Décision de télécom CRTC 2017-300
Ottawa, le 24 août 2017
Numéro de dossier : 8640-N1-201700724
Norouestel Inc. – Demande d’abstention de la réglementation du service de raccordement de gros dans les collectivités desservies par le réseau de liaison par fibre optique dans la vallée du Mackenzie
Le Conseil rejette la demande de Norouestel Inc. visant l’abstention de la réglementation du service de raccordement de gros de l’entreprise dans les collectivités desservies par le réseau de liaison par fibre optique dans la vallée du Mackenzie. Le Conseil estime que l’abstention ne serait pas dans l’intérêt public des usagers des collectivités concernées.
Introduction
- Le service de raccordement de gros est un service tarifé d’accès de gros offert par Norouestel Inc. (Norouestel) qui permet le transport du trafic de télécommunications sur son réseau, dans son territoire desservi au moyen de liaisons de transport par fibre optique ou par radio à micro-ondes à grande capacitéNote de bas de page 1. Les concurrents peuvent utiliser le service de raccordement de gros afin de connecter leurs points de présence dans les collectivités où Norouestel exerce ses activités et d’offrir des services de télécommunication à leurs utilisateurs finals dans ces collectivités.
- Récemment, le gouvernement des Territoires du Nord-Ouest (GTNO) a lancé le réseau de liaison par fibre optique dans la vallée du McKenzie (LFOVM), un réseau par fibre optique à grande capacité dont il est propriétaire et qui fournit des services d’accès haute vitesse de gros aux collectivités éloignées et peu densément peuplées des Territoires du Nord-Ouest. Ce réseau dessert actuellement les collectivités suivantes : Fort Good Hope, Fort Simpson, Inuvik, Norman Wells, Tulita et Wrigley (collectivités du réseau de LFOVM).
- Northern Lights General Partnership, un partenariat établi entre Norouestel et Ledcor Developments Ltd., une entreprise de construction, s’est vu attribuer le contrat pour la conception, la construction, l’entretien et l’exploitation du réseau de LFOVM au nom du GTNO.
Demande
- Le 6 février 2017, le Conseil a reçu une demande de la partie 1 de la part de Norouestel, dans laquelle l’entreprise lui demandait de s’abstenir, conformément à l’article 34 de la Loi sur les télécommunications (Loi), d’exercer ses pouvoirs et fonctions en vertu des articles 25, 27, 29 et 31 de la Loi en ce qui concerne le service de raccordement de gros fourni par Norouestel dans les collectivités du réseau de LFOVM.
- Norouestel a affirmé que : i) elle ne possède pas un grand pouvoir de marché dans les collectivités du réseau de LFOVM; ii) les services de transport du GTNO offerts à l’échelle du réseau de LFOVM le sont à des tarifs très bas, lesquels sont comparables à ceux du Sud; iii) les futurs fournisseurs de services peuvent se connecter au réseau de LFOVM à des coûts de lancement plus bas que ceux qui sont offerts pour le service de raccordement de gros.
- En réponse à la demande de Norouestel, le Conseil a reçu des interventions de la part du First Mile Connectivity Consortium (FMCC), du gouvernement du Yukon, d’Iristel Inc. (Iristel) et de SSi Micro Ltd. (SSi), qui se sont tous opposés à la demande. Dans l’ensemble, les intervenants ont indiqué que la demande d’abstention de Norouestel était prématurée. Le Conseil a reçu une réplique de Norouestel. On peut consulter sur le site Web du Conseil le dossier public de l’instance, lequel a été fermé le 20 mars 2017. On peut y accéder à l’adresse www.crtc.gc.ca ou au moyen du numéro de dossier indiqué ci-dessus.
Le Conseil devrait-il s’abstenir de réglementer le service de raccordement de gros de Norouestel dans les collectivités du réseau de LFOVM?
Contexte
- Selon l’article 34 de la Loi, le Conseil peut s’abstenir de réglementer un service s’il conclut qu’une telle abstention est conforme aux objectifs de la politique canadienne de télécommunication décrits à l’article 7 de la Loi. Le Conseil doit s’abstenir de réglementer un service lorsqu’il conclut que la concurrence est suffisante pour protéger les intérêts des usagers. Par ailleurs, il ne doit pas s’abstenir de réglementer un service lorsqu’il conclut que cela aurait vraisemblablement pour effet de compromettre indûment la création ou le maintien d’un marché concurrentiel pour la fourniture de ce service.
- Pour déterminer si la concurrence est suffisante pour protéger les intérêts des usagers, le Conseil applique habituellement les critères énoncés dans la décision de télécom 94-19. Dans cette décision, le Conseil a déclaré que la première étape de l’évaluation de la concurrence consiste généralement à définir le marché pertinent, qui constitue la base de l’exercice d’abstention. Le marché pertinent se définit essentiellement comme le plus petit groupe de produits et la plus petite région géographique pour lesquels une entreprise possédant un pouvoir de marché peut imposer de façon rentable une majoration des prix durable.
- Une fois le marché pertinent établi, l’étape suivante est de déterminer s’il existe un pouvoir de marché. Dans la décision de télécom 94-19, le Conseil a défini le pouvoir de marché en tant que capacité d’un fournisseur de hausser ou de maintenir les prix au-dessus de ceux qui auraient cours dans un marché concurrentiel. Un faible pouvoir de marché suppose que le marché est, ou est susceptible de devenir, suffisamment concurrentiel pour protéger les intérêts des usagers, ce qui permet au Conseil de s’abstenir de réglementer un service en particulier.
- Le Conseil a déterminé trois facteurs qu’il faut évaluer pour établir le pouvoir de marché : la part de marché détenue par l’entreprise dominante; les conditions de la demande qui influent sur les réactions des clients à un changement de prix; les conditions de l’offre qui influent sur la capacité des autres entreprises présentes dans le marché de réagir à un changement du prix du produit ou du service. De plus, le Conseil a précisé que, bien qu’une forte part de marché soit une condition nécessaire pour qu’il y ait un pouvoir de marché, cela ne suffit pas en soi; d’autres facteurs, tels que les obstacles à l’entrée, les services contribuant à un engorgement, ou l’absence de rivalité, permettent à une entreprise dominante d’être anticoncurrentielle.
- À l’appui de sa demande, Norouestel a présenté son évaluation de la compétitivité du service de raccordement de gros sur le marché à l’aide du cadre établi dans la décision de télécom 94-19. L’évaluation du Conseil fondée sur ce cadre est décrite ci-après.
Marché pertinent
Positions des parties
- Norouestel a proposé de définir le marché de produits pertinent comme l’ensemble des services de transport de gros pouvant offrir une bande passante suffisante pour la fourniture de services vocaux, Internet et de données. Elle a indiqué que le marché géographique pertinent devrait être défini comme l’ensemble des collectivités du réseau de LFOVM, étant donné que c’est dans celles-ci que les installations de transport par fibre optique de ce réseau sont en concurrence avec le service de raccordement de gros.
- SSi n’a pas réagi à la définition de marché pertinent proposée par Norouestel. Iristel s’est dite d’accord avec la définition de marché de produits proposée par Norouestel, mais a soutenu que, si la limite géographique était définie de façon générale afin d’englober toutes les collectivités du réseau de LFOVM, la capacité des clients de cette région de changer de fournisseur de services à la suite d’une hausse des prix durable diminuerait considérablement. Iristel a proposé de décrire le marché géographique comme chacune des collectivités du réseau de LFOVM.
- Norouestel a répliqué que son service de raccordement de gros utiliserait le réseau de LFOVM, et que les fournisseurs de services bénéficieraient donc du même choix concurrentiel dans chaque collectivité du réseau. Les fournisseurs de services pourraient utiliser le service de Norouestel sur le réseau de LFOVM ou l’acheter directement du GTNO pour un endroit donné. De plus, moyennant un paiement unique, un fournisseur de services qui a recours au réseau de LFOVM pourrait ajouter des points de présence à sa liaison de transport principale sans avoir à signer de contrats visant des liaisons de transport distinctes sur ce réseau.
Résultats de l’analyse du Conseil
- Le Conseil estime appropriée la définition de marché de produits proposée par Norouestel.
- Définir le marché géographique nécessite d’évaluer la capacité et la volonté des consommateurs (c.-à-d. les fournisseurs de services) de changer de fournisseur (en l’espèce, les fournisseurs de services de gros) pour un emplacement à la suite d’une hausse des prix. Étant donné que la configuration du service de raccordement de gros permet aux fournisseurs de services de télécommunication (FST) d’ajouter des emplacements du réseau de LFOVM à ses liaisons de transport sans avoir à signer de contrat distinct pour chaque liaison ni à assurer de présence physique à ces emplacements, et que les choix concurrentiels sont semblables pour chacune des collectivités du réseau de LFOVM, le Conseil estime que la définition de marché géographique devrait comprendre l’ensemble de ces collectivités.
- Par conséquent, le marché pertinent correspond aux services de transport de gros pouvant offrir une bande passante suffisante pour la fourniture de services vocaux, Internet et de données dans l’ensemble des collectivités du réseau de LFOVM.
Pouvoir de marché
Positions des parties
- En ce qui concerne la part de marché, Norouestel a indiqué que l’on s’attend à ce que le GTNO soit le fournisseur de services de transport de prédilection de tout FST souhaitant obtenir des services de transport de gros dans les collectivités du réseau de LFOVM; Norouestel ne sera pas l’entreprise dominante en matière de fourniture de services de transport dans ces collectivités.
- Bien que le FMCC ait convenu que le GTNO sera le fournisseur dominant pour les services de transport, il a soutenu que Norouestel est affiliée au GTNO en raison du contrat de l’entreprise pour l’exploitation et l’entretien du réseau de LFOVM et a mis en doute le fait que Norouestel et le GTNO soient en fait des concurrents. Le gouvernement du Yukon, Iristel et SSi étaient du même avis. Le gouvernement du Yukon, appuyé par le FMCC, a indiqué que, puisque Norouestel est l’unique fournisseur d’accès du réseau de LFOVM à assurer la liaison de High Level (Alberta) avec le Sud, il n’est pas certain que la concurrence soit suffisante.
- En ce qui concerne les conditions de la demande, Norouestel a indiqué qu’il n’y aurait aucune demande pour son service de raccordement de gros dans les collectivités du réseau de LFOVM, car les tarifs de ce service sont beaucoup plus élevés que ceux du service de LFOVM du GTNO.
- Iristel a fait valoir que les coûts élevés et les défis uniques de l’exploitation dans le Nord empêchent les fournisseurs de services de passer d’un fournisseur de services de transport de gros à un autre, ce qui témoigne des piètres conditions de la demande.
- Norouestel a fait remarquer que son service de raccordement de gros est vendu sur une base mensuelle et que les fournisseurs de services peuvent facilement cesser d’utiliser ce service et passer au réseau de LFOVM.
- En ce qui concerne les conditions de l’offre, Norouestel a indiqué que le réseau de LFOVM peut répondre à tous les besoins en approvisionnement des FST dans les collectivités du réseau de LFOVM. Elle a déclaré que la capacité de fibre optique du réseau de LFOVM dépasse sa propre capacité totale, et qu’elle peut être accrue de manière plus rentable.
- Iristel a indiqué que les conditions de l’offre sont médiocres dans les collectivités du réseau de LFOVM, puisque celles-ci sont situées dans des zones de desserte à coût élevé où toute intervention future visant à élargir l’offre sera limitée par le coût élevé de la mise en place d’installations supplémentaires afin d’accroître la capacité de transport du réseau. Iristel a déclaré que le Conseil, selon sa politique de longue date, réglemente les marchés où deux plateformes de réseau sont en concurrence, et que cette politique porte fortement à croire que deux fournisseurs dotés d’installations ne sont pas suffisants pour garantir une concurrence durable lorsqu’il existe un pouvoir de marché.
- Norouestel a fait valoir qu’il y a une rivalité sur le marché : par exemple, elle achète les services de transport du GTNO parce que celui-ci offre des tarifs plus bas. De plus, l’entreprise a affirmé qu’il y a peu d’obstacles à l’entrée sur le marché pour ce qui est des services de transport de gros.
- Iristel a indiqué que l’évaluation des obstacles à l’entrée devrait englober l’entrée sur le marché des services de transport de gros. Elle a ajouté qu’un important financement public était nécessaire pour surmonter les obstacles à la mise en place d’un projet d’infrastructure tel que le réseau de LFOVM dans le Nord, où les coûts de déploiement sont élevés. Iristel a soutenu que, par conséquent, l’existence du réseau de LFOVM ne constitue pas la preuve qu’il est facile de surmonter les obstacles à l’entrée sur le marché pour ce qui est des services de transport de gros.
- Le gouvernement du Yukon a fait valoir que la demande de Norouestel visant l’abstention de la réglementation de son service de raccordement de gros, demande que Norouestel a présentée parce qu’elle affirme que le recours à une installation construite et exploitée par une entité qui lui est affiliée entraînerait la concurrence, est non seulement insuffisante pour répondre aux normes du Conseil mais qu’il est également probable qu’elle donne lieu à une augmentation des obstacles à l’entrée sur le marché compte tenu de la nature du contrôle des installations par l’entité affiliée.
- Si Norouestel se voit accorder le droit à l’abstention, le FMCC a dit craindre que l’entreprise n’élimine son service de raccordement de gros dans les collectivités du réseau de LFOVM en raison des coûts du service, ce qui ne laisserait aux collectivités concernées qu’une seule liaison de communication avec le Sud. Le FMCC a indiqué que la redondance du service a une valeur.
Résultats de l’analyse du Conseil
- Par le passé, le Conseil a reconnu la situation unique des entreprises de télécommunication exerçant leurs activités dans les régions du Nord. Les grandes distances, la faible densité de population et le climat rigoureux donnent lieu à de courtes saisons de construction, à des coûts d’investissement élevés et à une faible concentration de la demande, ce qui limite le choix concurrentiel offert dans ces régions.
- Subventionné par le GTNO, le réseau de LFOVM n’a commencé que récemment à offrir des services dans les collectivités qu’il dessert et est actuellement la seule solution de rechange au service de raccordement de gros de Norouestel. Celle-ci n’a pas démontré que le marché fait l’objet d’une concurrence effective ni qu’elle a subi une perte concurrentielle à cause du réseau de LFOVM. De plus, le réseau de LFOVM est exploité et entretenu par Norouestel. Cette relation entre le GTNO et Norouestel accroît la complexité de l’analyse du pouvoir de marché.
- Dans le cadre de l’instance ayant mené à la politique réglementaire de télécom 2016-496, les parties ont soutenu que la concurrence est insuffisante en ce qui concerne les services de transport dans certaines régions du pays, et elles ont demandé au Conseil de revoir ses cadres d’abstention pour ces servicesNote de bas de page 2. Dans ses conclusions, le Conseil a déclaré qu’il procéderait à un exercice d’établissement des faits pour recueillir plus de renseignements sur la disponibilité des services de transport vers les régions mal desservies. Cet exercice est en cours.
- Étant donné i) les conditions d’exploitation uniques de la région éloignée où est situé le réseau de LFOVM, ii) la relation entre le GTNO et Norouestel concernant le réseau de LFOVM et iii) le fait qu’une solution de rechange au service de raccordement de gros de Norouestel est disponible depuis peu dans les collectivités du réseau de LFOVM, il est difficile de bien évaluer le niveau de concurrence et les conditions du marché quant aux services de transport dans ces collectivités. Dans l’ensemble, le Conseil estime que la demande d’abstention de Norouestel a été présentée trop tôt pour que l’on puisse évaluer comme il se doit la compétitivité du marché.
- Conformément au paragraphe 34(2) de la Loi et comme question de fait, le Conseil conclut que le dossier de la présente instance ne contient pas suffisamment d’éléments de preuve pour démontrer que le niveau de concurrence en matière de fourniture de services de transport de gros protégera les intérêts des usagers de ces services dans les collectivités du réseau de LFOVM. Le Conseil conclut également, en vertu du paragraphe 34(1) de la Loi, que l’abstention de la réglementation de ces services ne serait pas conforme aux objectifs en matière de politique de la Loi, et qu’elle ne serait donc pas dans l’intérêt public. Par conséquent, le Conseil rejette la demande de Norouestel visant l’abstention de la réglementation du service de raccordement de gros fourni dans les collectivités du réseau de LFOVM.
Instructions
- Le Conseil est tenu, dans l’exercice de ses pouvoirs et fonctions aux termes de la Loi, de mettre en œuvre les objectifs de la politique établis à l’article 7 de la Loi, conformément aux InstructionsNote de bas de page 3. Conformément au sous-alinéa 1b)(i) des Instructions, le Conseil estime que les mesures réglementaires établies dans la présente décision contribuent à l’atteinte des objectifs de la politique énoncés aux alinéas 7a), 7b), 7c), 7f) et 7h) de la LoiNote de bas de page 4.
- Conformément aux sous-alinéas 1a)(ii) et 1b)(ii) des Instructions, le Conseil estime que les mesures réglementaires approuvées dans la présente décision i) sont efficaces et proportionnelles aux buts visés et ne font obstacle au libre jeu d’un marché concurrentiel que dans une mesure minimale et ii) ne découragent pas un accès au marché qui est propice à la concurrence et qui est efficace économiquement, ni n’encouragent un accès au marché qui est non efficace économiquement. À cet égard, le Conseil fait remarquer que le refus d’accorder en ce moment l’abstention de la réglementation du service de raccordement de gros de Norouestel protège les intérêts des usagers jusqu’à ce que l’on puisse pleinement déterminer les effets du service de LFOVM sur le marché.
Secrétaire général
Documents connexes
- Les services de télécommunication modernes – La voie d’avenir pour l’économie numérique canadienne, Politique réglementaire de télécom CRTC 2016-496, 21 décembre 2016
- Examen du cadre de réglementation, Décision de télécom CRTC 94-19, 16 septembre 1994
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