Octets silencieux : Une enquête sur la croisée des coupures d’Internet et de la désinformation

Auteur : Anurag

Université d’attache : Université de Calgary

Niveau de scolarité: Étudiant au doctorat

Introduction

Ces dernières années, divers gouvernements désireux de gérer les activités civiques ou de maintenir l’ordre parmi leurs citoyens ont eu de plus en plus recours à la coupure d’Internet comme mesure de contrôle. En 2023, le gouvernement indien a procédé à 30 coupures d’Internet dans différentes régions du pays, pour une durée totale de 7 821 heures et un coût dépassant les 500 millions de dollars (Woodhams et Migliano, 2024). En Inde, ces coupures sont généralement considérées comme une mesure de précaution en vue de réduire la diffusion de désinformation. Cette étude explore la relation entre la désinformation et les coupures d’Internet à travers le cadre de l’économie politique. Ce faisant, elle vise à mieux comprendre l’interruption institutionnelle des services Internet par le gouvernement indien dans les États du Cachemire, du Manipur et de l’Haryana afin de mettre fin à la désinformation, et à l’émergence de canaux de communication de rechange comme des stratégies de base pour résister à ces coupures.

Les médias diffusés par les différents modes de communication jouent un rôle central dans le façonnement de notre compréhension et de notre perception du monde. Selon Silverstone (1999), il s’agit de la « partie de la texture générale de l’expérience » (2) qui éclaire notre expérience humaine collective. Internet pousse cette expérience encore plus loin [traduction] « en tant que dimension de la liberté individuelle, en tant que plateforme pour une meilleure participation démocratique, en tant que moyen de favoriser une culture plus critique et autoréflective et, dans une économie mondiale de plus en plus dépendante de l’information, en tant que mécanisme permettant d’améliorer le développement humain partout » (Banker, 2006, p. 2). Alors que les sociétés du monde entier dépendent de plus en plus des systèmes de communication, les télécommunications et Internet se sont parfaitement intégrés à l’infrastructure sociale, devenant des composantes indispensables des réseaux de communication de la société (de Bruijne et al., 2006; Tyers, 2013; York, 2010).

Compte tenu de son importance sociopolitique, la perturbation des réseaux de communication a été un élément stratégique dans les guerres, les nations ciblant fréquemment l’infrastructure de communication de l’autre pour obtenir un avantage en matière d’information sur l’adversaire, communément appelé guerre de l’information (Aro, 2016; McDonald, 2006; Ohlin et al.,2015; Thomas, 2014; Thorton, 2015). Historiquement, les principaux enjeux de la guerre consistaient généralement à prendre le contrôle d’un territoire et de ressources économiques, à déterminer le type de gouvernement, à gagner le cœur et l’esprit de la population et à affirmer l’autodétermination nationale, les technologies de communication telles que le téléphone, la télévision, le télégraphe et la radio jouant un rôle important dans la réalisation de ces objectifs (Cronin, 2013). En 2022, le ciblage intentionnel de la tour de télévision ukrainienne par la Russie pendant la guerre russo-ukrainienne et l’interruption des communications Internet à Gaza pendant le conflit entre l’Israël et le Hamas l’année suivante montrent que l’importance des infrastructures de communication est reconnue sur le plan stratégique (Bashir et al., 2023; Harding, 2022).

Cependant, au cours de la dernière décennie, les gouvernements du monde entier ont fermé les réseaux d’information destinés à leur propre population (Access Now, 2023). Rien qu’en 2022, des coupures d’Internet ont été appliquées dans 35 pays à 187 reprises (Access Now, 2023). L’Ukraine a connu 22 coupures d’Internet, tandis que les autorités iraniennes ont procédé à 18 coupures, suivies par le Bangladesh avec six incidents, et d’autres cas dans des pays comme la Jordanie, la Libye, le Soudan et le Turkménistan, entre autres. Dans la plupart des pays, ces coupures ont été utilisées comme des outils par les personnes au pouvoir pour établir un contrôle et étouffer la dissidence, étant imposées dans diverses circonstances telles que des manifestations, des conflits en cours, des examens scolaires, des élections, des périodes d’instabilité politique, ou des événements importants tels que des fêtes religieuses ou des visites de représentants du gouvernement (Access Now, 2023; Wagner, 2018).

En 2022, l’Inde est restée la plus grande contrevenante pour la cinquième année consécutive, avec 84 cas de coupures d’Internet (Access Now, 2023). Les autorités gouvernementales indiennes ont justifié ces coupures comme une mesure en vue d’empêcher la propagation de la désinformation, de rumeurs, et à maintenir l’ordre public (Hintz et Milan, 2018; Passah, 2021; Shah, 2020; Shah, 2021), mais les coupures ont leurs propres conséquences culturelles et symboliques où elles ont été perçues comme un outil de contrôle politique et de propagande d’entreprise (Sampedro et al., 2021).

Alors que des travaux antérieurs dans le sous-domaine des études sur la déconnexion ont particulièrement examiné le blocage de sites Web particuliers, c’est-à-dire la censure (Meserve et Pemstein, 2018; Dien, 2022; Sampedro et al., 2021), il y a un manque de recherche universitaire complète pour comprendre pleinement les coupures d’Internet et leur relation avec la propagation de la désinformation. En outre, selon Gohdes (2015) et Purdon et al. (2015), les coupures d’Internet ont divers objectifs qui vont au-delà de la simple suppression d’informations. Il est donc essentiel d’analyser les coupures d’Internet comme un phénomène distinct de la censure d’Internet.

Ces mesures descendantes imposées par le gouvernement, telles que les coupures d’Internet, en particulier pendant les périodes de troubles politiques, d’élections ou de mouvements sociaux, limitent la capacité des citoyens à communiquer. En réponse, une résistance populaire émerge par l’intermédiaire de canaux de communication de rechange développés par des individus et des communautés pour surmonter ces restrictions lorsque l’infrastructure Internet traditionnelle est compromise. Les objectifs de cette étude sont donc doubles : premièrement, faire progresser la conceptualisation de la déconnexion d’Internet au-delà du cadre dominant de la censure et mener une exploration en profondeur de l’institutionnalisation des coupures d’Internet et étudier sa relation avec la désinformation. Deuxièmement, explorer l’émergence de canaux de communication de rechange en tant que stratégies ascendantes pour résister à ces coupures.

Historique et contexte

Une coupure d’Internet ne se limite pas à une déconnexion de WhatsApp, Facebook ou Twitter. L’Internet, en tant qu’outil d’infrastructure, permet aux gens d’accéder à l’information, et de neutraliser l’accès des gens à l’information n’est pas seulement une pratique autoritaire, mais contrevient également à la Déclaration universelle des droits de l’homme (Hintz et Milan, 2018; Michaelsen et Glasius, 2018, Passah, 2021, Sampedro et al., 2021). Selon les données du site internetshutdowns.in,Footnote 1 il y a eu 764 cas de coupures d’Internet en Inde depuis 2012. Il est préoccupant de constater que, malgré la promotion active d’initiatives telles que Digital India,Footnote 2 le pays a souvent recours à des mesures autocratiques telles que les coupures pour préserver l’ordre public et lutter contre la désinformation (Shah, 2021).

L’étude des coupures d’Internet au Cachemire, au Manipur et à l’Haryana en Inde est importante pour de multiples raisons. L’État du Cachemire a connu le plus long arrêt d’activité du pays. Il s’agit donc d’une étude de cas essentielle pour examiner les conséquences et les effets des perturbations prolongées d’Internet. La situation au Manipur, l’État qui a connu la deuxième plus longue coupure d’Internet, permet de comprendre sa relation avec la désinformation. En effet, toutes les ordonnances publiées par le gouvernement de l’État indiquent que la coupure est mise en œuvre pour mettre fin aux rumeurs et à la désinformation. L’Haryana est un cas intéressant en raison de sa proximité avec la capitale nationale, le New Delhi, ce qui ajoute une nouvelle dimension à l’étude de la manière dont la coupure d’Internet a été mise en œuvre au cœur du pays. En réalisant une étude de cas au Cachemire, au Manipur et à l’Haryana, cette étude cherche à comprendre les divers facteurs sociopolitiques qui ont joué un rôle dans l’institutionnalisation des coupures d’Internet dans toute l’Inde, tout en explorant également leur relation avec la désinformation.

L’arrêt de la connectivité au Cachemire : la plus longue coupure d’Internet au monde

Pour mettre fin à la violence, au militantisme et à l’extrémisme en ligne dans la région, le gouvernement indien a imposé des restrictions à l’utilisation d’Internet au Cachemire (Rajvanshi, 2023; Shah, 2020). L’ère des coupures d’Internet de grande ampleur en Inde a commencé le 5 août 2019, lorsque la région du Cachemire à majorité musulmane a connu la plus longue coupure d’Internet au monde, qui a duré 552 jours (Access Now, 2023). Cette mesure a été prise à la suite de la révocation controversée de l’autonomie constitutionnelle de l’État et a également conduit à l’arrestation de plusieurs dirigeants politiques, militants et journalistes de la région (Shah, 2020). Les contraintes imposées au Cachemire ont eu des effets négatifs sur les activités économiques, l’emploi et les voies éducatives, empêchant la participation des étudiants à l’apprentissage en ligne et suscitant l’inquiétude des jeunes quant à leur avenir (Shah, 2020). Dans une déclaration à Politico en septembre, le ministre indien des affaires étrangères s’est demandé comment couper la communication entre les terroristes et leurs commanditaires présumés tout en maintenant l’accès à l’Internet pour les autres (Politico, 2019). Selon le Software Freedom Law Center, le Cachemire représente plus de 60 % des incidents liés à la coupure d’Internet dans le pays (non déterminé). Avant la coupure la plus longue, en 2016, la région du Cachemire a connu des épisodes de protestations violentes à la suite de la mort du militant de premier plan, Burhan Wani. Au cours de cette période, les connexions à l’Internet mobile ont été suspendues pour une durée supérieure à quatre mois (Masih et Slater, 2019). Malgré l’opposition des organisations de défense des droits de la personne, de la société civile et des partis politiques, la région à majorité musulmane reste la plus durement touchée par les coupures d’Internet.

Coupure d’Internet dans l’État du Manipur, dans le nord-est du pays

La plus longue coupure d’Internet en 2023 a été mise en œuvre par le gouvernement du parti Bhartiya Janata, dirigé par Narendra Modi, dans l’État du Nord-est de l’Inde, au Manipur, qui a duré plus de 200 jours (The Wire, 2023). Le gouvernement de l’État du Manipur a mis en œuvre cette coupure complète d’Internet à partir du 3 mai 2023, en raison de violences intercommunautaires entre deux groupes ethniques de l’État. Le 7 juillet, la Haute Cour du Manipur a ordonné au gouvernement de l’État de lever partiellement la coupure d’Internet. Malgré cette directive, le gouvernement du Manipur a contesté l’ordonnance devant la Cour suprême (Amnistie Internationale, 2023). En raison de la coupure d’Internet, les violations des droits de la personne se sont multipliées, ce qui a incité le Parlement européen à adopter une résolution exhortant les autorités indiennes à prendre « toutes les mesures nécessaires » pour mettre fin à la violence au Manipur et assurer la protection des minorités religieuses, en particulier des chrétiens (Parlement européen, 2023). Les autorités du Manipur ont justifié la coupure d’Internet comme une mesure en vue d’empêcher les activités des éléments antinationaux et antisociaux et à maintenir la paix et l’harmonie entre les communautés. L’ordonnance du ministère d’attache du Manipur, datée du 25 juillet 2023, précise ce qui suit :

[TRADUCTION]

« Le gouvernement de l’État décide de maintenir la suspension des données Internet mobiles, en vertu de la règle 2 concernant la suspension temporaire des services de télécommunications (urgence publique ou sécurité publique), règles de 2017, car la préparation à un mécanisme de contrôle et de réglementation efficace pour le service de données mobiles n’est pas techniquement réalisable et on craint toujours que la propagation de la désinformation et des fausses rumeurs, par l’intermédiaire de diverses plateformes de médias sociaux, comme WhatsApp, Facebook, Instagram, Twitter, etc., sur des équipements électroniques comme des tablettes, des ordinateurs, des téléphones portables, etc., et envoyer des SMS en masse, pour faciliter ou mobiliser les foules ou les agitateurs et les manifestants, qui peuvent causer des pertes en vies humaines ou des dommages à la propriété publique/privée en se livrant à des incendies criminels, à des actes de vandalisme et à d’autres types d’actes violents. » (Gouvernement du Manipur, 2023)

Ces directives affirment que les médias sociaux sont exploités par « certains éléments antisociaux » comme un moyen pratique d’« inciter le grand public ». Les ordonnances soulignent la nécessité de mettre un terme à la diffusion de la désinformation et des fausses rumeurs, ainsi que d’empêcher la mobilisation des foules. Cependant, il n’y a pas de preuve que les coupures d’Internet contribuent effectivement à prévenir la désinformation ou les cas de violence. Au contraire, on soutient que cette coupure porte atteinte aux droits de la personne des habitants du Manipur, en limitant leur accès à l’information, à la liberté d’expression et à la communication avec leurs proches (Goswami, 2023; Lim, 2020; Sampedro et al. 2022; Shah, 2021).

Les coupures d’Internet jettent de l’ombre sur l’Haryana

L’Haryana, un État adjacent à la capitale nationale Delhi, a également subi une suspension des services Internet pendant trois jours (Roy, 2023). Il ne s’agissait pas d’interdictions à l’échelle de l’État, comme au Cachemire et au Manipur, mais dans certains districts et sous-divisions de l’État, notamment à Nuh, Faridabad, Palwal, Sohna, Manesar et Pataudi, dans la région de Gurugram. Ces ordonnances, en vigueur pendant trois jours jusqu’au 2 août 2023 à 23 h 59, sont une réponse aux incidents de violence communautaire qui se sont produits dans certaines parties de l’Haryana. La raison d’être de ces ordonnances était le risque perçu de provoquer des tensions communautaires, des obstructions, des blessures aux personnes, un danger pour la vie humaine et des dommages aux propriétés publiques et privées, justifiant ainsi l’imposition de restrictions (Roy, 2023). La justification comprenait également des préoccupations concernant la diffusion de désinformations et de rumeurs au moyen de diverses plateformes de médias sociaux, de téléphones mobiles et de SMS, potentiellement exploitées par des agitateurs et des manifestants, constituant une menace importante pour la vie et les propriétés publiques et privées (Roy, 2023).

Selon un rapport de Selva (2019), l’Inde est caractérisée comme le pays qui a essentiellement créé « le manuel des coupures d’Internet » en raison de ses fréquentes perturbations des services Internet, créant un précédent pour d’autres pays qui suivront la même voie. Les chercheurs qui étudient la déconnexion d’Internet soulignent l’aspect troublant des coupures, car elles marginalisent encore plus une communauté déjà défavorisée en entravant sa capacité à échanger ses expériences et en étouffant sa voix (Lim, 2020). En particulier, les événements observés au Manipur ont montré les répercussions différentielles des coupures d’Internet, qui touchent de manière disproportionnée les communautés marginalisées. Les médias ont rapporté que, lors de violences ethniques au Manipur, un groupe d’hommes s’est livré à l’agression publique et au harcèlement sexuel de femmes qui ont été déshabillées de force (Bhat et Chandran, 2022). L’imposition d’une interdiction d’accès à Internet lors de tels incidents a posé d’importants problèmes pour alerter les autorités et les journalistes, empêchant ainsi de documenter les violations flagrantes des droits de la personne. Les défenseurs des droits de la personne soutiennent que, sans la coupure d’Internet, les vidéos de ces incidents auraient pu faire surface il y a plus de deux mois, ce qui aurait permis d’apporter une réponse plus immédiate pour faire face à l’horreur et éventuellement prévenir des infractions similaires (Bhat et Chandran, 2022). La plupart des coupures d’Internet visent principalement les téléphones portables, qui constituent le principal moyen d’accès à Internet pour une grande partie de la population, en particulier dans les zones rurales. En raison de cette restriction, les femmes éprouvent des difficultés à communiquer avec leur famille par l’intermédiaire de WhatsApp, à accéder aux actualités, à effectuer des paiements mobiles et même à recharger leurs forfaits mobiles (Bhat et Chandran, 2022).

Analyse documentaire

La section suivante présente l’ensemble de la littérature qui alimente cette étude. Si la coupure d’Internet ne constitue pas un sous-domaine indépendant, ses fondements se trouvent principalement dans les études sur la censure et la surveillance (Hintz et Milan, 2017; Howard et al., 2011a; Michaelsen et Glasius, 2018), les études sur l’Internet (Gohdes, 2015; Purdon et al., 2015), les études sur les télécommunications (Wagner, 2018) et les études sur la déconnexion (Kaun et Tere, 2018; Lim, 2020). Cependant, il existe une lacune importante dans la compréhension scientifique des phénomènes de « coupure d’Internet » et de sa corrélation avec la « désinformation », étant donné leur émergence relativement récente. Comme nous l’avons déjà mentionné, les gouvernements du monde entier justifient l’imposition de blocages d’Internet comme une stratégie préventive en vue de freiner la diffusion de rumeurs, de désinformations et de messages incendiaires (Lim, 2020; Shah, 2021).

En outre, l’analyse documentaire a révélé que les termes « coupure », « panne d’électricité », « interdiction » et « coupe-circuit » sont employés indifféremment pour désigner l’interruption ou la déconnexion d’Internet. C’est pourquoi la présente étude adopte ces termes sans distinction. Ce concept englobe deux mesures principales : l’une concernant le « retrait » de sites Web particuliers et l’autre englobant une restriction partielle ou totale de l’accès à l’Internet dans des zones géographiques, des points d’accès ou des groupes d’utilisateurs désignés (Sampedro et al., 2021).

La coupure d’Internet peut être définie comme l’« interférence délibérée avec l’Internet ou les communications électroniques, les rendant inaccessibles ou effectivement inutilisables, ciblant une population précise ou dans un lieu particulier, souvent dans le but de contrôler le flux d’informations » (Access Now, 2018 : 2). La littérature sur les coupures d’Internet met également l’accent sur la responsabilité des autorités politiques, suggérant qu’une coupure d’Internet se produit lorsqu’une entité, généralement un gouvernement, perturbe délibérément l’Internet ou les applications mobiles pour réguler les expressions et les actions des individus (Olukotun, 2016). Ils affirment également que de telles actions nécessitent une collaboration, volontaire ou forcée, entre les gouvernements, les entreprises de télécommunications et les fournisseurs d’accès à Internet. Cette collaboration est considérée comme le signe d’un manque de qualité démocratique.

Sampedro et al. (2021) classent les coupures d’Internet en fonction du « système politique », de la « stratégie de reconnaissance », des « mécanismes d’activation » et de la « portée » (129). Le contexte juridique et politique, comme indiqué dans la section précédente, est un facteur distinctif, les coupures ayant lieu dans des environnements démocratiques, autoritaires, dictatoriaux ou dans des États en déliquescence, chacun offrant des niveaux variables de protection des droits fondamentaux (Lim, 2020; Sampedro et al., 2021). Les « pratiques de coupure d’Internet de première génération » touchent une répression sélective avec des objectifs précis, tandis que les « pratiques de deuxième génération » manquent d’objectifs clairs (129). Les « mécanismes d’activation » comprennent des « coupures préventives » anticipant les menaces et des « coupures réactives » répondant aux menaces détectées (Shah, 2021; Sampedro et al., 2021; Wagner, 2018). Les coupures sont ensuite classées en coupures totales (touchant toutes les structures de communication) et partielles (ne touchant qu’une partie du réseau). La collaboration entre les gouvernements, les entreprises de télécommunications et les fournisseurs de services Internet pour mettre en œuvre ces coupures est considérée comme révélatrice d’un déficit démocratique et d’une pratique autoritaire.

Freyburg et Garbe (2018) soulèvent un autre aspect important, à savoir la propriété de l’infrastructure Internet (fournisseur de services Internet [FSI]) et la manière dont elle est associée aux coupures. Les FSI peuvent être considérés comme des points de contrôle centralisés ou des « gardiens » d’Internet, car ils contrôlent la passerelle par laquelle les données entrent et sortent (DeNardis, 2014, cité dans Freyburg et Garbe, 2018). L’étude met en évidence une observation intrigante selon laquelle même les FSI libres et indépendants ne peuvent échapper aux coupures, puisque les gouvernements de la région de l’Afrique subsaharienne ont été en mesure de déconnecter des personnes pendant les élections. Dans d’autres pays de la région, les gouvernements ont adopté la méthode de « coupure lente », qui touche une série de réglementations étatiques flexibles mises en œuvre au fil du temps pour établir un cadre juridique qui facilite la mise en œuvre des coupures d’Internet (Parks et Thompson, 2020). Cette étude s’inscrit dans la lignée de mes recherches, car elle partage un cadre comparable qui permet à l’instance gouvernementale de mettre en œuvre directement une coupure d’Internet.

Wagner (2018) a élargi le concept des coupures d’Internet, définies comme des perturbations délibérées des communications numériques par les instances gouvernementales, pour inclure les « coupures communicatives » (3919). Ce terme fait référence aux conséquences qui se produisent après la mise en œuvre d’une coupure, provoquant la déconnexion d’une communauté. Ses recherches établissent une distinction claire entre la censure et la coupure, ce qui plaide en faveur d’une étude distincte des coupures. Il affirme que les coupures d’Internet, contrairement à la censure d’un contenu, bloquent sans distinction toutes les formes de communication numérique, y compris les téléphones portables et la téléphonie, rendant la communication numérique presque impossible, sans accès au contenu non censuré (Wagner, 2018).

Internet a une double nature, servant à la fois d’infrastructure et de moyen de communication (Giacomello, 2005, cité dans Vargas-Leon, 2015), d’outil de croissance économique (Braman, 2010) et, dans une certaine mesure, de catalyseur de changements politiques (Lotan et Graeff, 2011). Il sert à la fois d’infrastructure et de moyen de communication, en soutenant divers réseaux de distribution et en facilitant la transmission de diverses données (Radvanovsky et McDougall, 2010, cités dans Vargas-Leon, 2015). Il est également considéré comme une « infrastructure critique », permettant la communication pour les services publics, les courriels personnels, les articles et les transactions (Giacomello, 2005, cité dans Vargas-Leon, 2015).     

Internet sert d’infrastructure de communication essentielle pour plus de 750 millions d’utilisateurs mobiles en Inde. En tant que réseau technologique de base, il est devenu indispensable pour assurer une communication en temps réel, reliant les vastes paysages géographiques et démographiques diversifiés. En tant qu’outil crucial de l’infrastructure, l’acte de couper l’Internet n’est pas seulement une menace pour l’infrastructure numérique, mais comporte également de profondes conséquences symboliques. Il sert de démonstration de l’importance culturelle et représente l’expression du pouvoir de l’État. De ce point de vue, toute action ayant une incidence sur l’infrastructure d’Internet, telle que son arrêt, influence directement le processus de communication.

Les gouvernements du monde entier ont cherché à contrôler l’Internet, comme le souligne Vargas-Leon (2015). Plusieurs pays, dont l’Australie, la Russie, le Royaume-Uni et les États-Unis, ont connu des discussions ou des incidents liés à la coupure potentielle d’Internet (Vargas-Leon, 2015). En Australie, le FSI Telstra, propriété de l’État, a été confronté à des pannes en 2009 et en 2012, ce qui a fait naître des soupçons relatifs à des tests gouvernementaux, bien qu’ils aient été démentis. En 2014, la Russie a proposé un projet de loi autorisant le président à couper l’Internet en cas d’urgence, mais ce projet a été critiqué pour son incidence sur la liberté d’expression (Vargas-Leon, 2015). Le premier ministre David Cameron a proposé de couper l’Internet au Royaume-Uni après les émeutes de 2011 à Londres, ce qui a suscité une forte opposition (Vargas-Leon, 2015). Aux États-Unis, le projet de loi de 2010, intitulé Protecting Cyberspace as a National Asset Act (loi sur la protection du cyberespace en tant que bien national), visait à accorder au président le pouvoir de procéder à une coupure d’urgence en cas d’incident cybernétique, connue sous le nom d’« Internet kill switch » (coupe-circuit d’Internet), mais le projet de loi n’a pas été adopté (Vargas-Leon, 2015).

Ces tentatives de coupure d’Internet par le gouvernement peuvent être considérées comme des mesures imposées d’en haut qui coïncident souvent avec des périodes de troubles politiques, d’élections ou de mouvements sociaux, limitant la capacité des citoyens à communiquer et à accéder à l’information. En réponse à ces enjeux, une résistance ascendante s’est manifestée sous la forme de canaux de communication de rechange développés par des individus et des communautés. Ces solutions de rechange visent à contourner les restrictions et à maintenir la communication dans des situations où l’infrastructure Internet traditionnelle est compromise.

Cadre théorique

Dans le cadre de cette étude, je propose une économie politique critique pour étudier la relation entre les coupures d’Internet et la désinformation. Comme indiqué dans la section précédente, l’acte de coupure d’Internet peut également être interprété comme une manifestation de pouvoir et de contrôle sur l’infrastructure de communication. Les spécialistes des médias et de la communication examinent généralement ces questions sous l’angle du contrôle des médias (Chomsky, 2002), en étudiant la manière dont les gouvernements exercent une influence sur les canaux de communication médiatisée, tels que l’Internet ou les plateformes Web, dans le but de superviser et de gérer le contenu expressif. L’économie politique, en tant que cadre théorique, cherche à « décentrer les médias de communication » (p. 66), en considérant le système de communication comme une composante essentielle des processus économiques, politiques, sociaux et culturels sous-jacents au sein de la société (Mosco, 2009).

L’économie politique, en tant que cadre d’investigation, nous fournit les outils nécessaires pour étudier les relations sociales et de pouvoir qui sont responsables de la production, de la distribution et de la consommation des ressources (Mosco, 2009). De ce point de vue, la capacité à contrôler l’Internet offre un avantage stratégique pour façonner les récits, contrôler le flux d’informations et influencer l’opinion publique. Les gouvernements, par exemple, peuvent justifier la coupure d’Internet en invoquant des préoccupations liées à la désinformation, à la sécurité nationale ou à la sécurité publique. Toutefois, ces actions soulèvent des questions quant à l’équilibre entre les mesures de sécurité et la préservation des valeurs démocratiques, de la liberté d’expression et du droit d’accès à l’information. Cela exige de se concentrer sur les forces et les mécanismes sous-jacents pour discerner comment les relations sociales sont structurées autour du pouvoir, en déterminant leur capacité à gouverner les individus, les processus et les entités (Mosco, 2009).

Herman et Chomsky (2002) reconnaissent les aspects positifs d’Internet, tels que son rôle dans la « rupture de l’emprise des entreprises » et l’« ouverture d’une ère sans précédent de médias démocratiques interactifs » mais, ce faisant, ils mettent en garde contre le risque de contrôle et de commercialisation d’Internet qui limiterait son potentiel démocratique (p. 16). Ils écrivent : « La privatisation du matériel Internet, la commercialisation rapide et la concentration des portails et serveurs Internet et leur intégration dans des conglomérats non Internet [...] et le contrôle privé et concentré de la nouvelle technologie à large bande, menacent ensemble de limiter les perspectives d’avenir d’Internet en tant que véhicule médiatique démocratique » (p. 17). Comme ils l’avaient prédit, la concentration du contrôle de l’infrastructure d’Internet par le gouvernement et les entités puissantes a amplifié les risques qu’ils avaient mis en évidence. Lorsque les gouvernements ont le pouvoir de couper l’Internet, cela illustre le potentiel de contrôle centralisé, limitant le potentiel démocratique d’Internet en tant qu’espace libre et ouvert pour l’échange d’informations. Les questions qu’ils ont soulevées au sujet de la commercialisation restreignant le caractère démocratique d’Internet peuvent être étendues aux cas de coupure d’Internet en Inde, en Iran, au Pakistan, en Indonésie, dans les pays subsahariens (Lim, 2020; Parks et Thompson, 2020; Shah, 2020; Shah, 2021, Sampedro et al. 2022, Wagner, 2018) où l’Internet a été utilisé comme outil de contrôle et de censure. Elle souligne en outre l’importance de préserver un Internet ouvert et décentralisé pour les valeurs démocratiques.

Mosco (2004), dans son ouvrage The Digital Sublime : Myth, Power, and Cyberspace, il suggère que l’Internet, ou le cyberespace, se concentre souvent sur ses aspects techniques et politiques – comment il est construit et gouverné – mais que son caractère culturel et mythique est ignoré. En d’autres mots, au-delà de la technologie et des règles, le cyberespace a une signification symbolique et culturelle. Ce n’est pas seulement un produit de la technologie et de la politique; il est également façonné par des croyances et des mythes culturels, ce qui en fait un espace porteur de significations à la fois technologiques et culturelles. Dans le contexte de cette étude, le contrôle sans précédent des réseaux de communication peut être considéré comme l’expression de l’autorité et du contrôle de ceux qui détiennent le pouvoir. L’acte de restreindre l’accès à l’Internet peut avoir un poids symbolique, représentant une limitation du flux d’informations, de la liberté d’expression et de l’accès aux espaces numériques. D’un point de vue culturel, il peut s’agir d’un désir de contrôle des récits, de la dissidence ou de la diffusion de l’information. Elle peut être perçue comme un outil permettant de façonner l’opinion publique, de restreindre les différents points de vue ou de maintenir l’ordre social. Bien que la signification culturelle puisse varier d’une société à l’autre, reflétant les valeurs, les climats politiques et les contextes historiques qui leur sont propres.

Pickard (2020) écrit qu’une « société informée » est le « fondement d’une société autonome » (p. 165). Il écrit également qu’en tant que société, nous réfléchissons rarement aux infrastructures et aux politiques nécessaires au maintien d’une presse et d’un système d’information sains. Elle est souvent influencée par des « vulnérabilités structurelles », qui englobent l’accès à l’Internet, de nouveaux types de discrimination et de censure, des préoccupations concernant la neutralité d’Internet, la propriété et la gouvernance de l’infrastructure, des niveaux accrus de désinformation, ainsi qu’une surveillance étendue des entreprises et de l’État (Pickard, 2020). Ces facteurs n’ont pas seulement des conséquences sur le journalisme, mais ont également des effets plus larges sur la circulation de l’information en général. Une approche fondée sur l’économie politique nous permet de comprendre comment le pouvoir est concentré dans les institutions, la propriété et le contrôle des infrastructures d’information, et la dynamique du pouvoir qui façonne le potentiel démocratique d’une société (Pickard, 2020).

S’appuyant sur les fondements théoriques existants, cette étude cherche également à élargir la conceptualisation de l’économie politique de la communication dans le contexte des coupures d’Internet, en les considérant comme un « contrôle de l’information » systématisé (Murdock et Golding, 1973, p. 226) qui engendre une « consolidation du consensus » (Murdock et Golding, 1973, p. 226). Ce cadre facilitera l’évaluation de l’efficacité des médias et des systèmes de communication en analysant la manière dont ils influencent le pouvoir social et politique et si, dans l’ensemble, ils constituent une force « pour » ou « contre » la démocratie (McChesney, 2013).

En outre, le cadre théorique de cette étude s’étendra également à l’exploration des relations entre les entreprises de télécommunications et le gouvernement, à la concentration du marché au sein des FSI et aux conséquences sociétales de l’accès différentiel à l’infrastructure Internet, qui reflète souvent des distinctions de classe (Block, 2019). En outre, cette étude s’appuiera sur des études d’infrastructure pour analyser les moyens infrastructurels, matériels, techniques et juridiques qui ont permis les coupures d’Internet en Inde (Sampedro, 2019; Shah, 2021, Vargas‑Leon, 2015). Enfin, le discours sur la résistance et l’activisme (Lim, 2020), en particulier la littérature sur les autres médias, permettra de mieux comprendre comment les communautés des zones touchées se réapproprient l’infrastructure de communication, contournent les restrictions et emploient des stratégies subversives pour relever les défis posés par les coupures d’Internet.

Questions de recherche (QR)

Cette étude a pour but d’étudier et d’analyser la prévalence des coupures d’accès à Internet en Inde entre 2013 et 2023. L’objectif premier de cette étude est d’acquérir une compréhension globale de la nature, des objectifs sous-jacents et des facteurs de motivation de ces coupures. Les chercheurs dans le domaine des études sur la déconnexion considèrent la coupure d’Internet comme une pratique autoritaire grossière pour mettre en œuvre une forme sophistiquée de répression en désactivant l’accès à l’information des citoyens et, en fin de compte, leurs voix (Glasius, 2018; Hintz et Milan, 2018; Lim, 2020). C’est pourquoi cette étude s’attache également à comprendre les liens entre la gouvernance d’Internet et la déconnexion d’Internet. Pour ce faire, je demande :

Q1. De quelle manière le gouvernement articule-t-il le cadrage des supposées menaces sociales, telles que les rumeurs et la désinformation véhiculées par Internet?

Q2. Quelles sont les expériences vécues par les personnes des régions du Cachemire, du Manipur et de l’Haryana qui ont été confrontées à des coupures d’Internet?

Méthodologie

Pour répondre à ces questions, une approche globale multiméthodes comprenant des entretiens et une analyse textuelle sera employée, en s’appuyant sur trois sources de données principales : les entretiens, l’analyse des documents gouvernementaux, les modifications juridiques, les documents politiques et les reportages des médias. Je divise mon approche méthodologique en deux parties : analyse textuelle critiqueet suivi des processus, et entretiens semi-structurés. La première partie de la méthodologie fait appel à l’« analyse textuelle critique » et à la « traçabilité des processus », ce qui suppose une lecture attentive des documents gouvernementaux, des modifications juridiques, des documents politiques et des reportages des médias. Il s’agit de répondre à la question de recherche no 1, qui porte sur l’approche descendante employée par le gouvernement pour encadrer et combattre la désinformation par la coupure d’Internet. L’étape suivante consiste à mener des entretiens semi-structurés avec des résidents touchés par les coupures d’Internet, ainsi qu’avec des avocats, des journalistes et des activistes numériques activement engagés dans des initiatives contre les coupures d’Internet en Inde. En s’engageant avec diverses parties prenantes, cette partie cherche à comprendre les mécanismes de résistance ascendants et à examiner le rôle des canaux de communication de rechange pendant les coupures et leur incidence sur la diffusion et l’endiguement de la désinformation au sein de l’écosystème de l’information, et à répondre à la question de recherche no 2.

Analyse critique du texte

Les économistes politiques critiques de la communication examinent les institutions qui possèdent un pouvoir de marché significatif et la capacité d’influencer la production, la distribution, l’exposition ou l’accès aux ressources de communication. En outre, ils examinent minutieusement les actions du gouvernement et les acteurs qui participent à ces processus (Caranana, 2024). Des méthodes telles que les entretiens, l’observation des participants et l’ethnographie permettent d’observer directement les processus de vie d’individus donnés lorsqu’ils s’engagent ou génèrent des résultats matériels (Caranana, 2024). Cependant, dans les situations où l’accès est limité, les preuves documentaires et l’examen des activités gouvernementales deviennent particulièrement cruciaux (Caranana, 2024). Ces informations peuvent provenir de divers documents créés par le gouvernement ou se rapportant à lui, y compris les archives publiques, les rapports des médias, etc. (Caranana, 2024). Robert McChesney (2013) affirme que l’élaboration des politiques est « le noyau de l’atome » pour l’économie politique critique de la communication (cité dans Caranana, 2024).

C’est pourquoi, dans le cadre de mon étude, j’effectuerai une analyse critique des récentes modifications juridiques qui ont fait l’objet de nombreuses critiques en raison de leurs caractéristiques régressives, accordant potentiellement au gouvernement des pouvoirs réglementaires étendus sur les données, l’Internet et diverses formes d’infrastructures d’information. En particulier, la Loi sur les télécommunications de 2023, récemment adoptée par le Parlement indien le 21 décembre 2023, a été décrite comme une « réincarnation draconienne d’une monstruosité coloniale » et comme un pas décisif vers la transformation de l’Inde en un « État de surveillance » (Sharma, 2024; Tharoor, 2024). En outre, mon étude s’appuiera également sur les ordonnances gouvernementales, les notifications, les travaux parlementaires, les documents de consultation politique et les rapports des médias disponibles dans le domaine public. Ces sources secondaires fourniront un contexte précieux, une analyse et des perspectives supplémentaires sur le phénomène des coupures d’Internet dans les régions précisées, contribuant ainsi à un examen plus complet et mieux informé de la question.

Suivi des processus

Le processus est un « outil analytique utile pour tirer des inférences descriptives et causales à partir d’éléments de preuve diagnostiques, souvent considérés comme faisant partie d’une séquence temporelle d’événements ou de phénomènes » (Collier, 2011, p. 824, cité dans Parks, 2020). Bennett et Checkel (2015) définissent la traçabilité des processus comme « l’analyse des éléments de preuve sur les processus, les séquences et les conjonctions d’événements au sein d’un cas dans le but de développer ou de tester des hypothèses sur les mécanismes de causalité qui pourraient expliquer le cas de manière causale » (p. 7). En d’autres mots, en examinant la manière dont les événements se déroulent dans le temps et en comprenant les liens qui les unissent, la traçabilité des processus, en tant que méthode, permet de mieux comprendre les relations causales complexes d’une série d’événements. Sa force réside dans sa capacité à aller au-delà d’un simple récit historique et à étudier systématiquement les interactions entre divers facteurs et leur influence sur les résultats au fil du temps (Bennett et Checkel, 2015). La traçabilité des processus est adaptée à l’étude des coupures d’Internet afin de comprendre les développements juridiques du gouvernement indien, qui touchent directement l’infrastructure de communication et l’Internet.

Entretiens semi-structurés

L’entretien qualitatif est une méthodologie polyvalente dans la recherche en communication, particulièrement adaptée à l’exploration de phénomènes qui manquent d’observabilité directe (Baxter et Babbie, 2004). Il donne un aperçu complet de l’initiation, du développement, du maintien et de la fin des relations, offrant des perspectives précieuses qui ne sont pas facilement observables par d’autres moyens. Dans le contexte de l’étude des coupures d’Internet, des entretiens qualitatifs seront nécessaires pour obtenir une compréhension approfondie des pensées et des sentiments des individus, ce qui permettra une exploration nuancée de leurs perceptions avec leurs propres mots (Baxter et Babbie, 2004). En outre, l’entretien qualitatif sert également d’outil de triangulation en permettant la vérification par les membres, un processus dans lequel les résultats préliminaires d’une méthode sont vérifiés en les comparant aux perspectives des participants (Baxter et Babbie, 2004).

Pour l’essentiel, les entretiens qualitatifs s’appuient sur des protocoles semi-structurés et non structurés. Un protocole semi-structuré consiste généralement en une liste de questions ouvertes auxquelles l’enquêteur souhaite que la personne interrogée réponde (Adams, 2015; Gubrium et Holstein, 2001). Toutefois, contrairement aux entretiens structurés, les entretiens semi-structurés se caractérisent par une grande liberté de la part de l’enquêteur (Adams, 2015; Gubrium et Holstein, 2001). Au moment des entretiens avec des personnes ayant été confrontées à des coupures d’Internet, l’utilisation de cette méthodologie devient essentielle pour comprendre dans quelle mesure l’imposition de coupures d’Internet perturbe le flux d’informations habituel, créant un vide et contribuant potentiellement à la diffusion de fausses informations. Il vise à étudier comment les utilisateurs, privés d’un accès immédiat à des sources précises et fiables, relèvent le défi de vérifier les informations obtenues par des canaux moins fiables pendant les coupures d’Internet. En outre, il cherche à explorer l’émergence de canaux de communication de rechange au milieu de ces coupures et les répercussions qui en découlent sur la diffusion et le contrôle de la désinformation au sein de l’écosystème de l’information au sens large.

Conclusions provisoires et travaux futurs

Manœuvres législatives : Les perturbations d’Internet comme moyen de défense contre la désinformation

La fréquence croissante des coupures d’Internet, associée à l’absence de garde-fous législatifs pour garantir une connectivité Internet ininterrompue, a suscité d’importantes questions dans le domaine judiciaire indien. Elle a suscité des préoccupations sur l’équilibre entre l’autorité de l’État, exercée pour diverses raisons telles que la lutte contre la désinformation, la garantie de la sécurité nationale, et la préservation des droits des individus à accéder à l’information pour leur permettre de communiquer et de s’exprimer librement. Cette situation soulève plusieurs questions : Comment le gouvernement indien a-t-il obtenu un contrôle immense sur l’infrastructure de communication et institutionnalisé les coupures d’Internet? Quels sont les facteurs qui contribuent à la fréquence accrue des coupures d’Internet dans un système démocratique comme l’Inde? La procédure législative en bonne et due forme est-elle respectée lorsqu’il s’agit d’ordonner des coupures?

En outre, elle s’écarte de l’histoire audacieuse et progressiste du secteur indien des télécommunications. Dans le cadre de son engagement à fournir un Internet libre et ouvert aux 1,3 milliard de résidents du pays, l’Agence indienne de réglementation des télécommunications (TRAI) a veillé à ce qu’il soit interdit aux FSI de segmenter l’Internet indien en voies lentes et voies rapides, de réduire les vitesses, de discriminer les contenus de quelque manière que ce soit ou d’accorder un traitement préférentiel à un fournisseur de contenu (Prasad, 2018). Les efforts de la TRAI ont été salués dans le monde entier, car ils témoignent d’une volonté de défendre les principes de la neutralité du réseau et de créer un environnement dans lequel les informations et les services en ligne sont accessibles sans préjugés ni restrictions injustifiées.

Les chercheurs qui étudient le cryptage des plateformes et la protection de la vie privée tiennent compte du fait qu’en raison de l’absence de responsabilité sur les plateformes de médias sociaux (Van Dijck et Poell, 2013) et de la nature cryptée des outils de communication privée en ligne, la perte de contrôle sur le contenu des informations a conduit à la perception que la coupure de l’infrastructure de communication est le seul recours possible. Si les gouvernements ont le droit raisonnable d’exercer un contrôle sur ces infrastructures pour protéger leur population et assurer la sécurité de leur territoire (Union internationale des télécommunications [UIT], 2001), le rapport mondial de Human Rights Watch (Roth, 2020) explique en détail que l’utilisation de la coupure comme stratégie de réglementation et de gouvernance est à la fois inefficace et contre-productive.

Jusqu’en 2017, l’Inde ne disposait pas d’une loi formelle pour mettre en œuvre les coupures d’Internet, et le pouvoir de le faire revenait aux magistrats de district en vertu de l’article 144 du code de procédure pénale (code de procédure pénale, 1973). Le magistrat de district est généralement un fonctionnaire nommé par le gouvernement et est responsable de l’administration générale et de l’ordre public dans le district. En 2017, de nouvelles réglementations régissant les coupures d’Internet ont été introduites au moyen de modifications à la loi indienne sur le télégraphe de 1885. Cette réglementation, connue sous le nom de « Temporary Suspension of Telecom Services (Public Emergency or Public Safety) rules », stipule que le pouvoir d’ordonner des coupures d’Internet est désormais exclusivement dévolu au secrétaire de l’intérieur du gouvernement de l’Union ou de l’État. Les coupures peuvent être autorisées lorsqu’elles sont jugées « nécessaires » ou « inévitables » en cas d’« urgence publique » ou dans l’« intérêt de la sécurité publique » (ministère des Communications, 2017).

En théorie, la réglementation suggère une amélioration de la difficulté et de la transparence du processus, puisque l’autorité responsable des coupures d’Internet est maintenant passée à un fonctionnaire de plus haut rang, ce qui est considéré comme positif. Toutefois, la mise en œuvre pratique est différente. La non-adhérence à cette réglementation est très répandue, les magistrats de district persistant à émettre des ordres de coupure d’Internet, comme c’était le cas en vertu de l’article 144. Le non-respect de ces règles a été constaté dans plusieurs États, comme au New Delhi, où les ordonnances de coupure d’Internet lors des manifestations contre la loi sur la citoyenneté (CAA) en décembre 2019 ont été émises par le commissaire de police adjoint – qui n’est pas un secrétaire de l’Intérieur. De même, au Rajasthan, au Bengale-Occidental et en Uttar Pradesh, les ordonnances de coupure ont été émises par des magistrats de district, ce qui n’est pas autorisé par la loi sur la suspension temporaire des services de télécommunications (urgence publique ou sécurité publique). Cela indique une violation de la loi (Sarkar, 2023).

En outre, la Cour suprême de l’Inde, dans l’affaire Anuradha Bhasin c. Union of India (2020) 3 SCC 637, a affirmé que le droit à la liberté de parole et d’expression ainsi que le droit d’exercer sa profession garanti par l’article 19 de la Constitution de l’Inde englobent le support d’Internet (Cour suprême de l’Inde, 2020). Les coupures d’Internet, qui sont des mesures exécutives restreignant l’utilisation d’Internet, nuisent évidemment à la capacité des citoyens à accéder à l’Internet, ce qui a des conséquences sur leurs droits aux ressources éducatives, à la conduite des échanges et du commerce et à la prestation de soins de santé, entre autres droits.

Le contrôle exercé par le gouvernement sur les infrastructures de communication s’est poursuivi au-delà de la loi de 2017 et, récemment, le ministère des Télécommunications a réorganisé l’ensemble de la loi indienne sur les télécommunications de 1885. Le projet de loi sur les télécommunications de 2023, dévoilé le 18 décembre 2023, maintient les pouvoirs étendus de surveillance et de suspension d’Internet dévolus au gouvernement d’unité nationale. L’alinéa 20(2)b) de la loi habilite le gouvernement central, les gouvernements des États ou les fonctionnaires autorisés à suspendre les services de télécommunication ou des catégories de services dans l’intérêt de la sécurité publique ou de la souveraineté (ministère du Droit et de la Justice, 2023). Cette disposition permet au gouvernement de prendre les mesures nécessaires en cas d’urgence ou dans l’intérêt de la sécurité publique. Notamment, la loi ne prévoit pas de garanties explicites pour ce pouvoir, et il est prévu que des lignes directrices soient introduites au moyen d’une réglementation. Cette disposition confère au gouvernement des motifs et une autorité étendus pour ordonner la suspension de tout service de télécommunication ou de toute catégorie de services transmis ou reçus par un service ou un réseau de télécommunication, sans contrôle ni contrepoids substantiel. L’absence de directives claires sur l’exercice de ce pouvoir étendu soulève des inquiétudes quant au risque d’arbitraire ou d’abus par la suspension réactive des services de télécommunications.

Même d’un point de vue économique, les pannes d’Internet ont eu des conséquences défavorables pour l’Inde. Des recherches ont indiqué que les 16 315 heures d’interruption d’Internet en Inde entre 2012 et 2017 ont occasionné une perte économique estimée à environ 3,04 milliards de dollars (Kathuria et al., 2018). Il est donc essentiel d’examiner pourquoi une méthode autoritaire, historiquement associée au contrôle de l’information en temps de guerre, est mise en œuvre dans une nation démocratique comme l’Inde pour ses propres citoyens. Cette étude procédera à un examen approfondi des modifications législatives et des modifications apportées aux lois existantes, apparemment au nom de la sécurité nationale et de l’ordre public, dans le but prétendu de lutter contre la désinformation.

Orientations futures :

Entretiens avec des militants des droits numériques et des habitants du Cachemire, du Manipur et de l’Haryana, et analyse textuelle critique de documents de consultation, d’articles de presse et de documents gouvernementaux relatifs aux coupures d’Internet.

Lors d’une conversation le 6 novembre 2023 avec Apar Gupta, le directeur de la Fondation pour la liberté d’Internet, des informations importantes ont été recueillies sur les changements juridiques mis en œuvre par le gouvernement pour institutionnaliser l’infrastructure de communication. M. Gupta a fait la lumière sur l’interdiction des réseaux privés virtuels en Inde, une mesure importante pour les utilisateurs d’Internet. La conversation a fourni des informations précieuses sur l’évolution du paysage de la gouvernance d’Internet en Inde, en réfléchissant à l’intersection des changements juridiques, des mesures technologiques et des très importantes politiques gouvernementales qui façonnent l’infrastructure de communication et se répercutent sur les droits numériques des citoyens.

Au fur et à mesure de l’avancement de cette étude, M. Gupta a accepté de participer à de futurs entretiens en vue d’une discussion plus approfondie sur ce sujet. En outre, il a recommandé de communiquer avec les législateurs et les parlementaires indiens qui ont participé activement à la rédaction et au conseil sur le projet de loi en matière de télécommunications, 2023, et d’autres législations liées aux télécommunications, afin d’acquérir une compréhension plus approfondie.

À partir de juillet 2024, cette étude comprendra également des entretiens détaillés avec des résidents du Cachemire, du Manipur et de l’Haryana ayant un profil démographique diversifié, c’est-à-dire le sexe, l’âge, le milieu socioéconomique et le niveau d’éducation, et recrutera 10 participants dans chaque État. Ces entretiens semi-structurés avec les participants porteront sur leur expérience de la coupure d’Internet, les sources à partir desquelles ils consomment des informations et leur expérience de la désinformation. Les discussions porteront sur la manière dont les gens accèdent à l’information, les difficultés rencontrées pour obtenir des nouvelles et des mises à jour fiables, les cas d’informations fausses ou trompeuses et le recours à des canaux de communication de rechange pendant les coupures.

Conclusion

En conclusion, l’étude explore la tendance inquiétante des gouvernements à utiliser les coupures d’Internet comme moyen de contrôle en Inde. Elle vise à comprendre la relation entre la désinformation et ces coupures à travers le cadre de l’économie politique. L’importance des réseaux de communication, en particulier d’Internet, dans la formation de notre compréhension collective du monde est soulignée tout au long de cette étude. L’interruption de ces réseaux de communication, telle qu’observée dans les cas de coupures d’Internet, ne pose pas seulement des problèmes économiques, mais soulève également des questions fondamentales sur la liberté d’expression et l’accès à l’information. En situant les coupures d’Internet dans les contextes historique, juridique et politique, l’étude fournit un cadre complet pour comprendre les motivations, les implications et les conséquences de ces actions et de l’institutionnalisation de ces mesures en tant que forme de gouvernance. Les cas du Cachemire, du Manipur et de l’Haryana en Inde servent d’exemples précis pour une analyse nuancée.

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