et intérêts propres, c’est-à-dire en soutenant la production et la radiodiffusion d’émissions originales provenant des communautés noires et des autres communautés racisées et leur étant destinées. [Projet de loi C-11, 2023, 3(3)]

Il est extrêmement important de souligner que cet effort apparent pour inclure plus équitablement divers groupes sociaux dans l’industrie culturelle canadienne – à la fois sur et derrière l’écran – laisse entrevoir la possibilité d’une réarticulation flexible de la politique culturelle en tant qu’hégémonie culturelle, qui reflète les rêves et les désirs de tous les Canadiens, dans un usage authentique de l’expression, avant la nécessité économique et, par la suite, culturelle de résister à l’impérialisme culturel américain.

En effectuant une analyse critique du discours d’un échantillon non aléatoire de passages du discours des débats de la Chambre des communes (Hansard) de l’honorable Pablo Rodriguez, cet article a appliqué la théorie de l’articulation de Stuart Hall pour affirmer que le ministre canadien du ministère du Patrimoine canadien a attaché des signifiants glissants de nationalisme à la Loi sur la diffusion continue en ligne en faisant abstraction des discours de sens commun sur la nation, la culture et l’identité pour articuler un projet de construction de la nation contre l’américanisation. En fin de compte, l’avenir de la politique contemporaine de radiodiffusion canadienne et de ses liens historiques étroits avec le nationalisme canadien-anglais reste à voir, surtout si l’on estime les réactions négatives suscitées par la Loi sur la diffusion continue en ligne, que les Canadiens eux-mêmes considèrent comme intrinsèquement anticoncurrentielle, anti-consommateur et paternaliste.

Comme l’affirme vivement Raboy (1994), les politiques de régulation de la radiodiffusion sont mises en œuvre « de différentes manières dans différentes sociétés et à différents moments de l’histoire, dans la mesure où les systèmes de communication de masse en général, et la radiodiffusion en particulier, sont caractéristiques des grands courants qui marquent le développement d’une société particulière » (p. 8-9). Pour reprendre un vieil adage, seul l’avenir nous dira comment les rêves et les désirs nationalistes de la politique de radiodiffusion canadienne évolueront au XXIe siècle, dans le territoire sans précédent de l’abondance des médias.

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