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Ottawa, le 4 novembre 1985
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Avis public CRTC 1985-236
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Plaintes du Conseil tribal Nishga et de la Bande indienne Musqueam contre CKNW New Westminster (C.-B.)
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Le Conseil blâme par la présente CKNW pour les propos racistes tenus à la tribune téléphonique de M. Gary Bannerman, le 3 avril 1985 (l'émission).
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Matière de l'émission
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CKNW, station de radio MA appartenant à la Westcom Radio Group Ltd., société à part entière de la WIC Western International Communications Ltd., diffuse la tribune téléphonique de M. Bannerman en matinée en semaine, de 9 h à midi. Lors de l'émission du 3 avril 1985, M. Bannerman a exprimé ses opinions sur la question de l'autonomie politique des autochtones.
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L'émission a duré une heure vingt minutes et a été interrompue par des messages commerciaux et un bulletin de nouvelles. Elle a débuté par l'expression du point de vue de M. Bannerman; ont suivi les commentaires de 14 appelants, dont 11 étaient d'accord avec les remarques de M. Bannerman et trois en désaccord. La question de l'autonomie politique des autochtones était le premier de trois sujets discutés à l'émission de M. Bannerman et elle s'est prolongée au-delà du bulletin de nouvelles de 10 h parce que des appelants restaient en ligne.
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Au cours de l'émission, M. Bannerman a critiqué les politiques du gouvernement en matière d'autonomie politique des autochtones et il a fait valoir que les autochtones sont irresponsables et que l'on ne peut sans risque leur confier leur autonomie politique. Il a également formulé des remarques générales désobligeantes à l'égard des autochtones du Canada. Parmi les remarques les plus choquantes faites par M. Bannerman se trouvent les suivantes: [TRADUCTION]
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Tout indien autochtone vivant aujourd'hui a tout à voir avec la tragédie des autochtones, le fait qu'ils ont les taux d'inceste les plus élevés du Canada, les taux d'alcoolisme les plus élevés au Canada, les taux de criminalité les plus élevés, sans compter les taux de misère, de pauvreté et d'échec, et j'en passe. Où est leur responsabilité pour eux-mêmes? C'est beaucoup trop facile, si facile, de dire -- que c'est parce que nous nous sommes fait flouer par l'histoire. C'est parfaitement absurde. Ils jouissent de privilèges que le Canadien moyen n'a pas, d'innombrables privilèges, qu'il s'agisse de la pêche, d'aumônes, de réunions, de subventions. Et qu'est-ce qu'ils font avec? Le frère a un enfant avec sa soeur, c'est cela qu'ils font avec.
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Mais, l'autonomie politique? Lorsque, chaque mois, vous envoyez un chèque de 300 000 $ au chef et lui dites - faites ce que vous voulez avec? Ce genre d'autonomie politique? Ce genre d'autonomie politique aboutira au pire genre de crime et d'irresponsabilité que l'on puisse imaginer. Même le chef honnête achètera pour 300 000 $ de bière. Le chef malhonnête, lui, déposera ce montant aux Bahamas. Et Brian Mulroney dit que nous nous occuperons des détails plus tard. Incroyables, ces gens. Incroyables.
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Bravo. Vous avez raison. Mais, c'est pire que cela. Vous savez, il existe de vastes territoires interdits, inhospitaliers, de la Colombie-Britannique où les autochtones ont le droit sacré d'étendre leur filet à l'embouchure du cours d'eau. Et c'est ce qu'ils font. Et nous nous demandons pourquoi l'agent des Pêches ne s'y rend-il pas et ne fait-il pas quelque chose à cet égard? Eh bien, c'est que si un agent des Pêches s'enfonce des centaines de milles dans une région déserte, seul, vous ne le reverrez jamais plus. Et l'agent des Pêches le sait. Je n'irai pas enlever ce filet à moins d'être accompagné d'une armée. Vous ne le reverrez plus jamais. Voilà l'histoire des autochtones de la Colombie-Britannique. Ils veulent les droits et privilèges de tous les autres, et beaucoup plus encore.
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En bref, les thèmes désobligeants élaborés par M. Bannerman peuvent être paraphrasés de la façon suivante: l'inceste est pratique courante chez les Indiens; les autochtones (ou du moins leurs chefs) sont malhonnêtes et on ne peut leur confier sans risque des deniers publics; les autochtones n'ont aucun respect de la loi ou de la vie des représentants de la loi; les Indiens sont de grands enfants; les autochtones sont stéréotypés comme tant des braconniers et des gens sales et malpropres; les autochtones sont des alcooliques.
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Certains thèmes élaborés par M. Bannerman constituaient un commentaire loyal, étant donné qu'il s'agissait de critiques à l'égard de politiques du gouvernement actuel et de ses prédécesseurs et de propositions concernant l'autonomie politique des autochtones. M. Bannerman a également déclaré qu'une petite minorité d'autochtones se sont bien débrouillés et ne correspondent pas au stéréotype qu'il avait décrit. Il a également appuyé le respect des revendications territoriales des autochtones par les tribunaux. Il a exprimé l'avis que la loi est mal rédigée, dans ce sens qu'elle confère un statut particulier aux autochtones, mais il a souligné qu'il faudrait la réécrire avec beaucoup de soin.
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Les plaintes et la réponse de CKNW Les plaignants, le Conseil tribal Nishga et la Bande indienne Musqueam, cette dernière ayant été expressément nommée dans l'émission, ont, par l'intermédiaire de leurs avocats, fait valoir que la station avait enfreint les dispositions des alinéas 5(1)b) et d) du Règlement sur la radiodiffusion (M.A.), qui se lisent comme suit:
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5(1) Il est interdit à une station ou à un exploitant de réseau de diffuser ...
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b)des propos offensants qui, mis dans leur contexte, sont raisonnablement susceptibles d'exposer une personne, un groupe de personnes ou une classe de personnes à la haine ou au mépris fondé sur la race, l'origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, le sexe, l'âge ou la déficience physique ou mentale; ...
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d) toute nouvelle fausse ou trompeuse.
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Les plaignants ont soutenu que tout auditeur raisonnable ayant entendu l'émission estimerait que celle-ci avait principalement pour objet d'insulter, d'amoindrir et de ridiculiser les Indiens. Ils ont également fait valoir qu'un grand nombre de déclarations erronées ont été présentées comme étant factuelles dans le cadre de l'émission et que cette dernière, par conséquent, contenait des nouvelles fausses et trompeuses.
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Au départ, en réponse aux plaintes, CKNW a fait état des thèmes non désobligeants et a conclu que les commentaires de M. Bannerman [TRADUCTION] "constituaient un commentaire loyal sur une question de fond et n'enfreignaient en rien les dispositions du Règlement du CRTC".
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CKNW a, par la suite, écrit qu'elle [TRADUCTION] "regrette que certaines parties de l'émission aient offensé". Elle a fait valoir qu'un grand nombre de positions adoptées par M. Bannerman reposaient sur une base responsable et bjective et qu'en raison du caractère de la tribune téléphonique radiophonique, il se révélerait très difficile, voire impossible, de censurer M. Bannerman au cours de l'émission. CKNW a conclu que, mis dans son contexte, le commentaire éditorial de M. Bannerman était provocant et portait à controverse, mais qu'il n'était pas offensant. CKNW a par la suite offert du temps d'antenne aux plaignants pour répliquer aux commentaires éditoriaux de M. Bannerman.
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Les plaignants ont répondu que la réponse de CKNW se limitait à une justification des thèmes non désobligeants. Ils ont fait valoir que l'offre de temps d'antenne constituait une insulte, parce qu'il était impossible de remédier aux propos offensants de M. Bannerman [TRADUCTION]: en offrant l'occasion ... d'aller en ondes et de déclarer, par exemple, qu'ils ne couchent pas avec leurs soeurs.
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Conclusions
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Le Conseil tient à préciser qu'il juge tout à fait inacceptables les remarques générales désobligeantes de M. Bannerman. Un grand nombre de ses commentaires et conclusions sont non fondés et indéfendables. L'utilisation des ondes publiques pour stéréotyper et dénigrer les autochtones du Canada a pour effet regrettable de renforcer les préjugés racistes et de susciter la malveillance à l'égard des Indiens en général et de la Bande Musqueam en particulier. L'émission était malavisée, irresponsable et regrettable.
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Quant à l'argument de CKNW selon lequel les commentaires de M. Bannerman constituaient un commentaire loyal sur une question d'intérêt public, deux observations s'imposent. Tout d'abord, les thèmes non désobligeants n'ont jamais été visés par les plaintes. En second lieu, la liberté d'expression dont jouissent les radiodiffuseurs ne constitue pas un droit absolu. A cet égard, le Conseil réitère ce qu'il a déclaré dans l'avis public CRTC 1983-187 du 17 août 1983, intitulé Avis concernant une plainte faite par la Media Watch à l'égard de CKVU Television, Vancouver (Colombie-Britannique):
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... le Conseil souligne que le droit à la liberté d'expression aux stations de radiodiffusion n'est pas absolu. Comme il a déjà été mentionné, ce droit est expressément limité par diverses lois visant à protéger d'autres valeurs qui sont chères.
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Compte tenu de ces considérations, le Conseil estime que l'occasion pour un radiodiffuseur de se prévaloir du droit de critiquer la politique du gouvernement ne saurait servir d'excuse pour lancer une attaque contre un groupe identifiable. Ce genre d'attaque délibérée dépasse les limites de la liberté d'expression.
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Le Conseil rejette aussi l'argument de CKNW selon lequel le caractère d'une tribune téléphonique radiophonique fait qu'il est difficile de contrôler les propos de l'animateur comme des participants. Il rappelle à CKNW qu'elle est responsable des émissions qu'elle diffuse en vertu des dispositions de l'article 3c) de la Loi sur la radiodiffusion.
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Dans une décision relative à des plaintes antérieures (la décision CRTC 76-553 du 23 août 1976), concernant les tribunes téléphoniques de CKNW et mettant également en cause M. Bannerman, le Conseil a souligné qu'il incombait à la titulaire de prendre toutes les mesures voulues pour prévenir les erreurs, la négligence ou le manque de professionnalisme. Compte tenu du jugement qu'il porte sur les plaintes en instance, le Conseil conclut que CKNW n'exerce pas le degré de prudence et de contrôle voulu pour empêcher que l'on abuse du rôle des tribunes téléphoniques.
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Pour ce qui est de l'allégation relative à une "nouvelle fausse ou trompeuse", le Conseil est convaincu qu'une grande partie de l'information diffusée par M. Bannerman était fausse, mais il note que l'interdiction énoncée à l'alinéa 5(1)d) du Règlement sur la radiodiffusion (M.A.) tend à viser un bulletin de nouvelles plutôt qu'une émission axée sur l'échange d'opinions.
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Même après avoir pris conscience de la gravité de la plainte, CKNW a jugé bon de soutenir que [TRADUCTION] "un grand nombre de positions adoptées par M. Bannerman reposent sur une base responsable et objective", plutôt que de s'excuser publiquement auprès des groupes calomniés et du grand public pour les déclarations malveillantes de M. Bannerman. Le Conseil, à l'instar des plaignants, juge insatisfaisantes les excuses privées qui ont éventuellement été exprimées, à savoir, que CKNW [TRADUCTION] "regrette vivement que certaines parties de l'émission aient offensé", ainsi que l'offre de temps d'antenne aux groupes autochtones afin de présenter leurs propres points de vue sur l'autonomie politique. Une telle invitation témoigne du fait que l'essentiel des plaintes a échappé à CKNW. Il ne convient absolument pas de demander aux groupes autochtones d'"équilibrer" des propos racistes. Le Conseil est d'accord avec les plaignants qui ont déclaré que l'on ne saurait justifier des propos offensants par l'offre de temps d'antenne égal aux offensés. Le Conseil n'acceptera pas d'émissions racistes du simple fait que du temps de réplique soit offert.
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Le Conseil s'attend fortement à ce que la direction et la société mère de CKNW mettent en place immédiatement des mécanismes de contrôle et prennent toutes les autres mesures qui pourraient s'imposer pour prévenir toute récidive d'une utilisation si irresponsable des ondes. Le Conseil exige par les présentes que CKNW lui présente d'ici trois mois un rapport sur les mesures qu'elle aura prises.
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Conformément à sa politique en matière de plaintes, la correspondance et le présent avis public seront versés au dossier public de CKNW au moment du renouvellement de la licence de cette station. Il va sans dire que le public et les plaignants auront le droit d'intervenir dans le processus de renouvellement et de discuter plus à fond de l'incident et du comportement effectif de la station à la suite des présentes conclusions.
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Le Secrétaire général Fernand Bélisle
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