ARCHIVÉ - Radiodiffusion - Lettre du Conseil - Au sujet de la diffusion par TQS de « Black-out » le 1er septembre 1998

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Lettre

Réf. : 981002ML819L-3

Notre dossier : 4677-341

Ottawa, le 21 décembre 2000

Monsieur Jean-Yves Desgagnés
Front commun des personnes assistées sociales du Québec
1222, rue St-Hubert
Montréal (Québec)
H2L 3Y7

et -

Monsieur Wilbrod Gauthier
Président
Réseau de télévision Quatre-Saisons Inc.
405, av. Ogilvy
Montréal (Québec)
H3N 2Y4

Objet : Plainte au sujet de la diffusion par TQS de « Black-out » le 1er septembre 1998

Messieurs,

La présente constitue la décision du Conseil au sujet de la plainte du 23 novembre 1998 déposée par le Front commun des personnes assistées sociales du Québec (FCPASQ) concernant la diffusion, le 1er septembre 1998, de l'émission Black-out par Télévision Quatre-Saisons (TQS). L'émission a fait l'objet d'une décision du Conseil canadien des normes de la radiotélévision (CCNR) publiée le 7 juin 1999. Cette décision, qui expose les faits et le contexte relatifs à cette détermination, est jointe à la présente à titre de référence. Elle est aussi disponible au site Web du CCNR : http://www.cbsc.ca/fr/.

Sommaire de la décision du Conseil

Pour les raisons exposées ci-après, le Conseil estime que l'émission ne rencontre pas la norme de haute qualité que TQS est tenue de maintenir dans sa programmation. Il juge également que l'utilisation, par un radiodiffuseur, d'un acteur n'étant pas identifié comme tel dans ce genre d'émission démontrerait un manque de respect fondamental à l'égard des téléspectateurs, et serait suffisamment sérieuse pour constituer une contravention supplémentaire à la norme de haute qualité. Voilà pourquoi il est tout à fait inacceptable, selon lui, que TQS ne sache pas si des acteurs ont été utilisés ou non dans l'émission.

Par ailleurs, le Conseil conclut que l'émission n'a pas enfreint la disposition concernant les propos offensants. Toutefois, il surveillera de près le nombre de plaintes déposées en rapport avec cette question que lui-même et le CCNR recevront, et il continuera de suivre la jurisprudence afin de s'assurer que les motifs établis dans sa réglementation sont adéquats et appropriés.

Contexte

Le CCNR a conclu que TQS avait enfreint le paragraphe 3 de l'article 6 du Code de déontologie de l'Association canadienne des radiodiffuseurs (le Code de déontologie) stipulant que les postes-membres doivent présenter des nouvelles, des points de vue, des commentaires ou des textes éditoriaux avec exactitude, d'une manière objective, complète et impartiale. Le CCNR a déclaré que l'émission, dans un contexte de débat, dans un bar de Montréal, entre des clients et quatre panelistes s'autoproclamant bénéficiaires de l'aide sociale par choix, n'a ni été présentée d'une manière objective, complète et impartiale, ni réussi à le limiter à la seule question des personnes qui choisissent l'aide sociale plutôt qu'un emploi rémunéré. Le CCNR a fait remarquer qu'une chanson incluse dans l'émission ne faisait aucune distinction entre les personnes assistées sociales légitimes et les personnes abusant du système. La chanson décrit tous les bénéficiaires de l'aide sociale comme suffisamment de distinctions entre les deux « facettes » de l'aide sociale comme des gens malhonnêtes, qui s'apitoient sur leur sort, ont des habitudes détestables et négligent leurs enfants. Le CCNR a conclu que le ton narquois de l'émission ne faisait pas suffisamment de distinctions entre les deux «facettes» de l'aide sociale.

Toutefois, selon le CCNR, TQS n'avait pas enfreint l'article 2 du Code de déontologie protégeant les personnes contre des commentaires offensants ou discriminatoires basés sur un certain nombre de motifs dont la condition sociale ne fait d'ailleurs pas partie. Le CCNR a statué qu'il n'était pas prêt à étendre les motifs énumérés sans l'intervention des codificateurs.

Le FCPASQ n'estimait pas que la décision du CCNR allait assez loin et il a transmis l'affaire au Conseil conformément aux procédures énoncées dans l'avis public CRTC 1999-90.

Afin de rendre sa décision, le Conseil, en plus d'avoir étudié la plainte du FCPASQ du 23 novembre 1999, a visionné un ruban de la diffusion et il a examiné la réponse donnée par TQS le 21 février 2000 ainsi que les observations du FCPASQ des 7 février et 18 avril 2000.

Dans leurs exposés, FCPASQ et TQS étayent pleinement leur position. Avant d'en arriver aux conclusions ci-après, le Conseil a examiné tous les points soulevés.

La disposition relative à la « norme de haute qualité » à l'alinéa 3(1)g) de la Loi sur la radiodiffusion

L'alinéa 3(1)g) de la Loi sur la radiodiffusion (la Loi) prévoit, comme élément important de la politique de radiodiffusion pour le Canada, que la programmation offerte par les entreprises de radiodiffusion devrait être de haute qualité. Le Conseil conclut que cette émission n'était pas de haute qualité puisqu'elle a présenté un débat sur la question de l'aide sociale d'une manière inéquitable et partiale. L'émission n'a pas réussi à limiter le débat à la question des personnes qui choisissent l'aide sociale plutôt qu'un emploi rémunéré. Le Conseil est d'accord avec la conclusion du CCNR selon laquelle l'émission a terni l'image des personnes assistées sociales et, à son avis, elle ne rencontre pas la norme de haute qualité que TQS est tenue de maintenir dans sa programmation.

Le Conseil fait également remarquer que le CCNR n'était pas certain si le débat avait été orchestré et/ou si certains panelistes étaient des acteurs plutôt que des personnes sincères choisissant réellement de vivre dans les circonstances dépeintes. Le CCNR a conclu cependant que le fond de la décision n'était pas affecté par les réponses à ces questions.

Insatisfait, le FCPASQ a soumis un article du quotidien Le Soleil qui, selon lui, démontre clairement qu'un ou plusieurs des panélistes n'étaient pas des bénéficiaires de l'aide sociale, mais des acteurs rémunérés. Le FCPASQ a conclu qu'une présentation partiale par des acteurs n'étant pas identifiés comme tel, mais plutôt comme des personnes assistées sociales ne rencontrait pas les normes minimales des radiodiffuseurs canadiens.

TQS a répliqué qu'elle connaît ses responsabilités en matière de diffusion. Elle a déclaré que le visionnement préalable de l'émission l'avait convaincue de l'absence de fausse représentation ou d'une quelconque orchestration. TQS a également répondu qu'il lui était alors impossible de savoir, avec une absolue certitude, si l'assurance donnée par le producteur indépendant de l'émission que de véritables bénéficiaires de l'aide sociale avaient été utilisés était vraie; elle s'était quand même fiée au producteur.

Cet aspect de la plainte préoccupe énormément le Conseil. Celui-ci estime que l'utilisation, par un radiodiffuseur, d'un acteur n'étant pas identifié comme tel dans une émission de ce genre est un geste très grave. Celà démontre un manque de respect fondamental, de la part d'un radiodiffuseur, à l'égard des téléspectateurs de l'émission. À son avis, un tel geste serait suffisamment grave pour constituer une contravention à la norme de haute qualité de la Loi. Voilà pourquoi le Conseil considère tout à fait inacceptables les doutes exprimés par TQS. Il s'attend que TQS, et en fait toutes ses titulaires, veillent en tout temps à ne pas tromper les téléspectateurs, en utilisant des acteurs n'étant pas identifiés comme tels dans de telles émissions. Le Conseil n'hésiterait pas à conclure, dans les cas où la preuve est claire, que tromper les téléspectateurs de cette façon contreviendrait à la norme de haute qualité.

La disposition de l'alinéa 5(1)b) du Règlement de 1987 sur la télédiffusion concernant les « propos offensants »

L'alinéa 5(1)b) du Règlement de 1987 sur la télédiffusion (le Règlement) stipule qu'il est interdit au titulaire de diffuser :

« des propos offensants ou des images offensantes qui, pris dans leur contexte, risquent d'exposer une personne, un groupe ou une classe de personnes à la haine ou au mépris pour des motifs fondés sur la race, l'origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, le sexe, l'orientation sexuelle, l'âge ou une déficience physique ou mentale ».

Ni le Règlement, ni l'article 2 du Code de déontologie qu'applique le CCNR n'incluent expressément la condition sociale dans la liste des motifs. La condition sociale ne figure pas non plus sur la liste de l'article 15 de la Charte canadienne des droits et libertés. Il en est cependant question dans la disposition sur l'égalité des droits de la Charte des droits et libertés du Québec. Tel que le fait remarquer le FCPASQ, le Tribunal des droits de la personne du Québec a interprété cette disposition de manière que le traitement différencié basé sur l'aide sociale ou le statut d'assisté social contrevienne à la disposition concernant l'égalité des droits.

Le Conseil a examiné l'alinéa 5(1)b) du Règlement et il a également trouvé des causes traitées par les tribunaux canadiens pour examiner si le statut d'assisté social peut être considéré semblable aux motifs énumérés et donc faire l'objet d'une protection. La jurisprudence est loin d'être uniforme.

Le Conseil s'est également penché sur le contenu du paragraphe 2(3) de la Loi voulant que « l'interprétation et l'application de la présente loi doivent se faire de manière compatible avec la liberté d'expression et l'indépendance, en matière de journalisme, de création et de programmation, dont jouissent les entreprises de radiodiffusion ». De plus, il s'est penché sur l'alinéa 2b) de la Charte canadienne des droits et libertés stipulant que toute personne jouit de la liberté d'expression, y compris la liberté de la presse et des autres moyens de communication. Le Conseil conclut qu'il ne serait pas approprié d'élargir l'interprétation de la disposition applicable aux propos offensants pour inclure la condition sociale et d'appliquer cet élargissement rétroactivement, à compter de la date de diffusion de l'émission, dans le but de réduire la liberté d'expression de TQS. Par conséquent, le Conseil conclut que cet épisode de Black-out ne contrevient pas à l'alinéa 5(1)b) du Règlement. Le Conseil surveillera cependant le nombre de plaintes déposées en rapport avec cette question, celles qu'il reçoit comme celles qui seront adressées au CCNR. Il entend aussi continuer de suivre de près la jurisprudence pour s'assurer que les motifs invoqués dans son règlement sont adéquats et appropriés. Le Conseil apprécie les commentaires que le FCPASQ lui a fournis à ce jour pour le tenir au fait.

Conséquence de la décision

En dernier lieu, le FCPASQ a fait valoir que l'obligation pour TQS de diffuser un bref message annonçant la décision du CCNR n'était pas proportionnelle au dommage causé par la diffusion de l'émission. Le Conseil fait remarquer que, dans l'avis public CRTC 1991-90, il a approuvé le mandat du CCNR et il a accepté cette façon de traiter les préoccupations publiques relatives à la programmation de stations de radio et de télévision canadiennes privées. Si un radiodiffuseur membre du CCNR contrevenait à répétition à cette disposition ou aux autres dispositions d'un ou de plusieurs codes, il pourrait perdre son statut de membre en règle et être expulsé. Par la suite, le Conseil examinerait systématiquement toute plainte déposée contre ce radiodiffuseur.

De plus, les décisions du CCNR sont publicisées dans toute l'industrie de la radiodiffusion et elles sont annoncées dans les médias. Le CCNR a informé le Conseil que ses décisions ont valeur de précédent significatif puisque les autres radiodiffuseurs en tiennent compte quand ils prennent leurs propres décisions en matière de programmation. En outre, le Conseil surveille les activités du CCNR et reçoit des rapports annuels précis sur ses décisions et ses activités. De l'avis du Conseil, l'obligation pour TQS d'annoncer la décision du CCNR était appropriée et conforme aux objectifs du processus d'autoréglementation.

Enfin, cette lettre sera versée au dossier public de TQS et sur le site Web du Conseil : www.crtc.gc.ca.

Le Conseil remercie le FCPASQ de lui avoir fait part de ses préoccupations.

Veuillez agréer, Messieurs, l'expression de mes sentiments distingués.

La secrétaire générale,
Ursula Menke

Pièce jointe : Décision CCNR 98/99-0009+

c.c. M. Ron Cohen
Président national, CCNR

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