Décision de radiodiffusion CRTC 2023-322

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Référence : Demande en vertu de la Partie 1 affichée le 17 avril 2023

Ottawa, le 20 septembre 2023

Société Radio-Canada
L’ensemble du Canada

Dossier public : 2023-0187-8

Société Radio-Canada – Divers services audio et audiovisuels – Modifications de licences

Sommaire

Le Conseil refuse une demande présentée par la Société Radio-Canada (SRC) en vue de modifier les conditions de service 59 à 62 énoncées à l’annexe 3 de Société Radio-Canada – Divers services audio et audiovisuels – Renouvellement de licences, Décision de radiodiffusion CRTC 2022-165 et Ordonnances de radiodiffusion CRTC 2022-166 et 2022-167, 22 juin 2022, modifiées par la Décision de radiodiffusion CRTC 2022-165-1, 20 juin 2023, concernant les consultations avec les peuples autochtones.

De plus, le Conseil ordonne à la SRC de tenir les consultations énoncées aux conditions de service 59 et 60 au plus tard le 31 mars 2024 et de déposer le rapport énoncé à la condition de service 62 au plus tard le 30 juin 2024.

Contexte

  1. Dans le cadre de sa demande de renouvellement de licence déposée en 2019, la Société Radio-Canada (SRC) a proposé d’imposer l’obligation de tenir des consultations avec les communautés autochtones.
  2. Par conséquent, dans Société Radio-Canada – Divers services audio et audiovisuels – Renouvellement de licences, Décision de radiodiffusion CRTC 2022-165 et Ordonnances de radiodiffusion CRTC 2022-166 et 2022-167, 22 juin 2022, modifiées par la Décision de radiodiffusion CRTC 2022-165-1, 20 juin 2023 (décision de radiodiffusion 2022-165), le Conseil a déterminé qu’il serait approprié d’étendre les exigences de consultation et de rapport de la SRC pour inclure les communautés autochtones. À cet égard, il a imposé des conditions de licenceNote de bas de page 1, exigeant que la SRC tienne des consultations avec les groupes autochtones à partir de l’année de radiodiffusion 2022-2023.
  3. Plus précisément, le Conseil a imposé les conditions de service suivantes, énoncées à l’annexe 3 de la décision de radiodiffusion 2022-165 :


    59. À compter de l’année de radiodiffusion 2020-2023, la [SRC] doit organiser au moins tous les deux (2) ans des consultations officielles avec les peuples, groupes et communautés autochtones, et les communautés de langue officielle en situation minoritaire (CLOSM) de langue anglaise et de langue française. Ces consultations doivent présenter un équilibre entre les genres et elles doivent être représentatives de chacune des régions du Canada : l’Atlantique, le Québec, l’Ontario, l’Ouest canadien et le Nord. Ces consultations porteront sur :

    • les enjeux de radiodiffusion d’importance pour les peuples, groupes et communautés autochtones, et les CLOSM, y compris une programmation audio et audiovisuelle canadienne représentative et pertinente, avec une attention particulière sur le reflet et la pertinence des nouvelles et de l’information, de la programmation destinée aux enfants et aux jeunes et des émissions d’intérêt national pour les peuples autochtones et les CLOSM sur tous les services autorisés et sur toutes les entreprises de radiodiffusion de médias numériques;
    • les résultats des recherches sur l’opinion publique tel que décrit à la condition de licence 71 dans la présente annexe afin de déterminer si :
      • des mesures doivent être prises pour s’assurer qu’une programmation pertinente et représentative est offerte à ces communautés;
      • la [SRC] mesure adéquatement si sa programmation répond aux besoins de ces communautés au moyen de recherches sur l’opinion publique ou d’autres mécanismes appropriés;
      • la façon dont la [SRC] procède à la consultation (ou sondage, selon le groupe) tient compte des spécificités culturelles, de la pertinence et de la rigueur méthodologique.

    60. Parallèlement aux consultations identifiées dans la condition de licence 59, la [SRC] doit organiser des consultations avec [des] créateurs autochtones, des producteurs indépendants autochtones, des producteurs et créateurs de contenu audio et audiovisuel issus des communautés de langue officielle en situation minoritaire (CLOSM) dans chacune des régions du Canada : l’Atlantique, le Québec, l’Ontario, l’Ouest canadien et le Nord. Durant les consultations avec les producteurs, la [SRC] doit discuter de la pertinence de la programmation audio et audiovisuelle produite pour les peuples autochtones et chaque CLOSM, et élaborer des stratégies de collaboration pour la création de contenu.

    61. Pour choisir la programmation qu’elle diffuse aux Canadiens, la [SRC] doit tenir compte des résultats des consultations exigées par les conditions de licence 59 et 60, ainsi que des résultats de sa recherche d’opinion publique tel que décrit à la condition de licence 71 de cette annexe.

    62. Pour chaque année de radiodiffusion de la nouvelle période de licence, débutant avec l’année de radiodiffusion 2022-2023, la [SRC] doit déposer auprès du Conseil, au plus tard le 30 novembre suivant la fin de chaque année de radiodiffusion, un rapport sur les efforts qu’elle a déployés pour s’assurer que les besoins des peuples, groupes et communautés autochtones, et des communautés de langue officielle en situation minoritaire sont pris en compte dans ses choix de programmation audio et audiovisuelle. La [SRC] doit également démontrer comment elle répondra à toutes les préoccupations ou questions soulevées lors des consultations spécifiées dans les conditions de licence 59 et 60 ou à tout ajustement qui devrait être apporté à ses stratégies de programmation afin d’être pertinente pour ces communautés.

  4. Ces conditions de service ont été imposées à l’issue d’un vaste processus public et de consultations avec la SRC, conformément au paragraphe 23(1) de la Loi sur la radiodiffusion.

Demande

  1. Le 22 février 2023, la SRC a déposé une demande en vue de modifier les conditions de service susmentionnées concernant les consultations avec les peuples autochtones énoncées à l’annexe 3 de la décision de radiodiffusion 2022-165.
  2. Plus précisément, la SRC demande que le calendrier des consultations avec les peuples autochtones soit prolongé d’un an et commence au cours de l’année de radiodiffusion 2023-2024.
  3. La SRC indique que cette modification lui permettrait d’achever l’élaboration de sa stratégie autochtone nationale avant de lancer une nouvelle série de consultations avec les peuples autochtones.
  4. La SRC indique également que la modification lui donnerait plus de temps pour élaborer les mesures de confidentialité nécessaires afin de protéger l’identité des participants qui s’identifient volontairement comme membres de l’un des groupes désignés lors des consultations avec les peuples autochtones, les personnes racisées, les personnes en situation de handicap et les personnes qui s’identifient à la communauté 2ELGBTQI+Note de bas de page 2.
  5. Enfin, la SRC indique qu’elle est consciente du risque de chevauchement des consultations multiples et de la lassitude de certains peuples autochtones à l’égard des consultations. La SRC fait remarquer que lors des séances de mobilisation qu’elle a menées d’avril à novembre 2022 dans le cadre de la phase 2 de l’élaboration de sa stratégie autochtone nationale, certaines communautés ont exprimé le sentiment d’être trop consultées par diverses industries et ont mis en garde contre l’organisation de nouvelles consultations sans un plan d’action concret et un effort concerté dans le cadre de l’élaboration de la stratégie.

Questions procédurales

  1. Étant donné que les peuples autochtones seraient touchés par toute modification des conditions de service 59 à 62 et que l’un des arguments de la SRC repose sur une préoccupation exprimée par des membres des communautés autochtones, le personnel du Conseil a envoyé une lettre à la SRC pour demander que la demande soit signifiée aux groupes représentant les intérêts des peuples autochtones, y compris les groupes qui ont exprimé le sentiment d’avoir été trop consultés lors des séances de mobilisation de la SRC.
  2. Dans sa réponse à cette lettre, la SRC a indiqué qu’elle n’était pas en mesure de signifier la demande aux parties qui avaient participé aux séances de mobilisation, étant donné que le consentement des participants n’avait été ni demandé ni obtenu dans le but de communiquer des renseignements personnels à de tierces parties. Cependant, la SRC a fait remarquer que les deux cabinets de consultants qu’elle avait retenus pour faciliter les séances de mobilisation avaient fourni des copies de la demande directement aux participants, conservant leur anonymat, et les avaient invités à communiquer leurs renseignements personnels directement au Conseil.
  3. Ainsi, le délai de soumission des interventions au sujet de la demande a été prolongé de 10 jours afin de permettre aux groupes anonymes de disposer d’un délai suffisant pour formuler leurs observations.

Interventions et réplique

  1. Le Conseil a reçu trois interventions en commentaires et six interventions en appui à la présente demande de la part d’UTAPI Consultants, de l’Association nationale des radios étudiantes et communautaires (ANREC) et de quatre personnes qui sont à l’emploi de l’Indigenous Leadership Development Institute ou associées à celui-ci.
  2. Les interventions soumises en commentaires soulignent généralement l’importance des consultations avec les peuples autochtones, sans se prononcer sur la pertinence du délai de mise en œuvre demandé par la SRC.
  3. Les interventions en appui soutiennent généralement que la modification demandée par la SRC faciliterait des consultations plus pertinentes avec les peuples autochtones. Les intervenants conviennent également avec la SRC qu’il serait plus approprié d’attendre l’adoption de la stratégie autochtone nationale de la SRC avant de lancer une nouvelle série de consultations avec les peuples autochtones.
  4. En outre, l’ANREC souligne le nombre important d’instances en cours et à venir relatives à la mise en œuvre de la nouvelle Loi sur la radiodiffusion, qui rendront plus difficile de trouver la capacité de participer à des consultations supplémentaires. Elle soutient qu’une prolongation du délai pour les consultations de la SRC permettrait à l’ANREC de mieux aider ses membres autochtones à participer à ces consultations.
  5. Dans sa réplique, la SRC réitère l’importance qu’elle attache aux consultations formelles avec les peuples autochtones. La SRC fait également remarquer qu’elle estime que l’approbation de sa demande est dans l’intérêt public et qu’elle faciliterait des consultations plus pertinentes afin de s’assurer que la programmation de la SRC reflète les besoins et les intérêts des peuples autochtones et y répond.

Questions

  1. Après examen du dossier de la présente demande conformément au cadre réglementaire applicable, le Conseil estime que les questions sur lesquelles il doit se pencher sont les suivantes :
    • l’incidence potentielle sur les producteurs et artistes autochtones;
    • l’absence de soutien clair dans le dossier public;
    • le moment choisi pour la demande.

Incidence potentielle sur les producteurs et artistes autochtones

  1. Le Conseil reconnaît qu’une prolongation des consultations avec les peuples autochtones permettrait à la SRC d’achever l’élaboration de sa stratégie autochtone nationale et que l’adoption de cette stratégie pourrait avoir des répercussions sur la conduite et le contenu de toute consultation future avec les peuples autochtones. Cependant, comme l’a préconisé la SRC dans sa demande de renouvellement de licence de 2019 et comme indiqué dans la décision de radiodiffusion 2022-165, à la suite d’un vaste processus public comprenant des consultations avec la SRC au sujet de la pertinence de l’imposition des conditions de service 59 à 62, le Conseil maintient son point de vue selon lequel il serait utile de tenir des consultations avec les peuples autochtones conformément à l’objectif sous-jacent à l’imposition de ces conditions de service en vue d’atteindre les résultats prescrits dans la décision de radiodiffusion 2022-165.
  2. Plus précisément, dans la décision de radiodiffusion 2022-165, le Conseil a affirmé que les consultations avec les producteurs et les artistes autochtones donneraient à ces créateurs l’occasion de se faire entendre et d’établir des relations entre eux et la SRC au moment où celle-ci ajuste ses activités afin de répondre aux exigences en matière de dépenses pour la programmation audiovisuelle autochtone et aux exigences en ce qui a trait aux sélections musicales autochtones imposées par le Conseil. La mise en œuvre des observations des producteurs et des communautés autochtones pourrait permettre à la SRC de procéder à des ajustements afin de s’assurer que sa programmation destinée aux peuples autochtones est pertinente pour eux et que ses processus internes sont plus inclusifs.
  3. Par conséquent, le Conseil conclut que les modifications proposées aux conditions de service 59 à 62 compromettraient les résultats décrits dans la décision de radiodiffusion 2022-165 et que les modifications proposées par la SRC pourraient avoir des répercussions négatives sur la capacité des producteurs et des artistes autochtones à se faire entendre et à établir des relations avec la SRC.

Absence de soutien clair dans le dossier public

  1. Bien que de nombreuses interventions reçues aient été en faveur de la demande, le soutien reçu a été principalement exprimé par des organisations ou des particuliers qui jouent un rôle dans les consultations de la SRC avec les peuples autochtones pour sa stratégie autochtone nationale, plutôt que par des participants ou des participants potentiels à ces consultations. Plus précisément, quatre interventions ont été soumises par des personnes employées par l’Indigenous Leadership Development Institute, ou associées à celui-ci, soit l’un des cabinets de consultants retenus par la SRC pour faciliter les séances de mobilisation dans le cadre de sa stratégie autochtone nationale. Une autre intervention a été soumise par UTAPI Consultants.
  2. Le Conseil reconnaît que les consultants autochtones sont des parties prenantes et que leurs positions ont de la valeur; toutefois, il craint qu’un dossier public composé essentiellement d’interventions de consultants ne donne qu’une image partielle de la question, étant donné que les difficultés rencontrées par les parties qui organisent les consultations peuvent différer de celles rencontrées par les participants à ces consultations.
  3. Le Conseil est également préoccupé par l’incapacité ou le refus de la SRC de signifier la demande aux parties potentiellement concernées. Le Conseil est d’avis que la SRC aurait pu décider de signifier la demande à un certain nombre de groupes et de producteurs autochtones avec lesquels elle entretient des relations, sans tenir compte de leur participation aux séances de mobilisation. À cette fin, le Conseil fait remarquer que la demande du personnel du Conseil de signifier la demande n’était pas limitée exclusivement aux participants aux séances de mobilisation, mais plutôt aux groupes représentant les intérêts des peuples autochtones, y compris les groupes qui ont exprimé le sentiment d’avoir été trop consultés au cours des séances de mobilisation. Par conséquent, le Conseil est d’avis que les mesures prises par la SRC à cet égard peuvent avoir eu des répercussions négatives sur la participation des parties potentiellement concernées par la présente demande.
  4. Bien que la SRC ne puisse obliger aucune partie à intervenir et à soutenir sa demande, le Conseil estime que lorsqu’un demandeur avance un argument fondé sur l’opinion d’un tiers, il lui incombe de fournir des éléments de preuve solides concernant la validité de cet argument, ce que la SRC n’a pas fait d’une manière non équivoque.
  5. En outre, aucun des intervenants n’a abordé l’argument de la SRC selon lequel une prolongation d’un an lui donnerait plus de temps pour mettre en place les mesures de confidentialité nécessaires afin de protéger l’identité des participants qui s’identifient comme faisant partie des peuples autochtones. Le Conseil reconnaît l’importance d’élaborer de telles mesures de protection de la vie privée à l’avenir. Toutefois, le Conseil conclut que cela ne devrait pas retarder les consultations.

Moment choisi pour la demande

  1. Conformément aux conditions de service 59 à 62, la SRC était tenue d’organiser des consultations avec les peuples autochtones avant le 31 août 2023, date qui marque la fin de l’année de radiodiffusion 2022-2023. Le Conseil estime toutefois qu’en déposant la présente demande le 22 février 2023, la SRC s’est placée dans une situation où il était très improbable qu’elle puisse se conformer à ces obligations si la modification demandée était refusée. Le Conseil rappelle que ces obligations ont été imposées à l’issue d’un processus public long et détaillé et d’une consultation supplémentaire avec la SRC, conformément au paragraphe 23(1) de la Loi sur la radiodiffusion. Le Conseil conclut que la SRC était clairement consciente de ses obligations bien avant le renouvellement de ses licences.
  2. Par conséquent, le Conseil est d’avis qu’il aurait été plus approprié que la SRC dépose sa demande plus tôt afin de lui permettre d’organiser et de tenir des consultations avec les peuples autochtones et d’en rendre compte, au cas où sa demande serait rejetée.

Conclusion

  1. Compte tenu de tout ce qui précède, le Conseil refuse la demande de la SRC en vue de modifier les conditions de service 59 à 62 énoncées à l’annexe de la décision de radiodiffusion 2022-165 concernant les consultations avec les peuples autochtones.
  2. De plus, étant donné que l’année de radiodiffusion au cours de laquelle la SRC était censée tenir les consultations énoncées dans les conditions de service 59 à 62 s’est terminée le 31 août 2023 et que les résultats recherchés dans la décision de radiodiffusion 2022-165 demeurent importants, le Conseil ordonne à la SRC de tenir les consultations énoncées aux conditions de service 59 et 60 au plus tard le 31 mars 2024 et de déposer le rapport énoncé à la condition de service 62 au plus tard le 30 juin 2024.

Secrétaire général

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