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Décision de radiodiffusion CRTC 2007-87
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Ottawa, le 16 mars 2007
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Société Radio-Canada
L'ensemble du Canada
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Plaintes relatives à la diffusion, sur les ondes de Radio One du réseau anglais de la Société Radio-Canada, des épisodes Whiskeyjack Blues et Room Available, de la série A Literary Atlas of Canada
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Le Conseil examine dans cette décision deux plaintes distinctes concernant la radiodiffusion par le réseau anglais de la Société Radio-Canada de deux épisodes de la série A Literary Atlas of Canada sur les ondes de Radio One. Intitulés Whiskeyjack Blues et Room Available, ces épisodes contenaient des extraits visant un public adulte. Le Conseil estime que ces épisodes au langage vulgaire et au contenu adulte ont été diffusés à une heure où ils pouvaient être écoutés par des enfants et que l'unique mise en garde qui a été diffusée était inadéquate. Le Conseil conclut également qu'en diffusant ces épisodes un dimanche matin à 11 h, la titulaire n'a pas respecté l'objectif de la politique canadienne de radiodiffusion énoncé dans la Loi sur la radiodiffusion qui prévoit que la programmation devrait être de haute qualité.
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Historique
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1.
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En juillet et septembre 2006, le Conseil a reçu deux plaintes concernant deux épisodes distincts de la série A Literary Atlas of Canada (Literary Atlas) diffusée sur les ondes de la chaîne Radio One, du réseau de langue anglaise exploité par la société Radio-Canada (SRC). La première plainte avait trait à l'épisode Whiskeyjack Blues diffusé le dimanche 16 juillet à 11 h; la seconde, à un second épisode, Room Available, diffusé le dimanche 3 septembre 2006 à 11 h.
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2.
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À l'origine diffusée à 21 h 05 les fins de semaine dans le contexte de l'émission Ideas, la série Literary Atlas animée par Noah Richler propose une discussion littéraire sur le paysage canadien vu par les auteurs de ce pays. Ideas examine la pensée contemporaine et aborde surtout des questions sociales, artistiques et culturelles ainsi que les domaines de la géopolitique, de l'histoire, de la biographie, des sciences et de la technologie et des sciences humaines.
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Whiskeyjack Blues
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L'épisode
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3.
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L'épisode Whiskeyjack Blues s'intéressait surtout à l'écriture autochtone et à son expression des préoccupations et de la situation des peuples autochtones du Canada. Il proposait trois lectures d'extraits d'ouvres autochtones qui avaient choisi l'écriture pour décrire des expériences souvent violentes, traumatisantes et chargées d'émotion qu'ils avaient eux-mêmes vécues ou qui avaient été vécues par des membres de leur communauté. L'animateur combinait des commentaires et des entrevues avec les auteurs pour tenter d'expliquer le contexte des ouvres et d'éclairer la réalité sociale des peuples autochtones du Canada.
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La plainte
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4.
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Le plaignant a écrit au Conseil une lettre en date du 16 juillet 2006 pour protester contre le vocabulaire, qu'il décrit comme souvent blasphématoire, utilisé au cours de cette émission d'une heure. Dans sa lettre, il précise qu'il est surtout inquiet que la SRC ait diffusé cette émission à une heure qui attire probablement un auditoire jeune.
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Réponse de la titulaire
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5.
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La titulaire a répondu au plaignant le 25 juillet 2006. La SRC explique qu'il peut parfois être nécessaire de diffuser un certain type de langage, particulièrement lorsque le fait d'agir autrement, par exemple en édulcorant le vocabulaire, risque de nuire à l'intégrité des informations ou d'influencer la présentation artistique d'une ouvre. La SRC considère que la suppression des expressions mentionnées par le plaignant n'aurait pas permis de représenter fidèlement la gamme des émotions et les thèmes que les textes choisis tentaient de communiquer. En revanche, la SRC admet que l'avertissement diffusé une seule fois, au début de l'émission, aurait dû être répété régulièrement pour mettre en garde les auditeurs qui se joignent à l'auditoire en cours d'émission.
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Analyse et décision du Conseil concernant Whiskeyjack Blues
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6.
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Dans son examen de la plainte, le Conseil a tenu compte des préoccupations du plaignant, de la réponse de la titulaire et du contenu de l'émission tout en prenant en considération les objectifs stratégiques de la Loi sur la radiodiffusion (la Loi), notamment la clause de l'article 3(1)g) qui prévoit que « la programmation offerte par les entreprises de radiodiffusion devrait être de haute qualité » (la clause de qualité).
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7.
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L'analyse de la bande-témoin a révélé environ 23 cas de langage vulgaire au cours de l'épisode d'une heure. Chaque fois, le vocabulaire incriminé se limite aux lectures des ouvres des auteurs. Les mots utilisés dans ces extraits déclinent toute une gamme de grossièretés, dont « shit » et « shitters », « fuck » et « motherfucker ». De plus, les lectures comprennent une description graphique d'un violent incident mettant en scène une victime homosexuelle qui se fait tabasser et poignarder à mort. Les expressions utilisées dans cet extrait sont, par exemple, « faggot », « cock sucking », « fuck him » et « die bitch ». Une transcription de deux extraits comprenant du langage vulgaire se trouve en annexe.
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8.
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Si les lectures sont souvent explicites et crues, les mots utilisés, comme le démontrent les discussions avec les auteurs, ne sont pas gratuits au sens où ils font partie intégrante des extraits radiodiffusés. De la même façon, le langage n'est pas utilisé d'une façon délibérément négative ou vulgaire et ne vise pas à choquer ou à injurier. En fait, comme ont tenté de l'expliquer l'animateur et les personnes interviewées, le vocabulaire et le contenu des extraits sont censés communiquer une expérience authentique.
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9.
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Toutefois, même dans ce contexte, le Conseil considère que la vulgarité de la langue et la fréquence des jurons peuvent perturber même des adultes un dimanche matin.
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10.
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Le Conseil note que la SRC n'a diffusé qu'une seule mise en garde au début de l'épisode pour préciser que l'émission contenait des choses douteuses pour les enfants, mais rien de trop choquant.
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11.
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Le Conseil considère que la mise en garde était non seulement inexacte, mais qu'elle aurait également dû comprendre des détails qui auraient permis aux auditeurs de bien saisir, en toute connaissance de cause, la nature ou le contenu de l'émission et de décider si celle-ci leur convenait, à eux ou à leurs familles. L'utilisation d'avertissements appropriés est une pratique bien établie des radiodiffuseurs. Pour la télévision, par exemple, l'annexe du Code d'application volontaire concernant la violence à la télévision de l'Association canadienne des radiodiffuseurs (ACR) propose des exemples de mises en garde suffisamment précis et informatifs pour s'assurer que les téléspectateurs soient correctement avertis avant de faire un choix. Dans le cas présent, le Conseil estime que le vocabulaire utilisé dans Whiskeyjack Blues ne convient pas aux enfants, malgré ce que laisse entendre l'avertissement de la SRC. En outre, la mise en garde ne reconnaît pas que ce type de langage peut aussi choquer de nombreux adultes.
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12.
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Le CRTC et le Conseil canadien des normes de la radiotélévision (CCNR), qui traite de ces questions pour les radiodiffuseurs privés, ont passé en revue d'anciennes décisions qui concluent notamment que l'utilisation du mot « fuck » et de ses dérivés n'est pas acceptable dans des émissions que pourraient écouter des enfants. Les groupes d'experts du CCNR concluent que ce mot ne devrait pas être diffusé dans le courant de la journée et que la diffusion de ce mot et de ses dérivés à des périodes de la journée où il est probable que des enfants écoutent la radio contrevient au Code de déontologie de l'ACR1. La SRC n'a aucune condition de licence l'obligeant à se conformer au Code de déontologie de l'ACR. Toutefois, le Conseil considère que l'interdiction reliée au langage qui est indûment grossier et injurieux, énoncée à l'article 9 du Code de déontologie de l'ACR, constitue un bon outil pour évaluer la conformité des radiodiffuseurs publics et privés du Canada à la clause de qualité de la Loi.
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13.
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Bien que le recours à des avertissements soit un moyen efficace d'informer les auditeurs des risques possibles associés à l'écoute d'une émission, le Conseil croit que, dans ce cas-ci, même l'utilisation de mises en garde exactes, précises et fréquentes un dimanche à 11 h du matin n'excuserait par les dommages éventuels liés à la diffusion d'un contenu manifestement inapproprié à des enfants à une heure où il est probable que des enfants écoutent la radio.
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14.
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Compte tenu de son analyse du contenu de l'épisode, le Conseil croit que la meilleure façon de respecter la clause de qualité de la Loi, dans ce cas-ci, passe par l'établissement d'une grille horaire appropriée.
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Room Available
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L'épisode
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15.
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Dans Room Available, l'animateur visite la Colombie-Britannique et étudie l'influence, sur les ouvres d'écrivains de cette région, des forêts de la côte ouest du Canada, de la prospérité des banlieues et du délabrement du centre-ville de Vancouver, ainsi que de la situation des immigrants de cette province.
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16.
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L'épisode comprend plusieurs lectures d'ouvres littéraires variées d'auteurs canadiens, dont une lecture, The Pornographer's Poem, qui dépeint la descente dans le monde corrompu de la pornographie de deux adolescents des banlieues de Vancouver, après une innocente introduction à la production de films. L'extrait dure moins de deux minutes et comprend une brève description de la double page centrale d'une revue porno gaie qu'un personnage souhaite montrer au protagoniste pour en parler. La SRC n'a diffusé aucune mise en garde au cours de l'émission.
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La plainte
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17.
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Dans un courriel en date du 5 septembre 2006, le plaignant proteste contre la diffusion de The Pornographer's Poem et déclare que la mise en ondes d'un récit qui décrit un acte homosexuel pornographique est inappropriée pour une station de radio qui, selon lui, est censée être écoutée par des membres de tous les âges d'une famille.
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Réponse de la titulaire
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18.
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Dans sa réponse du 7 novembre 2006, la SRC fait valoir que toute la programmation est revue avant d'être diffusée et que cette série n'a pas fait exception à la règle. La titulaire ajoute qu'elle a relu la transcription sonore de cet épisode et découvert qu'aucun avertissement n'avait été émis. Ayant revu le contenu de l'épisode à la suite de la plainte, la SRC admet que la diffusion avant l'émission d'une mise en garde faisant état d'un contenu adulte aurait mieux servi les besoins de l'auditoire en lui faisant connaître au préalable le type de son contenu.
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Analyse et décision du Conseil concernant Room Available
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19.
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De la même façon que pour Whiskeyjack Blues, le Conseil considère que les scènes et le langage du segment Pornographer's Poem de Room Available ne sont pas gratuits puisqu'ils s'inscrivent clairement dans le contexte de la discussion des ouvres des auteurs. Toutefois, The Pornographer's Poem, avec sa présentation claire, quoique rapide, de pornographie, était clairement destiné à un auditoire adulte. De plus, en examinant la bande de l'émission, d'une durée d'une heure, le Conseil a découvert que l'épisode comprenait plusieurs autres lectures contenant un matériel pour adulte, dont une référence rapide à la prostitution, un propos raciste et, une fois, le mot « fuck ».
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20.
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La SRC n'a diffusé aucune mise en garde avant ou pendant l'épisode. Tel que mentionné plus haut, bien que le recours à des avertissements soit un moyen efficace d'informer les auditeurs des risques possibles associés à l'écoute d'une émission, le Conseil croit que, dans ce cas-ci, même l'utilisation de mises en garde exactes, précises et fréquentes un dimanche à 11 h du matin n'excuserait par les dommages éventuels liés à la diffusion d'un contenu manifestement inapproprié à des enfants à une heure où il est probable que des enfants écoutent la radio.
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21.
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À la lumière de son examen du contenu de l'épisode, le Conseil conclut que la meilleure façon de respecter la clause de qualité de la Loi, dans ce cas-ci, passe par l'établissement d'une grille horaire adéquate.
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Conclusion
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22.
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Le Conseil estime que les épisodes de A Literary Atlas of Canada qui ont fait l'objet des plaintes contenaient du contenu adulte et étaient destinés à un auditoire adulte, ce qui ne signifie pas que la littérature, en tant que sujet, est un contenu adulte ou que la série elle-même était inappropriée ou de mauvaise qualité. Le Conseil considère plutôt que les épisodes en question n'auraient pas dû être diffusés à une heure où il est raisonnable de s'attendre à ce que des enfants écoutent la radio.
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23.
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Les épisodes ont été diffusés un dimanche matin, à 11 h, c'est-à-dire à une heure où il est probable que des enfants écoutent la radio à la maison ou en voiture, puisqu'il y a peu de chances qu'ils dorment ou qu'ils soient à l'école. Par conséquent, le Conseil conclut que la diffusion de ces épisodes un dimanche matin sur les ondes de la chaîne Radio One du réseau anglais de la SRC n'est pas conforme aux objectifs de la Loi, qui prévoit que la programmation doit être de haute qualité.
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Secrétaire général
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La présente décision doit être annexée à la licence. Elle est disponible, sur demande, en média substitut, et peut également être consultée en version PDF ou en HTML sur le site Internet suivant : http://www.crtc.gc.ca.
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Annexe à la décision de radiodiffusion CRTC 2007-87
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Deux extraits de Whiskeyjack Blues
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[traduction]
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De Robert Arthur Alexis, Porcupines and China Dolls (à 11 minutes 24 secondes de l'épisode)
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(Sons d'un bar et musique en bruit de fond) En montant les marches du bar, ils commencèrent à entendre la musique et le bourdonnement continu des conversations, des cris et des hurlements. En entrant, ils reçurent en plein visage l'odeur de fumée, de bière, de transpiration et de rêves gâchés. Karen regarda la fourche du pantalon de James sachant qu'elle était déjà mouillée, mais bof. Il n'y avait rien de mal à s'imaginer qu'il la fourrait par derrière pendant que la moitié de la ville réclamait une bière et que l'autre pleurait dans la sienne et qu'elle criait pour avoir plus de plaisir.
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« Une double et trois bières » dit James. James s'installa près du bar et regarda autour de lui pour la ixième fois. Même merde, même merdeux. Il prit ensuite une grande respiration et plongea dans l'océan de misère en levant haut sa bière au cas où l'un des requins aurait voulu s'en prendre un morceau. « Hé, James, prête-moi un dollar! », « Hé James, donne-moi une cigarette! », « Hé James, achète-moi une bière! », « Hé James, mange-moi! ». Ça c'était Angie et elle s'en tirait drôlement bien en fin de compte. Elle s'était levée ce matin-là, avait pris sa douche et s'était comprimée dans son jean le plus serré pour constater qu'il lui fallait un cintre pour remonter la fermeture éclair. Elle regarda Jake. « Et si je le baisais pour rendre James jaloux? » Jake sourit à James. « Salut frère, quoi de neuf? » « Ça roule » répondit James avant de s'asseoir et de s'enfiler une rasade de vodka. « Hé, James, quoi de neuf? » Kevin posait la question de pure forme. « Bof, rien. » « Hé James, dit Greg qui semblait saoul et gelé. Racontes-en nous une bonne. » « Qu'est-ce que tu crois que je suis? Un vieil enculé? »
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De Joseph Boydon, Painted Tongue (à 34 minutes 51 secondes de l'épisode)
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(Bruit de pas de course en fond) « Enculés! » hurla le blessé. « Il court, attrape-la cette salope! » Un homme nu surgit en courant des arbres du côté de Painted Tongue, avec trois hommes à ses trousses. Il était maculé de rouge au clair de lune et courait à toute allure en boitant. Painted Tongue se fondit rapidement dans l'ombre du buisson sans être vu de l'homme et resta immobile au moment où filaient les autres hommes. (Bruits de grognements et de gémissements.) Ils rattrapèrent rapidement le blessé et le plaquèrent au sol. À tour de rôle, ils le frappèrent à la tête, à l'aine et à l'estomac avec leurs bottes. Deux attaquants avaient le crâne rasé et le dernier avait les cheveux aussi longs que Painted Tongue. Ils scandaient « sale pédé, enculé de pédé » à travers leurs mâchoires serrées. Painted Tongue essaya une nouvelle fois, mais son chant de guerre ne voulait pas sortir. L'homme aux cheveux longs sortit un couteau. « Non, s'il vous plaît, non », dit l'homme au sol. Il était si près de lui que Painted Tongue pouvait sentir le goût de cuivre de la peur dans sa propre bouche. L'homme aux cheveux longs tomba à genoux, les deux mains au-dessus de la tête. « Vas-y », siffla l'un des hommes debout. « Pique-le, encule-le », dit l'autre. « Crève, salope », dit l'homme aux cheveux longs quelques instants plus tard. Puis il frappa de toutes ses forces. L'homme ensanglanté hurla. Painted Tongue frémit tandis que les trois hommes s'enfonçaient en courant dans la nuit.
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Notes de bas de page :
[] Voir Groupe régional de la Prairie du Conseil canadien des normes de la radiotélévision (CCNR), CIOX-FM pour les chansons Livin' It Up, de Limp Bizkit, et Outside, d'Aaron Lewis et Fred Durst, décision du CCNR 00/01-0670 rendue le 28 juin 2001, et Groupe régional de l'Ontario du CCNR,CIRK-FM pour l'émission K-Rock Morning Show,décision CCNR 01/02-0713 et -1113 rendues le 5 février 2003.
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Mise à jour : 2007-03-16
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