ARCHIVÉ -  Décision Télécom CRTC 91-4

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Décision Télécom

Ottawa, le 7 mars 1991
Décision Télécom CRTC 91-4
INTRODUCTION PAR BELL CANADA DU SERVICE DE GESTION DES APPELS - REQUÊTES EN RÉVISION ET MODIFICATION
I HISTORIQUE
Dans la décision Télécom CRTC 90-10 du 9 mai 1990 intitulée Bell Canada - Introduction du service de gestion des appels (la décision 90-10), le Conseil a approuvé l'introduction par Bell Canada (Bell) du service de gestion des appels (SGA). Le SGA offre certaines fonctions (l'Afficheur et le Mémorisateur) qui permettent aux abonnés d'identifier la ligne appelante (l'ILA). Dans la décision 90-10, le Conseil a ordonné à Bell de bloquer l'ILA au moyen d'un service d'appel local avec assistance du téléphoniste. Des tarifs ont par la suite été approuvés rendant ainsi possible le blocage de l'ILA à raison de 0,75 $ l'appel.
Dans la décision 90-10, le Conseil a également ordonné à Bell d'élaborer, en collaboration avec des représentants de maisons d'hébergement pour victimes de violence conjugale, une méthode d'accréditation en vertu de laquelle les frais d'appels avec assistance du téléphoniste ne s'appliqueraient pas.
Le 6 juin 1990, l'Association coopérative d'économie familiale du Centre de Montréal, la Fédération nationale des associations de consommateurs du Québec et la Ligue des droits et libertés (l'ACEF) ont déposé une requête en vertu de l'article 66 de la Loi nationale sur les attributions en matière de télécommunications (LNAMT) demandant que le Conseil révise et modifie la décision 90-10. Plus particulièrement, l'ACEF a demandé au Conseil de modifier sa décision de manière à obliger Bell à offrir, sans frais, un service de blocage de l'ILA à quiconque utilise le service. Elle lui a en outre demandé de suspendre la mise en oeuvre de la décision 90-10.
Le 9 juillet 1990, le Public Interest Advocacy Centre, au nom de la Consumers Fight Back Association (la CFBA), a également demandé au Conseil de réviser et de modifier la décision 90-10. Selon la CFBA, le Conseil devrait annuler sa décision qui permet à Bell d'introduire trois des fonctions associées au SGA, nommément l'Afficheur, le Dépisteur et le Mémorisateur.
Dans la décision Télécom CRTC 79-1 du 2 février 1979 intitulée Requête de Bell Canada en vue de réviser la partie de la décision Télécom CRTC 78-7, du 10 août 1978, qui traite du projet de service téléphonique de l'Arabie Saoudite, le Conseil a adopté des critères lui permettant d'établir s'il y a lieu de réviser et de modifier ses décisions en matière de télécommunications. Ces critères exigent que, pour que le Conseil puisse exercer ses pouvoirs en vertu de l'article 66 de la LNAMT, la requérante démontre qu'il existe, prima facie, un ou plusieurs des critères suivants :
(1) une erreur de droit ou de fait;
(2) une modification fondamentale des circonstances ou des faits depuis la décision;
(3) le défaut de considérer un principe de base qui avait été soulevé dans la procédure initiale;
(4) un nouveau principe découlant de la décision.
En outre, nonobstant l'absence de preuve, prima facie, qu'un des critères susmentionnés n'ait été rencontré, il serait également possible au Conseil de déterminer qu'il y a un doute réel quant à la rectitude de sa décision originale et qu'en conséquence, une réévaluation est légitime. Ce n'est pas là cependant un cinquième critère, mais plutôt un état du pouvoir discrétionnaire résiduel qui existe dans l'article 66.
Dans sa requête, l'ACEF a fait valoir que le Conseil avait commis plusieurs erreurs de droit en rendant les décisions énoncées dans la décision 90-10 et qu'en outre, il y avait eu une modification fondamentale des circonstances depuis la décision. En dernier lieu, elle a indiqué que dans sa décision, le Conseil avait établi un principe erroné. Pour sa part, la CFBA a exprimé l'avis que le Conseil avait erré en droit en autorisant les trois fonctions susmentionnées du SGA et qu'il avait ainsi excédé sa juridiction.
Le Conseil a également reçu des lettres du Regroupement provincial des maisons d'hébergement et de transition pour femmes victimes de violence (le Regroupement), de l'Ontario Association of Interval and Transition Houses (l'OAITH) et des Déprimés anonymes Inc. (les Déprimés anonymes) se disant préoccupés par la décision du Conseil.
Bell a répondu à la requête de l'ACEF le 23 juillet 1990 et en a signifié copie au Regroupement, à l'OAITH et aux Déprimés anonymes. L'ACEF a répliqué le 16 août 1990 et a soumis des renseignements supplémentaires le 6 septembre 1990. Bell a fourni d'autres observations le 9 octobre 1990, mais l'ACEF n'en a pas formulé.
Bell a répondu à la requête de la CFBA le 13 août 1990. Celle-ci a déposé une réplique le 22 août 1990.
II ERREURS DE DROIT
A. Positions des parties
L'ACEF a soutenu tout d'abord que le Conseil avait erré en concluant que la Charte québécoise des droits et libertés de la personne (la Charte québécoise) ne peut être invoquée pour interdire l'utilisation de l'Afficheur sans le consentement de l'appelant. À son avis, le droit à la vie privée est garanti par les lois du Québec et ne peut être limité par des mesures du genre de celles que le Conseil a approuvées. Elle a fait valoir que la Charte québécoise n'a qu'un effet accessoire sur une entreprise fédérale comme Bell et qu'elle ne mine pas un élément vital de l'exploitation d'une telle entreprise. Dans ces circonstances, elle estime que la Charte québécoise est un texte de loi valable qui s'applique à la transmission d'un appel entre deux parties résidant au Québec, même si l'appel est acheminé par un médium qui est assujetti au contrôle fédéral.
Deuxièmement, l'ACEF a soutenu que le Conseil avait erré en concluant que le paragraphe 11 des Modalités de service de Bell n'interdit pas à Bell d'offrir un service qui divulgue des numéros de téléphone confidentiels.
Troisièmement, l'ACEF a indiqué que le Conseil avait enfreint les règles du droit administratif de deux façons. Plus particulièrement, il n'aurait pas motivé sa décision voulant que le SGA n'enfreigne pas les Modalités de service de Bell ou la Charte québécoise. Elle a en outre soutenu que le Conseil avait basé sa décision sur des renseignements qui ne figuraient pas au dossier, étant donné que dans le dépôt initial, la possibilité du blocage avec assistance du téléphoniste moyennant des frais n'avait pas été proposée.
En dernier lieu, l'ACEF a soutenu qu'en autorisant le SGA, le Conseil avait agi à l'encontre du droit international et de la Charte canadienne des droits et libertés (la Charte canadienne).
La CFBA a également exprimé l'avis que le Conseil avait enfreint la Charte canadienne en autorisant le SGA, alléguant plus précisément qu'il avait transgressé le droit à la vie privée, lequel droit est enchâssé aux articles 7 et 8. Elle a soutenu qu'en interprétant le sens à donner à l'article 8, la Cour suprême du Canada a établi que la protection contre les fouilles, les perquisitions ou les saisies abusives n'est qu'un aspect du droit plus grand à la vie privée, et qu'elle garantit que la personne sera protégée contre les ingérences abusives de l'État dans la vie privée.
Pour ce qui est de l'article 7 de la Charte canadienne, la CFBA a soutenu que selon la Cour suprême du Canada, la vie privée est au coeur de la liberté d'un État moderne et est essentielle au bien-être de la personne; elle mérite donc une protection sur le plan constitutionnel. Cette situation, d'après elle, a créé un droit général à la vie privée, sous réserve de limites raisonnables. À son avis, la jouissance de ce droit constitutionnel ne peut être assujettie à des frais, et par conséquent, le blocage tarifé de l'ILA ne justifie pas les limites imposées au droit à la vie privée.
La CFBA estimait également que le Conseil avait violé l'article 8 de la Loi sur la protection des renseignements personnels en divulguant des renseignements personnels sous son contrôle. Elle a déclaré que le Parlement a adopté, en vertu de la Partie VI du Code criminel, un plan qui réglemente les circonstances dans lesquelles les communications privées peuvent être interceptées et de quelle manière elles peuvent l'être. Elle a fait valoir que la définition de "communication privée" à l'article 183 du Code criminel est suffisamment large pour inclure les renseignements qui peuvent être interceptés au moyen du SGA, et que la décision 90-10 est ultra vires, puisqu'elle vise à modifier le plan adopté par le Parlement.
Dans sa réponse à la requête de l'ACEF, Bell a fait valoir que dans la mesure où la Charte québécoise impose des conditions à la prestation par Bell d'un service, elle porte préjudice à l'un des éléments essentiels et vitaux de son entreprise. De l'avis de la compagnie, les lois provinciales ne peuvent réglementer la disponibilité ou la qualité de ses services. Elle a précisé que l'Afficheur ne transgresse pas les droits à la vie privée. Elle a aussi soutenu que l'ACEF n'avait pas prouvé qu'il existe un droit à l'anonymat et que le Conseil doit donner la prééminence aux intérêts de la partie appelante par rapport à ceux de la partie appelée.
Pour ce qui est de l'argument de l'ACEF selon lequel la décision 90-10 contrevient aux Modalités de service de Bell, celle-ci a déclaré que le Conseil avait expressément autorisé la divulgation de numéros confidentiels relativement au SGA à titre d'exception au paragraphe 11 lorsqu'il a approuvé les tarifs applicables au SGA.
Bell a fait savoir que le Conseil avait respecté les règles du droit administratif. Elle a indiqué que le défaut d'un tribunal de motiver une décision particulière, faute d'exigences législatives contraires, ne constitue pas une erreur de droit ou de principe qui donne lieu à la possibilité d'une révision judiciaire. Elle estimait en outre que, même si le Conseil est tenu de donner des raisons, la décision 90-10 est suffisante à cet égard, puisqu'elle énonce clairement les éléments de preuve sur lesquels le Conseil s'est appuyé pour en arriver à ses conclusions.
De plus, Bell a affirmé que le Conseil n'avait pas tenu compte de la preuve documentaire ou des renseignements qui ne faisaient pas partie du dossier dont il était saisi. Elle a ajouté que le Conseil avait droit de faire appel à sa propre expertise et à ses connaissances pour prendre ses décisions.
Quant à la position de la CFBA selon laquelle le Conseil avait enfreint la Charte canadienne, Bell n'était pas d'accord avec le fait que la Cour suprême du Canada a reconnu un droit général à la vie privée, protégé sur le plan constitutionnel. La compagnie a déclaré que les tribunaux n'ont pas interprété l'article 7 comme donnant un droit distinct à la vie privée et que le Comité mixte sur le rapatriement de la Constitution avait rejeté la création d'un tel droit.
Bell a indiqué que, si les droits à la vie privée sont protégés par la Charte, c'est à l'article 8 seulement que cette protection est prévue. Elle a souligné à cet égard que les causes fondées sur l'article 8 que la CFBA a citées concernent toutes des enquêtes criminelles et que la CFBA n'avait présenté ni analyse ni argument sur la façon, dans les faits, dont l'exploitation du SGA équivaut à une fouille, à une perquisition ou à une saisie abusives. À son avis, le droit à la vie privée auquel la Cour suprême fait référence dans ses jugements est le droit d'être protégé contre une ingérence directe de l'État lorsque celui-ci se livre à des enquêtes criminelles ou autres. Elle a noté que, pour ce qui est du SGA, les intérêts de l'État et les intérêts individuels ne s'opposent pas; en fait, le SGA concerne les intérêts de deux personnes.
En outre, la compagnie a fait valoir que, même s'il existe un droit général à la vie privée, la CFBA n'avait pas établi que ce droit inclut celui d'une partie à conserver l'anonymat lorsqu'elle entre en contact avec une autre partie par téléphone.
Pour ce qui est des violations possibles de la Loi sur la protection des renseignements personnels, Bell a répondu que, comme le Conseil n'a pas sous son contrôle de dossiers renfermant des renseignements au sujet de personnes identifiables, la Loi ne s'applique pas.
En dernier lieu, Bell a fait valoir que le Code criminel prévoit une exception à l'interdiction d'intercepter des télécommunications lorsque l'auteur d'une communication ou la personne à laquelle son auteur la destine consent à l'interception. De plus, la compagnie était d'avis que la communication n'est pas privée, étant donné qu'elle n'est pas affichée dans des circonstances en vertu desquelles il est raisonnable de s'attendre à ce qu'elle ne soit pas affichée.
Dans sa réplique, l'ACEF a précisé que, d'après elle, la Charte québécoise s'applique aux transmissions téléphoniques entre des résidents du Québec. Elle a exprimé l'opinion que, parce qu'il n'est pas économiquement accessible, le mécanisme de blocage approuvé par le Conseil n'assure pas aux abonnés un contrôle véritable et efficace de la divulgation de leurs numéros de téléphone.
Reconnaissant la validité de l'affirmation de Bell selon laquelle le Conseil pourrait passer outre aux Modalités de service en approuvant un dépôt de tarif, l'ACEF a également fait valoir que le Conseil n'aurait pas dû approuver un tarif qui déroge au principe établi au paragraphe 11 des Modalités en question. Elle a ajouté que le défaut du Conseil de fournir des raisons constitue une erreur de droit, bien que cela n'ouvre pas la porte à une révision judiciaire, et que la possibilité qu'un tarif soit appliqué au blocage de l'ILA n'a pas été soulevée spécifiquement dans l'instance. De plus, elle ne voyait pas sur quelle expérience le Conseil pourrait s'appuyer pour prendre sa décision.
Dans sa réplique, la CFBA a réitéré son opinion selon laquelle une fouille, une perquisition ou une saisie abusives surviennent lorsque le numéro de téléphone d'un appelant est "capturé" puis transmis à la personne à laquelle l'auteur de l'appel le destine. Elle a également maintenu que les personnes ont le droit de décider dans quelles circonstances elles divulgueront des renseignements personnels. En dernier lieu, elle était en désaccord avec l'interprétation par Bell de la Loi sur la protection des renseignements personnels ainsi que du Code criminel.
B. Conclusions
Après avoir étudié les arguments de l'ACEF et de la CFBA, le Conseil conclut que ni l'une ni l'autre n'a prouvé qu'il avait commis une erreur de droit dans la décision 90-10.
En ce qui concerne l'applicabilité de la Charte québécoise, le Conseil estime que les principes de droit constitutionnel établissent clairement que les lois fédérales valides, dans le cas présent, la Loi sur les chemins de fer et la LNAMT, ont préséance sur les textes de loi provinciaux comme la Charte québécoise. Ainsi, il est habilité à remplir son mandat statutaire, et ses ordres (qui ont force de loi) auront préséance sur les lois provinciales, en cas d'opposition. Selon l'ACEF, les lois ne s'opposent pas. Toutefois, dans le cas présent, elle estime que la Charte québécoise aurait pour effet d'interdire le fonctionnement de l'Afficheur. Entre-temps, l'ordre du Conseil a l'effet d'en autoriser le fonctionnement. Dans ces circonstances, il semble clair qu'il y aurait opposition et que l'ordre du Conseil aurait préséance. Le Conseil est donc d'avis qu'il n'a pas erré en droit lorsqu'il a conclu qu'on ne peut invoquer la Charte québécoise pour interdire la fonction Afficheur du SGA.
Pour ce qui est des Modalités de service, l'ACEF reconnaît maintenant que la divulgation d'un numéro confidentiel est autorisée à titre d'exception au paragraphe 11 des Modalités de service de Bell du fait que le Conseil a approuvé le SGA. Elle n'affirme plus que le Conseil a commis une erreur de droit à cet égard.
Quant à l'argument de l'ACEF selon lequel le Conseil a erré en ne motivant pas certains aspects de la décision 90-10, le Conseil estime qu'il a exposé clairement ses motifs, qu'il ait eu ou non l'obligation légale de le faire. À propos de l'argument selon lequel le Conseil a basé sa décision sur des renseignements ne se trouvant pas au dossier, il est clair que le Conseil n'est absolument pas tenu de donner l'occasion aux parties de formuler des observations sur chaque considération dont il pourrait tenir compte dans l'exercice du pouvoir discrétionnaire que lui confère la Loi sur les chemins de fer ou la LNAMT. Néanmoins, dans le cas présent, il estime que la question du blocage de l'ILA avec assistance du téléphoniste a été soulevée en même temps que d'autres options au cours de l'instance, et que les parties sont libres de se prononcer sur sa mise en oeuvre. Dans ces circonstances, il juge qu'aucune erreur de droit n'a été commise.
Compte tenu de ce qui précède, le Conseil considère que l'ACEF n'a pas prouvé qu'il avait commis l'une quelconque des erreurs de droit énoncées dans sa requête.
Dans ses arguments, l'ACEF a également noté qu'elle s'accorde avec la CFBA pour dire que trois des fonctions du SGA, y compris l'Afficheur, équivalent à une violation de la Charte canadienne. De l'avis de l'ACEF, autoriser le SGA sans donner l'accès gratuit au blocage de l'ILA n'est compatible ni avec le droit constitutionnel canadien ni avec les principes généraux associés aux droits et aux libertés. Elle a donc soutenu que le Conseil a établi un principe nouveau et erroné en approuvant le SGA avec blocage tarifé de l'ILA.
Pour ce qui est de l'applicabilité de la Charte canadienne, l'ACEF a soutenu que les articles 7 et 8 renferment un droit fondamental à la vie privée. La CFBA a déclaré que la Cour suprême du Canada n'a pas eu l'occasion d'étudier la question de savoir si l'article 7 prévoit le droit à la vie privée. Sa position est donc basée sur une extrapolation à partir de jugements liant vie privée et liberté, ou vie privée et sécurité. Les jugements cités par la CFBA se rapportent à des poursuites criminelles et ont trait à la protection du droit de l'accusé à une procédure équitable. Le Conseil est d'avis qu'il serait incorrect de conclure que ces causes appuient solidement la conclusion voulant qu'une personne ait le droit de ne pas faire afficher son numéro de téléphone sans son consentement direct.
Quant à l'article 8, les causes citées par la CFBA ont trait à des questions de fouilles, de perquisitions ou de saisies en rapport avec des enquêtes faites par l'État; comme Bell l'a souligné, la CFBA n'a pas présenté d'analyse ou d'argument sur la façon dont l'exploitation du SGA équivaut à une "fouille, à une perquisition ou à une saisie abusives".
Comme le SGA ne comprend pas l'appropriation de quelque chose par l'État, le Conseil ne peut le qualifier de saisie. De plus, comme la CFBA le note, les personnes sont protégées seulement contre les fouilles, les perquisitions ou les saisies "abusives". En outre, toutes les protections prévues dans la Charte canadienne sont assujetties à des limites raisonnables qui peuvent être justifiées indiscutablement dans une société libre et démocratique. Comme il en est question dans la décision 90-10, le Conseil est d'avis que l'introduction du SGA influe sur les intérêts privés de la partie appelée et de la partie appelante, et que pour en évaluer le caractère raisonnable, il lui faudra nécessairement amorcer un processus d'équilibrage des divers intérêts. Il estime que les conditions d'approbation du SGA représentent un équilibrage approprié des intérêts.
Compte tenu de l'interprétation actuelle de la Charte canadienne, le Conseil est d'avis que la démarche qu'il a adoptée dans la décision 90-10 ne peut être qualifiée de contraire à l'article 8 de la Charte canadienne. Il conclut donc que l'ACEF n'a pas prouvé qu'une erreur de droit a été commise à cet égard.
La CFBA a également affirmé qu'en vertu de la Loi sur la protection des renseignements personnels, le Conseil ne peut autoriser le SGA. Elle invoque comme argument que le Conseil exerce un contrôle sur des renseignements personnels (c.-à-d. les numéros de téléphone des abonnés). De l'avis du Conseil, le préambule de la Loi sur les renseignements personnels laisse entendre que pour avoir le contrôle des renseignements, l'institution doit détenir ces renseignements. Comme ce n'est pas le cas dans la présente instance, il conclut qu'il n'y a pas eu infraction à la Loi sur la protection des renseignements personnels.
En dernier lieu, la CFBA a soutenu que la décision 90-10 vise à modifier la Partie VI du Code criminel, qui réglemente les circonstances dans lesquelles les communications privées peuvent être interceptées et de quelle manière elles peuvent l'être. Elle a notamment déclaré que la définition d'une "communication privée" donnée dans la Partie VI est suffisamment large pour inclure les renseignements qui peuvent être interceptés au moyen du SGA. En évaluant si la décision 90-10 est ultra vires, le Conseil a interprété le libellé des dispositions pertinentes dans leur sens strict. Il conclut que la transmission du numéro de téléphone d'une partie appelante à la partie appelée n'équivaut pas à une interception au sens de la Partie VI et qu'il n'a donc pas agi ultra vires en approuvant le SGA.
À la lumière de ce qui précède, le Conseil conclut que ni l'ACEF ni la CFBA n'ont réussi à relever des erreurs de droit dans la décision 90-10.
III MODIFICATION DANS LES CIRCONSTANCES OU LES FAITS DEPUIS LA DÉCISION
A. Positions des parties
Dans sa requête, l'ACEF a fait valoir que le Conseil devrait revoir sa décision à cause de certaines considérations nouvelles. Premièrement, les personnes que Bell entendait aider en offrant sans frais le blocage de l'ILA, nommément les maisons d'hébergement pour femmes, ont indiqué qu'elles ne comptaient pas se prévaloir de cette option, et qu'elles se disent plutôt opposées à ce que l'on autorise le SGA, qui affecte leur sécurité. Deuxièmement, l'ordre d'offrir le blocage sans frais aux maisons d'hébergement équivaut à une discrimination qui est contraire à l'article 340 de la Loi sur les chemins de fer. En dernier lieu, la publication de l'avis public Télécom CRTC 1990-46 du 11 mai 1990 intitulé Service de renseignements criminels - Ontario - Divulgation de renseignements par Bell Canada (l'avis public 1990-46), équivaut à une nouvelle circonstance.
Dans sa réponse, Bell a déclaré qu'en dépit de la réticence de certains groupes vis-à-vis de la participation à l'élaboration de méthodes d'accréditation, elle a déjà accrédité plusieurs maisons d'hébergement. Elle a noté que, de toute manière, la décision de demander l'accréditation appartient à chaque maison d'hébergement. La compagnie a fait valoir que l'intérêt public est servi du fait que les maisons d'hébergement ont l'occasion d'être exemptées des frais. Elle a également noté que les appels avec assistance du téléphoniste sont offerts à la personne, que la maison d'hébergement ait pris ou non des arrangements en vue d'être exemptée des frais d'appel avec assistance du téléphoniste. De plus, selon la compagnie, si une discrimination est faite en ce qui a trait au blocage de l'ILA offert sans frais aux maisons d'hébergement, elle n'est pas injuste. En dernier lieu, elle estimait que l'instance mentionnée dans l'avis public 1990-46 ne se rapporte pas à la décision que le Conseil a rendue relativement à l'introduction du SGA.
B. Conclusions
Si certains groupes peuvent ne pas être disposés à tirer avantage de toutes les instructions qu'il a données à Bell au sujet du SGA, le Conseil estime que rien ne les empêche d'obtenir la protection qui est offerte s'ils le veulent. Quant à la possibilité que sa décision équivale à un traitement discriminatoire, il juge que toute préférence pour les maisons d'hébergement pour femmes est justifiée compte tenu de leur situation particulière. Si d'autres groupes ou personnes pouvaient prouver des besoins aussi contraignants, il n'en a pas été question dans la requête de l'ACEF. S'ils déposaient une requête auprès du Conseil, ils pourraient être en mesure de justifier qu'on leur accorde le blocage de l'ILA sans frais. En dernier lieu, le Conseil note que l'instance établie dans l'avis public 1990-46 (qui a abouti à la décision Télécom CRTC 91-2 du 12 février 1991 intitulée Service de renseignements criminels - Ontario -Divulgation de renseignements par Bell Canada) a trait à des questions d'intervention de l'État pour les fins de l'application de la loi. Il estime que, comme il est déclaré ci-dessus, le SGA soulève des questions d'équilibre approprié à établir entre les intérêts individuels, c'est-à-dire ceux de la partie appelante et de la partie appelée. Il conclut donc que la publication de l'avis public 1990-46 n'est pas une circonstance nouvelle qui s'applique aux décisions qu'il a rendues dans la décision 90-10, et que l'ACEF n'a pas prouvé qu'il y a eu modification fondamentale des circonstances ou des faits depuis cette décision.
IV RÈGLEMENT DES REQUÊTES
À la lumière des conclusions exposées ci-dessus, le Conseil rejette les requêtes de l'ACEF et de la CFBA en révision et modification de la décision 90-10. Ayant conclu que ni une révision ni une modification de cette décision ne sont justifiées, il rejette également la requête de l'ACEF en suspension de la décision.
Le Secrétaire général
Allan J. Darling

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