Décision de télécom CRTC 2002-21
Ottawa, le 12 avril 2002
Fourniture aux organismes d'application de la loi de renseignements sur l'identité des fournisseurs de services de télécommunication des abonnés
Référence : Avis de modification tarifaire 6642 et 6642A de Bell Canada
Sommaire
Dans une décision de mars 2001 (l'ordonnance CRTC 2001-279), le Conseil a établi trois conditions que Bell Canada devait remplir avant de fournir à un organisme d'application de la loi (OAL) des renseignements sur l'identité du fournisseur de services locaux associés à un numéro de téléphone particulier aux fins de l'application de la loi. Dans une demande qu'elle a adressée au Conseil en décembre 2001, Bell Canada a proposé des révisions aux trois conditions de service établies dans l'ordonnance de manière à indiquer que le mandat des OAL ne se limite pas seulement aux enquêtes criminelles.
Dans la présente décision, le Conseil détermine que les révisions apportées aux conditions devraient permettre la communication de renseignements sur l'identité du fournisseur de services locaux, dans les cas d'urgence, pour des raisons de sécurité nationale ainsi qu'aux fins de l'application de la loi. À cette fin, le Conseil a modifié les trois conditions de service et il ordonne à Bell Canada de publier immédiatement les pages tarifaires révisées.
Introduction
1. Dans l'ordonnance CRTC 2001-279 du 30 mars 2001 intitulée Fourniture aux organismes d'application de la loi de renseignements sur l'identité des fournisseurs de services de télécommunication des abonnés (l'ordonnance 2001-279), le Conseil a approuvé l'avis de modification tarifaire (AMT) 6479 de Bell Canada concernant un service de renseignements sur l'identité du fournisseur de services locaux (IFSL) pour fournir aux organismes d'application de la loi (OAL) le nom de la firme fournissant le service téléphonique local à un numéro de téléphone donné, sous réserve de conditions additionnelles.
2. Dans l'ordonnance 2001-279, le Conseil a établi les trois conditions devant être remplies avant qu'un service IFSL puisse être fourni à un OAL :
- l'OAL qui demande l'information agit conformément à une autorité légitime;
- l'OAL recueille les renseignements à des fins d'enquête en cours particulière concernant l'application d'une loi du Canada, d'une province ou d'une juridiction étrangère; et
- l'OAL a besoin de l'information pour obtenir un mandat exigé pour obtenir les renseignements se rapportant à l'abonné.
La demande
3. Les 21 décembre 2001 et 28 janvier 2002, Bell Canada a déposé les AMT 6642 et 6642A, respectivement, dans lesquels elle a demandé au Conseil d'approuver des modifications de manière qu'elles soient suffisantes de satisfaire à une des conditions précitées.
4. Dans sa demande, Bell Canada a fait valoir que dans le cadre de ses activités quotidiennes, elle a acquis une expérience pratique du service IFSL. Elle a ajouté que le tarif est trop restrictif puisqu'il l'empêche de fournir un service IFSL à un OAL lorsque celui-ci agit dans le cadre d'une autorisation légale, mais qu'il n'est ni engagé dans une enquête active particulière ni sur le point d'obtenir un mandat à l'égard d'un abonné; par exemple, lorsqu'un OAL tente de retrouver une personne disparue ou répond à une urgence médicale ou autre, comme un désastre. Bell Canada s'est dite également préoccupée par des problèmes de sécurité accrue soulevés depuis la publication de l'ordonnance 2001-279. La compagnie a fait remarquer qu'elle savait, lorsqu'elle a déposé ses mémoires, qu'on envisageait sur le plan législatif d'accroître la capacité des OAL de se livrer à des enquêtes et d'engager des recherches sans avoir à détenir de mandat ou encore avant l'émission d'un mandat, et ce, en réponse aux graves préoccupations concernant la sécurité. Selon elle, l'obligation de satisfaire aux trois conditions tarifaires empêche donc les OAL, qui peuvent avoir besoin d'une IFSL dans les cas susmentionnés, de s'acquitter de leurs responsabilités.
5. Bell Canada a fait remarquer que, d'après son expérience, un OAL qui demande une IFSL en vertu d'une autorité légitime, mais non dans le cadre d'une enquête criminelle, pourrait voir sa demande acceptée si elle satisfait à la condition tarifaire (i) établie ci-dessus. Et dans le cas d'une IFSL réclamée dans le cadre d'une enquête autorisée légalement qui n'exige pas de mandat, la demande de l'OAL pourrait être acceptée conformément à l'une ou l'autre des conditions tarifaires (i) et (ii).
6. Bell Canada a fait valoir que le public serait suffisamment protégé si les OAL devaient satisfaire à l'une des trois conditions par opposition aux trois conditions établies dans l'ordonnance 2001-279. À cette fin, Bell Canada a proposé d'ajouter le mot « ou » à la fin de la condition tarifaire (i) et de remplacer le mot « et » par « ou » à la fin de la condition tarifaire (ii).
Observations sur la demande
7. Le Commissaire à la protection de la vie privée du Canada (le CPVP) a été la seule partie à avoir déposé des observations au sujet de la demande de Bell Canada.
8. Dans ses observations du 10 janvier 2002, le CPVP a fait valoir que la proposition de Bell Canada abaisse la norme concernant la communication de renseignements personnels aux OAL par rapport à celle de l'article 7(3)c.1) de la Loi sur la protection des renseignements personnels et les documents électroniques (la LPRPDE). Le CPVP a indiqué, par exemple, que la LPRPDEne permet pas la communication à un OAL seulement s'il détient une autorité légitime; la communication doit être basée sur des fins particulières établies à un des sous-alinéas (i), (ii) ou (iii) de l'article 7(3)c.1). Le CPVP a fait valoir que le tarif serait « tout à fait inefficace » parce que Bell Canada serait tenue par la loi de satisfaire à la norme supérieure établie par la LPRPDE ou risquer de contrevenir à cette loi.
9. Pour apaiser les préoccupations de Bell Canada concernant les situations d'urgence, le CPVP a proposé d'adopter, sans abaisser la norme pour les enquêtes criminelles, une formulation semblable à celle de l'article 7(3)e) de la LPRPDE qui réfère à « une situation d'urgence mettant en danger la vie, la santé ou la sécurité de toute personne ».
10. Le CPVP a également dit craindre que l'expression « organisme d'application de la loi », dans le projet de tarif de Bell Canada, n'inclue pas des organismes de sécurité nationale comme le Service canadien du renseignement de sécurité (SCRS) ou le Centre de la sécurité des télécommunications (CST). Toutefois, le CPVP a prétendu que l'article 7(3)c.1) de la LPRPDE donne suffisamment de latitude à ces organismes pour fonctionner et par conséquent, le tarif n'a pas à couvrir cette question.
11. Le CPVP a prétendu que si le Conseil songe à modifier le tarif, il ne devrait le faire qu'après avoir tenu une audience publique dans le cadre de laquelle ces questions pourraient faire l'objet d'une discussion éclairée et exhaustive.
Observations en réplique de Bell Canada
12. Dans ses observations en réplique du 18 janvier 2002, Bell Canada a prétendu que le CPVP a compris à tort qu'avec un numéro de téléphone et l'IFSL, un OAL peut obtenir l'identité d'un abonné ou toute autre information détaillée le concernant auprès d'un fournisseur de services locaux. Bell Canada a fait remarquer que même avec un numéro de téléphone et une IFSL, l'OAL doit quand même faire une demande auprès du fournisseur de services locaux, conformément à une autorité légitime, et sous réserve de restrictions statutaires et/ou une surveillance judiciaire, pour obtenir l'identité de l'abonné associé au numéro de téléphone. Bell Canada a indiqué que dans un régime monopolistique, un OAL n'avait aucune difficulté à déterminer le fournisseur de services locaux. Dans le nouveau régime concurrentiel, l'IFSL est nécessaire pour obtenir le nom d'un fournisseur de services locaux associé à un numéro de téléphone donné. L'IFSL ne révèle rien au sujet de l'identité ou des activités de l'abonné associé au numéro de téléphone.
13. La compagnie a fait valoir que les arguments avancés par le CPVP sont basés sur l'hypothèse que la LPRPDE s'applique. Bell Canada a indiqué que la LPRPDE ne s'applique pas au service IFSL, et qu'aucun abaissement de la norme concernant la communication n'est proposé. Bell Canada a soutenu que l'IFSL ne constitue pas des « renseignements personnels » au sens de la LPRPDE, étant donné qu'elle ne divulgue que de l'information concernant un numéro de téléphone identifiable. À son avis, la LPRPDE ne s'applique donc pas.
14. Bell Canada a également fait remarquer que la LPRPDE est une loi générale qui traite de la protection des renseignements personnels tandis que la Loi sur les télécommunications (la Loi) date d'avant la LPRPDE et porte spécifiquement sur les services et technologies de télécommunication. Bell Canada a fait observer que le pouvoir du Conseil de rendre des ordonnances à l'égard des tarifs émane directement de la Loi, qui a dans ses objectifs l'obligation de « contribuer à la protection de la vie privée des personnes ». Voilà pourquoi, de l'avis de Bell Canada, la Loi a préséance dans ce cas particulier.
15. En ce qui concerne les inquiétudes du CPVP concernant l'expression « organisme d'application de la loi », relativement au SCRS et au CST, Bell Canada a contesté la pertinence des observations, puisque le statut de ces organismes n'était pas en cause dans la demande de la compagnie. Néanmoins, Bell Canada a affirmé que le SCRS est un OAL en vertu du tarif et que la LPRPDE ne suffit pas à permettre au SCRS ou au CST d'accéder à l'IFSL ou à des renseignements afférents.
16. Bell Canada a soutenu que le CPVP a ignoré l'article 25(1) de la Loi qui interdit aux entreprises comme Bell Canada de fournir un service de télécommunication sauf en conformité avec un tarif approuvé. Bell Canada a fait remarquer que, dans l'ordonnance 2001-279, le Conseil a déterminé que la fourniture de l'IFSL aux OAL est un service de télécommunication pour lequel un tarif doit être déposé.
17. En ce qui concerne la suggestion du CPVP voulant que la formulation du tarif soit modifiée de manière à refléter celle de l'article 7(3)e) de la LPRPDE, Bell Canada a soutenu que pareil changement serait encore trop restrictif, étant donné qu'il ne règle pas le problème d'un OAL qui a besoin de l'IFSL dans une situation non urgente et à caractère non criminel comme une enquête en cours sur une personne disparue.
Les conclusions du Conseil
18. Dans l'ordonnance 2001-279, le Conseil a conclu que la fourniture de l'IFSL est un service de télécommunication. Par conséquent, l'IFSL ne peut être fournie que par une entreprise conformément à un tarif approuvé.
19. Le Conseil estime que le tarif actuel ne prévoit pas les cas où les OAL, ayant l'autorité légitime, peuvent exiger l'IFSL dans des cadres autres qu'une enquête criminelle ou l'obtention d'un mandat. Par exemple, une IFSL peut être nécessaire afin de remplir d'autres obligations prévues par la loi comme celles qui ont trait à des désastres, à des besoins en matière de sécurité, à des disparitions de personnes, etc.
20. Le Conseil fait remarquer que le service IFSL ne prévoit que la communication à un OAL du nom du fournisseur de services associé à un numéro de téléphone. Le Conseil estime qu'il serait dans l'intérêt public de permettre la communication de cette information restreinte aux fins de la protection de la sécurité nationale, dans des cas d'urgence et pour des situations comme la disparition de personnes, qui peuvent constituer ou non des urgences.
21. Le Conseil est d'avis que les modifications que Bell Canada a proposé d'apporter au tarif existant sont inutilement générales. Par ailleurs, la proposition du CPVP ne suffirait pas à couvrir tous les scénarios dans lesquels il y aurait lieu de fournir l'IFSL. De l'avis du Conseil, les conditions ci-dessous apaiseraient les préoccupations exprimées par Bell Canada et le CPVP.
22. Le Conseil conclut donc que les conditions de service modifiées ci-après sont appropriées. Pour obtenir l'IFSL conformément au tarif de Bell Canada, un OAL doit identifier la source de l'autorité légitime lui permettant d'obtenir l'information et indiquer :
- qu'il a des motifs raisonnables de croire que le renseignement est afférent à la sécurité nationale, à la défense du Canada ou à la conduite des affaires internationales;
- que la communication est demandée aux fins du contrôle d'application du droit canadien, provincial ou étranger, de la tenue d'enquêtes liées à ce contrôle d'application ou de la collecte de renseignements en matière de sécurité en vue de ce contrôle d'application; ou
- qu'elle est faite en raison d'une situation d'urgence menaçant la vie, la santé ou la sécurité de toute personne, ou afin de permettre à un OAL de remplir ses obligations afin d'assurer la protection et la sécurité des personnes et de la propriété.
23. L'IFSL doit être divulguée aux OAL qui la demande pour toutes les raisons précitées. Le Conseil fait remarquer que même si ces conditions sont formulées de la même manière qu'aux articles 7(3)c.1) et (e) de la LPRPDE, il n'est pas lié par ces dispositions statutaires. Dans l'exercice des pouvoirs que lui confère la Loi, le Conseil estime plutôt que les conditions de service qu'il a prescrites sont appropriées dans les circonstances de la demande et que dans le cas présent, elles contribuent à l'atteinte des objectifs de la Loi.
24. Pour ce qui est de la crainte du CPVP que certains organismes de sécurité nationale ne soient pas couverts par le tarif, le Conseil fait remarquer que la définition d'un OAL dans le tarif proposé inclurait tous les organismes gouvernementaux canadiens ayant l'autorité légitime d'obtenir des mandats de perquisition ou des assignations. Voilà pourquoi le Conseil n'estime pas qu'il soit nécessaire de modifier le tarif à cet égard.
25. Le Conseil estime que toutes les parties intéressées avaient été avisées de la demande de Bell Canada et que le dossier de l'instance permettait de traiter toutes les questions. Le Conseil conclut que, dans les circonstances, la tenue d'un autre processus, comme le suggère le CPVP, n'est pas nécessaire.
26. Compte tenu de ce qui précède, le Conseil approuve la demande de Bell Canada, sous réserve des modifications aux conditions de service établies au paragraphe 22 ci-dessus. Il est ordonné à Bell Canada de publier immédiatement des pages de tarif révisées.
Secrétaire général
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