ARCHIVÉ - Décision de radiodiffusion CRTC 2012-574

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Référence au processus : 2012-370

Autres références : 2012-370-1 et 2012-370-2

Ottawa, le 18 octobre 2012

BCE inc., au nom d’Astral Media inc.
L’ensemble du Canada

Demande 2012-0516-2, reçue le 1er mai 2012
Demande 2012-0573-2, reçue le 8 mai 2012
Demandes 2012-0701-9, 2012-0735-8 et 2012-0736-6, reçues le 31 mai 2012
Audience publique à Montréal (Québec)
10 septembre 2012

Les entreprises de radiodiffusion d’Astral – Modification du contrôle effectif

Le Conseil refuse la demande présentée par BCE inc. (BCE), au nom d’Astral Media inc. (Astral), en vue d’obtenir l’autorisation de modifier le contrôle effectif des entreprises de radiodiffusion d’Astral. Le Conseil n’est pas convaincu que la transaction apporterait au système canadien de radiodiffusion et aux Canadiens des avantages importants et sans équivoque suffisants pour compenser les préoccupations à l’égard de la concurrence, de la concentration de la propriété en télévision et en radio, de l’intégration verticale et de l’exercice du pouvoir dans un marché.

De plus, BCE a déposé des demandes en vue d’obtenir l’autorisation d’effectuer des réorganisations intrasociété et de convertir la station de radio de langue anglaise CKGM Montréal en station de langue française. Le demandeur a indiqué que les demandes connexes étaient toutes conditionnelles à l’approbation de la proposition de modification du contrôle effectif des entreprises de radiodiffusion d’Astral. Compte tenu de la décision du Conseil de refuser la modification du contrôle effectif, le Conseil refuse aussi les demandes connexes.

Les demandes

1. Le 1er mai 2012, BCE inc. (BCE) a déposé des demandes au nom d’Astral Media inc. (Astral), en vue d’obtenir l’autorisation de modifier le contrôle effectif d’Astral et de ses entreprises de radiodiffusion autorisées afin qu’il soit exercé par BCE, conformément à l’article 11(4) du Règlement de 1986 sur la radio (le Règlement sur la radio), l’article 14(4) du Règlement de 1987 sur la télédiffusion (le Règlement sur la télédiffusion), l’article 6(4) du Règlement de 1990 sur la télévision payante (le Règlement sur la télévision payante), et de l’article 10(4) du Règlement de 1990 sur les services spécialisés (le Règlement sur les services spécialisés). La transaction serait complétée via l’acquisition, par BCE et BCE Filiale, une filiale à part entière devant être constituée, de toutes les actions émises d’Astral. Dans le cadre de la transaction proposée, BCE a déposé des demandes connexes en vue d’obtenir l’autorisation d’effectuer des réorganisations intrasociété et de convertir l’entreprise de programmation de radio de langue anglaise CKGM Montréal en une entreprise de programmation de radio de langue française. Le demandeur a indiqué que ces demandes étaient conditionnelles à l’approbation de la transaction proposée.

2. La transaction proposée devrait avoir lieu conformément aux modalités de l’entente « Arrangement Agreement » (l’entente) conclue entre BCE et Astral le 16 mars 2012. Cette entente a été approuvée par les actionnaires d’Astral le 24 mai 2012 et par la Cour supérieure du Québec le 25 mai 2012.

3. BCE est un radiodiffuseur canadien de premier plan puisqu’il est impliqué dans la programmation et dans la distribution. BCE exploite actuellement deux réseaux de télévision traditionnelle de langue anglaise, CTV et CTV Two, ainsi que 29 services de télévision facultatifs et 33 stations de radio. BCE exploite aussi une entreprise nationale de distribution de radiodiffusion par satellite de radiodiffusion directe (SRD) qui, selon le nombre de ses abonnés, est la troisième EDR en importance au Canada. De plus, BCE est le second fournisseur de services sans fil et le premier fournisseur d’accès internet au pays. Ces services jouent et continueront à jouer un rôle important dans la livraison du contenu aux canadiens.

4. Astral est le radiodiffuseur qui exploite le plus grand nombre de stations de radio au Canada avec 84 stations réparties dans huit provinces. Il est également un fournisseur important de programmation pour la télévision spécialisée et de contenu de qualité pour lequel il existe une forte demande au Canada qui détient une part importante dans la propriété de 20 services facultatifs populaires de langue française et de langue anglaise. Astral exploite également deux stations de télévision traditionnelle de langue anglaise, toutes deux affiliées à la Société Radio-Canada.

Processus public

5. L’article 11(4) du Règlement sur la radio, l’article 14(4) du Règlement sur la télédiffusion, l’article 6(4) du Règlement sur la télévision payante et l’article 10(4) du Règlement sur les services spécialisés exigent qu’un titulaire obtienne l’approbation préalable du Conseil à l’égard de toute mesure, entente ou opération qui aurait pour conséquence directe ou indirecte de modifier le contrôle effectif de son entreprise. Une telle approbation préalable est aussi exigée lorsque des personnes désirent augmenter leurs avoirs au-delà d’un certain seuil dans des entreprises titulaires de radiodiffusion ou en faire l’acquisition, même si ces titulaires font partie d’une plus grande entreprise commerciale qui ne détient pas de licence.

6. Dans plusieurs instances, de telles demandes d’approbation sont assujetties à un processus public qui, en retour, éclaire le Conseil dans sa prise de décision. La pratique usuelle du Conseil est d’examiner soigneusement les demandes d’acquisition d’actif ou de modification du contrôle effectif de titulaires, comme il le fait lors de l’examen de demandes de nouvelles licences de radiodiffusion. L’approche du Conseil pour traiter les demandes de modification du contrôle effectif a été réitérée dans le bulletin d’information de radiodiffusion 2008-8-1. Conformément à l’approche décrite dans ce bulletin d’information, le Conseil a publié les demandes pertinentes pour observations par le public dans les avis de consultation de radiodiffusion 2012-370, 2012-370-1 et 2012-370-2, publiés le 10 juillet 2012, le 16 juillet 2012 et le 14 septembre 2012 respectivement.

7. Le Conseil a reçu plus de 9 700 interventions favorables ou défavorables à la demande, y compris des observations de la part de radiodiffuseurs, de distributeurs, de producteurs indépendants et de groupes impliqués dans la création, de citoyens et de groupes de défense des consommateurs ainsi que de particuliers de toutes les régions du Canada.

8. Le Conseil a tenu une audience publique avec comparution du 10 au 14 septembre 2012 à Montréal pour entendre ces demandes. Le demandeur et plus de 50 intervenants s’y sont présentés. Au cours de l’audience publique, BCE a modifié certains aspects de sa demande à l’égard de ses avantages tangibles et intangibles proposés. Le Conseil a offert aux intervenants l’occasion de déposer des observations écrites finales à l’égard de ces modifications après l’audience. Le Conseil a aussi accordé à BCE un droit de réplique finale qu’il a exercé le 28 septembre 2012. Le Conseil accepte par les présentes les modifications, ainsi que tous les mémoires à l’égard de ces modifications. Le dossier public complet des présentes demandes, y compris la transcription de la phase orale de l’audience, peut être consulté sur le site web du Conseil, www.crtc.gc.ca, sous « Instances publiques ». Aux fins de son analyse, le Conseil a tenu compte du dossier complet de la présente instance.

Cadre réglementaire

9. L’examen d’une transaction de propriété constitue un élément essentiel du mandat de réglementation et de surveillance du Conseil en vertu de la Loi sur la radiodiffusion (la Loi). Puisque le Conseil ne sollicite pas de demandes concurrentes dans le but de modifier le contrôle effectif d’entreprises de radiodiffusion, il incombe au demandeur de démontrer que l’approbation sert l’intérêt public, que les avantages découlant de la transaction sont proportionnels à l’importance et à la nature de la transaction et que la demande représente la meilleure proposition possible dans les circonstances1. Cette analyse revêt une importance particulière lorsque la transaction est d’une telle envergure qu’elle risque de remodeler le système canadien de radiodiffusion.

10. De plus, le Conseil doit être convaincu que l’approbation de la transaction de propriété proposée ne fera pas obstacle à l’habilité ou à la volonté du titulaire de respecter ses obligations en vertu de la Loi. Ces obligations comprennent celles qui découlent de conditions de licence, de la réglementation ou de directives émises par le gouverneur en conseil, conformément à la Loi.

11. Le Conseil tient également compte des lignes directrices sous forme de politiques réglementaires, des bulletins d’information ou d’autres mesures n’ayant pas caractère obligatoire pour le guider dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire d’approuver une transaction relative à la propriété2. Les lignes directrices servent, entre autres choses, à annoncer aux demandeurs les critères dont il tiendra compte dans sa prise de décision et, par conséquent, à assurer à la fois uniformité et transparence.

12. Le Conseil doit cependant examiner chaque demande sur le bien-fondé de celle-ci en tenant compte des circonstances qui lui sont propres. Le Conseil ne saurait limiter, par l’intermédiaire de tels instruments, le pouvoir discrétionnaire que lui a conféré le législateur3. bien qu’il n’y soit pas assujetti, le conseil a toutefois tenu compte des politiques réglementaires pertinentes, dont l’avis public de radiodiffusion 2008-4 qui établit la politique du conseil sur la diversité des voix (la politique sur la diversité), la politique réglementaire de radiodiffusion 2011-601 qui énonce le cadre réglementaire relatif à l’intégration verticale (le cadre à l’égard de l’intégration verticale), ainsi que le code de déontologie établi dans la politique réglementaire de radiodiffusion 2011-601-1 (le code de déontologie)4.

Intérêt public

13. Conformément à l’article 5(1) de la Loi, le Conseil a le mandat de réglementer et de surveiller tous les aspects du système canadien de radiodiffusion, dans l’intérêt public. L’intérêt public apparaît dans les nombreux objectifs de la Loi et de la politique canadienne de radiodiffusion établis à l’article 3(1)5. Dans le cadre de son examen de la présente transaction de propriété, les dispositions de la politique canadienne de radiodiffusion pertinentes comprennent les suivantes :

14. De plus, puisque la présente transaction soulève des préoccupations à l’égard de l’accès aux services de programmation offerts par les entreprises de distribution, le Conseil a tenu compte des articles 3(1)t)(ii) et 3(1)t)(iii) de la Loi qui prévoient que les entreprises de distribution :

15. Dans son application de la politique de radiodiffusion, le Conseil doit tenir compte de la politique réglementaire énoncée à l’article 5(2) de la Loi. Cette politique réglementaire prévoit, notamment, que la réglementation et la surveillance du système canadien de radiodiffusion devrait être souple et à la fois favoriser la radiodiffusion à l’intention des Canadiens et tenir compte du fardeau administratif qu’elles sont susceptibles d’imposer aux exploitants d’entreprises de radiodiffusion.

16. Dans leurs demandes relatives à la propriété concernant des entreprises de radio ou de télévision, les demandeurs doivent démontrer que la transaction apporte des avantages tangibles importants et sans équivoque au système canadien de radiodiffusion. Cet objectif est expliqué dans la politique du Conseil sur les avantages tangibles qui prévoit que les contributions proposées en tant qu’avantages tangibles devraient représenter un certain pourcentage de la valeur de la transaction, en compensation du fait que la transaction ne fasse pas l’objet d’un processus concurrentiel d’attribution de licence.

17. Pour décider si une proposition de transaction de propriété sert l’intérêt public, le Conseil tient compte d’un large éventail de facteurs évoqués dans la Loi, y compris la nature de la programmation et le service aux communautés impliquées, ainsi que des considérations d’ordre régional, social, culturel, économique et financier. Le Conseil estime donc que l’offre d’un bloc d’avantages tangibles approprié n’est que l’une des obligations du demandeur en vue de démontrer que la transaction sert l’intérêt public. Lorsqu’il rend sa décision, le Conseil doit être persuadé que, tout compte fait, la transaction proposée sert le système canadien de radiodiffusion.

18. Le Conseil a évalué la transaction proposée en fonction du cadre réglementaire énoncé précédemment et a identifié les questions suivantes :

Positions des parties

Incidences éventuelles sur le système canadien de radiodiffusion

BCE

19. BCE fait valoir que, de façon générale, la transaction proposée stimulera la concurrence dans le secteur de la radio et de la télévision de langue française, tout en permettant au secteur de la radiodiffusion de langue anglaise de contrer la menace provenant des services non canadiens. De plus, BCE déclare que la transaction proposée est conforme à toutes les politiques du Conseil relatives aux transferts de propriété, dont la politique sur la diversité, le cadre à l’égard de l’intégration verticale et le Code de déontologie.

20. BCE analyse la part de l’écoute de la télévision dont il jouira après la transaction en vertu de paragraphe 87 de la politique sur la diversité relative à la propriété commune des services de télévision facultatifs. Cette politique prévoit que, de façon générale, le Conseil traitera sans délai toute demande donnant à une seule personne le contrôle de moins de 35 % de « l’ensemble de l’écoute de la télévision », examinera attentivement toute transaction donnant à une seule personne le contrôle d’entre 35 % et 45 % de l’ensemble de l’écoute de la télévision, mais n’approuvera pas toute demande donnant à une seule personne le contrôle de plus de 45 % de cette écoute.

21. BCE allègue que, même si le Conseil a clairement précisé que l’écoute se mesurait à l’échelle nationale séparément pour, d’une part, le marché de langue anglaise, et d’autre part, le marché de langue française, la politique sur la diversité ne prévoit aucune méthode particulière de calcul de la part de « l’ensemble de l’écoute de la télévision ». BCE fait valoir que cette part devrait comprendre l’écoute des services non canadiens, parce que les « voix » offertes aux Canadiens incluent ces services; ceux-ci sont distribués par les EDR à la suite d’autorisations du Conseil et leur inclusion est conforme aux lignes directrices du Bureau de la concurrence à l’égard de la définition de marché. De même, BCE fait valoir que les services appartenant à deux parties à parts égales (coentreprises) devraient être exclus de tout calcul de la part de l’écoute.

22. BCE indique que, lorsque l’écoute des services non canadiens est incluse, la part de l’écoute de l’entité BCE/Astral, après la transaction, serait de 33,5 % du marché de langue anglaise et de 24,4 % du marché de langue française. BCE allègue également que même si les services non canadiens sont exclus, la transaction proposée ne soulève aucune préoccupation.

23. De plus, BCE prétend que la transaction proposée respecte intégralement le cadre d’analyse énoncé au paragraphe 89 de la politique sur la diversité. En particulier, BCE note qu’il n’y aura aucune incidence sur les services facultatifs offrant des nouvelles et des émissions d’affaires publiques, que le cadre à l’égard de l’intégration verticale protège l’accès des EDR aux services de programmation et que tant Astral que Bell Media ont signé des ententes commerciales complètes avec la Canadian Media Production Association. En outre, Astral a déjà signé une entente semblable avec l’Association des Producteurs de films et de télévision du Québec.

24. En ce qui concerne la radio, BCE propose de se départir de 10 stations et de convertir la station de langue anglaise CKGM Montréal en une station de langue française afin de se conformer à la politique sur la propriété commune en radio; cette dernière a été énoncée dans la politique sur la diversité et précisée dans le bulletin d’information de radiodiffusion 2010-341. BCE prétend que la politique de propriété commune en radio est une mesure de protection suffisante pour assurer la diversité des voix dans le secteur privé, étant donné que la radio est d’abord et avant tout une entreprise locale.

25. Pour ce qui est du marché du Québec, BCE fait valoir qu’il offrirait aux consommateurs une plus grande diversité de programmation, de choix et d’innovation, et ce, en faisant une concurrence accrue à Québecor Média inc. (Québecor). Dans cette province, Québecor est le câblodistributeur le plus important; en effet, cette société contrôle près de 30 % de l’écoute de la télévision et, grâce à ses intérêts significatifs en matière d’accès Internet, de téléphonie résidentielle et de services mobiles, elle est l’entreprise médiatique intégrée verticalement qui prédomine dans le secteur des médias.

26. En ce qui a trait aux préoccupations relatives à la fusion du secteur de la distribution de BCE avec l’actif de programmation de Bell Media et celui d’Astral, BCE allègue que la politique sur l’intégration verticale est plus que suffisante pour régler toute préoccupation. BCE déclare qu’il a toujours respecté et continuera à respecter les règles énoncées dans le cadre à l’égard de l’intégration verticale, lesquelles peuvent restreindre l’exercice du pouvoir dans un marché. BCE fait aussi remarquer qu’il ne serait ni logique ni approprié au plan commercial de s’abstenir d’offrir du contenu à d’autres EDR, parce que cela mettrait en péril ses revenus et sa capacité à acquérir des droits à du contenu de qualité pour lequel il existe une forte demande. Malgré ces assertions, BCE se déclare prêt à accepter une condition de licence exigeant qu’il respecte le Code de déontologie, afin de répondre à toute préoccupation qui subsisterait.

Intervenants

27. Les groupes de consommateurs, dont l’Union des consommateurs et Option Consommateur, ainsi que des particuliers canadiens allèguent que la transaction proposée pose en réalité des risques et comporte des désavantages. Ces intervenants notent qu’il existe peu de preuve pour démontrer que la tendance de la dernière décennie vers une plus grande consolidation et une intégration verticale a permis aux consommateurs canadiens de services de télévision d’avoir accès à des produits de qualité et innovateurs. Selon eux, l’efficacité gagnée grâce à l’intégration verticale n’a profité aux consommateurs ni en matière de réduction de prix ni en augmentation des choix ni en un meilleur service.

28. Ces intervenants font valoir qu’une plus grande consolidation aux mains de BCE aurait pour effet de :

29. Les groupes de consommateurs suggèrent aussi que l’utilisation de la part de l’écoute de la télévision à titre de seul indicateur de la diversité des voix ne donne pas au Conseil le portrait complet des incidences de cette acquisition et ils proposent l’utilisation de d’autres paramètres, dont la part des revenus combinés.

30. Parmi les groupes de création, notamment l’Union des artistes, la Société des auteurs de radio, télévision et cinéma, l’Alliance québécoise des techniciens de l’image et du son, la Guilde canadienne des réalisateurs, l’Actors Fund of Canada et la Writers Guild of Canada, certains croient que la transaction proposée respecte la politique sur la diversité et celle sur la propriété commune en radio. D’autres doutent que la disparition de l’un des derniers groupes de radiodiffusion indépendants, jumelée à un accroissement de la taille et de la puissance du plus important groupe de radiodiffusion intégré verticalement au Canada, procurent un réel avantage aux auditoires canadiens et à la création de programmation canadienne. Les représentants de l’industrie de la production se sont, de façon générale, déclarés en faveur de la transaction à la condition que la valeur de celle-ci soit correctement évaluée et qu’il y ait des modifications aux avantages tangibles proposés.

31. Les radiodiffuseurs et distributeurs non intégrés, dont Cogeco Câble inc. (Cogeco), Bragg Communications Inc., faisant affaires sous le nom d’Eastlink (Eastlink), et l’Independent Broadcast Group, reconnaissent que le cadre du Conseil à l’égard de l’intégration verticale, y compris le Code de déontologie, est d’une importance fondamentale pour la survie de la diversité dans le système de radiodiffusion, en particulier la viabilité des sociétés indépendantes de média qui ne possèdent pas d’installations de distribution. Les intervenants notent cependant que les balises réglementaires établies dans le cadre à l’égard de l’intégration verticale ne font que commencer à se mettre en place et que leur efficacité à protéger la diversité des voix reste à prouver. Ils font aussi remarquer que les EDR sont des partenaires d’affaires importants et précieux et que cette relation pourrait faire en sorte que, même si les radiodiffuseurs indépendants faisaient face à une conduite anticoncurrentielle, ils hésiteraient à mettre les EDR en cause dans un différend officiel.

32. D’autres intervenants, dont Cogeco, Eastlink, MTS Inc. et Allstream Inc., faisant affaires sous le nom de MTS Allstream, Rogers Communications Inc. (Rogers) et 2251723 Ontario Inc., faisant affaires sous le nom de VMedia, allèguent que BCE abuse déjà, en tant que radiodiffuseur et distributeur intégré, de son pouvoir dans le marché lorsqu’il traite avec des distributeurs indépendants; de plus, selon eux, les tendances à une conduite anticoncurrentielle ne sont pas efficacement contrées par le cadre à l’égard de l’intégration verticale. À cet égard, au cours de l’instance publique, les intervenants ont déposé des preuves et fourni des arguments relatifs à la conduite anticoncurrentielle présumée de BCE en ce qui concerne la négociation de droits d’émissions et le lancement de produits.

33. En ce qui a trait au projet de BCE de céder 10 stations de radio si la transaction est approuvée afin de se conformer à la politique sur la propriété commune en radio, les parties sont généralement d’avis qu’elles n’ont pas eu l’occasion d’en prendre connaissance ou d’en analyser les détails.

34. Les intervenants sont divisés sur la prétention de BCE selon laquelle l’acquisition des services de télévision de langue française d’Astral stimulerait la concurrence dans un marché présentement dominé par Québecor. De plus, certains intervenants prétendent que la présente transaction doit être examinée comme un tout, y compris en tenant compte de ses conséquences sur la concurrence dans tous les marchés ainsi que de la place prépondérante de BCE en matière de programmation sur tous les écrans dans l’ensemble du Canada.

Avantages de la transaction proposée pour le système canadien de radiodiffusion

BCE

35. BCE allègue que la transaction bénéficierait aux consommateurs canadiens, aux téléspectateurs, aux auditeurs et aux créateurs de contenu et que, par conséquent, elle servirait l’intérêt public.

36. BCE a proposé initialement un bloc d’avantages de quelque 200 millions de dollars, soit 6 % de la valeur des entreprises de radio et 10 % de celle des entreprises de télévision faisant l’objet de l’acquisition, en faisant abstraction des coentreprises. En vertu de l’entente, le prix d’achat global s’élève à 3,38 milliards de dollars. En se fondant sur une évaluation de PricewaterhouseCoopers (PwC), le demandeur attribue une valeur de 2,406 milliards de dollars à l’actif des entreprises de radiodiffusion autorisées.

37. Les avantages proposés en matière de télévision seraient consacrés à divers projets relatifs à différents genres d’émissions canadiennes, y compris des longs métrages, des émissions pour enfants et jeunes, des émissions de musique et autres émissions d’intérêt national. BCE propose également de dépenser 40 millions de dollars pour développer l’accès des communautés du Nord à Internet à large bande, par l’intermédiaire de sa filiale Norouestel.

38. À l’audience publique, BCE a révisé le montant de son bloc d’avantages tangibles total à 241,3 millions de dollars, y compris 180,5 millions de dollars en avantages en matière de télévision. Il a également proposé un certain nombre de projets additionnels, consacrés particulièrement à du contenu de langue française de production indépendante, d’émissions en vue de célébrer le 150ième anniversaire du Canada et du lancement d’un nouveau service national de catégorie C de langue française axé sur les nouvelles. BCE a de plus proposé un bloc d’avantages tangibles en matière de radio de 60,8 millions de dollars, devant être alloué conformément à la politique énoncée dans la politique réglementaire de radiodiffusion 2010-499.

39. BCE fait aussi valoir que la transaction proposée procurerait des avantages intangibles importants au système canadien de radiodiffusion. Selon lui, ces avantages, notamment la création d’un puissant contrepoids du secteur privé à Québecor et l’émergence d’une importante société canadienne de communications capable de faire concurrence aux « joueurs internationaux », ne pourraient voir le jour sans la transaction. BCE allègue également qu’à eux seuls, ces avantages favorisent suffisamment le système pour justifier l’approbation de la transaction. En outre, à l’audience publique, BCE a proposé d’offrir à tous les Canadiens un service national sur demande multiplateforme, par l’intermédiaire de l’EDR de leur choix, lequel ferait concurrence à Netflix et à d’autres services non canadiens non autorisés. Il a déclaré que le contenu d’Astral serait essentiel au lancement de ce service.

40. BCE indique que la transaction proposée offrirait l’envergure nécessaire pour concurrencer les sociétés étrangères de contenu comme Netflix, Apple, Google et Amazon. Selon lui, la transaction permettrait d’investir dans la technologie et le contenu canadiens et procurerait à Astral la stabilité financière nécessaire pour distribuer la programmation de ses services sur des plateformes multiples. En ce qui concerne l’acquisition des stations de radio d’Astral, BCE fait valoir que l’envergure de la nouvelle entreprise permettrait à ces stations de recueillir et de diffuser des nouvelles dans leurs communautés.

41. Finalement, BCE allègue que les avantages de la transaction n’entraîneraient pas les inconvénients parfois liés à la consolidation des médias; en effet, le fait que sa principale préoccupation soit la radiodiffusion et qu’il se consacre à la production et à la présentation de contenu canadien est dans le meilleur intérêt des consommateurs, des téléspectateurs, des créateurs et du système lui-même.

Intervenants

42. En ce qui concerne le nouveau service sur demande multiplateforme de BCE, certains intervenants font remarquer que le président et chef de la direction d’Astral a indiqué que ce service serait au cœur des affaires de sa société, laquelle s’activait déjà à le développer; ce qui donne à penser qu’Astral aurait mené le projet à bien, peu importe la transaction proposée. Certains intervenants allèguent que, même si de nombreux radiodiffuseurs et distributeurs offrent aujourd’hui ce type de services additionnels sans frais supplémentaires, BCE pourrait exiger des EDR des frais supplémentaires importants. Selon eux, ces frais devraient être refilés aux abonnés. Le défaut d’adhérer aux modalités proposées par BCE aurait la conséquence suivante : BCE offrirait ce service en ligne à ses propres abonnés, alors que les EDR qui auraient refusé ces modalités seraient incapables d’offrir tout contenu de BCE à leurs clients en ligne.

43. Certains intervenants s’inquiètent de l’absence de preuve déposée par BCE au soutien de sa prétention selon laquelle Astral ne peut plus acquérir de droits d’émissions de studios américains. Ils allèguent que donner pour seul exemple celui de Netflix qui acquiert des droits de télévision payante pour le Canada ne prouve pas qu’Astral n’a pas l’envergure nécessaire pour livrer concurrence aux services par contournement dans le marché canadien de la télévision payante dont les genres bénéficient d’une protection. À leur avis, il est inutile qu’Astral devienne un élément d’une société intégrée verticalement afin de continuer à acquérir du contenu haut de gamme de studios américains pour ses services de télévision payante.

44. D’autres intervenants, dont des groupes de consommateurs, font référence au dernier rapport du CRTC sur la convergence afin d’étayer leur point de vue voulant qu’on ignore pour l’instant à quel point les Canadiens remplaceront les services offerts par les radiodiffuseurs conventionnels canadiens par des services par contournement. En outre, la part de l’écoute des fournisseurs étrangers de services par contournement est marginale comparée à celle de BCE, de Shaw Communications Inc., de Rogers et de Québecor dans presque tous les marchés de média.

45. En général, les intervenants reconnaissent que la politique sur les avantages tangibles est un mécanisme approprié pour s’assurer que le système de radiodiffusion jouira de retombées. Ils allèguent que les avantages doivent être additionnels et être alloués à de tierces parties. De nombreux intervenants indiquent que le pourcentage d’avantages consacré à la production télévisuelle doit être maximal et que ces avantages ne doivent jamais être intéressés.

46. Selon certains intervenants, la proposition de BCE de financer une partie du plan de modernisation de Norouestel ne respecte pas la politique sur les avantages tangibles et ce projet doit être réalisé peu importe le sort de la transaction BCE/Astral. Les intervenants font de plus valoir que la proposition ferait en sorte de financer des services de télécommunications qui ne seraient pas nécessairement utilisés pour accéder à du contenu de radiodiffusion. Par conséquent, certains intervenants croient qu’il s’agit-là d’un détournement de fonds destinés au système de radiodiffusion. Ils allèguent que la politique sur les avantages tangibles a été mise en place pour contrer les effets de la consolidation sur l’industrie de la radiodiffusion, alors que les avantages proposés bénéficient à BCE, une société privée, qui devrait autrement utiliser ses propres ressources pour financer les mises à jour et améliorations de ses services. Des intervenants notent également que Norouestel reçoit déjà des subventions de quelque 20 millions de dollars par année. Enfin, ils font valoir que l’approbation de ce projet aurait comme effet d’accorder un bénéfice financier et un avantage concurrentiel à une société particulière aux dépens des autres.

47. Des intervenants étaient d’avis que le Conseil devrait refuser la proposition de BCE d’utiliser des avantages tangibles pour financer un nouveau service national de télévision de nouvelles de langue française. Ils allèguent que cela serait contraire à l’avis public 1993-68 dans lequel le Conseil a déclaré qu’il n’acceptait « pas comme un avantage tout projet conditionnel à l’approbation d’une autre demande. »

48. Certains intervenants font valoir que des grands radiodiffuseurs ont fermé plusieurs stations de télévision traditionnelle au cours des trois dernières années, ce qui a réduit les dépenses en émissions canadiennes, les occasions d’emploi et le reflet local. En outre, pas un sou des 241,3 millions de dollars d’avantages tangibles ne sera consacré à de la programmation locale existante ou nouvelle, et ce, à l’égard d’aucune station locale de télévision ou de radio visée par la demande.

49. Enfin, des intervenants font valoir que BCE a omis de proposer de la nouvelle programmation locale à l’une ou l’autre des 74 communautés desservies par les stations de radio d’Astral, après avoir fait de la télévision sa préoccupation principale tant dans sa demande qu’au cours de sa comparution à l’audience publique. Selon eux, alors que BCE prend un engagement non défini à offrir aux auditeurs une forte présence locale, il indique du même souffle qu’il optera pour le statu quo et se fiera aux stations de BCE pour des nouvelles additionnelles, plutôt que de créer de nouvelles occasions pour la télévision et la radio locales.

Analyse et décisions du Conseil

50.  Les questions que soulève cette demande font référence à nombre d’objectifs et de politiques qui s’entrecroisent et touchent directement la santé et la durabilité du système canadien de radiodiffusion. Une transaction de cette envergure dépasse largement le cadre d’une décision opérationnelle à l’égard d’un changement de propriété; en réalité, ses conséquences pourraient remodeler la structure de l’industrie au cours des prochaines années.

51. La transaction proposée ne ferait pas qu’éliminer du système le dernier grand radiodiffuseur indépendant non intégré, mais elle transférerait ses entreprises au plus gros fournisseur de services de télécommunications et de radiodiffusion verticalement intégré au Canada. L’entité ainsi créée réunirait deux grands participants des services facultatifs de télévision, c’est-à-dire le premier et le troisième en importance pour ce qui est des revenus; cette entité contrôlerait à elle seule plus de 63 % des revenus des services facultatifs de langue française, soit plus de cinq fois les revenus générés par son plus proche concurrent dans ce marché. BCE aurait aussi une part dans cinq des dix services facultatifs de langues française et anglaise ayant les plus hauts revenus ainsi qu’une position significative dans la programmation de sport, de films et d’autre programmation de qualité pour laquelle il existe une forte demande dans les deux langues. Dans le secteur de la radio, la transaction réunirait le premier et le quatrième radiodiffuseur en importance. En conséquence, BCE contrôlerait plus d’un quart de l’ensemble des revenus de la radio commerciale, plus que les revenus combinés de la seconde et de la troisième entreprise du secteur de la radio.

52. Le Conseil note que la question des seuils établis dans la politique sur la diversité a fait l’objet d’intenses discussions. Ces seuils sont conçus pour guider l’analyse du Conseil de l’intégration horizontale des médias lors de son examen des demandes de modification du contrôle effectif mais ils ne sont pas déterminants dans la décision du Conseil. Dans un objectif de clarté, le Conseil estime que la part totale de l’écoute de la télévision se base sur l’auditoire des services de télévision commerciale au Canada, conformément au Rapport de surveillance des communications du Conseil (RSC) et aux pratiques antérieures. Même s’il reconnaît que les services non canadiens font partie de l’environnement de la radiodiffusion, le Conseil doit remplir son mandat de soutenir un système canadien sain et diversifié. De plus, la syntonisation d’émissions américaines populaires est déjà comptabilisée dans l’écoute des services canadiens puisque la programmation américaine est diffusée par les services canadiens, surtout dans le marché de langue anglaise. Étant donné que la politique sur la diversité a pour objectif de guider le Conseil dans ses décisions relatives au transfert de propriété, le Conseil estime qu’il n’est pas pertinent d’inclure dans son analyse des services dont il ne réglemente pas directement la propriété.

53.  D’après les chiffres du RSC 2012, on constate que, sur le marché de langue anglaise, les services de BCE représentent 33,7 % de l’écoute des services canadiens, Astral 6 % et les services en coentreprise 3 %. Les parts d’auditoire combinées de l’entité Astral/BCE, y compris celles des coentreprises, représenterait donc 42,7 % de l’ensemble de l’auditoire des services canadiens. Sur le marché de langue française, les parts d’auditoire combinées de l’entité BCE/Astral représenteraient 24,9 % de l’auditoire des services canadiens; si l’on ajoute la part des coentreprises qui représente 8,2 %, on arrive à un total de 33,1 %. Le Conseil estime que, dans le cas des coentreprises, même en l’absence d’un contrôle évident, il serait déraisonnable de ne pas admettre qu’un propriétaire à 50 % a un rôle important dans l’exploitation et la gestion des services. De plus, un propriétaire à 50 % pourrait tirer profit de son poids décisionnel dans la distribution des services; le Conseil a donc inclus les auditoires des coentreprises dans ses calculs. Par conséquent, la part d’auditoire combinée de l’entité BCE/Astral du marché de langue française arriverait juste en dessous du seuil de 35 %; sur le marché de langue anglaise, cette part devrait faire l’objet d’un « examen minutieux » conformément à la politique sur la diversité. Le Conseil souligne, cependant, que la politique sur la diversité s’applique « de façon générale », « sous réserve d’autres questions de politique » et sous réserve du statut des politiques adoptées en vertu de l’article 6 de la Loi, tel que susmentionné.

54.  Le Conseil note l’affirmation de BCE qui précise que ses parts d’auditoire ne devrait susciter aucune préoccupation, même sur le marché de langue anglaise, particulièrement étant donné que la transaction ne porte pas sur des services de nouvelles et d’information et qu’elle aurait une faible incidence sur la publicité. Cependant, le Conseil estime que la transaction proposée doit faire l’objet d’un examen minutieux à cause de la concentration de propriété et de la domination de la télévision et de la radio, tant sur le marché de langue anglaise que celui de langue française. De plus, compte tenu de la nature et de la taille de la transaction proposée, le Conseil estime qu’il doit baser son analyse sur des indicateurs multiples relatifs à l’exercice du pouvoir dans le marché, à la concurrence et à la concentration de propriété plutôt que de tenir compte seulement des seuils de parts de marché de la télévision énoncés dans la politique sur la diversité.

55.  En ce qui a trait à la télévision de langue anglaise, l’entité BCE/Astral contrôlerait un montant de revenus et une part d’auditoire sans précédent. De plus, BCE augmenterait sa part déjà significative de services facultatifs de catégorie A qui, à titre de services à distribution obligatoire, conférerait à BCE un pouvoir de négociation considérable sur les autres distributeurs. L’acquisition d’Astral apporterait des services de télévision facultatifs populaires et rentables, ce qui par le fait même renforcerait la position de BCE dans les genres les plus attrayants, soit les films, le sport et le contenu de qualité pour lequel il existe une forte demande, qui jouent un rôle de premier plan dans la demande de services de télévision canadiens. Ces genres sont toujours populaires auprès des Canadiens et sont constitués d’émissions exclusives ou en direct, qui ne sont pas disponibles ailleurs. Enfin, la possibilité de négocier les droits d’émissions pour chaque fenêtre avec les fournisseurs de programmation et les annonceurs, combinée à la taille de BCE et à sa capacité d’« achat en gros », pourrait ultimement réduire la concurrence plutôt que l’accroître.

56.  Sur le marché de la télévision de langue française, l’ajout du vaste portfolio d’Astral aux services de sports déjà très prisés de BCE accroîtrait le niveau déjà important de la concentration dans les services facultatifs. Le Conseil est au courant de l’actuelle configuration du marché de la télévision de langue française, qui comprend Québecor, une entité verticalement intégrée qui détient une part de marché significative, tant en programmation qu’en distribution. BCE fait valoir que les canadiens sont mieux servis par la concurrence, mais le Conseil note qu’Astral est actuellement un concurrent important sur le marché de la télévision langue française. De plus, BCE, en tant que société intégrée verticalement, possède déjà une infrastructure de distribution, de services sans fil et de services filaires. Le Conseil estime que BCE n’a pas démontré comment la transaction proposée, qui ferait en sorte que la grande majorité des services de programmation de langue française seraient détenus par deux grands concurrents verticalement intégrés, stimulerait la concurrence. En outre, la proposition de BCE n’a pas traité adéquatement de l’incidence négative éventuelle de cette transaction sur les entités indépendantes.

57.  En ce qui a trait à la radio, le Conseil estime que le retard et le manque de détails du plan de dessaisissement de BCE n’a pas permis aux intervenants de formuler des interventions valables. Alors que le plan respecte la lettre de la politique sur la propriété commune en radio, la décision d’inclure certaines stations de radio de Bell Média dans le plan de dessaisissement pourrait être interprétée comme une tentative de BCE d’échanger des stations sous-performantes pour des stations à succès, ce qui ne profiterait pas au système canadien de radiodiffusion et ne créerait pas non plus de conditions de saine concurrence. La vente de stations moins rentables pourrait renforcer la position de BCE sur ces marchés, rendre plus difficile l’entrée de nouveaux concurrents et réduire le total des avantages tangibles payés relativement aux stations de radio d’Astral.

58.  Tel que noté précédemment, les demandeurs doivent clairement démontrer des avantages tangibles et intangibles importants et sans équivoque. BCE fait valoir qu’en plus de favoriser la concurrence au sein du système canadien de radiodiffusion, la transaction proposée donnerait naissance à une entreprise d’une envergure telle qu’elle contribuerait à une meilleure distribution multiplateforme de services de radiodiffusion. Selon BCE, ces avantages intangibles seraient accompagnés d’un montant d’avantages tangibles sans précédent.

59. Le bloc d’avantages tangibles proposé par BCE se traduirait sans aucun doute par un investissement significatif dans le système canadien de radiodiffusion. Le Conseil note cependant que certains projets ne correspondent pas aux lignes directrices établies dans la politique et dans la pratique usuelle du Conseil. Plus précisément, BCE n’a pas démontré que la proposition d’Internet à large bande de Norouestel pourrait servir le système de radiodiffusion. De plus, cette proposition, tout comme celle concernant un nouveau service de nouvelles de catégorie C, ne profiterait pas principalement à des tierces parties. De plus, BCE n’a pas démontré que les émissions soulignant la célébration du 150ième anniversaire du Canada dépendaient du financement issu des avantages tangibles. La disqualification de ces projets réduirait le montant des avantages tangibles en matière de télévision proposés par BCE à environ 6 % de la valeur de l’actif en télévision. En outre, le bloc d’avantages n’a pas satisfait à l’attente générale du Conseil selon laquelle 85 % de ces avantages doivent être alloués à des projets à l’écran. Finalement, le Conseil note que BCE a omis de fournir des explications adéquates sur plusieurs projets de radio et n’a pas indiqué non plus comment ces projets s’inscrivent dans la politique du Conseil.

60.  Tel que noté précédemment, le fardeau qui incombe au demandeur de prouver que la transaction sert l’intérêt public va bien au-delà des exigences en matière d’avantages tangibles. Alors que la télévision était au centre des discussions lors de l’audience, le Conseil note que parallèlement à sa proposition d’avantages tangibles, BCE n’a pris aucun engagement supplémentaire formel à l’égard de la programmation locale et des émissions de créations orales à la radio, ou de la promotion et du temps d’antenne offerts aux artistes canadiens de la relève. De plus, BCE n’a pas donné de détails sur son plan d’investissement dans les activités d’Astral en matière de radio et dans les nouvelles. Dans ces conditions, le Conseil estime que BCE a omis de se décharger de son fardeau de prouver que l’exploitation combinée des stations de radio de Bell Média et d’Astral servirait les auditeurs canadiens ainsi que l’ensemble du secteur de la radio.

61. En ce qui a trait aux avantages intangibles pour le système de radiodiffusion en matière de télévision, alors que la proposition de BCE offrant un nouveau service sur demande multiplateforme a suscité de nombreuses discussions, BCE n’a pas démontré adéquatement que l’acquisition d’Astral est une condition préalable à la création d’un tel service. Plusieurs EDR offrent déjà à leurs abonnés des services de « télévision en tous lieux » et la programmation des services d’Astral est disponible sur plusieurs plateformes. De plus, BCE a expliqué que ce type de service est « nécessaire pour rester concurrentiel », remettant ainsi en question le fait que la réalisation de tels projets dépende de l’approbation de la présente transaction.

62. BCE fait également valoir que l’envergure de son avoir à la suite de la transaction proposée est nécessaire pour concurrencer les services internationaux qui ne détiennent pas de licences. Bien que le Conseil appuie généralement la consolidation et la présence de grandes sociétés, il note que BCE détient déjà une position solide au sein du système canadien de radiodiffusion. De plus, BCE n’a pas démontré la nécessité de prendre davantage d’expansion pour concurrencer les services étrangers. Le Conseil estime que le dossier ne fait pas état d’une preuve convaincante démontrant que les concurrents étrangers sans licence ont une incidence significative sur la négociation de droits de programmation avec les radiodiffuseurs canadiens. De plus, le Conseil a noté dans son rapport intitulé Naviguer dans les eaux de la convergence II, publié en août 2011, que d’après les données disponibles, les plateformes internet sont encore actuellement un complément au système traditionnel de radiodiffusion. Enfin, les radiodiffuseurs canadiens profitent de protections importantes en vertu du régime réglementaire actuel, y compris la substitution simultanée, la protection des genres et le financement public et le soutien au développement d’émissions.

63. Le Conseil estime que la convergence, l’intégration et l’envergure pourraient mener à une situation où la taille d’une entité au niveau national devient si importante qu’elle nuit à une concurrence efficace et saine entre les radiodiffuseurs canadiens. Le Conseil, tel que discuté plus bas, estime qu’une transaction de cette envergure aurait une incidence négative sur la concurrence et la diversité au sein du système canadien de radiodiffusion et par le fait même minerait sa capacité à atteindre les objectifs de politique énoncés dans la Loi. Le Conseil est conscient qu’un système de communication sain exige également que des entités de taille différentes puissent concurrencer et innover dans un environnement équitable.

64. Bien que BCE ait fait valoir qu’il serait dans son meilleur intérêt de rendre le contenu disponible autant que possible, le Conseil partage les préoccupations de plusieurs intervenants concernant l’aptitude d’un distributeur qui détient les droits à l’égard du contenu de l’entité BCE/Astral à exercer un pouvoir excessif sur le marché de façon anticoncurrentielle. De telles préoccupations naissent du fait que, pour une entité intégrée verticalement, il existe un incitatif commercial d’accorder une préférence indue à ses propres entreprises de distribution en limitant l’accès à ses services de programmation ou en les offrant à un prix supérieur au marché à ses concurrents. Le pouvoir sur le marché de l’entité BCE/Astral pourrait avoir une incidence négative sur l’offre d’une programmation diversifiée aux Canadiens et mettre en péril la capacité des entreprises de distribution à livrer une programmation à prix abordable et selon des modalités raisonnables sur des plateformes multiples.

65. Bien que BCE ait accepté comme condition de licence de respecter le Code de déontologie, il n’a pas proposé ou manifestement accepté aucune autre solution possible, dont la séparation des fonctions ou le dessaisissement, pour répondre à ces préoccupations. Le Conseil estime que la large participation de l’entité BCE/Astral dans des services et des genres à succès, dans des services facultatifs à distribution obligatoire ainsi que son accès à une programmation traditionnelle populaire et à des réseaux nationaux de distribution lui donneraient non seulement la capacité d’exercer indûment un pouvoir excessif sur le marché mais aussi l’incitatif à le faire, et cela aux dépens de ses concurrents. Dans ce contexte, le Conseil estime qu’advenant une approbation, le pouvoir de BCE sur le marché serait tellement important que le cadre à l’égard de l’intégration verticale ne suffirait pas à traiter de façon efficace les différends et à soutenir efficacement la disponibilité et la distribution des émissions.

66. Alors que certains intervenants ont proposé des balises qui permettraient de répondre à ces préoccupations advenant l’approbation de la présente demande, l’importance et l’étendue de l’actif en radiodiffusion de l’entité BCE/Astral sont d’une telle envergure que la supervision d’un pouvoir sur le marché de cet ampleur nécessiterait des mesures considérables et indûment contraignantes. Le Conseil estime qu’une ingérence de cette ampleur ne serait pas conforme à la politique réglementaire énoncée à l’article 5(2) de la Loi. Le Conseil estime de plus qu’il appartenait à BCE de proposer des mesures adéquates afin de répondre à ces préoccupations. Dans le présent cas, BCE a omis de le faire.

Conclusion

67. Le Conseil a examiné la proposition de BCE ainsi que les observations reçues en réponse aux avis de consultation de radiodiffusion 2012-370, 2012-370-1 et 2012-370-2. Tel que mentionné précédemment, le Conseil doit évaluer les demandes de modification du contrôle effectif en fonction des objectifs établis dans la Loi, ainsi que dans ses propres politiques et sa réglementation. Le Conseil estime que les préoccupations soulevées par les questions de concurrence, de concentration de propriété dans les secteurs de la télévision et de la radio, d’intégration verticale et dans l’exercice du pouvoir sur le marché sont très importantes et sans équivoque pour la présente demande.

68. Le Conseil conclut que BCE a omis de se décharger de son fardeau de prouver que, dans l’ensemble, cette transaction sert l’intérêt public. Les avantages proposés profiteraient à BCE et à ses services, mais le Conseil n’est pas persuadé que la transaction apporterait au système canadien de radiodiffusion et aux Canadiens des avantages importants et sans équivoque suffisants pour compenser les préoccupations décrites ci-dessus.

69. Par conséquent, le Conseil refuse la demande de BCE inc., au nom d’Astral Media inc., en vue de modifier le contrôle effectif d’Astral et de ses entreprises de radiodiffusion autorisées afin qu’il soit exercé par BCE (demande 2012-0516-2). Compte tenu de sa décision, le Conseil n’a pas rendu de décisions à l’égard des autres aspects de la demande de BCE, y compris la valeur de la transaction.

70. Le Conseil note les objections soulevées par de nombreux intervenants à l’égard de la demande de Bell Média inc. et 7550413 Canada Inc., associés dans une société en nom collectif faisant affaires sous le nom de Bell Media Canada Radio Partnership, en vue de convertir l’entreprise de programmation de radio de langue anglaise CKGM Montréal en une entreprise de programmation de radio de langue française (demande 2012-0573-2). Ces objections portaient, entre autres, sur l’intégrité du processus d’attribution de licences du Conseil et sur la perte d’un service de radiodiffusion de langue anglaise à une communauté de langue officielle en situation minoritaire. Au cours de l’audience, BCE a indiqué que, dans l’éventualité où la transaction proposée était refusée, il continuerait à exploiter CKGM Montréal à titre de station de langue anglaise. En conséquence, le Conseil refuse cette demande. Par conséquent, le titulaire continuera à exploiter CKGM Montréal selon les modalités et conditions énoncées dans sa licence actuelle.

71. Parallèlement, le Conseil refuse les demandes connexes suivantes, qui selon BCE sont conditionnelles à l’approbation de la proposition de modification du contrôle d’Astral :

Autres questions

72. Le Conseil note que le demandeur a apporté des modifications à sa demande après sa publication, lesquelles ont été ajoutées au dossier et ont effectivement été prises en considération par le Conseil dans le présent cas. Cependant, dorénavant, les demandeurs doivent s’assurer que leurs propositions sont complètes lorsqu’ils les déposent. Toutes les preuves requises pour démontrer que la proposition sert l’intérêt public et qu’elle est conforme aux décisions antérieures et aux politiques du Conseil doivent faire partie de la demande initiale. Les propositions ne devraient pas être modifiées au cours de la phase orale de l’audience publique. Le Conseil estime que les changements de dernière minute minent la capacité du Conseil à mettre à l’épreuve et à clarifier les propositions et nuisent également à la capacité du public de commenter adéquatement les demandes.

73. Enfin, tel qu’indiqué dans le plan triennal du Conseil publié récemment, il a entrepris un examen interne des critères utilisés pour déterminer l’admissibilité des projets liés aux avantages tangibles. Les détails de cet examen seront annoncés à une date ultérieure.

Secrétaire général

Documents connexes

Notes de bas de page

[1] Le Conseil a traité de ces principes à de nombreuses occasions, notamment dans la décision 77-456, dans un document de travail intitulé Projet des pratiques et méthodes du CRTC relatives aux questions de radiodiffusion, 25 juillet 1978, ainsi que dans l’avis public 1992-42 et dans la décision de radiodiffusion 2003-205.

[2] Le Conseil est autorisé et encouragé à émettre de telles lignes directrices par la common law, la Loi et la Loi sur les télécommunications. Voir notamment : Capital Cities Comm. c. C.R.T.C., [1978] 2 R.C.S. 141 aux paragraphes 170-171; voir aussi Ainsley Financial Corp. c. Ontario (Securities Commission), (1994) 21 O.R. (3d) 104; la Loi, art. 6 et la Loi sur les télécommunications, art. 58.

[3] Voir notamment : Dawkins c. Canada (ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1992] 1 C.F. 639; et Maple Lodge Farms Ltd. c. Gouvernement du Canada, [1981] 1 C.F. 500, confirmé [1982] 2 R.C.S. 2.

[4] Les autres politiques pertinentes comprennent la politique relative aux avantages tangibles, originalement publiée dans l’avis public 1989-109 et plus récemment énoncée dans l’avis public 1999-97 et la politique réglementaire de radiodiffusion 2010-499, ainsi que la politique sur la radio commerciale énoncée dans l’avis public de radiodiffusion 2006-158.

[5] Voir notamment : Genex Communications Inc. c. Canada (Procureur général), (2005) D.L.R. (4th) 45, 2005 C.A.F. 283, par. 31.

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