Canada créatif : Regard critique sur un « nouveau » cadre de politique culturelle

Auteur : Mariane Bourcheix-Laporte

Université d’attache : School of Communication, Simon Fraser University

Niveau d’études : Étudiante au doctorat

En septembre 2017, le ministère du Patrimoine canadien a lancé Canada créatif, un nouveau cadre stratégique qui positionne les industries créatives au centre de l’identité culturelle et de l’économie du Canada. À l’issue des consultations #verslenumerique en 2016-2017 (Le contenu canadien dans un monde numérique), qui sondait les Canadiens sur l’avenir des industries culturelles et créatives dans un contexte de perturbations numériquesNote de bas de page 1, Le cadre stratégique du Canada créatif (le « Cadre ») sert de feuille de route préliminaire pour réviser la trousse d’outils se rapportant à la politique culturelle fédérale en tenant compte des lacunes stratégiques apparues dans le virage vers les technologies de l’information et de la communication et de son mandat explicite d’ancrer le secteur créatif au cœur de l’économie de l’immatériel du Canada. Dans une vidéo d’introduction présentée sur la page Web de la publication Canada créatif du gouvernement fédéral-et, soulignons-le, en passant par YouTubeNote de bas de page 2-l’honorable Mélanie JolyNote de bas de page 3 présente la publication Canada créatif comme un examen de la politique culturelle nationale qui promet de remanier les façons dont la culture façonne l’identité canadienne et contribue au PIB du pays :

Au cours des 18 derniers mois, nous avons mené une conversation pancanadienne, sans précédent, sur un enjeu qui touche presque tous les pays du monde... L’avenir de nos industries créatives dans un monde numérique. Pourquoi avoir lancé ce projet? […] Parce que les Canadiens comprennent l’importance de la diversité des voix, tant ici qu’à l’étranger. Et parce que les Canadiens aiment profondément leur culture. Notre culture est à l’image d’où nous venons, de nos histoires et de nos identités. Bref, de qui nous sommesNote de bas de page 4.

Comme le laisse entendre ce qui précède, Canada créatif reprend en substance le discours identitaire qui a servi d’assise politique pour justifier le financement étatique et la réglementation des industries culturelles au Canada depuis le milieu du vingtième siècle. En effet, tel qu’il sera détaillé ci-dessous, le Cadre témoigne en quelque sorte d’une continuité dans le recours au discours procanadien pour donner forme aux nouvelles initiatives chapeautées par Canada créatif. Toutefois, comme nous le verrons plus loin, ce nouveau cadre cristallise le virage néolibéral qui caractérise la politique culturelle canadienne depuis les années 1980. À ce titre, le Cadre atteste le changement idéologique dans la valorisation de la culture : il met l’accent sur le potentiel de la culture de stimuler la croissance économique par l’exploitation des possibilités prometteuses des économies numériques et créatives. Les répercussions de ce changement sont importantes pour les activités culturelles non commercialement viables qui historiquement apparaissent sous l’égide de politiques protectionnistes et qui sont intégrées aux industries créatives dans le contexte de Canada créatif. Prenant en considération les effets à grande échelle de la publication Le cadre stratégique du Canada créatif et des portes qu’il a ouvertes pour la recherche dans le domaine des études sur la politique culturelle canadienne, le présent document vise à retracer les développements historiques du Cadre par une analyse de l’émergence parallèle de l’idéologie néolibérale et du discours des industries créatives. Il offre de plus une analyse critique du Cadre qui tient compte des études contemporaines des communications et des médias qui se penchent sur la culture numérique actuelle. Ce faisant, le présent document enrichit la gamme actuelle des études qui documentent la néolibéralisation progressive de la politique culturelle canadienne en envisageant les conséquences de ce changement à la lumière du lien que trace le Cadre entre la créativité et la culture numérique.

Le cadre stratégique du Canada créatif

Le cadre stratégique du Canada créatif positionne les industries créatives au centre de l’économie créative du Canada et les relie à l’avenir économique du paysNote de bas de page 5. La première phrase du document de 38 pages à la facture visuelle recherchée annonce la couleur et laisse peu de place au doute quant aux intentions qui sous-tendent le Cadre : « Canada créatif traduit notre nouvelle vision des industries créatives et l’approche que nous comptons adopter pour stimuler la croissance économique de ce secteurNote de bas de page 6. » Plutôt que de présenter une série de nouvelles règles et politiques, Canada créatif énonce les principes et éléments clés de la réponse du gouvernement fédéral à l’univers numérique perturbé dans lequel évoluent les industries culturelles et créatives canadiennes. À l’instar d’un plan stratégique, le Cadre propose une série de mesures à entreprendre au cours des années à venir en fonction d’hypothèses sur l’actuelle situation numérique, la valeur de la culture et la fondation de l’identité canadienne :

Canada créatif balise la voie que le gouvernement fédéral doit suivre pour disposer d’outils stratégiques susceptibles d’appuyer nos industries créatives. Ce cadre nous servira donc à consolider les outils stratégiques dont nous disposons déjà pour le secteur de la culture, à orienter notre action pour renouveler les outils qui doivent l’être et à adopter de nouvelles initiatives qui aideront les créateurs et les industries créatives du Canada à se tailler une place sur un marché numérique mondialNote de bas de page 7.

Concrètement, le Cadre repose sur trois piliers (1. Investir dans les créateurs et les entrepreneurs culturels canadiens et leurs récits; 2. Promouvoir la découverte et la distribution à l’échelle nationale et internationale; 3. Renforcer la diffusion publique et soutenir l’information locale)Note de bas de page 8 qui soutiennent une vision de la culture définie de manière générale comme un moteur de croissance économique. Dans cette approche, on définit de façon aussi générale le terme « créateur » en présentant celui-ci comme la filière pour l’exploitation des marchés numériques, au pays comme à l’étranger : « Le talent, les habiletés et l’imagination de nos créateurs et entrepreneurs culturels sont la matière première de nos industries créativesNote de bas de page 9. » Le choix des termes « industries créatives » et « créateurs » plutôt que « industries culturelles » et « artistes » n’est pas anodin, car comme l’affirme Ira Wells, [traduction] « le problème avec Canada créatif n’est pas qu’on y consacre de l’argent aux artistes. C’est que le Cadre traite ces artistes en entrepreneurs du secteur de la technologieNote de bas de page 10. » Dans les faits, on peut dire que ce changement dans le discours est révélateur d’un vaste projet socioéconomique qui donne un nouveau sens à la culture en faisant de la créativité un pilier de l’économie de l’immatériel. Dans ce contexte, on pourrait se demander si le Cadre ne représente pas que de belles paroles lancées aux « créateurs » du Canada dans le but de servir les intérêts du projet idéologique de la « nouvelle économie ».

La redéfinition de la culture, sous les aspects multiples de la créativité, peut être interprétée comme symptomatique et participatif d’une réorganisation néolibérale du social, accompagné d’effets interreliés sur la conception du travail de l’artiste et du rôle que celui-ci joue dans cette réorganisationNote de bas de page 11. À cet égard, suivant les idées de Michel Foucault, Aras Ozgun avance que [traduction] « le néolibéralisme, en tant que composante idéologique du post-fordisme, ne se résume pas qu’à une formule économique corrompue, mais une forme avancée de gouvernementalité qui renégocie le domaine social à coup d’interventions biopolitiquesNote de bas de page 12. » Si l’on prend en compte que le travail artistique a, par le passé, été caractérisé par précarité et que dans la « nouvelle économie » les artistes ont été considérés comme des travailleurs du post-fordisme par excellence, la normalisation de la précarité en tant que caractéristique de la participation à l’économie créative a des répercussions biopolitiques importantesNote de bas de page 13 que Canada créatif est ancré comme faisant partie du discours gouvernemental officiel.

Perturbation post-numérique

Le Cadre se positionne sans équivoque en tant que réponse à la perturbation créée par le tournant numérique dans les technologies de l’information et de la communication qui a changé la façon dont les Canadiens conçoivent, consomment et distribuent leurs biens culturels. L’Internet à large bande, les médias sociaux, la technologie accessible pour les prosommateurs et les modes de vie numériques « 24/7 » ont nécessairement modifié les règles du jeu de la trousse d’outils se rapportant à la politique culturelle fédérale ainsi que l’efficacité des stratégies de gouvernances bien délimitées. Dans le document-cadre des consultations Le contenu canadien dans un monde numérique le ministère du Patrimoine canadien indique que les temps ont changé et que les outils utilisés par le gouvernement pour soutenir les créateurs et les entrepreneurs culturels du Canada doivent s’adapter aux habitudes de consommation et aux changements numériquesNote de bas de page 14. Bien entendu, certains ne seraient pas d’accord concernant le fait que la trousse d’outils se rapportant à la politique culturelle fédérale a besoin d’être mise à jour pour pouvoir aborder les réalités de la culture numérique contemporaine. Dans la version préliminaire d’une publication à venir, Charles H. Davis et Emilia Zboralska indiquent la nécessité de revoir les instruments de la politique nationale, précisément en ce qui a trait à la radiodiffusion afin de réagir à la restructuration exercée sur les industries culturelles par la domination totale d’un petit groupe d’entreprises capitalistes et l’avènement du public comme producteur :

La diffusion du contenu en ligne croît à une vitesse fulgurante, la consommation audiovisuelle s’éloigne de la radiodiffusion traditionnelle et les entreprises étrangères qui exploitent des plateformes numériques sont devenues les nouveaux gardiens de l’espace de diffusion de contenu. Il est donc devenu urgent de revoir les objectifs et les instruments culturels nationaux nécessaires à leur réalisation dans le cadre du virage vers le numériqueNote de bas de page 15.

Les modifications au paysage des médias numériques ont préoccupé les décideurs canadiens depuis un bon moment et étant donné l’ampleur avec laquelle les qualités essentielles de la culture numérique ont modifié la vie sociale, il n’est pas surprenant que le ministère du Patrimoine canadien ait lancé un examen de ses politiques. En 2011, dans un rapport intitulé Médias numériques et émergents : les possibilités et défis, le Comité permanent du patrimoine canadien a indiqué que la mesure des changements découlant des technologies numériques dans le paysage des industries culturelles et leurs répercussions en ce qui concerne les autres défis, la préservation du patrimoine numérique par rapport à la surabondance d’information, la convergence des médias sur Internet, l’augmentation de l’importance des médias interactifs et l’urgence en matière de réforme du droit d’auteurNote de bas de page 16. Ce rapport préfigurait de plusieurs façons le Cadre et a ouvert la voie à la nécessité de réviser la trousse d’outils se rapportant à la politique culturelle fédérale. À ce sujet, il ne suffit donc pas de mettre l’accent sur la 19e recommandation du rapport qui « encourage le gouvernement du Canada à se doter aussi vite que possible d’une stratégie nationale sur l’économie numérique. »Note de bas de page 17 En ce sens, le Cadre peut être qualifié de « post-numérique » dans la mesure où l’adjectif, affirme Florian Cramer « renvoie à un état dans lequel la perturbation provoquée par les médias numériques s’est déjà produite »Note de bas de page 18. Dans le Cadre, il n’y a aucun doute que la culture numérique soit une forme dominante de la culture et un moteur économique. La question est de savoir comment le Canada peut obtenir une plus grande part du marché à l’échelle internationaleNote de bas de page 19 que représente la culture numérique. Dans ce contexte, la créativité agit comme un outil qui peut contribuer à la participation des Canadiens à la culture numérique et qui, par conséquent, leur permet de profiter des promesses de cette culture numérique- qui sont, dans le cas présent, la vitalité économique, la démocratie renforcée, un accès à la citoyenneté numérique mondiale et une identité canadienne renouvelée.

L’élaboration du Cadre en soi illustre bien le respect de la philosophie de la condition de participation actuelle, ce que Darin Barney et autres ont revendiqué comme étant un élément déterminant de la contemporanéité où la participation est devenue une [traduction] « caractéristique contextuelle de la vie de tous les jours dans les sociétés libérales, capitalistes et technologiques de l’occident contemporainNote de bas de page 20. » Comme il a été mentionné précédemment, le Cadre est issu des consultations #verslenumerique; il précise qu’elles ont été « menées par le ministère du Patrimoine, [et sont] les plus vastes et les plus transparentes qu’il n’ait jamais réaliséesNote de bas de page 21. » Le document précise que des « milliers de Canadiens ont participé à cet exercice, que ce soit en ligne, dans les médias sociaux, lors de tables rondes d’experts ou de rencontres organisées partout au pays. Des centaines de personnes ont soumis des propositions de politiques qui ont éclairé la réflexion autour de Canada créatifNote de bas de page 22. » Les efforts généralisés du gouvernement pour inclure le public canadien dans la révision de sa politique culturelle nationale sont peut-être louables dans la mesure où l’idée que « [notre] culture est le reflet de ce que nous sommes. C’est aussi un moyen puissant de partager nos identités et nos valeurs les uns avec les autresNote de bas de page 23. ». Cette idée sert de fil conducteur le long du Cadre et du document Le contenu canadien dans un monde numérique. Cette vision de la culture canadienne concorde avec le concept de culture au sens anthropologique ou de « tout le mode de vie », que Zoë Druick analyse comme étant « toutes les entreprises qui produisent des symboles, du texte et du sens, dont plusieurs forment maintenant les piliers d’une économie numérique reposant sur l’information, le savoir et la créationNote de bas de page 24. » Si la culture est universelle, et récupérable- en vertu du capitalisme- (numérique), la consultation démocratique de la population qui applique la culture dans son mode de vie semble aller de soi. En fait, omettre de consulter la population qui façonne la culture qui sera touchée par le nouveau cadre de politique culturelle du Canada, voilà qui aurait pu être jugé comme un déplorable faux pas, surtout si l’on tient compte de la facilité avec laquelle on peut consulter la population en cette ère de sondages Twitter, Survey Monkey et Facebook. Néanmoins, après enquête, les consultations #verslenumerique semblent correspondre à ce que Mark Andrejevic a appelé [traduction] « la pacification de l’interactivité » ou « les façons dont la participation est dédoublée sous une forme interactive lorsqu’elle génère des renseignements sur elle-même qui peuvent être interprétés comme de la rétroaction, mais non comme de la collaborationNote de bas de page 25. » En comparant le processus de consultation de Canada créatif à l’élaboration du Plan culturel numérique du gouvernement du Québec, mis au point et lancé avant le début des consultations #verslenumerique, Jonathan Roberge et al. remarquent un manque de rigueur scientifique dans le cas du premier :

[Traduction] « l’élaboration de politiques fondée sur les faits vérifiés ou les données probantes [...] est un moyen éprouvé de renforcer la base sur laquelle décider de la meilleure voie à suivre. Mais le ministère de madame Joly semble avoir choisi d’éviter cette avenue chronophageNote de bas de page 26. » En les comparant ensuite à la démarche approfondie que la Commission royale d’enquête sur l’avancement des arts, des lettres et des sciences au Canada, 1949-1951 a suivi,Note de bas de page 27 les consultations #verslenumerique semblent avoir servi un but interactif plutôt qu’itératif dans l’élaboration de la publication Le cadre stratégique du Canada créatif, assumant leur rôle de [traduction] « meilleurs outils pour justifier les politiquesNote de bas de page 28 ».

Tout ce qui brille n’est pas nouveau

Dans la version française de Le cadre stratégique du Canada créatif, les mots « nouveau(x) » et « nouvelle(s) » apparaissent 92 fois sur 30 des 38 pages du documentNote de bas de page 29. Le mot « numérique » apparaît quant à lui sur 25 pages et totalise 95 apparitions dans l’ensemble du document. Pour le mot « innovation » et ses dérivésNote de bas de page 30, on compte 39 occurrences réparties sur presque la moitié des pages du document. Outre le fait qu’il donne à penser que le ministère du Patrimoine canadien gagnerait à se servir d’un thésaurus, ce rapide survol de certains des mots-clés du Cadre fait ressortir un effort délibéré d’insérer Canada créatif dans un cadre qui souscrit à la « nouveauté ». Dans le Cadre, la notion abstraite du « numérique » joue les substituts à celle du « nouveau » et est dépeinte comme imprégnée d’un potentiel économique et culturel débridé. L’adhésion biaisée du Cadre aux idéaux de la culture numérique, qui appelle à l’exploitation de son potentiel en participant activement à l’économie créative, est évidente dans le passage qui suit :

Aujourd’hui, le Canada jouit d’un potentiel immense : nos industries créatives peuvent être une force vive de notre croissance économique et de notre identité en tant que pays. Pour ce faire, nous devons agir de façon aussi délibérée que par le passé pour que nos politiques demeurent pertinentes dans un monde de plus en plus interconnecté, de plus en plus numériqueNote de bas de page 31.

Toutefois, les études sur les communications et les médias documentent largement l’« échec » de la culture numérique à soutenir les idéaux utopiques d’une démocratie non hiérarchisée, directe et auto-organisée pour laquelle la participation par l’intermédiaire de la technologie a remplacé la fin et les moyens. Un exemple et non le moindre se trouve dans la nature paradoxale du concept de nouveaux médias qui, selon Wendy Hui Kyong Chun, touche à la redondance intégrée, car « dire d’une chose qu’elle est nouvelle, c’est garantir qu’un jour elle sera vieille, c’est la placer dans un cycle d’obsolescence dans lequel elle en viendra inévitablement à susciter la déception et se fera remplacer par autre chose qui promettra, encore une fois, la nouveautéNote de bas de page 32. » Suivant cette logique, la nouveauté autoproclamée du Le cadre stratégique du Canada créatif pourrait être perçue comme étant contreproductive et autoprophète autant que peut l’être un cadre stratégique en perpétuel état de devenir obsolète. Concrètement, Chun nous rappelle que « les attentes combinées à la déception entendue alimentent l’éphémère des nouveaux médias et leur enduranceNote de bas de page 33 » [traduction] et décourage davantage l’utilisation de l’épithète « nouveau », comme elle le souligne :

Dire de X qu’il est « nouveau », c’est le placer dans une catégorie, c’est le décrire et le déterminer, et tout à la fois c’est insister pour dire de lui qu’il est formidable, unique, sans égal et inouï. La plupart du temps, pareille insistance oblitère le passé de X (comme exemple typique, pensons à la « découverte » du « nouveau monde »)Note de bas de page 34.

Le Cadre affirme qu’il prend appui sur les fondements établis par l’évolution des politiques des dernières décennies, mais il rejette celles-ci du même souffle en les identifiant « au passé » et en s’associant « à l’avenir ». Ce discours amoindrit le développement graduel de l’évolution des politiques et du contexte qui a façonné l’environnement dans lequel la production culturelle se trouve aujourd’hui. Le présent document porte sur les façons dont le Cadre solidifie le processus par lequel la politique culturelle canadienne a effectué, au cours des dernières décennies, un virage néolibéral. La chose est particulièrement évidente dans le changement de discours qui établit la culture comme élément constitutif des industries créatives, elles-mêmes perçues comme éléments constitutifs de l’économie créative. Une investigation portant sur l’apparition de ce changement nous permet de questionner la validité de présenter le Canada créatif comme une approche « nouvelle » et « innovante » en matière de politique culturelle. Au contraire, Canada créatif pourrait être décrit comme le plus récent développement dans un continuum de mesures et de discours liés à la politique culturelle qui ont progressivement placé la culture au sien de l’économie, plutôt qu’in abstracto par rapport à elle.

Néolibéralisation de la politique culturelle canadienne

Il convient de noter qu’en dépit du fait que le lancement de Canada créatif ait eu lieu à la fin de 2017, peu d’analyses érudites de ses répercussions ont été réalisées à ce jour. La raison tient probablement au fait que nombre des réformes de politiques de Canada créatif en sont aux premières étapes de leur élaboration ou n’ont pas encore été mises en œuvre. De plus, comme Davis et Zboralska le présentent, la réception critique du Cadre dans son ensemble a cédé quelque peu au tollé suscité par le renforcement des responsabilités asymétriques que le Cadre impose aux distributeurs de contenu numérique nationaux et internationaux :

La controverse entourant la fameuse « taxe Netflix » a jeté de l’ombre sur la réponse du public à l’égard du Cadre et attiré l’attention sur l’une des pierres d’achoppement de la politique culturelle canadienne : la scission de l’écosystème médiatique du pays en une sphère traditionnelle réglementée et une sphère numérique non réglementéeNote de bas de page 35.

Cette controverse a, dans les faits, monopolisé le plus gros de la couverture des médias de masse pour l’annonce du Cadre et a notamment soulevé des inquiétudes sur l’expansion de la souveraineté linguistique et culturelle francophone dans la sphère numérique. Par conséquent, le Québec a répliqué en annonçant son intention d’imposer une taxe de vente sur les produits des distributeurs numériques étrangersNote de bas de page 36.

Il y aurait beaucoup à écrire sur les répercussions des asymétries entre radiodiffusion traditionnelle et distribution numérique, qui ont été amplifiées plutôt qu’amoindries par le Cadre. Aux fins du présent document toutefois, nous résumerons en disant que le refus par le gouvernement fédéral de réglementer la sphère de l’information numérique et la réception du public qui s’ensuivit témoignent de l’interconnexion entre les deux. D’un côté, la menace potentielle posée aux producteurs et distributeurs de contenu canadien numérique par les sociétés internationales à l’emprise presque monopolistique sur la distribution de contenu en ligne fait ressortir le besoin de mettre à jour le cadre national de politique culturelle, qui est sans contredit mal équipé pour faire face à la désormais omniprésente le capitalisme de plateforme, dont l’émergence constitue un événement marquant du virage numérique des technologies de l’information et de la communicationNote de bas de page 37. De l’autre côté, l’approche adoptée par le gouvernement fédéral pour réviser la trousse d’outils se rapportant à la politique culturelle fédérale, telle qu’elle est décrite dans le Cadre, atteste dans une certaine mesure d’un esprit néolibéral, révélant une approche de libre marché de la culture. L’idéologie de laissez-faire est étayée, selon le Cadre, par le positionnement des plateformes, notamment Netflix et Facebook, comme des « nouveaux intervenants et partenaires » qui « soutiennent la croissance de nos industries créatives au moyen d’investissements dans la production et la distribution »Note de bas de page 38 et jouent un rôle en matière de « promotion d’une citoyenneté numérique éclairée »Note de bas de page 39. On peut défendre que cette position démontre une allégeance à la définition du néolibéralisme par David Harvey [traduction] : « une théorie de pratiques économiques politiques qui propose que la meilleure façon de parvenir à un bien-être humain serait de passer par la libération des libertés et des compétences d’entreprendre à l’intérieur d’un cadre institutionnel caractérisé par de solides droits de propriété privée, un libre marché puissant et un libre échange fort »Note de bas de page 40. Dans ce contexte, M. Harvey souligne que le rôle de l’État est de créer et de conserver un cadre institutionnel pertinent adapté à ces types de pratiques et que les interventions de l’État dans les marchés (lorsqu’ils sont créés) doivent être réduites au strict nécessaireNote de bas de page 41. Il semble que l’approche adoptée par le gouvernement fédéral à l’égard du contenu canadien d’entreprise en ligne gratuit et de l’accent mis sur le potentiel commercial de ce contenu, c’est-à-dire ne pas « tenter de réglementer le contenu sur Internet, mais bien de se concentrer sur la meilleure façon d’appuyer les créateurs et entrepreneurs culturels du Canada pour qu’ils créent du contenu qui se démarque et affrontent avec succès la concurrence à l’échelle mondialeNote de bas de page 42 », est en harmonie avec la définition du néolibéralisme de M. Harvey. Bien sûr, il serait injustifié de qualifier Canada créatif, dans son intégralité, comme une initiative néolibérale prise sur le seul fondement de la décision controversée de ne pas égaliser les règles de la distribution du contenu numérique en soumettant les entreprises internationales aux mêmes restrictions que celles auxquelles doivent faire face leurs homologues nationaux. En fait, la publication Canada créatif présente de nombreuses mesures d’interventions – à savoir d’importantes subventions versées au secteur culturel – ce qui complique la lecture du Cadre comme étant strictement aligné sur le capitalisme de libre marché. Voilà qui souligne efficacement le fait que le contexte canadien, vis-à-vis des industries culturelles, ne fait pas partie de l’idéologie complète de laissez-faire économique et politique. Néanmoins, le Cadre témoigne de l’influence de l’idéologie néolibérale sur la politique culturelle canadienne.

Dans un article récent sur le rôle de la main-d’œuvre artistique dans la « nouvelle économie », Marc-James Léger souligne la tendance néolibérale mondiale dans la politique culturelle contemporaine, ce qui atteste un changement des approches protectionnistes à des approches axées sur le marché à l’égard de la culture [traduction] :

« Après la Grande Dépression et la Seconde Guerre mondiale, les gouvernements occidentaux ont commencé à intégrer les arts dans l’État providence et à élaborer des politiques culturelles en s’appuyant sur la conviction que la culture ne devait pas faire les frais des principes du libre marché. Depuis les années 1990, [...] l’idée de protéger la culture contre les forces du marché a été pratiquement anéantie, avec les politiques des industries créatives qui ouvrent désormais la voie au développement de nouveaux marchés »Note de bas de page 43.

L’analyse de M. Léger fournit un récit d’ensemble qui situe la culture comme faisant partie du changement qui s’est produit, dans le Nord global, pour passer de la théorie keynésienne au néolibéralisme. Ce récit est cohérent avec celui d’autres personnes qui ont fait le suivi des changements dans la conception de la culture, en ce qui concerne ses contributions à la vie sociale et à l’économie, avec un changement de discours pour passer des industries culturelles à des industries créativesNote de bas de page 44. Susan Galloway et Stewart Dunlop ont soutenu que ce changement coïncide avec un processus parallèle dans le cadre duquel la culture n’est plus perçue comme étant élitiste et exclusive et la créativité est considérée comme étant démocratique et inclusiveNote de bas de page 45. Vue sous cet angle, dans le Cadre, l’utilisation délibérée du terme « industries créatives » au lieu d’industries culturelles est remarquable du fait qu’il ancre le cadre politique dans un esprit idéologique particulier qui dissimule les qualités – intrinsèques du rendement et symboliques – en matière de cultureNote de bas de page 46. En effet, le Cadre précise :

Notre vision d’un Canada créatif est fondée sur cette définition élargie. Son point de départ est le patrimoine, les arts et les industries culturelles – livres, magazines, journaux, créations audiovisuelles (cinéma et télévision) et musique. Dans notre vision, nous utilisons délibérément le terme « industries créatives » pour désigner un large éventail d’industries qui contribuent au secteur de la création : design, mode, architecture, jeux vidéo, médias numériques, récits multiplateformes (transmédia). L’objectif est de reconnaître leur rôle en tant qu’employeurs et producteurs dans l’économie créativeNote de bas de page 47.

Ainsi qu’il a été démontré ci-dessus, et conformément à l’évaluation susmentionnée de Mme Galloway et de M. Dunlop, la valorisation culturelle sur le plan économique, dans le Cadre, finit par être associée à une définition élargie des activités de production de la culture.

Dans sa publication Continuity and Change in the Discourse of Canada’s Cultural Industries, Zoë Druick demande aux chercheurs d’étudier les définitions changeantes des termes clés inclus dans le concept des industries culturelles et comment elles ont pris forme au fil du temps en lien avec les nombreuses difficultés discursives et économiques entourant les notions épurées du sens commun de la nature et de la valeur de la créativitéNote de bas de page 48. Dans les faits, le développement même du dialogue sur les industries créatives – qui, après la mise en place de Canada Créatif, a officiellement été remplacé celui des industries culturelles au Canada – démontre un changement dans la valorisation de la culture. Dans son analyse de l’arrivée du dialogue sur les industries créatives au Royaume-Uni, Terry Flew suppose [traduction] : les politiques des industries créatives diffèrent grandement de la politique culturelle traditionnelle du fait de leur plus grande attention prêtée sur la création d’une richesse économique et l’importance accordée aux entrepreneurs créatifs et au secteur privé et non à une culture financée par les fonds publicsNote de bas de page 49. La créativité, une qualité indispensable au travailleur immatériel du post-fordismeNote de bas de page 50, trouve un allié naturel dans le dialogue sur les industries créatives qui perd le concept de la culture alors qu’il passe d’une définition avec fondement anthropologique à une définition à connotation économiqueNote de bas de page 51. En effet, comme l’ont soutenu Mme Galloway et M. Dunlop, confondre la culture avec d’autres activités créatives échoue à reconnaître l’élément distinctif de la culture symboliqueNote de bas de page 52 en plus de rabaisser la culture tout simplement à un bien de plus pour l’économie du savoirNote de bas de page 53.

Comme son nom l’indique, le concept de la créativité est à l’avant-plan dans Canada créatif. La même déclaration peut être faite pour d’autres politiques des industries créatives qui ont été adoptées depuis que le terme est né sous le gouvernement travailliste britannique à la fin des années 1990 et qu’il a ensuite été exportéNote de bas de page 54. Comparativement à ses homologues dans le Nord global, le Canada semble avoir pris du retard dans la promotion d’une vision unifiée d’une politique des industries créatives. Dans l’article Fuse Magazine publié en 2008, Kirsty Robertson souligne l’hésitation du Canada à mentionner le terme « industries créatives » dans ses politiques culturelles, même si le potentiel économique de la culture est reconnu et adopté depuis longtemps. Mme Robertson a associé la cause fondamentale de cette hésitation à une association interne de la culture comme un élément essentiel de l’identité canadienne que le gouvernement, par l’intermédiaire de ses politiques, doit protéger. Elle a avancé que cette opinion entre en conflit avec l’approche axée sur le marché à l’égard de la culture, qui est caractéristique d’un esprit préconisant les « industries créatives ».

Privatiser la culture crée un fossé directement dans la culture financée par l’État qui est souvent qualifiée comme distinguant le Canada des États-Unis et donnant au Canada une identité dans la sphère mondiale. Il ne faudrait pas croire pour autant que la culture et la nationalité ne sont pas de plus en plus privatisées au Canada. Plutôt, là où la technologie de l’information et la propriété intellectuelle correspondent aux notions d’une culture nationale protégée, le dialogue sur les industries créatives est abandonné.Note de bas de page 55

Dix ans après la publication de cet article, Canada créatif a marqué un changement dans le dialogue sur la politique culturelle canadienne; le dialogue progresse à grands pas vers les industries créatives. Cela dit, si nous estimons que le concept des industries créatives tente de tracer un bouleversement historique depuis les arts publics subventionnés et les médias de l’ère de la radiodiffusion vers de nouvelles applications plus élargies de la créativitéNote de bas de page 56, nous pouvons suivre la voie des développements d’un dialogue sur les industries créatives au Canada par l’intermédiaire de traces laissées derrière par l’influence de l’idéologie néolibérale sur la politique culturelleNote de bas de page 57.

Mme Druick trace le développement de la politique culturelle néolibérale canadienne et remonte jusqu’au milieu des années 1980 alors que le ministère des Communications, sous le gouvernement Mulroney, a entrepris un examen complet de son mandat et a accueilli favorablement le principe de la libre circulation de l’information, ce qui a mené à l’élaboration de lois parlementaires ayant comme objectif de regrouper l’infrastructure des télécommunications et les industries culturelles avec une série de changements vers les stratégies axées sur le marché à l’intention du secteur culturel, ouvrant la voie à des possibilités d’accords de libre-échange qui ont suiviNote de bas de page 58. En discutant des changements susmentionnés adoptés par le ministère des Communications, Mme Druik précise [traduction] : « [...] cette orientation néolibérale proposait de faire sombrer la politique culturelle dans le développement des industries culturelles en soi. Cette orientation a marqué un changement de l’ancienne approche des industries et institutions culturelles canadiennes comme étant au service du bien commun ainsi que des buts stratégiques nationales particulièresNote de bas de page 59. » Ce changement idéologique est également repris par Sabine Milz dans son étude sur la montée du discours néolibéral dans la politique culturelle canadienne. En citant l’article Economics and Culture de David Throsby, Mme Milz propose que la séparation d’une culture très autonome et des éléments industriels de la culture qui ont façonné le discours sur la politique culturelle canadienne de l’après-guerre ait commencé à fléchir dans les années 1970 comme le point de mire de l’élaboration de politiques culturelles a commencé à se transformer en faveur d’une opinion plus fonctionnelle de la culture avec la reconnaissance émergente des industries culturelles comme les moteurs du dynamisme économique et de la transformation sociétaleNote de bas de page 60. Sans doute, Canada créatif représente le point culminant des changements parallèles discursifs et idéologiques qui ont eu lieu depuis le milieu du XXe siècle, passant du grand art aux industries culturelles et aux industries créatives, et des renseignements cloisonnés à la libre circulation des renseignements. Dans cette optique, il est important de souligner que, dès le départ, Canada créatif a refusé l’état d’esprit du protectionnisme qui caractérise les élaborations dans une gouvernance culturelle à la suite de la Commission MasseyNote de bas de page 61. Comme l’a fait remarquer M. Robertson, cet état d’esprit a continué à marquer l’imaginaire populaire dans le XXIe siècle, même si les approches néolibérales à l’égard de la culture ont en effet commencé à saper les idéaux du protectionnisme. Canada créatif marque une rupture nette de cette position ambiguë. Le document publié par le ministère du Patrimoine canadien pour encadrer les consultations du document Le contenu canadien dans un monde numérique est sans équivoque sur la question. En reconnaissant que la conjecture numérique du XXIe siècle exige un esprit renouvelé en matière de politique culturelle, le document indique :

Par conséquent, notre cadre de réflexion évolue comme suit :

[…]

En effet, nous avons beaucoup progressé depuis le besoin exprimé de défendre les idéaux canadiens par la culture défendus par ceux qui sont à la barre de la Commission royale d’enquête sur l’avancement des arts, des lettres et des sciences au CanadaNote de bas de page 63.

Il est toutefois important de souligner que les propos à saveur protectionniste se font toujours entendre en arrière-plan de Canada créatif. Dans cette optique, la déclaration suivante incluse dans Le cadre stratégique du Canada créatif est plutôt pertinente : « Un Canada créatif précise quelles sont les responsabilités fondamentales du Canada en matière de protection et de promotion de la culture et de l’identité canadienne dans un environnement numériqueNote de bas de page 64. » Il est intéressant de souligner l’utilisation continue du dialogue sur l’identité procanadienne dans le Cadre étant donné, tel qu’il est susmentionné, que ce dialogue évoque les tendances idéologiques néolibérales. En effet, même si le dialogue du Cadre met en priorité la culture commercialisable, par rapport à la position non commercialement viable de la politique culturelle canadienne de l’après-guerre, Canada créatif va de pair avec l’annonce du gouvernement Trudeau en 2016 d’un nouveau financement de 1,9 milliard de dollars dans le secteur créatifNote de bas de page 65. Ces subventions peuvent sembler surprenantes dans le contexte de la philosophie du libre marché néolibéral, mais, comme le démontre l’étude de Sabine Milz sur l’émergence du discours néolibéral dans la politique culturelle canadienne, elles sont cohérentes avec un changement idéologique de la valorisation de la culture pour sa valeur intrinsèque à la valorisation de la culture en tant qu’élément de la croissance économique [traduction] :

Dans le contexte de la culture canadienne, la politique tente de créer une solide culture nationale à l’aide d’un système interventionniste qui a protégé les industries culturelles nationales contre une dépendance du marché direct tout en créant une dépendance sur l’État, dont les programmes présentement sont néolibéraux et axés en particulier sur la concurrence avec les États-Unis. L’approche à l’égard d’une politique culturelle protectionniste du Canada fait maintenant partie du discours sur le néolibéralisme canadien, de la dernière tentative d’intégrer de manière rentable le potentiel idéologique et esthétique de la culture et de la production culturelle dans son potentiel économique tout en décrétant simultanément l’intérêt public de la commercialisation des biens, des politiques et des fonctions culturellesNote de bas de page 66.

L’argument justificatif sur le plan économique pour appuyer les arts et la culture n’est pas nouveau. En réalité, cet argument a été sans aucun doute dans le radar de la politique culturelle canadienne depuis le début du discours néolibéral, ce que Monica Gattinger et Diane St-Pierre ont lié à l’accent mis sur la dimension économique de la culture et des industries culturellesNote de bas de page 67. Bien que l’efficacité et la pertinence des approches pour justifier les subventions culturelles selon des modèles de répercussions économiques soient discutablesNote de bas de page 68, il n’en reste pas moins que mesurer les avantages économiques de la culture a été, et continue de l’être, une méthode idéologique et discursive très utilisée pour favoriser le programme de subventions culturellesNote de bas de page 69.

Conclusion

En tant que cadre de politique culturelle, Canada créatif n’en est qu’à ses premiers pas et il est trop tôt pour faire une étude empirique de ses répercussions. Toutefois, compte tenu de l’importance des changements discursifs et idéologiques adoptés par l’intermédiaire de Le cadre stratégique du Canada créatif, il sera essentiel que les chercheurs de la politique culturelle surveillent les répercussions des révisions faites dans la trousse d’outils se rapportant à la politique culturelle fédérale qui en découle. Cette surveillance est particulièrement pertinente étant donné que le Cadre est ouvertement stimulé par l’adhésion au néolibéralisme dans la créativité en tant que panacée de l’économie immatérielle. Comme l’a démontré le présent article, le changement des approches protectionnistes à des approches axées sur le marché à l’égard de la politique culturelle canadienne, en parallèle avec une transition d’un discours sur les industries culturelles à un discours sur les industries créatives, est prévu depuis des décennies et a été solidifié par le Cadre. Par conséquent, nous pouvons contester l’étendue selon laquelle le Cadre offre une « nouvelle » approche à l’égard d’une gouvernance culturelle et souligne le fait qu’il adopte un point de vue biaisé relativement au potentiel de la culture numérique. Bien qu’il ne soit pas surprenant, dans ce Cadre, que la culture soit instrumentalisée comme un vecteur de la croissance économique, il existe des conséquences importantes de sa subsomption sous le culte néolibéral de la créativité et de sa réorganisation comme contribuant non pas sur le plan social, mais sur le plan économique. Dans ce contexte, il sera particulièrement important de surveiller les effets du Cadre sur les différents domaines d’activité de la culture qui, traditionnellement ou non, se retrouvent maintenant dans les industries créatives. En effet, la mesure à laquelle les activités culturelles non commercialement viables sont compatibles avec les politiques des industries créatives est une question sans réponse. Voilà qui met en lumière la nécessité d’accorder une attention aux dynamiques de l’échec dans la révision des cadres de politiques culturelles du Canada, qui ont été historiquement liés à l’appui des activités non commercialement viables. À l’ère numérique, les mesures des politiques culturelles peuvent être de même comprises comme étant une fonction de contre-pouvoir; c’est-à-dire, comme une façon d’aborder les promesses non tenues de la culture numérique.

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