Décision de Conformité et Enquêtes et de Télécom CRTC 2020-125

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Ottawa, le 16 avril 2020

Dossier public : 8638-B2-202001692

Bell Canada – Demande de blocage des appels frauduleux de type Wangiri

Demande

  1. Le Conseil a reçu une demande datée du 24 mars 2020, de Bell Canada, en son nom et au nom de ses filiales qui acheminent du trafic vocal (collectivement Bell Canada et autres), qui lui demandait une approbation urgente, accélérée et ex parte en vertu de l’article 36 de la Loi sur les télécommunications (Loi). Plus précisément, Bell Canada et autres ont demandé au Conseil l’autorisation de bloquer les appels frauduleux de type Wangiri vérifiés reçus ou transmis depuis, vers ou sur leurs réseaux jusqu’au 1er juin 2020, ou une autre date à laquelle le Conseil déterminera que les circonstances extraordinaires associées à la crise de la COVID-19 auront pris fin.
  2. Bell Canada et autres ont expliqué que les appels frauduleux de type Wangiri sont surtout faits à des abonnés canadiens à des services sans fil mobiles. Les appels semblent provenir de l’étranger. Le téléphone qui reçoit l’appel ne peut sonner qu’une ou deux fois, et les fraudeurs espèrent que le destinataire sera suffisamment intrigué pour rappeler le numéro qui apparaît sur son afficheur. S’il rappelle, la structure de paiement pour le traitement de l’appel à l’étranger fait que les fraudeurs reçoivent un paiement. Une énorme quantité d’appels de ce genre sont effectués.
  3. Le Conseil a reçu des interventions concernant la demande de Bell Canada et autres de la part du Centre pour la défense de l’intérêt public (CDIP), de l’Internet Society Canada Chapter (ISCC), de Rogers Communications Canada Inc. (RCCI), et de M. Marc Nanni. Ce dernier a également présenté des demandes procédurales.

Questions

  1. Le Conseil a déterminé qu’il devait examiner les questions suivantes dans la présente décision :
    • Le Conseil doit-il traiter la demande de manière urgente, accélérée et ex parte?
    • Le Conseil doit-il approuver les demandes procédurales de M. Nanni?
    • Le Conseil doit-il autoriser Bell Canada et autres à bloquer les appels frauduleux de type Wangiri vérifiés reçus ou transmis depuis, vers ou sur leurs réseaux jusqu’au 1er juin 2020?

Le Conseil doit-il traiter la demande de manière urgente, accélérée et ex parte?

Positions des parties
  1. M. Nanni a demandé au Conseil de rejeter la demande de traitement accéléré (au lieu de rejeter totalement la demande). Le CDIP et RCCI étaient en faveur de la demande.
Résultats de l’analyse du Conseil
  1. L’objectif principal de la mesure de redressement sollicitée est de contribuer à réduire le trafic sur les réseaux de télécommunications à des moments où le volume d’appels atteint un niveau sans précédent. Compte tenu des circonstances exceptionnelles, ainsi que de la portée et de la durée limitées de la demande de Bell Canada et autres, le Conseil détermine qu’il est dans l’intérêt public de traiter la demande de façon urgente et accélérée et de renoncer au délai d’intervention de 30 jours prévu à l’article 26 des Règles de pratique et de procédure du Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes (Règles de procédure). Le Conseil a reçu quatre interventions en réponse à la demande dans les trois jours suivant le dépôt de celle-ci. Bien qu’il ait tenu compte de ces interventions pour tirer ses conclusions, le Conseil n’en acceptera aucune autre.
  2. Le Conseil fait remarquer que si les circonstances uniques de cette affaire auraient justifié une décision ex parte, cela n’était pas nécessaire étant donné qu’il a reçu les quatre interventions avant d’examiner le dossier.

Le Conseil doit-il approuver les demandes procédurales de M. Nanni?

Positions des parties
  1. M. Nanni a notamment demandé au Conseil i) d’exiger de Bell Canada et autres qu’elles divulguent les paramètres à modifier dans leur méthodologie d’intelligence artificielle, ainsi que les développements alarmants ayant des répercussions négatives sur leurs réseaux qu’elles ont mentionnés dans leur demande; ii) d’adresser à Bell Canada et autres les demandes de renseignements dont il est question dans ses observations; et iii) de lui accorder le droit de répondre à toute nouvelle information versée au dossier à la suite de ses demandes procédurales.
Résultats de l’analyse du Conseil
  1. Le Conseil estime que le fait d’accéder aux demandes de M. Nanni visant la divulgation de renseignements supplémentaires et des réponses à ses demandes de renseignements retarderait la publication de sa décision, et qu’il n’a pas besoin de ces renseignements supplémentaires pour prendre une décision éclairée et raisonnable dans l’intérêt public. Comme il a été déterminé ci-dessus, il est dans l’intérêt public d’examiner la demande de Bell Canada et autres de manière urgente et accélérée.
  2. Compte tenu de ce qui précède, le Conseil rejette les demandes procédurales de M. Nanni.

Le Conseil doit-il autoriser Bell Canada et autres à bloquer les appels frauduleux de type Wangiri vérifiés reçus ou transmis depuis, vers ou sur leurs réseaux jusqu’au 1er juin 2020?

Positions des parties
  1. Bell Canada et autres ont déclaré que les réseaux de télécommunications canadiens sont actuellement soumis à un niveau sans précédent de volume d’appels, car les employés des gouvernements et des entreprises du Canada, ainsi que des particuliers, travaillent depuis leur domicile dans un effort concerté de distanciation sociale pour lutter contre la propagation de la COVID-19. Les appels frauduleux ajoutent un fardeau inutile aux réseaux de télécommunications déjà sous pression. Par exemple, rien qu’entre le 16 et le 20 mars 2020, Bell Canada et autres ont enregistré plus de six millions d’appels frauduleux de type Wangiri sur leurs réseaux.
  2. Bell Canada et autres ont indiqué qu’elles peuvent confirmer qu’il y a eu un certain nombre de développements alarmants ayant des impacts négatifs sur leurs réseaux.
  3. Bell Canada et autres ont déclaré que la méthodologie qu’elles proposent d’utiliser pour bloquer les appels frauduleux de type Wangiri est la même que celle décrite dans leur demande déposée en vertu de la Partie 1 pour obtenir l’autorisation de bloquer certains appels frauduleux à titre d’essai (la demande principale déposée par Bell Canada et autres en vertu de la Partie 1).
  4. RCCI a indiqué qu’elle observe également des niveaux élevés de trafic sur son réseau et le blocage d’appels légitimes en raison de l’encombrement des réseaux. RCCI s’est dite fortement en faveur de la demande de Bell Canada et autres, déclarant que la proposition de blocage des appels l’aiderait à bloquer le trafic excédentaire inutile et nuisible aboutissant sur son réseau.
  5. M. Nanni a demandé comment Bell Canada et autres pouvaient vérifier deux millions d’appels par jour, et a exprimé des préoccupations importantes concernant la possibilité de désigner des appels légitimes comme frauduleux (faux positifs) ainsi que la collecte et l’utilisation de données et de métadonnées qui comprennent des renseignements personnels. Il a argué qu’il serait préférable que Bell Canada et autres ne bloquent que les numéros figurant sur une liste noire établie afin d’éviter les faux positifs et la collecte de vastes quantités de renseignements.
  6. Le CDIP a appuyé la demande et a affirmé que le préjudice causé par les faux positifs serait amplement compensé par l’avantage que représente l’évitement de la fraude en cette période de stress pour le consommateur et de l’encombrement accru des réseaux.
  7. L’ISCC s’est opposée à la demande de Bell Canada et autres dans la mesure où elle s’appliquerait au trafic qui ne fait que transiter par leurs réseaux. Se référant à son intervention dans la demande principale déposée par Bell Canada et autres en vertu de la Partie 1, l’ISCC a indiqué qu’elle n’aurait aucune objection si Bell Canada et autres souhaitaient bloquer les appels faits à leurs propres abonnés, à condition qu’un mécanisme d’exclusion approprié et des garanties soient en place.
Résultats de l’analyse du Conseil
  1. En vertu de l’article 36 de la Loi, il est interdit à une entreprise canadienne, sauf avec l’approbation du Conseil, « de régir le contenu ou d’influencer le sens ou l’objet des télécommunications qu’elle achemine pour le public ». Le Conseil a déjà exprimé l’avis selon lequel l’obligation d’obtenir une autorisation en vertu de cet article se pose lorsqu’une entreprise cherche à bloquer des appels. La Loi n’établit pas de paramètres pour guider l’exercice de ce pouvoir discrétionnaire par le Conseil, à l’exception des exigences généralement applicables selon lesquelles il doit exercer son autorité en vue de réaliser les objectifs de la politique de télécommunication énoncés à l’article 7 de la Loi, et en conformité avec les Instructions de 2006Note de bas de page 1 et les Instructions de 2019Note de bas de page 2 émises par le gouverneur en conseil.
  2. Le Conseil souligne l’argument de Bell Canada et autres selon lequel les Canadiens, les entreprises et les gouvernements n’ont jamais autant compté sur leurs réseaux que pendant la crise de la COVID-19 actuelle, qui a entraîné un niveau sans précédent de volume d’appels sur les réseaux de télécommunications, et que le blocage des appels frauduleux de type Wangiri aidera à faire face au niveau accru de volume d’appels légitimes.
  3. Le Conseil estime que la protection contre l’encombrement des réseaux dans cette situation sans précédent est une question urgente et fondamentale, tout comme la protection des consommateurs, et que le blocage des appels frauduleux de type Wangiri vérifiés comme moyen raisonnable d’atteindre cet objectif n’a pas été contesté; la question qui se pose dans la présente demande est plutôt de savoir si l’approche particulière utilisée pour bloquer ces appels est appropriée.
  4. Bell Canada et autres ont inclus une méthodologie détaillée à titre confidentiel dans le dossier de leur demande principale déposée en vertu de la Partie 1, dont une partie a été présentée à des intervenants qui ont signé un accord de non-divulgation. Dans le dossier public de leur demande principale déposée en vertu de la Partie 1, Bell Canada et autres ont indiqué, entre autres, que l’essai serait mené à l’échelle de leurs réseaux et que, par conséquent, chaque appel en provenance de ceux-ci, y aboutissant ou y transitant simplement serait soumis à une analyse et à un blocage potentiel. En outre, étant donné la couche réseau à laquelle le blocage se produit, ni l’expéditeur ni le destinataire prévu d’un appel ne serait informé que celui-ci a été bloqué.
  5. Les préoccupations relatives à la méthodologie proposée par Bell Canada et autres concernent généralement l’utilisation de l’intelligence artificielle et i) le fait qu’elle s’appliquerait non seulement aux appels de Bell Canada et autres, mais aussi au trafic ne faisant que transiter par leurs réseaux; ii) le risque de faux positifs; et iii) l’étendue et la portée des renseignements que Bell Canada et autres examineraient pour déterminer s’il convient de bloquer les appels.
  6. Le Conseil estime que dans les circonstances de la crise actuelle, le fait que la proposition de Bell Canada et autres s’appliquerait aux appels frauduleux de type Wangiri transitant par leurs réseaux (et pas seulement aux appels à destination ou en provenance de leurs clients) peut être considéré comme un avantage, car cela permettrait également de réduire l’encombrement des réseaux des autres fournisseurs de services de télécommunication. Il fait remarquer que RCCI s’est dite fortement en faveur de la demande de Bell Canada et autres pour cette raison en particulier.
  7. De plus, le Conseil estime que les paramètres limités de la proposition de blocage des appels dans la présente demande (pour bloquer uniquement les appels frauduleux de type Wangiri vérifiés, et seulement pour une période de deux mois), servent à atténuer les préoccupations. En particulier, il est raisonnable de supposer que la proposition actuelle comporte un risque minimal de faux positifsNote de bas de page 3, dans la mesure où il s’agirait de bloquer uniquement les appels frauduleux de type Wangiri, un sous-ensemble d’appels frauduleux qui possèdent les mêmes caractéristiques. En outre, le nombre minimal de faux positifs, le cas échéant, sur le trafic en transit limiterait le risque de désavantage pour les fournisseurs de services de télécommunication concurrents que constituerait leur incapacité à remédier aux plaintes de leurs clients. De même, étant donné la portée et la durée limitées du blocage, on ne peut raisonnablement s’attendre à ce que le blocage proposé n’apporte un désavantage important aux fournisseurs de services de télécommunication concurrents ou ne procure avantage important à Bell Canada et autres. Bien que la portée et l’étendue des données évaluées par Bell Canada et autres soient également limitées par rapport à la proposition plus générale de blocage des appels frauduleux, le Conseil estime néanmoins qu’il serait approprié d’exiger explicitement que Bell Canada et autres n’utilisent et ne divulguent les données collectées que dans le cadre de la mise en œuvre de la proposition de blocage des appels de type Wangiri, et pour aucune autre fin.
  8. Compte tenu des paramètres étroits de la proposition de Bell Canada et autres de ne bloquer que les appels frauduleux de type Wangiri vérifiés jusqu’au 1er juin 2020, le Conseil conclut que, dans les circonstances tout à fait exceptionnelles de cette pandémie mondiale, qui a entraîné un volume d’appels sans précédent, les préoccupations relatives à cette proposition sont compensées par la nécessité urgente et pressante de veiller à ce que les appels légitimes ne soient pas bloqués en raison de l’encombrement des réseaux, de maintenir l’intégrité des réseaux de télécommunications canadiens et de réduire l’impact des appels frauduleux sur les consommateurs.
  9. Compte tenu de tout ce qui précède, le Conseil conclut que l’approbation de la demande de Bell Canada et autres, en vertu de l’article 36 de la Loi, sous réserve des conditions énoncées au paragraphe 27 ci-dessous, de façon urgente et accélérée, serait dans l’intérêt public et favoriserait l’atteinte des objectifs de la politique de télécommunication énoncés aux articles 7a), 7b), 7c), 7h) et 7i) de la LoiNote de bas de page 4, et serait conforme aux Instructions de 2006 et aux Instructions de 2019.
  10. Par conséquent, le Conseil approuve la demande de Bell Canada et autres visant à obtenir l’autorisation de bloquer les appels frauduleux de type Wangiri vérifiés reçus ou transmis depuis, vers ou sur leurs réseaux jusqu’au 1er juin 2020, sous réserve des conditions suivantes :
    1. Bell Canada et autres doivent fournir au Conseil des rapports mensuels sur les activités de blocage d’appels au cours des mois d’avril et de mai 2020 (les rapports devant être remis le 15 mai et le 15 juin 2020), lesquels rapports doivent contenir les renseignements suivants :
      1. le nombre d’appels bloqués, y compris, dans la mesure du possible, le nombre d’appels à destination ou en provenance des réseaux de Bell Canada et autres et le nombre d’appels transitant par ceux-ci;
      2. les données concernant chaque faux positif, ainsi que des renseignements sur la manière dont ce faux positif a été détecté et comment il s’est produit, et les détails complets des mesures prises pour éviter que des cas similaires ne se reproduisent;
    2. Bell Canada et autres doivent fournir au Conseil toute autre donnée et tout autre rapport relatif à ce blocage qu’il peut juger approprié;
    3. Bell Canada et autres ne doivent ni utiliser ni divulguer les données recueillies pour détecter les appels frauduleux de type Wangiri vérifiés dans un but autre que de mettre en œuvre le système de blocage des appels approuvé dans la présente décision.

Secrétaire général

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