ARCHIVÉ - Décision CRTC 2000-393

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Décision CRTC 2000-393
Ottawa, le 21 septembre 2000
World Television Network/Le Réseau Télémonde Inc.
L'ensemble du Canada – 199618154

Audience publique du 9 mai 2000
à Kingston

Projet de service de télévision spécialisée

Le Conseil, par vote majoritaire, refuse une demande présentée par World Television Network/Le Réseau Télémonde Inc. en vue d’offrir un service national de télévision spécialisée pour fournir une gamme d’émissions provenant de partout dans le monde. Les émissions auraient été présentées dans leur langue d’origine avec des sous-titres en anglais d’abord, et en français ultérieurement, sur un signal additionnel. La requérante a demandé que la licence ne lui soit accordée que si elle obtient un double statut pour la distribution, afin que le service soit nécessairement acheminé sur un canal analogique du service de base fourni par la majorité des câblodistributeurs. Dans les marchés de langue anglaise, ce service aurait entraîné une augmentation du tarif mensuel d'environ 0,30 $ par abonné.

Programmation et plan d’affaires

1.

World Television Network/Le Réseau Télémonde Inc. (RTM) a demandé une licence l’autorisant à exploiter un nouveau service national de télévision spécialisée. RTM décrivait le service proposé comme « l’univers de la télévision sous toutes ses formes », fournissant des émissions de toutes sortes provenant de stations de télévision d’intérêt général, sauf des émissions d’éducation formelle et des jeux-questionnaires. La requérante prévoyait offrir des émissions de nouvelles, d’affaires publiques et de sport, des films et des émissions de divertissement provenant du Canada et d’ailleurs, surtout des émissions de pays autres que les États-Unis. Les émissions américaines auraient représenté 5 % au plus du total de la programmation.

2.

RTM a décrit le service qu’elle proposait offrir comme une variété d’émissions provenant du Canada et d’ailleurs. Les émissions auraient été diffusées dans leur langue d’origine avec sous-titres anglais utilisant des techniques de pointe et, à compter de la troisième année d’exploitation, des sous-titres français auraient été ajoutés. Les émissions auraient porté sur des événements à caractère politique, culturel, économique et social et la requérante prévoyait offrir aux téléspectateurs canadiens [Traduction] « des émissions d’opinions, des documentaires, des points de vue introspectifs et des divertissements qui actuellement ont une couverture réduite ou très limitée sur la scène télévisuelle nord-américaine ». La requérante estimait que le service jouerait un rôle particulier en favorisant l’atteinte des objectifs énoncés à l’article 3(1) de la Loi sur la radiodiffusion (la Loi), mais elle insistait néanmoins sur le fait que la programmation serait destinée au très grand public et qu’elle n'est pas proposée à titre de programmation « à caractère ethnique ».

3.

La requérante a indiqué qu’au moins 50 % de toute la programmation seraient canadiens. Bon nombre d’émissions canadiennes auraient été diffusées en anglais, alors que d’autres auraient contenu des passages dans diverses langues avec sous-titres.

4.

Pour assurer la diversité de la provenance des émissions, RTM proposait qu’au plus 5 % du contenu étranger mensuel soient consacrés à un pays donné, et qu’au plus 5 % du contenu mensuel soient réservés à une langue donnée (autre que l’anglais ou le français).

5.

Le plan d’affaires de RTM reposait sur la distribution d’un service à « double statut » aux entreprises de câblodistribution, moyennant un tarif obligatoire de 0,30 $ par abonné par mois dans les marchés de langue anglaise. Le double statut signifie que les distributeurs de classe 1 (comptant généralement plus de 6 000 abonnés) sont obligés de distribuer le service à un canal analogique de leur service de base, à moins que le fournisseur de service et le distributeur ne conviennent que le service sera plutôt distribué au volet facultatif. Les distributeurs de classe 2 (comptant généralement entre 2 000 et 6 000 abonnés) peuvent accepter ou refuser de distribuer un service de double statut. Cependant, s’ils acceptent de le faire, ils doivent l’intégrer à leur service de base à moins que le fournisseur de service et le distributeur acceptent plutôt une distribution au volet facultatif. RTM a insisté sur le fait que l’attribution d’un double statut était au coeur de son plan d’affaires et qu’elle ne cherchait d’approbation qu’à cette condition.

6.

La requérante a aussi basé sa demande de double statut de distribution sur l’argument voulant que le type de service qu’elle proposait suscitait beaucoup d’intérêt et elle a présenté les résultats de divers sondages pour le prouver. L’étude la plus récente présentée par la requérante datait de mai 2000 et portait sur les résidents de Toronto et de Montréal. Le sondage indiquait que 25 % des résidents de Toronto et 17 % des résidents de Montréal seraient intéressés à regarder des émissions produites ailleurs qu’en Amérique du Nord, et que 29 % de Torontois et 25% de Montréalais seraient disposés à payer entre 0,30 $ et 0,38 $ de plus par mois pour recevoir ce genre de service.

7.

Tel que mentionné ci-dessus, la requérante a proposé de demander un tarif de gros de 0,30 $ par abonné dans les marchés de langue anglaise. En tenant compte du supplément du distributeur et des taxes, cela correspondrait à une augmentation obligatoire d’un peu plus de 0,30 $ par rapport aux frais payés par l’ensemble des abonnés.
Interventions

8.

Le Conseil fait état des nombreuses interventions soumises à l’appui de cette demande et de la possibilité soulevée selon laquelle le service proposé avait, entre autres choses, de diversifier davantage la scène canadienne de la radiodiffusion. Le Conseil a soigneusement examiné ces interventions avant d’en arriver à sa conclusion.

9.

Plusieurs interventions défavorables ont aussi été déposées, y compris celles de l’Association canadienne de télévision par câble (ACTC), de l’Association canadienne des radiodiffuseurs (ACR), de radiodiffuseurs à caractère ethnique en place et de titulaires de divers services de télévision spécialisée.

10.

L’ACTC s’est dite préoccupée par le statut de distribution exigé dans la proposition, non seulement à cause du manque de capacité de transmission analogique, mais aussi parce qu’il faut garder de la capacité de transmission pour les nouveaux services numériques facultatifs afin d’accélérer la mise en œuvre de la technologie de distribution numérique.

11.

L’ACR a soutenu que le type de service que proposait RTM était trop vaste et finirait par devenir un service d’intérêt général. Elle a fait remarquer que l’éventail de la programmation proposée incluait des émissions de nouvelles, d’affaires publiques, de sport, des films et des divertissements pour la famille. L’Association était d’avis que l’attribution d’une licence à RTM créerait un recoupement avec presque tous les autres services spécialisés existants et que cela empêcherait de nouveaux services numériques spécialisés d’obtenir une licence. Dans l’avis public CRTC 2000-6 intitulé Politique relative au cadre de réglementation des nouveaux services de télévision spécialisée et payante numériques, le Conseil a précisé que ces nouveaux services ne devraient pas être en concurrence directe avec les services analogiques existants.

12.

La principale inquiétude des titulaires de services spécialisés à caractère ethnique était que, non seulement RTM exploiterait en haut de ligne un service à caractère ethnique multilingues, mais qu’elle aurait l’avantage distinct d’une distribution obligatoire intégrée au service de base. Ces titulaires ont fait remarquer qu’en revanche, elles n’ont accès à des systèmes de distribution que dans certains cas et qu’elles ne sont autorisées à distribuer que sur une base facultative. Elles ont soutenu que le fait d’accorder à RTM une distribution au service de base nuirait financièrement à leurs services.

Conclusion du Conseil

13.

Dans l’avis public CRTC 1997-33 établissant le calendrier pour l’examen des diverses demandes de licence d’exploitation de nouveaux services de télévision spécialisée et payante, le Conseil a déclaré que :

…les demandes proposant de nouveaux services de langues anglaise et française qui reposent sur la distribution au service de base ou à un volet facultatif de forte pénétration doivent justifier une telle distribution sur la base d’ententes avec des distributeurs ou d’une preuve établissant l’importance exceptionnelle du service proposé aux fins d’atteindre les objectifs de la Loi sur la radiodiffusion.

14.

Tel qu’indiqué dans le passage ci-dessus, le Conseil s’attend à ce que les requérantes justifient la distribution de leurs services au service de base ou à un volet facultatif de forte pénétration.

15.

Le Conseil tient à souligner qu’à son avis, le recoupement potentiel de RTM avec les services à caractère ethnique existants n’aurait pas un impact économique indu sur ces services. Le service, tel que proposé et présenté par la requérante à l’audience, aurait été destiné non pas aux auditoires ethniques canadiens, mais surtout au grand public intéressé aux questions internationales et à des divertissements venant d’ailleurs que de l’Amérique du Nord.

16.

Le Conseil fait remarquer que la requérante a insisté à l’audience sur le fait que le service proposé était destiné au grand public, lequel est déjà desservi par une grande variété de services de télévision conventionnelle et spécialisée. De l’avis du Conseil, ces auditoires auraient eu un intérêt mitigé pour ce genre de service en raison de la quantité d’émissions présentées dans une troisième langue avec sous-titres.

17.

Le Conseil estime qu’une proposition comme celle de RTM pourrait ajouter à la diversité de l’environnement canadien de la radiodiffusion. Cependant, la majorité des câblodistributeurs subissent actuellement des pressions à l’égard de leur capacité de distribution analogique et les consommateurs s’attendent de plus en plus à pouvoir choisir les services spécialisés qu’ils reçoivent. Le Conseil n’est donc pas convaincu qu’il est dans l’intérêt public d’approuver le statut de distribution que la requérante demande.

18.

Le Conseil est d’avis que RTM n’a pas prouvé que le service proposé aurait contribué sensiblement à l’atteinte des objectifs de la Loi, justifiant ce qui aurait en réalité été une distribution obligatoire au service de base à un tarif mensuel d’abonnement. Il n’est pas convaincu non plus que les éléments de preuve de la demande justifient la distribution du service proposé au service de base. Le Conseil, par vote majoritaire refuse donc la demande.

 

Secrétaire général
La présente décision est disponible, sur demande, en média substitut et peut également être consultée sur le site Internet suivant : www.crtc.gc.ca

 

Opinion minoritaire du conseiller Stuart Langford
Je suis en désaccord avec la majorité et j’aurais approuvé cette demande. En la rejetant, le Conseil rate une occasion de remplir une partie de son mandat prévu par la loi relatif à l’identité et à l’objet du système canadien de radiodiffusion. Or, qui sait si cette occasion ratée se présentera de nouveau, un jour?

Une pièce manquante

L’article 3 de la Loi sur la radiodiffusion (la Loi) expose la vision du Parlement pour le système canadien de radiodiffusion et en établit les éléments essentiels par voie de politique. Cette politique pourrait s’apparenter à une liste de contrôle de ce que le Parlement considère comme les composantes requises d’un système de radiodiffusion équilibré et représentatif. Au fil des ans, le Conseil a coché un grand nombre des cases en regard de ces composantes ou éléments, mais l’une d’elles, celle qui porte sur les avantages de la diversité culturelle au Canada, reste bien clairement vide1. Je veux parler de la directive du Parlement à l’alinéa 3d)(iii) de la Loi selon laquelle le système canadien de radiodiffusion devrait « … répondre aux besoins et aux intérêts, et refléter la condition et les aspirations, des hommes, des femmes et des enfants canadiens, notamment… le caractère multiculturel et multiracial de la société canadienne… »

Cette demande donnait au Conseil une chance de poursuivre le travail que le Parlement lui a confié, de respecter l’esprit de la Loi en dotant la mosaïque de la radiodiffusion canadienne d’une pièce manquante. Elle offrait l’occasion d’amener dans le flot principal de la collectivité de la radiodiffusion au pays un segment important et croissant de la population canadienne en perpétuelle évolution, segment qui, depuis quelques années, se plaint de plus en plus fort de sa marginalisation. Nul doute que le fait de saisir la chance et l’occasion que cette demande offre aurait entraîné des frais. La décision majoritaire en donne le détail. Cependant, tout bien considéré, il me semble que les avantages à long terme l’emportent de loin sur ces frais, si réels soient-ils.

Les avantages

En atteignant l’objectif de la Loi susmentionné, objectif sans doute inspiré par le visage changeant du Canada, le service RTM décrit dans cette demande enrichirait grandement la télévision au pays. Il apporterait à l’industrie une nouvelle équipe de radiodiffuseurs professionnels très expérimentés et, aux téléspectateurs, un contenu qui leur est presque inaccessible à l’heure actuelle.

Qualifiée de [Traduction] « puissante et révolutionnaire » par la Fondation McLuhan de l’Université de Toronto2, la grille-horaire prévue de RTM donnerait aux Canadiens accès aux 94 % d’émissions de télévision produites dans le monde qu’ils ne peuvent pas trouver actuellement dans leurs télé-horaires. À quelques exceptions près, la télévision du flot principal au Canada est produite soit au pays, soit aux États-Unis. Quelques services spécialisés poussent leurs recherches d’émissions un peu plus loin et il arrive, mais très rarement, que quelque chose d’en dehors de l’Amérique du Nord se retrouve dans les grilles-horaires de la télévision conventionnelle. RTM avait l’intention de renverser cette tendance. M. Daniel Iannuzzi, président de RTM, l’a exposé comme suit3 :

[Traduction] « Le Réseau Télémonde sera un service national unique qui offrira les meilleures des émissions mondiales diffusées dans leurs langues originales, sous-titrées en anglais ou en français, au moyen d’une technique de pointe.

« Nous comptons fournir deux canaux, un en anglais et l’autre en français. Ces émissions divertissantes et informatives, ouvrant de nouvelles perspectives, seront ainsi accessibles à tous les Canadiens.

« Nous aurons des émissions de qualité provenant de toutes les régions du monde. Pour garantir cette diversité, nous prenons aujourd’hui deux engagements clés :

« Premièrement, toutes nos émissions étrangères seront diffusées dans la langue originale de leur production, et pas plus de 15 % dans une langue.4

« Deuxièmement, un maximum de 5 % de nos émissions viendra des États-Unis d’Amérique. »

M. Michael McHale, vice-président (Programmation), Services de langue anglaise, a donné plus de détails sur ces engagements. Voici ce qu’il a déclaré au sujet des objectifs et des plans particuliers de RTM concernant l’achat et la production d’émissions :

[Traduction] « Le Réseau Télémonde offrira aux téléspectateurs canadiens des perspectives, des points de vue et des divertissements qui sont actuellement une denrée rare à la télévision canadienne.

« Des émissions comme The Bus des Pays-Bas, Blood is Not Fresh Water d’Éthiopie, Divided We Fall de la République tchèque, Ahron Cohen's Debt d’Israël, Confidences from the River of Deaths du Brésil et Manhole Children of Mongolia, une production japonaise, ne constituent que quelques exemples d’émissions de qualité et primées qui étaient jusqu’ici inaccessibles aux Canadiens.

« Au cours des sept premières années, nous consacrerons près de 36 millions de dollars à des émissions de divertissement internationales fraîches, nouvelles et intéressantes, qui ajouteront exponentiellement à la diversité de notre univers de la radiodiffusion.

« Cependant, Télémonde est beaucoup plus qu’un service d’émissions internationales. Nous dépenserons 75 millions de dollars, soit 33 % de nos recettes brutes, en émissions canadiennes au cours de la période d’application de la licence. »5

Les dirigeants de RTM se sont engagés à atteindre un niveau de 50 % de contenu canadien au cours de la période d’application de la licence et à acheter de producteurs indépendants 45 % de toutes les émissions canadiennes. Quand on ajoute ces avantages tangibles à une démarche de programmation multiple destinée à accroître les choix et à nouer des liens entre le Canada et le monde et entre les Canadiens de toutes les origines raciales et culturelles, rien d’étonnant qu’un si grand nombre d’intervenants, plus de 4 000, aient inscrit leurs noms sur la longue liste des partisans de la demande de RTM.

Un intervenant, le député Joseph Volpe, a jugé que les avantages qui ressortent de toute analyse coûts-avantages de cette demande l’emportent à tel point sur les inconvénients que, selon lui, il devenait [Traduction] « très facile » de décider d’attribuer une licence à RTM. [Traduction] « La décision serait un « smash », comme on dit au basket-ball, ce serait un oui absolu. »6 Selon M. Volpe, la demande de RTM donne au Conseil une chance de rejoindre les nombreux Canadiens qui se sentent exclus du monde de la télévision : [Traduction] « Je crois que cette demande offre au CRTC, au Conseil, une occasion de donner enfin un sentiment d’appartenance à ceux qui veulent se voir refléter dans les images qui font partie intégrante de la vie d’aujourd’hui. »7

L’espoir de M. Volpe que l’approbation de la demande de RTM aide à favoriser un plus grand sentiment d’appartenance chez une population canadienne dont la pluralité culturelle s’accroît sans cesse d’année en année faisait écho à des sentiments semblables exprimés dans un récent énoncé de politique du gouvernement. La citation qui suit, extraite de Le Canada, une expérience à vivre : diversité, créativité et pluralité de choix8, témoigne que la télévision a un rôle clé à jouer pour créer un sentiment d’inclusivité et de communauté chez tous les Canadiens : « Le gouvernement du Canada reconnaît que nous devons aussi nous assurer que l’image projetée par des moyens électroniques plus traditionnels colle davantage à la réalité canadienne. Un grand nombre de ces médias de communication (radio, câble, satellites et technologies de télécommunications), qui apportent aux Canadiens et Canadiennes les cultures du monde entier, ont pris naissance au Canada. Ils ont certes enrichi nos vies, cependant, ils ont fait en sorte qu’il est devenu plus difficile pour les Canadiens et Canadiennes de retrouver des images, des voix, des histoires reflétant leur réalité, qu’ils soient en train de naviguer parmi les centaines de canaux de télévision… »

M. Howard Bernstein, vice-président (Émissions d’information) de RTM, dans sa description de la démarche de la requérante à l’égard de la collecte d’informations, a aussi souligné l’occasion unique que cette demande donnait comme démarche d’approche dans un autre sens : [Traduction] « Il s’agit là d’une occasion pour les Canadiens d’apprendre comment les grandes actualités sont perçues dans leurs pays d’origine, les pays touchés par les histoires et les pays tiers dont on entend rarement les opinions. »9 Autrement dit, les Canadiens jouiront d’une toute nouvelle perspective, d’images enregistrées par des caméras tenues dans des mains autres que nord-américaines et, souvent, autres qu’européennes. Ils auront droit aux histoires mondiales, et même aux leurs, vues d’un angle différent.

Coût, distribution et concurrence

Malgré les avantages, dont certains sont exposés ci-dessus, des intervenants défavorables jugeaient que trois aspects de cette demande la tuaient dans l’œuf. Il s’agit des répercussions sur la capacité du câble qu’aurait la distribution analogique de RTM en période de transition au numérique, du coût (environ 0,37 $ par mois) de la distribution au service de base pour les abonnés et de l’effet que l’attribution d’une licence à RTM aurait sur les radiodiffuseurs ethniques établis.

Je suis d’accord avec la conclusion formulée dans la première phrase du paragraphe 15 de la décision majoritaire que les craintes des radiodiffuseurs ethniques ne sont pas fondées. Les questions de la distribution et du coût exigent une analyse plus approfondie.

Si le Conseil approuvait cette demande, la plupart des abonnés du câble au Canada seraient obligés de payer pour un service qu’ils ne veulent pas tous, ce qui ne constitue pas un précédent. De même, au moment où les câblodistributeurs font des pieds et des mains pour libérer une capacité rare de manière à faciliter, au cours des prochaines années, la transition progressive de la transmission analogique à la transmission numérique, l’approbation de cette demande leur imposerait, sur le plan technique, l’obligation de reculer sensiblement et de consacrer au service RTM 6 MHz de capacité (suffisamment pour distribuer jusqu’à six signaux numériques et peut-être même davantage).

Pour le compte de l’Association canadienne de télévision par câble (ACTC), M. Christopher Taylor a déclaré ceci au sujet de la distribution : [Traduction] « RTM a demandé la distribution analogique selon un double statut. L’ACTC s’oppose à ce que la distribution analogique de RTM, sous quelque forme que ce soit, soit autorisée. »10

La principale inquiétude de l’ACTC, selon M. Taylor, n’était pas ce que RTM pouvait apporter au système canadien de radiodiffusion, mais ce que la distribution analogique de ce service pouvait l’empêcher d’apporter : [Traduction] « Selon l’ACTC, rien au dossier de la présente instance ne justifierait que le Conseil adopte une démarche aussi extraordinaire que celle d’autoriser un nouveau service et de refuser par le fait même la distribution de six autres. »11

En abordant expressément la question de la capacité (voir la décision majoritaire, paragraphe 17), la majorité a refusé la demande de RTM malgré sa conclusion que celle-ci « pourrait ajouter à la diversité de l’environnement canadien de la radiodiffusion ». Selon moi, les préoccupations relatives à la distribution, malgré qu’elles soient substantielles, ne l’emportent pas sur « … l'importance exceptionnelle du service proposé aux fins d'atteindre les objectifs de la Loi sur la radiodiffusion », pour reprendre le même passage de l’avis public 1997-33 sur lequel la majorité s’est appuyée au paragraphe 13 de sa décision.

Le fait de consacrer 6 MHz de capacité n’entraînera pas nécessairement la perte de services numériques futurs. De l’aveu même de l’ACTC, la capacité numérique, c’est beaucoup plus que [Traduction] « ramasser » les canaux analogiques actuels et les convertir au numérique. Ici encore, selon M. Taylor de l’ACTC : [Traduction] « Il existe deux façons d’obtenir cette capacité analogique supplémentaire. Premièrement, on peut construire, ou mettre à niveau, son propre système. Ou encore, on peut prendre la capacité analogique actuelle et la convertir au numérique. Si j’ai bien compris, presque toutes les entreprises examinent actuellement ces deux options. »12

De toute évidence, l’attribution d’une licence à RTM au service de base ne poserait pas automatiquement de dilemme aux câblodistributeurs. Ceux-ci n’auraient pas pour seule option d’abandonner un service établi pour RTM ou de renoncer à la distribution de services numériques récemment autorisés parce que RTM aurait saturé leur capacité. Le câblodistributeur qui serait aux prises avec un problème de capacité et qui voudrait ajouter des services numériques pourrait, pour reprendre les propos de M. Taylor, [Traduction] « construire » son système. Il est vrai que cela entraînerait des frais supplémentaires, mais, toujours selon M. Taylor, [Traduction] « presque toutes les entreprises » envisagent déjà d’engager de tels frais. De même, la logique voudrait qu’aucun distributeur n’ajoute de signaux numériques dans l’avenir à moins que des études de marché ne révèlent une demande suffisante pour garantir que la chose soit rentable.

La majorité a aussi mentionné expressément la question du coût pour les abonnés. J’estime que les incidences négatives d’une hausse du tarif mensuel d’environ 0,37 $, quoique importante, pâlissent devant les facteurs d’intérêt public qui sous-tendent cette demande. Personne ne souhaite augmenter les frais de consommation, en particulier lorsqu’une hausse est attribuable à l’ajout d’un service qui, selon des études, ne sera pas accueilli favorablement par tous. Toutefois, le Conseil l’a fait dans le passé lorsqu’il a jugé qu’une telle mesure était conforme aux exigences de la Loi en matière d’intérêt public, et l’universalité de la demande pour un service n’a jamais encore été considérée comme une condition préalable à sa distribution au volet de base.

La recherche de marché de la requérante révèle une importante demande des téléspectateurs pour un service comme celui qui est proposé. De tels sondages mesurent la réaction des consommateurs non pas à un service de radiodiffusion parfaitement opérationnel, mais à une notion abstraite. Le produit n’existe pas encore lorsqu’on prend la mesure de l’intérêt. Compte tenu de l’évolution des caractéristiques démographiques du Canada et du sentiment croissant que, malgré le grand nombre de canaux disponibles, il manque quelque chose13, il est raisonnable de croire qu’une fois le service RTM effectivement entré dans les salons du pays, l’intérêt des téléspectateurs croîtra.

La demande de RTM, qui est destinée à remplir ce qu’un intervenant qualifie [Traduction] « d’important élément manquant »14 de l’énoncé de mission de la Loi, est analogue à une demande récemment approuvée présentée par Television Northern Canada Incorporated en vue d’exploiter un réseau national autochtone de programmation (APTN)15. Dans ce cas-là, tout comme dans celui qui est en instance, la faible demande des téléspectateurs et la distribution du service au volet de base moyennant un tarif mensuel avaient également suscité de la controverse. Faisant état de la priorité de l’intérêt public sur les obstacles de la distribution et du coût, le Conseil n’a eu aucun mal à approuver la demande d’APTN :

« Dans son examen, le Conseil a tenu compte de l’appui considérable donné à APTN dans les nombreuses interventions, soumises…

« Le Conseil a également examiné la demande d'APTN à la lumière des objectifs énoncés dans la Loiet des avantages que l'approbation de la demande apporterait à la population canadienne et au système canadien de radiodiffusion. »16
Dans sa décision d’attribuer une licence à APTN, le Conseil s’est appuyé sur l’énoncé de mission de l’article 3 de la Loi, le même que celui que les dirigeants de RTM et un grand nombre de ses partisans ont invoqué. Le Conseil a examiné les questions de distribution et de coût dans la décision relative à APTN, mais, comme mentionné ci-dessus, il a en dernière analyse déclaré que les facteurs d’intérêt public l’emportaient de loin sur elles :

« [Le Conseil estime qu’il] est impératif que le service unique d'APTN soit offert à tous les Canadiens, conformément aux objectifs de la politique canadienne de radiodiffusion. » … « Il estime que la distribution d'APTN au service de base en garantit la distribution élargie dans tout le pays. »17
Déjà vu, non
Le Conseil, faisant valoir qu’il avait « …reçu plus de 300 interventions et lettres favorables »18, n’a, dans la décision relative à APTN, pas eu de mal à écarter les recommandations de l’ACTC et d’autres parties (recommandations qui, à propos, étaient remarquablement semblables à celles que l’ACTC et d’autres intervenants défavorables ont présentées dans la présente demande) voulant que la distribution obligatoire soit refusée et que le service autochtone soit autorisé pour fins de distribution en mode numérique seulement :

« APTN a répondu que son service doit être distribué obligatoirement pour pouvoir atteindre les objectifs clés de la Loi. Pour ce qui est du projet de distribution d'APTN en mode numérique seulement, la requérante a répondu que [Traduction] « ce n'est pas une option : APTN ne pourrait jamais être offert de cette façon à un coût raisonnable et respecter son plan d'entreprise ». Le Conseil estime de plus que trop d'incertitudes entourent encore l'échéancier de mise en œuvre à grande échelle de la technique numérique. »19

Après avoir comparé les demandes d’APTN et de RTM, il est difficile de comprendre comment la première a pu être approuvée et la seconde, refusée. Trois cents intervenants étaient favorables à APTN; plus de 4 000 appuient RTM. Aux arguments identiques relatifs à la distribution et au coût présentés par l’ACTC et autres contre APTN et RTM s’opposent des facteurs d’intérêt public identiques fondés sur les principes de la même politique publique. Les exigences de son « plan d’entreprise » ont incité APTN à insister sur la distribution analogique au service de base plutôt que sur la distribution numérique. La cause est identique pour RTM, même si la requérante a proposé un tarif mensuel de 0,15 $ supérieur à celui qu’APTN avait proposé. Le Conseil a approuvé la demande d’APTN, mais il refuse celle de RTM. L’analyse coûts-avantages a porté sur des éléments identiques dans les deux demandes, mais elle a abouti à des résultats différents.

Placer côte à côte les décisions relatives à APTN et à RTM, c’est soulever des questions auxquelles il se révèle difficile de répondre logiquement. Trois cents partisans constituent un facteur important dans un cas; dans l’autre, 4 000 méritent à peine une mention. La distribution et le coût sont de légers obstacles dans un cas, mais ils deviennent des barrières insurmontables à l’approbation dans l’autre. Le plan d’entreprise d’une requérante qui rend l’option numérique inacceptable est convaincant dans un cas, tandis qu’un plan d’entreprise presque identique dans le second est jugé inacceptable. Les dossiers des deux demandes révèlent que les chiffres relatifs à la demande générale des téléspectateurs que RTM a fournis sont beaucoup plus élevés que ceux d’APTN. Selon la décision majoritaire, toutefois, la demande pour le service proposé par RTM n’est pas suffisamment élevée : « [Le Conseil] n’est pas convaincu non plus que les éléments de preuve de la demande justifient la distribution du service proposé au service de base. »20

Sinon aujourd’hui, quand?

Les demandes de licences d’exploitation de services comportant d’importants facteurs d’intérêt public ne sauraient être évaluées selon les mêmes critères que les autres demandes. Les analyses de rentabilisation et la demande mesurable des consommateurs comptent pour beaucoup sur le plan commercial. Ce sont là des aspects dont il faut aussi tenir compte lorsqu’on évalue le bien-fondé de propositions comme celle dont nous sommes saisis, mais ils ne constituent pas nécessairement des facteurs dominants. Selon moi, les questions de politique fondamentales qui sous-tendent cette demande sont celles qu’a exposées de manière succincte et en contexte un des intervenants favorables à RTM, M. George Frajkor :

[Traduction] « S’il est souhaitable de faire quelque chose – voilà vraiment ce que le CRTC devrait établir. La politique canadienne s’y prête-t-elle? Notre politique est-elle d’avoir une identité culturelle canadienne distincte, séparée de celle des Américains? Si c’est souhaitable, il faut donc trouver le moyen de le réaliser. »21

En partant de la proposition de M. Fajkor, un autre intervenant favorable, l’honorable Gerry Weiner, a placé la question de l’attribution d’une licence au service RTM dans un contexte un peu plus général :

[Traduction] « Nous devrions bâtir une société axée sur nos valeurs communes, notre culture commune, bâtir un pays qui tire vraiment sa richesse de sa diversité et qui y trouve ainsi l’unité, mais sans chercher l’harmonie dans une forme quelconque d’homogénéité.

« Est-il possible pour le Canada de bâtir un état fondé sur la diversité culturelle? Cette diversité peut-elle devenir un facteur contributif de l’intégration et de l’unité nationales? Le Réseau Télémonde est un excellent exemple de la façon dont cela peut et doit se faire.
« À défaut de ce modèle d’état, qu’allons-nous essayer : la ségrégation ou l’apartheid, l’assimilation ou le creuset? On les a tous tentés, mais ils ont échoué.

« Le médium de la télévision doit donc participer à la croissance et à la maturité de notre société. »22

Si la télévision peut contribuer à ce rôle d’intérêt public, si un service peut être structuré de manière à donner un souffle de vie à cet aspect de la vision du Parlement exposée dans l’article 3 de la Loi qui reste non concrétisé, alors il me semble qu’il faudrait encourager un tel développement. La seule question qui reste est : est-ce le bon service, et le moment est-il propice? Tout bien considéré, je pense que oui.

Si ce n’est pas RTM et pas maintenant, alors ce sera quoi et quand? Personne ne soutiendrait que le service proposé dans la demande est le meilleur qu’on pouvait concevoir. Cependant, il a fallu plus de 10 ans pour l’établir; ses dirigeants sont compétents; le plan d’entreprise qui le sous-tend est réalisable. Peut-être qu’une meilleure proposition se cache au prochain détour, mais le volumineux dossier de la présente instance ne renferme aucun indice à cet égard. RTM est le service qui existe à l’heure actuelle pour atteindre l’objectif du Parlement prévu par la Loi selon lequel le système de radiodiffusion doit être plus inclusif, plus varié et plus vraiment canadien. J’aurais approuvé cette demande.

 

1 Je constate que le Conseil a autorisé un certain nombre de services spécialisés à caractère ethnique, mais que ces services sont chers et destinés à desservir des marchés créneaux, tandis que le projet de service RTM a été conçu de manière à intéresser un auditoire beaucoup plus vaste.
2 Transcription, paragraphe 64.
3 Idem, paragraphes 66-70.
4 En réponse à des questions de la présidente concernant le degré de diversité qu’un engagement de 15 % garantirait, les requérantes se sont engagées à réduire ce pourcentage de 15 % à 3 % (transcription, paragraphe 618).
5 Transcription, pararaphes 93-96.
6 Idem, paragraphe 1769.
7 Ibid., paragraphe 1761.
8 Le Canada, une expérience à vivre, 1er novembre 1999, réponse du gouvernement à Appartenance et identité, le neuvième rapport du Comité permanent du patrimoine canadien déposé le 10 juin 1999 (la citation est tirée de la page 7).
9 Transcription, paragraphe 87.
10 Idem, paragraphe 1193.
11 Ibid., paragraphe 1195.
12 Ibid., paragraphe 1231.
13 Un intervenant, M. Ken Marchant, au paragraphe 1703 de la transcription, s’est exprimé comme suit : [Traduction] « Mais, lorsque j’allume mon câble et obtiens quelque 70 canaux, il y manque quelque chose d’important. »
14 Transcription, paragraphe 1661.
15 Voir la décision CRTC 99-42.
16 Idem, paragraphes 6 et 7.
17 Ibid., paragraphe 22.
18 Ibid., paragraphe 29.
19 Ibid., paragraphe 30.
20 Décision majoritaire, paragraphe 18.
21 Transcription, paragraphe 1450.
22 Idem, paragraphes 1496-1499.

 

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