Décision de télécom CRTC 2021-166

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Ottawa, le 6 mai 2021

Dossier public : 8622-J64-202004662

Iristel Inc. – Demande au Conseil d’ordonner à Rogers Communications Canada Inc. de s’abstenir de manipuler l’information relative à l’identification de la ligne du demandeur

Le Conseil conclut que Rogers Communications Canada Inc. n’a pas contrevenu à l’article 36 de la Loi sur les télécommunications et qu’elle ne s’est pas conféré une préférence indue en ce qui concerne le contournement de restrictions liées à l’acheminement des appels entre le 14 mai 2020 et le 7 juin 2020. Par conséquent, le Conseil refuse la demande de redressement d’Iristel Inc.

Demande

  1. Le Conseil a reçu une demande d’Iristel Inc. (Iristel), datée du 29 juillet 2020, dans laquelle Iristel alléguait que Rogers Communications Canada Inc. (RCCI) pourrait avoir participé à, ou du moins ignoré volontairement, un stratagème en vue de contourner les ententes d’acheminement conclues avec des entreprises de services locaux (ESL) afin d’éviter d’avoir à payer des fournisseurs de services de télécommunication (FST) canadiens, s’accordant ainsi une préférence indue.
  2. Iristel a demandé au Conseil de rendre une ordonnance interdisant à RCCI ou à toute autre entreprise de manipuler l’information relative à l’identification de la ligne du demandeur (ILD) afin de contourner les restrictions liées à l’acheminement des appels. Iristel a demandé au Conseil de rendre une ordonnance supplémentaire demandant à RCCI et à toute autre entreprise d’inclure des clauses dans leurs contrats avec les fournisseurs en aval, qui acheminent les appels à partir de l’entreprise de départ, en vue d’interdire la manipulation de l’information relative à l’ILD dans le but de contourner ces mêmes restrictions.
  3. Iristel a fait valoir que ces ordonnances favoriseraient les objectifs stratégiques énoncés aux alinéas 7a), 7e), 7h) et 7i) de la Loi sur les télécommunications (Loi)Note de bas de page 1, et que les ordonnances seraient conformes aux Instructions de 2016 et de 2019Note de bas de page 2.
  4. Le Conseil n’a reçu aucune intervention concernant la demande d’Iristel.

Questions

  1. Le Conseil a déterminé qu’il devait examiner les questions suivantes dans la présente décision :
    • RCCI a-t-elle manipulé l’information relative à l’ILD et contrevenu à l’article 36 de la Loi afin de contourner les restrictions liées à l’acheminement des appels, se conférant ainsi une préférence indue?
    • Le Conseil devrait-il émettre une ordonnance enjoignant à RCCI et à tout autre fournisseur de veiller à ce que leurs contrats avec les fournisseurs en aval contiennent des clauses interdisant la manipulation de l’information relative à l’ILD dans le but de contourner les restrictions liées à l’acheminement?

RCCI a-t-elle manipulé l’information relative à l’ILD et contrevenu à l’article 36 de la Loi afin de contourner les restrictions liées à l’acheminement des appels, se conférant ainsi une préférence indue?

Positions des parties

  1. Iristel a fait valoir que le 25 mai 2020, un abonné de RCCI a utilisé un téléphone portable de RCCI avec un numéro de téléphone provenant de la Colombie-Britannique pour composer le numéro de téléphone d’un pont de téléconférence d’Iristel dans l’indicatif régional 867. Le pont de téléconférence d’Iristel a enregistré l’appel comme provenant d’un numéro de téléphone enregistré auprès de Verizon New York Inc. avec l’indicatif régional 212, qui est attribué aux abonnés de la ville de New York (ci-après, le numéro de New York). Cependant, Iristel a confirmé que l’abonné de RCCI était physiquement situé dans la région de Vancouver pendant l’appel, qu’il n’était pas en itinérance et qu’il ne savait pas que son information relative à l’ILD n’affichait pas son propre numéro de téléphone.
  2. Iristel a examiné ses registres d’appels et a noté qu’à partir du 14 mai 2020, il y avait eu des centaines d’appels, et des dizaines de milliers de tentatives d’appels, provenant du numéro de New York.
  3. Iristel a effectué ses propres tests avec quelques abonnés de RCCI à Toronto, en utilisant des numéros de téléphone de Toronto qui composaient le même numéro de pont de téléconférence d’Iristel, et a noté qu’elle était en mesure de reproduire ce qu’elle appelle la mystification de l’ILDNote de bas de page 3 : pour certains appels, l’ILD indiquait le bon numéro de téléphone, tandis que pour d’autres appels, l’ILD indiquait le numéro de New York.
  4. Iristel a indiqué qu’elle a conclu des ententes bilatérales avec certains fournisseurs américains en vertu desquelles un volume déterminé de trafic du Canada vers les États-Unis est échangé contre du trafic des États-Unis vers le Canada. Le tarif facturé par minute de trafic entre les partenaires peut être considérablement inférieur au tarif qu’un fournisseur canadien paierait à Iristel ou à une autre partie canadienne pour acheminer le trafic du sud du Canada vers les régions à coût élevé. Iristel a indiqué que ces ententes contiennent une clause « pas de trafic local » qui interdit au fournisseur américain d’envoyer du trafic en provenance du Canada au fournisseur canadien.
  5. Iristel a fait valoir qu’en raison de la manipulation de l’information relative à l’ILD faisant en sorte que l’appel semble provenir des États-Unis, l’appel est ensuite transmis en aval à une entreprise américaine qui a une entente bilatérale avec une entreprise canadienne, qui traite sans le savoir l’appel comme étant du trafic des États-Unis vers le Canada. Iristel a argué que cette conduite confère une préférence indue à RCCI, en violation du paragraphe 27(2) de la Loi.
  6. Iristel a fait valoir qu’elle a communiqué avec les ressources techniques de RCCI pour demander une explication et qu’on lui a répondu que le problème était en train d’être acheminé; toutefois, RCCI n’a fourni aucune explication.
  7. Dans sa réponse à la demande d’Iristel, RCCI a nié avoir participé à un stratagème en vue de contourner les ententes d’acheminement, soit en modifiant l’information relative à l’ILD liée aux appels destinés au réseau d’Iristel, soit en demandant à une autre entreprise de le faire. RCCI a également nié avoir bénéficié de tarifs de raccordement plus avantageux que ceux qu’elle aurait autrement payés aux ESL canadiennes en acheminant du trafic Canada-Canada à l’intérieur du pays.
  8. RCCI a indiqué qu’à la réception de la demande d’Iristel, l’entreprise a communiqué avec ses fournisseurs de services interurbains tiers pour se renseigner sur la question. L’un de ces fournisseurs a répondu qu’il était confronté à des problèmes de réseau lors du raccordement du trafic vers d’autres fournisseurs. Ce fournisseur de services interurbains (ci-après, le fournisseur de services interurbains en aval) a confirmé à RCCI qu’il avait effectué des tests de réseau à la fin de mai 2020, qui consistaient à changer le numéro de téléphone de départ pour un numéro de téléphone avec un indicatif 212, y compris pour l’appel auquel Iristel fait référence dans sa demande. Ce problème a été rectifié par le fournisseur de services interurbains en aval le 7 juin 2020.
  9. RCCI a fait valoir qu’elle n’était pas au courant de ce qui s’était passé avant qu’Iristel ne dépose sa demande, et qu’à ce moment-là, la question avait été résolue depuis longtemps par le fournisseur de services interurbains en aval. RCCI a également indiqué que, dès que l’origine du problème a été établie, elle a pris des mesures pour empêcher la mystification d’identité.
  10. RCCI a argué qu’elle n’a bénéficié en aucune façon de la modification de l’information relative à l’ILD par le fournisseur de services interurbains en aval. RCCI a fait valoir qu’elle a payé au fournisseur de services interurbains en aval le même montant pour raccorder ces appels que celui qu’elle a toujours payé, et a nié avoir reçu un avantage ou s’être conféré une préférence ou un avantage quelconque.
  11. En ce qui concerne la tentative d’Iristel d’obtenir une explication sur la modification de l’information relative à l’ILD, RCCI a indiqué qu’au lieu de suivre la procédure d’exploitation normalisée consistant à alerter le centre d’exploitation de réseau de RCCI de tout problème, Iristel a communiqué avec un vendeur de l’équipe d’assistance technique pour les entreprises de RCCI, qui gère les clients des petites entreprises. L’équipe d’assistance technique a enquêté et n’a trouvé aucune preuve que RCCI manipulait l’information relative à l’ILD.
  12. Iristel a maintenu que le personnel de RCCI aurait dû amener le problème à un échelon supérieur au sein de RCCI, ou au moins indiquer la personne-ressource appropriée.
  13. Iristel a fait valoir que la modification de l’information relative à l’ILD afin de masquer l’origine du trafic constitue une violation de l’article 36 de la Loi, qui interdit explicitement à une entreprise canadienne de modifier le contenu du trafic des télécommunications sans l’approbation du Conseil. Iristel a indiqué qu’en plus du préjudice financier pour elle-même et pour les autres ESL qui exercent leurs activités dans les territoires nordiques du Canada, la manipulation de l’information relative à l’ILD érode davantage la confiance des Canadiens envers le système de télécommunications. Dans sa réponse à une demande de renseignements du Conseil, Iristel a déclaré que sa principale préoccupation dans sa demande n’était pas ses pertes financières potentielles causées par la manipulation de l’information relative à l’ILD, mais plutôt le risque que la manipulation de l’information relative à l’ILD pose à l’intégrité des télécommunications, et l’érosion de la confiance des consommateurs envers la capacité de l’industrie à fournir une ILD exacte.
  14. RCCI a argué qu’il ne peut y avoir de violation de l’article 36 de la Loi si l’entreprise n’a pas contrôlé le contenu ou influencé le sens ou l’objectif des télécommunications acheminées pour le public. RCCI a déclaré qu’elle ne modifiait pas l’information relative à l’ILD des appels qu’elle envoyait au fournisseur de services interurbains en aval pour le raccordement, et qu’elle n’avait aucune entente conclue avec ce fournisseur pour modifier cette information. RCCI a également fait valoir qu’elle n’avait pas modifié le sens ou l’objectif des télécommunications acheminées pour le public puisqu’elle n’avait ni connaissance des mesures prises par le fournisseur de services interurbains en aval pour corriger ses problèmes de réseau au moment où elles ont été prises, ni contrôle sur ces mesures.

Résultats de l’analyse du Conseil

  1. L’analyse par le Conseil d’une allégation de préférence indue en vertu du paragraphe 27(2) de la Loi doit d’abord déterminer si la conduite en question constitue une préférence. S’il le détermine, il doit alors décider si la préférence est indue ou déraisonnable. Conformément au paragraphe 27(4) de la Loi, il incombe au répondant de démontrer que la préférence n’est pas indue ou déraisonnable.
  2. Le Conseil a émis une demande de renseignements demandant si Iristel avait observé des appels similaires provenant du numéro de téléphone en question pour la période allant du 8 juin 2020 – le lendemain de la date à laquelle, selon RCCI, le fournisseur en aval avait cessé de modifier les numéros de téléphone d’origine pour indiquer le numéro de New York – et le 29 juillet 2020, date à laquelle Iristel a déposé sa demande. Iristel a répondu qu’elle ne disposait pas de données pour cette période et qu’elle n’avait observé les appels provenant du numéro de New York qu’entre le 14 mai 2020 et le 7 juin 2020.
  3. La réponse d’Iristel à la demande de renseignements indique également que, bien qu’elle ait essayé de déceler d’autres problèmes potentiels de mystification, elle ne dispose d’aucune donnée dans ses registres de données d’appel indiquant que d’autres modifications de l’information relative à l’ILD ont eu lieu concernant des numéros de téléphone autres que celui en question au cours de la période du 14 mai 2020 au 29 juillet 2020. Iristel a également fait remarquer qu’elle n’avait pas reçu d’autres plaintes relatives à la mystification de la part des clients de RCCI.
  4. En s’appuyant sur les données fournies par Iristel en réponse à la demande de renseignements du Conseil, l’information relative à l’ILD modifiée pourrait avoir entraîné un désavantage financier modeste pour Iristel, ce qui aurait pu conférer un avantage financier modeste correspondant à RCCI.
  5. Le Conseil estime que ces réponses sont cohérentes avec l’explication de RCCI selon laquelle la cause de la modification de l’information relative à l’ILD était la modification de cette information par son fournisseur de services interurbains en aval alors que ce dernier effectuait des tests de réseau en mai 2020, et que le fournisseur de services interurbains en aval a cessé de modifier l’information à partir du 7 juin 2020.
  6. Le Conseil est également d’avis que l’explication de RCCI selon laquelle elle ne savait pas à l’époque que son fournisseur de services interurbains en aval avait modifié l’information relative à l’ILD est raisonnable; le Conseil n’estime pas que la modification de l’information relative à l’ILD avait pour but de permettre à RCCI de contourner les dispositions établies en matière d’acheminement des appels afin de se conférer un avantage ou une préférence et de désavantager Iristel en contrepartie. Le Conseil estime donc que RCCI s’est acquitté du fardeau de la preuve, comme défini au paragraphe 27(4) de la Loi, en démontrant que la modification de l’information relative à l’ILD par son fournisseur de services interurbains en aval ne constituait ni l’octroi d’une préférence ou d’un avantage indu par RCCI pour elle-même, ni l’imposition d’un désavantage indu à Iristel. En outre, compte tenu du montant modeste des revenus potentiellement perdus par Iristel, le Conseil estime que l’avantage qui a pu être conféré à RCCI et le désavantage correspondant qui a pu être imposé à Iristel ne sont pas indus.
  7. Le Conseil estime également que RCCI n’a pas contrôlé le contenu des télécommunications composant les appels avec les modifications de l’information de l’ILD, et n’a donc pas influencé le sens ou l’objectif des télécommunications qu’il a acheminées pour le public pendant la période en question. Le Conseil estime donc que RCCI n’a pas contrevenu à l’article 36 de la Loi.

Le Conseil devrait-il émettre une ordonnance enjoignant à RCCI et à tout autre fournisseur de veiller à ce que leurs contrats avec les fournisseurs en aval contiennent des clauses interdisant la manipulation de l’information relative à l’ILD dans le but de contourner les restrictions liées à l’acheminement?

Positions des parties

  1. Iristel n’a pas fourni d’arguments distincts dans sa demande ou dans sa réplique à l’appui de la présente demande.
  2. En réponse à la demande de renseignements du Conseil, RCCI a soumis de manière confidentielle une description des mesures prises lorsqu’elle a reçu la demande d’Iristel pour empêcher la mystification de l’ILD.

Résultats de l’analyse du Conseil

  1. Comme indiqué ci-dessus, le Conseil estime que la modification de l’information relative à l’ILD est le résultat des actions du fournisseur de services interurbains en aval de RCCI. Le Conseil estime que RCCI a pris rapidement des mesures raisonnables pour régler le problème dès que l’affaire a été portée à l’attention du service compétent.
  2. Le Conseil fait remarquer qu’il n’a reçu aucune plainte de la part d’un autre FST concernant des modifications de l’information relative à l’ILD attribuées aux actions du fournisseur de services interurbains en aval d’une entreprise.
  3. Le Conseil est donc d’avis qu’il est inutile, à la suite de la présente instance et en réponse à ce qui semble être un incident isolé, d’ordonner à RCCI et à toute autre entreprise d’inclure dans leurs contrats de service avec les fournisseurs de services interurbains une clause interdisant expressément la modification de l’information relative à l’ILD.

Conclusion

  1. Compte tenu de tout ce qui précède, le Conseil refuse la demande d’Iristel en vue d’obtenir une ordonnance interdisant à RCCI ou à toute autre entreprise de modifier l’information relative à l’ILD dans le but de contourner les restrictions liées à l’acheminement.
  2. Le Conseil refuse également la demande d’Iristel d’émettre une ordonnance enjoignant à RCCI et à toute autre entreprise de garantir que leurs contrats de service avec les fournisseurs en aval contiennent les clauses nécessaires pour garantir que ceux-ci ne se livrent pas à la manipulation de l’information relative à l’ILD dans le but de contourner les restrictions liées à l’acheminement.

Instructions

  1. Le Conseil est tenu, dans l’exercice de ses pouvoirs et fonctions aux termes de la Loi, de mettre en œuvre les objectifs de la politique établis à l’article 7 de la Loi, conformément aux Instructions de 2019.
  2. Le Conseil estime que sa décision contribuera à la réalisation de l’objectif de la politique énoncé à l’alinéa 7f) de la Loi. Plus précisément, en refusant la demande d’Iristel d’émettre une ordonnance visant RCCI ou toute autre entreprise interdisant explicitement la modification de l’information relative à l’ILD dans le but de contourner les restrictions liées à l’acheminement, le Conseil encourage un plus grand libre jeu du marché pour la prestation de services de télécommunication.
  3. Le Conseil estime également que sa décision est conforme au sous-alinéa 1a)(iii) des Instructions de 2019 et au sous-alinéa 1a)(ii) des Instructions de 2006. Plus précisément, la décision du Conseil i) garantit qu’un accès abordable à des services de télécommunication de haute qualité soit offert dans toutes les régions du Canada, y compris les régions rurales; ii) utilise des mesures qui sont efficaces et proportionnelles aux buts visés et qui ne font obstacle au libre jeu du marché concurrentiel que dans la mesure minimale nécessaire pour atteindre les objectifs de la politique.

Secrétaire général

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